jeudi 20 janvier 2011

CE BON PEUPLE...






Pour en finir avec le populisme


ARCHIVES


Pagès-Schweitzer Jean-Pierre

- jeudi 26 novembre 2009




La plupart des auteurs qui traitent de la question « populiste » s’intéressent généralement aux « mouvements » populistes : Boulanger, Déroulède, Poujade…

Aujourd’hui, le « Parti Populiste » de Christian Perez et Franck Timmermans. Cela ne sera pas mon propos.

En effet, on n’en « finira » jamais avec les mouvements populistes ! Ils continueront à réapparaître, périodiquement, sur la scène politique de notre malheureux pays jusqu’à la fin des temps. J’essaierai simplement, ici, d’en rechercher les origines et surtout d’en démontrer le caractère aberrant.

S.P.Q.R. : Senatus Populusque Romanus (le Sénat et le Peuple Romain). Judicieusement inscrite sur toutes les bouches d’égouts de Rome, cette devise symbolise bien l’universalité de la démagogie (gr. agogueus : guide, führer et dêmos/lat. plebs : la plèbe), comme caractéristique des « politiciens » – c’est-à-dire de ceux qui se sont donnés comme « mission » de gérer la cité (polis). Tous, sans exception, font appel au sacro-saint « peuple », afin d’être élus ; ensuite ils parleront « en son nom »…

Les Bolcheviks, en 1917, introduisent une nuance : le Parti communiste et ses apparatchiks parlent au nom du « prolétariat » (la bourgeoisie, et a fortiori l’aristocratie, ne pouvant être considérées comme faisant partie du "peuple" russe…).

En fait, tout le monde parle au nom du Peuple : même l’exécuteur des arrêts criminels coupait les têtes (jusqu’en 1981) « au nom du peuple français » (ce qui ne m’empêche pas, soit dit en passant, d’être pour le rétablissement de la peine de mort).

Mais qui est donc ce fameux « peuple » ?

Quels sont les critères objectifs qui permettraient à un tribunal de décider si une personne appartient ou non au « peuple français » ?
(Pour les marxistes-lénisnistes-trotskistes, à partir de quel salaire peut-on considérer qu’une personne appartient au « prolétariat » ?).

En réalité, ce concept échappe à toute définition rationnelle.

Il n’est du ressort ni du juriste, ni du spécialiste des sciences politiques. Seules les sciences religieuses ont peut-être quelque chose à dire à ce sujet.

Tous les politiciens, disais-je, font appel au « peuple » ; mais pas à n’importe quel peuple !
C’est au « vrai » peuple qu’ils s’adressent : celui de la « vraie » France, de la France « profonde », de la France « éternelle ».

Ce qui laisse déjà entendre qu’il existe un « autre » peuple, dont ils n’attendent rien.

Chez les marxistes, les choses étaient originellement plus simples : il y avait deux « classes sociales », les (méchants) bourgeois et les (gentils) prolétaires.

Malheureusement, en 1848, peu de temps après la publication du « Manifeste », un empêcheur-de-penser-en-rond, Louis-Antoine Garnier-Pagès, maire de Paris, eut la malencontreuse idée de créer les gardes mobiles : des jeunes « prolétaires » qui, au cours des « Journées de Juin », tirèrent sans état d’âme sur leurs « frères de classe », pendant la répression des émeutes.

Marx et Engels, qui observaient ces « luttes de classes en France », faillirent avaler leur bière de travers : « Qui sont ces prolétaires qui tirent sur d’autres prolétaires ? » s’indignaient-ils.

Y avait-il finalement des bons et des mauvais prolétaires ?

Le concept de « Lumpen » (all. « haillons ») était né.

En vérité, on n’avait pas attendu les co-auteurs de « L’Idéologie allemande » (1846), pour montrer du doigt le « dêmos », la « plèbe », ou la « canaille » – ancêtre de la « racaille » (avec ou sans kärcher).

Disons les choses très simplement : le « peuple », ce sont ceux qui sont d’accord avec moi ; les autres, c’est la plèbe, la populace, le « lumpen ».

Si l’on veut rechercher les « origines » du populisme, on ne peut faire l’économie des travaux d’Alain Pessin et en particulier de son ouvrage « Le Mythe du Peuple ».

Pessin, tout en admettant le caractère irrationnel de ce concept, ne pouvait se résoudre à le disqualifier totalement, et à l’envoyer rejoindre la longue liste des aberrations humaines, comme le mythe du « bon sauvage » ou les prédictions de Michel de Notre-Dame.

Pour Pessin, le « peuple » est bien un mythe – qui ressortit à la pensée « utopique » du XIXe siècle – mais, en tant que tel, « il apporterait une contribution non négligeable à l’élaboration d’un éventuel projet politique » (de gauche, bien entendu…).

Nous devons le néologisme « utopie » à saint Thomas More (chancelier d’Henri VIII), qui publia au XVIe siècle « Utopia » (du grec U-topos : nul endroit).

Mais l’âge d’or de la littérature utopique fut le XIXe siècle. Marx parlera de « socialisme utopique », par opposition à son « socialisme scientifique ».

C’est le comte de Saint-Simon (1760-1825) qui inspira le Père Enfantin, entre autres. C’est Charles Fourier (1772-1837) qui conçut une « cité harmonieuse », le « phalanstère », où l’homme s’épanouirait « par le travail ».

C’est encore Étienne Cabet (1788-1856), auteur de « Voyage en Icarie » (1840) et fondateur de la Communauté « Nauvoo », d’abord au Texas, puis dans l’Illinois et, bien sûr, Jean-Baptiste Godin (1817-1888), dont les bâtiments du « familistère » qu’il créa à Guise, sont toujours « habités ». Conçue dans une perspective « collectiviste », l’architecture du familistère n’est pas sans rappeler le « Panoptique », la prison « modèle » de Jeremy Bentham (1791) : on n’est pas surveillé par « Big brother », mais on se surveille les uns les autres…

Contrairement aux Français, les Britanniques ont rapidement compris l’absurdité de telles entreprises (littéraires ou réelles) et les « utopies » d’outre-manche devinrent très tôt des « contre-utopies ».

C’est le cas des « Voyages de Gulliver » de Swift (1726) ou, en 1872, de l’« Erewhon » de Butler (où l’on fouette les malades, afin qu’ils ne trouvent pas trop « d’avantages secondaires » dans leur état et guérissent plus vite…).

Le XXe siècle portera un coup fatal à ce genre littéraire et aux idées qu’il propageait. Aldous Huxley, dans son « meilleur des mondes », en 1932, et George Orwell, en 1945, avec « Animal farm » et, en 1949, avec « 1984 », démontrèrent brillamment que les idées utopistes étaient non seulement naïves et irréalisables – car elles ne prenaient pas en compte la « véritable » nature de l’homme (elles étaient fondées sur le concept rousseauiste de sa soi-disant « perfectibilité ») –, mais surtout elles étaient dangereuses.

Les utopies sont dangereuses, car elles postulent la bonté intrinsèque de l’homme et du peuple.

« Ô Peuple, que tu es fort, puisque tu es si bon », écrivait George Sand, qui fut la maîtresse (entre autres) du Saint-Simonien Pierre Leroux (que le sénateur socialiste V. Hugo appelait « le filousophe ») et avec qui elle avait fondé, en 1843, une « utopie », la « Colonie agricole et typographique ».

La « Baronne rouge » (elle avait épousé le Baron Dudevant et fut la première à revendiquer le titre de « communiste ») partageait avec Marx et Engels ce culte du « peuple ».

Ce n’est plus le messie, c’est le peuple qui devait réaliser la prophétie du onzième chapitre d’Esaïe, en instaurant une société où « le loup habitera avec l’agneau » !

Le populisme peut donc être considéré comme un détournement du mythe messianique judéo-chrétien.

Dans sa version marxiste, le Messie n’est plus un homme tout à fait exceptionnel, c’est une « classe sociale ». Comme le dit l’Internationale (du communard Eugène Pottier) : « Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes, décrétons le salut commun ».

Oui, le salut viendra du peuple, ce bon peuple dont les femmes tricotaient, en assistant, le 16 octobre 1793, au martyre de la reine Marie-Antoinette ; ce bon peuple qui tua Mgr Affre, archevêque de Paris, qui s’était rendu à la barricade Saint-Antoine, espérant éviter un bain de sang ; ce bon peuple qui, en 1871, récidive et fusille Mgr Darboy…

Enfin, plus près de nous, c’est toujours ce bon peuple qui, entre 1943 et 1946, devait « tondre » et maltraiter environ 20 000 femmes, accusées (à tort ou à raison) de collaboration « horizontale ».

Ce bon peuple de Paris, qui, au printemps 1944, se pressait, par milliers, pour acclamer le Maréchal Pétain, et qui, à l’automne de la même année, se retrouvait tout aussi nombreux, pour acclamer le Général De Gaulle.

C.Q.F.D. ?

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