samedi 26 octobre 2013

J'AI UN SQUATTER DANS MON IMMEUBLE ! (DEFINITION : OCCUPANT "SANS DROIT NI TITRE")


Face aux migrants, les Calaisiens entre ras-le -bol et entraide

 

 

 

Par , Jérôme Sage
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Un immigrant éthiopien dans la cour de House Africa, un squat occupé par des réfugiés dans le centre de la ville de Calais en 2009.

REPORTAGE-La sénatrice maire UMP Natacha Bouchart a suscité la polémique mercredi en invitant ses administrés à « ne pas hésiter » à lui signaler par e-mail « tout squat » de clandestins.



De notre envoyé spéciale
Un sourire sur le visage, un Syrien d'une quarantaine d'années fait défiler les photos de ses trois enfants sur son portable. Il ne les a pas vus depuis douze mois, raconte-t-il en anglais. «Ma ville a été détruite.» Après un long parcours, il a atterri à Calais, ville transit où il essaie, chaque jour, de passer en Angleterre, allant jusqu'à se cacher dans un camion frigorifique. Dans ce squat, trente-cinq hommes s'entassent. Des matelas et duvets à même le sol, ni eau, ni électricité, et des murs noircis de moisissure. 

La situation n'est guère enviable, mais «pour certains, c'est un château», se désole Mariam Guerey, salariée du Secours catholique qui intervient auprès des migrants de Calais depuis dix ans. C'est ce type de squat que la maire UMP Natacha Bouchart veut combattre. Il y en aurait selon elle «une bonne vingtaine». Mercredi soir, elle publiait sur son compte Facebook un message invitant ses administrés à envoyer un e-mail «lorsque vous voyez des no borders ou des migrants s'implanter illégalement dans une maison», pour que la police puisse intervenir dans les 48 heures à partir du constat d'intrusion pour faire évacuer un lieu. «Au-delà du message qui peut paraître provocateur, il y a la volonté d'alerter et de faire appel aux autorités, assume-t-elle. Je me dois de défendre ma population, il y a un sentiment de peur ici.»

La peur, et le ras-le-bol, chez certains Calaisiens.

Pour Jean-Noël, 68 ans, «cela devient exaspérant». Ce qu'il qualifie comme de la «délation» le gêne un peu, mais il admet que si des migrants s'installent à côté de chez lui, il appellera la mairie. 

Catherine, 54 ans, va plus loin: «On en a ras-le-bol de vivre ça au quotidien! Racistes, on le devient. Moi je voterai FN.» L'approche des élections municipales est dans les esprits. Philippe, 47 ans, estime d'ailleurs que la maire UMP «aurait pu le dire depuis longtemps».

Car la situation ne date pas d'hier, et si la maire avance un nombre de migrants qui aurait doublé en quelques mois, le souvenir de Sangatte, fermé il y a dix ans, est encore bien présent. Rachel, 78 ans, pense que «ça n'a rien changé. L'État a laissé tomber, il y a toujours autant de migrants, c'est un sujet difficile mais j'ai un cœur, je ne signalerais pas un squat. Il n'y a pas beaucoup d'humanité…» Isabelle, 45 ans, trouve même cela «très choquant»: «On attend que la maire trouve une solution, pas qu'on fasse de la délation. Ici, les migrants sont coincés comme des rats. Calais, c'est une souricière.»

Au point d'accueil de jour du Secours catholique, où les migrants peuvent venir se poser, recevoir du courrier ou prendre un café, Mariam estime que «les migrants ne font rien de mal. Ils s'abritent dans des bâtiments abandonnés». 300 à 400 d'entre eux seraient actuellement à Calais (voir ci-dessous). Sur les murs du préfabriqué, des dessins et petits mots racontent leurs histoires: «C'est dur de quitter sa famille. À l'intérieur de moi, il y a un soleil qui ne brille pas», traduit Mariam, la bénévole, les larmes aux yeux. Ici, c'est l'un des lieux de refuge. Pour se laver, il faut traverser la ville pour utiliser l'une des sept douches à disposition. «Il y a une volonté de les rendre invisibles», analyse-t-elle. 
Un repas est distribué par l'association Salam, à 18 heures, à un autre bout de Calais, près du port, là où chaque soir des dizaines de migrants tentent de traverser. Une vingtaine de tentes sont installées là. Assis en cercle, les migrants partagent quelques frites froides achetées la veille. Né à Alep en 1987, Youssef était gynécologue mais a fui son pays en guerre. Son parcours a failli lui être fatal lorsqu'il est monté à bord d'un bateau où 58 personnes s'entassaient. Onze ont survécu au naufrage de l'embarcation. Il poursuit pourtant sa quête d'une vie meilleure, vers l'Angleterre, avec pour objectif principal de faire valider son diplôme de médecine.


Denis Robin: «Le nombre de clandestins a augmenté»

Aux yeux de Denis Robin, préfet du Pas-de-Calais, le nombre de migrants a augmenté sur ce territoire, principalement arrivés via des filières d'immigration clandestines. Quelques jours avant la prise de position de la maire de Calais, il répondait à nos questions.

LE FIGARO. - Connaît-on précisément  le nombre de migrants à Calais?
 
Denis ROBIN. - Il est très compliqué de le savoir, les migrants sont très mouvants. Quand ils se rendent compte qu'ils ne peuvent pas passer en Angleterre par Calais, ils se dirigent vers Dunkerque, les ports normands… Certains tentent leur chance par les ports belges, hollandais, ou plus haut en Europe.

Ceci dit, nous pensons que le nombre de migrants à Calais a augmenté ces derniers temps: environ 300 migrants à Calais, une cinquantaine en périphérie, dans les zones dunaires notamment, et environ 150 dans le dunquerkois et l'arrière-pays. 
Au total donc à Calais et dans ses environs, quelque 500 migrants.


Beaucoup d'entre eux renoncent  à demander l'asile en France,  lui préférant la Grande-Bretagne…

 
Début octobre, lorsqu'il y a eu ces incidents sur le port de Calais (une cinquantaine de migrants syriens avaient occupé une passerelle d'accès aux bateaux de voyageurs, certains entamant une grève de la faim), sept personnes, quatre adultes et trois enfants, ont demandé un hébergement d'urgence en vue de demander l'asile. Trois des adultes ont engagé effectivement un parcours de demande d'asile. Une femme avec des enfants hésite encore, parce que son mari est en Angleterre… 

Le migrant qui arrive seul à Calais par ses propres moyens n'existe pas, ils sont presque toujours pris en charge par des réseaux d'immigration parfaitement organisés et informés. S'ils voient que les contrôles se renforcent, les réseaux se replient sur d'autres destinations. Ce sont des trajets d'immigration longs, utilisant plusieurs vecteurs. Sans soutien, sans renfort logistique, ils n'arriveraient pas jusqu'à Calais. 

À ce sujet, il est intéressant de voir à quel point les passeurs conditionnent les migrants, en leur expliquant «Vous serez bienvenus en Angleterre, pas en France», ou encore «Ne signez rien en France, vous risquez d'être renvoyés». Ça a dû être très violent pour eux d'entendre un représentant des services d'immigration britanniques leur expliquer qu'il y avait des règles strictes d'admission en Angleterre…

Comment agissez-vous  face à ces filières d'immigration?
 
En 2012, nous avons interpellé 483 passeurs, un peu plus de 300 en 2011. Ce ne sont pas des têtes de réseau, mais des relais. Ils constituent un maillon important. Ce sont parfois des migrants restés dans le Calaisis, ou des migrants en situation régulière qui gagnent de l'argent avec ces réseaux organisés par nationalité.

es troubles à l'ordre public auxquels on assiste, les rixes notamment, sont pour beaucoup liés à des différends entre des réseaux de passage… Quand on procède à des interpellations de migrants, s'ils sont en situation irrégulière, la plupart vont être reconduits à la frontière. Dans le Pas-de-Calais, en 2013, nous procéderons ainsi à environ 1 200 reconduites à la frontière. 

De plus, l'OFII (l'Office français de l'immigration et de l'intégration) fait un gros travail de terrain pour convaincre les migrants de retourner volontairement dans leurs pays. Dernière possibilité, pour ceux qui renoncent à passer en Angleterre, et s'ils remplissent les conditions de l'asile - par exemple les Syriens, ou venant d'autres pays en guerre, nous pouvons les accompagner vers l'asile.

Propos recueillis par Jérôme Sage



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