jeudi 16 février 2012

CHRISTIAN VANNESTE



Le comptage complexe des homosexuels français déportés


Par Chloé Woitier
Mis à jour

La Fondation pour la Mémoire de la Déportation reconnaît officiellement 62 cas de Français arrêtés et condamnés pour homosexualité durant la guerre.

La majorité a été arrêtée en territoire allemand.

La déportation des homosexuels en France durant l'occupation nazie est-elle «une légende», comme l'affirme le député Christian Vanneste ?

Les recherches historiques menées par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation dans les années 2000 démontrent la réalité du phénomène, mais dans des proportions bien moindres que ce qu'ont pu affirmer certaines associations militantes.

Un premier rapport rédigé par la Fondation à la demande du secrétariat d'État aux anciens combattants a été remis au gouvernement en 2001. Au terme de quatre ans de recherche, la Fondation a estimé que 210 Français ont été arrêtées en raison de leur homosexualité durant la guerre. Parmi ces 210 personnes, quatre étaient des Français arrêtés en Allemagne alors qu'ils étaient volontaires pour le Service du travail obligatoire (STO), et 206 résidaient dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, trois départements annexés par le Reich et où s'exerçaient la loi allemande.

Le paragraphe 175 du code bavarois, étendu à toute l'Allemagne sous la République de Weimar, prévoyait «une peine de prison pouvant aller jusqu'à cinq ans» pour punir «les rapports contre nature entre hommes».

Des arrestations réduites à 62 en 2007

De nouvelles recherches menées sous la direction d'Arnaud Bouligny en 2007 ont fortement revu à la baisse ces estimations. «La marge d'erreur avec le chiffre précédent est le résultat d'une vérification minutieuse de l'origine géographique des noms relevés parmi les détenus du camp de concentration de Natzweiler (Bas-Rhin)», écrit l'historien Mickaël Bertrand en préface de son livre La déportation pour motif d'homosexualité en France.

Désormais, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation identifie «avec certitude» 62 Français arrêtés pour motif de leur homosexualité, dont 26 ont été envoyés en camp de concentration. Les 35 autres ont été emprisonnés dans des prisons allemandes, «d'où 25 sont libérés à l'expiration de leur peine».

Vingt-deux de ces 62 Français ont été interpellés dans les départements de l'Est annexés, où s'appliquait la loi allemande. «Aucun élément ne permet à ce jour d'affirmer que les homosexuels de ces territoires ont été l'objet d'une persécution massive et organisée. Elle revêt davantage un caractère occasionnel et exemplaire que systématique», note la Fondation. Parmi ces 22 Alsaciens «en majorité d'âge mûr», six sont morts en déportation à Dachau, Natzweiler et Flossenbürg.

La Fondation a également trouvé la trace de 32 homosexuels français arrêtés en Allemagne : la majorité sont des travailleurs civils, les autres des prisonniers de guerre. «Ils ont entre 20 et 30 ans, sont originaires d'Alsace pour 4 d'entre eux et du reste de la France pour les autres», note la Fondation. Tous sont condamnés en vertu du paragraphe 175 du Code pénal allemand à des peines allant de 3 mois à 3 ans et demi de prison. Deux d'entre eux sont internés dans le camp de concentration de Natzweiler et meurent après un transfert à Buchenwald et Ladelund.

Des homosexuels déportés comme juifs, communistes ou résistants

Les recherches de la Fondation semblent jusque là en accord avec les déclarations de Christian Vanneste, qui affirme qu'il n'y a pas eu de déportation homosexuelle en France «en dehors des trois départements annexés». Pourtant, la Fondation a trouvé la trace de sept Français arrêtés pour motif d'homosexualité en zone occupée, dont trois à Paris. Cinq d'entre eux seront rattachés «à un convoi de déportation de 'politiques' à destination de Buchenwald, où ils reçoivent le triangle rouge», signe des déportés politiques. Le cas de ces Français est donc complexe. Si l'homosexualité est citée dans leur dossier, elle n'est donc pas toujours le motif principal de leur arrestation.

Au regard de ces découvertes, «il devient difficile d'affirmer, comme cela a été le cas durant des décennies, que les homosexuels français ont été massivement déportés avec l'aide d'un fichier français qui aurait été transmis aux nazis», estime l'historien Mickaël Bertrand. Mais si les chiffres de la Fondation sont plus bas qu'attendus, «cela ne signifie pas pour autant que des centaines d'homosexuels français n'ont pas été déportés en tant que juifs, communistes et/ou résistants», estime l'historien Mickaël Bertrand.

La Fondation comme les historiens rappellent également que toutes les archives n'ont pas encore pu être dépouillées. Il reste encore 28.000 dossiers sur les 68.000 du Bureau des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (BAVCC) à étudier, et peut-être de nouveaux cas de déportation homosexuelle en France à découvrir.

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