FLORIAN PHILIPPOT : UN HOMME DE GAUCHE ?
Florian Philippot, le "gourou" de Marine Le Pen, incarne-t-il les impasses et les contradictions du FN actuel ?
Il a suffi de quelques mois à
Florian Philippot, conseiller privilégié de Marine Le Pen, pour devenir
numéro 2 du FN.
Mais le jeune énarque ne fait pas l'unanimité auprès des
militants, notamment en Moselle où il a été parachuté en juin 2012 pour
les législatives.
Florian Philippot, conseiller privilégié de Marine Le Pen, est rapidement devenu numéro 2 du FN. Crédit Reuters / Philippe Wojazek
Atlantico :
Après une ascension fulgurante au sein du FN, FlorianPhilippot est de plus en plus contesté par les militants.
Malgré un score historique - 46,30% - au second tour des législatives de Forbach (Moselle) face au PS, le vice-président du FN ne fait pas l'unanimité auprès des cadres locaux. Comment expliquez-vous ces difficultés ?
Sylvain Crépon :
Le Front national est traditionnellement un parti populiste qui s'est
construit sur le rejet des élites.
Jean-Marie Le Pen n'avait de cesse de
fustiger l'"énarchie" et tous les partis technocrates coupés des
préoccupations du peuple.
Florian Philippot a justement un pur parcours de technocrate : HEC, ENA, ministère de l'Intérieur
...
Le FN bénéficie de cadres qui peuvent être cultivés, de stratèges fins,
de bons communicants, de brillants juristes mais l'une des carences du
parti est son absence de culture de gouvernement. Pratiquement aucun
frontiste n’a participé à un cabinet ministériel, n’a eu à gérer une
région, n’a présidé un conseil général, ni même intégré la haute
fonction publique. Et la période est loin maintenant où certains de ses
cadres ont pu gérer des grandes villes, avec en plus les résultats que
l’on sait. Le Front national tente d'ailleurs de compenser cela en
formant lui même son personnel à travers la mise en place d'écoles de
cadres, comme le Parti communiste l’avait fait en son temps. Il est
ainsi aujourd'hui le seul parti qui permette à des personnes
d'extraction modeste d'obtenir des responsabilités politiques.
Cette
particularité du FN, qu'a bien mise en lumière la présence récente de
Florian Philippot, est à la fois une force et une faiblesse. Elle permet
au parti de légitimer son discours populiste sur le mode : "Nous sommes
composés de gens populaires ancrés dans la vraie vie". Dans son
organigramme, le Front national est à l'image de ses électeurs. Sur le
terrain, les sympathisants, les militants et les électeurs sont gré au
FN de leur ressembler.
Florian Philippot
bouleverse la donne en arrivant avec un capital culturel et social une
configuration intellectuelle qu'on ne connaît pas au Front national.
Durant la campagne présidentielle, il a été très utile à Marine Le Pen à
tel point qu'au bout d'un an d'adhésion il est devenu numéro 2.
Cette
situation inédite dans un parti politique a plusieurs conséquences.
Autrefois, Marine Le Pen prenait conseil auprès de plusieurs cadres.
Aujourd'hui, il semble qu'elle soit conseillée presque exclusivement par
Florian Philippot.
Cela ne peut que créer des tensions et des jalousies. En
outre, cela met le Front national en contradiction avec son discours
populiste, son discours "anti-establishment" et "anti-technocratie".
Florian
Philippot, parfois surnommé en interne "le gourou" de Marine Le Pen est
considéré comme un militant de la 25e heure qui a coiffé tout le monde
au poteau.
Des très proches de Marine Le Pen ont été
rétrogradés dans la hiérarchie ce qui provoque forcément quelques
grincements de dents.
C'est sur le plan local que Florian Philippot est le plus chahuté. Est-il coupé de la réalité des militants ?
Je
n’ai pas enquêté dans son fief électoral. Mais j’ai recueilli des
témoignages qui rapportent que l’ascension de Florian Philippot a heurté
la raison d'être de l'engagement de certains adhérents.
Beaucoup ont rejoint le FN à travers son discours populiste, son
discours "anti-élites", son discours "anti-énarchie". Or, il a suffi
qu'un seul énarque arrive au Front national pour qu'il se retrouve
immédiatement au sommet. Cela apparaît comme une trahison aux yeux de
certains militants. Et ce en dépit du fait que le nouveau numéro 2 prône
des mesures sociales à destination des catégories populaires.
Florent Philippot, issu du "Chevènementisme", est arrivé au FN avec de fortes convictions républicaines qu'il a cherché à imposer au parti. Au-delà de la compétition interne, son positionnement entre-t-il en conflit avec la ligne historique du FN ?
D'abord,
il n'a pas été officiellement membre des différents mouvements
chevènementistes. Il a été un simple sympathisant. Ensuite, la décision
de présenter le FN sous un jour républicain ne date pas de l'arrivée de
Florent Philippot. Marine Le Pen avait déjà impulsé ce changement en
réactivant "Générations Le Pen" en 2002 après la claque du 21 avril.
Contrairement aux apparences, cet épisode a été vécu comme un vrai
traumatisme par le FN. Devant l'opposition populaire qui défile dans la
rue, Marine Le Pen et ses proches réalisent que le FN n'arrivera jamais
au pouvoir. Il y a la prise de conscience que la stratégie du "vieux',
comme ils disent, ne fonctionne pas.
La décision est prise de revenir à
ce que Bruno Mégret avait décidé d'impulser : "dédiabolisation" et
"normalisation".
Marine Le Pen a trouvé par la
suite en Florian Philippot, une personnalité susceptible de légitimer
cette ligne. C'est quelqu'un qui a un passé politique et en plus un
passé politique de gauche.
Marine Le Pen a trouvé en lui une
"matière grise" capable de renforcer intellectuellement cette ligne
qu'elle s'efforçait de mettre en place. C'est d'ailleurs
pourquoi, elle ne peut pas se passer de lui. On l'a vu lors de
l'émission des Paroles et des actes, Marine Le Pen cherche à maîtriser
ses dossiers alors que Jean-Marie Le Pen faisait des calembours, jouait
l'affrontement ou répondait aux journalistes par des pirouettes ou des
provocations.
Florian Philippot a réussi à se
rendre indispensable justement parce qu'il possède cette culture de
gouvernement qui fait défaut au parti lepéniste.
Il semblerait, néanmoins, qu'il
n'arrive pas à assumer les racines d'extrême droite du parti chose que
beaucoup de cadres historiques assument pourtant assez facilement,
naturellement, pour assurer aussitôt avoir tourné le dos à ces racines.
Ensuite, même
s'il est en train de changer, et même si Marine Le Pen tente de lui
donner une nouvelle image, le FN reste partagé entre adaptation au
système politique et contestation de ce "système". Un tiraillement qui
existe d’ailleurs depuis les débuts du mouvement, comme le politiste
Alexandre Dézé l’a très bien montré dans ses récents travaux (Le Front national, à la conquête du pouvoir ?
Armand Colin, 2012)
S'il se normalise trop, il perd son potentiel
électoral de parti protestataire. A l'inverse, s'il se "diabolise" trop,
il est mis au ban du jeu électoral et reste dans une dimension
politiquement stérile. Certains cadres ont aujourd'hui conscience de
cette situation qui s’apparente à une impasse.
A travers Florian Philippot, on voit bien cette tension se réactiver entre ces deux pôles : normalisation et contestation du système.
A travers Florian Philippot, on voit bien cette tension se réactiver entre ces deux pôles : normalisation et contestation du système.
Par
ailleurs, Philippot ne tient pas compte de l'histoire idéologique du
FN. Il veut très vite tourner la page Jean-Marie Le Pen, tourner la page
des liens avec l'extrême droite radicale.
Pour lui, le Front
national se limite à l’image qu’en donne sa présidente. Et, malgré tout,
beaucoup de gens, y compris dans l'entourage de Marine Le Pen, restent
d'une fidélité sans faille à Jean-Marie Le Pen.
Même s'ils ne se
retrouvent pas dans ses provocations, ils lui savent gré d'avoir fait du
FN ce qu'il est. C’est peut-être ce qui explique en partie les inimités
internes que Philippot a suscitées depuis qu’il a rejoint le FN.
(atlantico.fr)
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