ENCORE UN MALADE !

  Dominicains - Province de France

 

 

Le frère Jean Druel, du couvent du Caire, enseigne l'arabe et étudie la linguistique arabe. Il collabore à l'Idéo où il étudie les variantes coraniques.

 

 

Caricatures, blasphème et choc des cultures 
 
Pour avoir un éclairage différent et original sur l’affaire des caricatures, nous avons demandé au frère Jean Druel, qui enseigne l’arabe au Caire et qui prépare un doctorat en linguistique arabe, de nous donner sa propre vision de cette affaire.

Dans un prétendu « choc des cultures », les deux camps ont joué comme souvent à se renvoyer en miroir l’image qu’ils aiment donner d’eux-mêmes et l’image qu’ils ont de l’autre. On a donc d’un côté des Européens se regardant dans le miroir musulman, et se trouvant décidément très bien, très « second degré », très libres par rapport à toute autorité, défiant tout cléricalisme, fût-il musulman. Ils se voient comme une nation d’élite, gouvernée par des classes intellectuelles affranchies d’une vision moyenâgeuse de la religion. 
Dans ce même miroir, ils veulent voir en négatif des musulmans intolérants et n’ayant aucun sens de la relativité, voulant imposer leurs lois anti-blasphème à la terre entière, des musulmans brutaux et n’ayant aucun recul sur rien. Des musulmans méritant bien les dictatures qui les gouvernent. 

Les musulmans eux, se regardent dans ce miroir. Le même miroir, les mêmes antennes paraboliques. Ils voient les mêmes images. Et dans ce même miroir, ils se trouvent très bien eux aussi ! Ils se flattent d’avoir de la religion et du respect pour leur prophète. Ils se réjouissent de leur combativité, que rien n’a émoussé depuis le premier jour de l’islam. Ils sont fiers de montrer qu’ils n’ont peur de rien ni de personne et surtout pas des nations riches et développées.

 Et en même temps ils voient des Européens dépravés et hédonistes qui ne respectent plus aucune valeur. Des Européens qui se laissent gouverner au gré du politiquement correct et de l’air du temps. Des Européens qui ont roulé dans la boue leurs propres religions. 

Or la voilà la caricature ! De quels Européens parle-t-on ? Et de quels musulmans ? Où sont-ils, ces deux camps hermétiquement séparés, sinon de chaque côté du miroir ? 

Derrière ce jeu de miroirs, il y a cependant un réel malaise, qui va plus loin qu’un simple choc des images et des identités. Il y a, à mon avis, le sentiment chez les musulmans que tous les moyens sont bons pour humilier l’islam et le reléguer au rang de bizarrerie archaïque : publier des caricatures, légiférer sur le voile, refuser d’embaucher des personnes d’origine arabe, proposer dix fois un verre d’alcool lors d’une soirée... « Allez, goûte ce saucisson ! » En quelque sorte, ce qui est fatigant, c’est d’avoir l’impression qu’il faut se justifier encore et toujours d’être musulman. 

Les journaux qui ont publié les caricatures disent qu’ils ont le droit de le faire, au nom de toutes sortes de libertés. Mais ils me font penser à ce parent acariâtre qui n’a jamais digéré un mariage dans la famille et qui continue, dix ans après, à appeler la belle-fille « mademoiselle. » Il a bien le droit lui aussi, non ? C’est consternant. Si l’islam est une pièce rapportée en France, est-ce là le dernier mot ? S’agit-il uniquement d’une question de droit ? Quelle loi pourrait forcer la famille à donner toute sa place à la belle-fille ? 

D’ailleurs, c’est aussi compliqué d’être musulman en Europe que d’être chrétien dans le Monde arabe. (ndlr: Je ne savais pas que l'on avait brûlé des musulmans en Europe...JPPS)

Ce sont des petites brimades quotidiennes qui nous font sentir qu’on n’est pas chez nous. Des petits mots mordants, dits sans même y penser, l’ignorance de tout ce qui fait que l’autre est différent. Précisément différent. Heureusement différent. Enfin différent !

Pour aller plus loin, vous pouvez lire :

- L’affaire des caricatures sur Wikipédia.
- Jean Druel, "Caricatures, blasphème et choc des cultures" dans Lumière et Vie n°270, juin 2006
- François-Dominique Boespflug, Caricaturer Dieu, Paris, Bayard, 2006. 

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