Mythe, mystique, mystification Par Emile Beaufort Celui dont on célèbre, cette année, au choix, tant le 120ème anniversaire de la naissance, ou le 40ème anniversaire de la disparition que le 70ème anniversaire de « l’Appel » qu’il lança radiophoniquement de Londres, un certain 18 juin 1940, n’en finit pas d’être adulé, célébré, mythifié.  La création du mythe entraîne même la mystification de l’opinion qui juge pourtant, par sondage interposé (75% des personnes interrogées), que « le gaullisme est un courant politique périmé ». Entre les mauvais téléfilms pour bobos incultes, les émissions pseudo-historiques mais vraiment hagiographiques, les témoignages compassés et les hommages béatement consensuels, toutes les ressources de la médiacratie sont mobilisées pour la grande communion gaullâtre. Cette gaullomaniaquerie est à la mesure, nous dit-on, du génie du grand homme de Colombey. Certes, en ces temps funestes de médiocrité intellectuelle et de pensée unique à la guimauve, notre grand échalas national passerait pour un esprit non-conformiste qui serait sûrement ostracisé par ceux-là même qui aujourd’hui l’encensent (après l’avoir tout de même qualifié de fasciste de son vivant). Ses propos maintes fois ressassés sur le « peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne » ou sur les « turbans et djellabas » des Musulmans seraient, à n’en pas douter, judiciairement poursuivis. Mais l’histoire du général fumiste s’est arrêtée le 9 novembre 1970, jour où il rendit son âme à Dieu. Dès lors, ses propos, pour justes et visionnaires qu’ils fussent à leur époque, n’en restent pas moins aujourd’hui datés donc figés. De là vient, d’ailleurs, le caractère foncièrement artificiel du gaullisme. Bien moins qu’une idée ou une philosophie, le gaullisme est une attitude qui oscille entre la canonisation perpétuelle (pour les plus ultras, les derniers barons, tels Yves Guéna ou feus Pierre Mesmer et Jean Foyer et les laudateurs naïfs comme ce brave Nicolas Dupont-Aignan) et la foi du charbonnier. La génuflexion devant les saintes reliques pour les uns, la croyance sans la pratique pour les autres.  Le souvenir assumé et glorifié des trahisons et des impostures (1) (les Harkis et les Pieds-noirs s’en souviennent encore) face aux renoncements contrapuntiques des gouvernants français (le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, le sacrifice de notre souveraineté sur l’autel de l’Europe-Babel, l’immigration invasive, etc.). Qui était donc ce grand escogriffe orgueilleux ? Génial ? Soit, mais son génie tenait davantage à « ce qu’il avait réussi à devenir historique sans modifier l’histoire ; en l’assaisonnant (…). De Gaulle a assaisonné les évènements sans jamais les modifier en profondeur mais en leur donnant la saveur de guerre intestine qui convenait à sa gourmandise (2)». On ne peut mieux dire. Ainsi fut De Gaulle. Ordinairement petit. Charles le petit fut effectivement grand par la taille, d’un corps surplombé d’une hautaine et ridicule figure affublée d’un appendice cyranesque, le panache en moins, la morgue et la suffisance en plus. Ainsi, devant Abbeville (3), « le théoricien de Vers l’armée de métiers n’aura pas été le Rommel français (4)». Loin s’en faut, pour celui qui, en guise de baptême du feu, laissa décapiter par les Panzers de Guderian, la 4ème Division Cuirassée de réserve (DCR), puissante unité de près de deux cents blindés, par entêtement vaniteux, alors même que ses collègues de l’état-major lui prodiguèrent des conseils autrement plus judicieux qu’il refusa d’écouter. Le journaliste qui accompagna le piteux colonel eut d’ailleurs pour ordre de ne jamais relater ce triste échec (5). Quant à « l’Appel » du 18-Juin, il ne fut pas tout à fait celui que la légende a retenu. Outre qu’elle en a fait un paravent commode pour occulter une authentique désertion, voire une quasi mutinerie (6), cet appel, avec une minuscule, n’est que la bafouille hésitante d’un officier soucieux de préserver son avenir à destination d’autres officiers, pour la plupart encore consignés au front et qui, compte tenu de ce qu’était la TSF à l’époque, ne l’ont pour ainsi dire jamais ou à peine entendu. D’Albion, De Gaulle distillait le venin de sa haine littéraire inexpiable, mue en vindicte personnelle, contre Pétain (7). En tuant le père, De Gaulle gagnait sa légitimité tout en avalant les couleuvres politico-diplomatiques des alliés anglais et américains. Tout cela a été oublié et vite enterré. On ne retint que l’homme providentiel (Exeunt les Pétain, De Lattre et autres Leclerc et la 2ème DB) de 1940 et 1958, l’incarnation de la Résistance, le triomphateur de la « chienlit 68 », le chantre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le patriote intransigeant. Il fut sans doute un peu tout cela. Porté par son ambition démesurée et un culot exceptionnel, il aura l’obsession du pouvoir. Celui-ci se dérobera sous ses pieds en 1946 et pour une douzaine d’années. Une longue nuit pour cet homme qui rongera son frein en rêvant de la fonction suprême. « L’homme d’action, écrivait-il dans Le Fil de l’épée (1932), ne se conçoit guère sans une forte dose d’égoïsme, de dureté, de ruse. Mais on lui passe tout cela et, même, il en prend plus de relief s’il s’en fait des moyens pour réaliser de grandes choses ». Tout un programme ! Et c’est cet homme que l’on érige en icône politico-médiatique et qu’il est plutôt malvenu de critiquer a posteriori. Un peu comme si le délit d’offense au chef de l’Etat, dont il sut faire si grand usage regnante, persistait post-mortem. Même la gauche, complètement amnésique, joint les deux mains et psalmodie, émue et tremblante, des vers élogieux pour célébrer la mémoire du héron de la France libre, auquel, toujours moralisatrice et dispensatrice de leçons, elle décerne un brevet de républicanisme. Quand le passé est réévalué à l’aune des normes et valeurs d’aujourd’hui... L’homme du coup d’Etat permanent, selon la féroce formule de Mitterrand, se retournerait dans sa tombe et ne se retrouverait guère dans le gaullisme revendiqué voire opportunément exhumé par les Chirac, Sarkozy, Villepin ou Bayrou. Si le plus digne continuateur de la politique du général De Gaulle fut Pompidou, ses successeurs, depuis Giscard, s’en sont considérablement éloignés.  De Gaulle, par sa culture monarchiste, imprimait à la France le mouvement de la politique capétienne. Celle-ci, abandonnées par ses prédécesseurs, notamment en matière de politique étrangère (relire Kiel et Tanger de Maurras) ou d’économie sociale (ne prônait-il pas la participation des salariés dans l’entreprise et ne voulait-il pas que les catégories socio-professionnelles fussent représentées au sein d’une chambre semi-corporative ?), a donné sa substance idéologique au « gaullisme » dont se gargarisent tant nos élites. Mais, en réalité, ce gaullisme proclamé tient moins aux idées mêmes du général de Gaulle (qui passeraient aujourd’hui pour surannées, politiquement incorrectes et pénalement répréhensibles), qu’à la légende du sauveur que lui et ses thuriféraires ont contribué à forger avant et après sa mort. La récupération de la fable gaullienne aboutit à une véritable mystification complaisamment relayée, notamment auprès des plus jeunes, par les divers instituts et fondations « Charles de Gaulle » grassement subventionnés. L’historien des idées, Jean Touchard, soutenait que c’est par le nationalisme qu’il lui semblait le plus fondé d’expliquer le gaullisme (8). Dont acte. Mais cette « certaine idée de la France » charnelle que défendait De Gaulle était avant tout une certaine idée de lui-même. Touchard observait que « l’histoire de France se confond (…) avec l’histoire de Charles de Gaulle ». Dès lors, cette personnification allégorique savamment élaborée par De Gaulle et entretenue, à des fins différentes, par ses admirateurs comme par ses adversaires a conduit, nolens volens, à estomper progressivement la part sincère (mais dérangeante pour les européo-mondialistes apatrides qui nous gouvernent) de nationalisme pour ne laisser subsister que « l’homme » De Gaulle affublé, pour l’occasion, de tous les oripeaux grotesques du politiquement correct (libérateur des femmes, symbole de la tolérance, altermondialiste, etc.). Bref, De Gaulle avait, de son vivant, le génie que la postérité a bien voulu lui prêter sans qu’il ne daignât le lui rendre. Emile Beaufort (1) Lire ou relire Antoine Argoud, La décadence, l’imposture et la tragédie, Fayard, Paris, 1974. (2) D’après Jacques Laurent, irrévérencieux et pamphlétaire en diable dans son jubilatoire Mauriac sous De Gaulle, La table ronde, Paris, 1964. (3) Que Michel Tauriac, dans son récent Dictionnaire amoureux de De Gaulle (Plon, Paris, 2010), escamote fallacieusement en évoquant Huppy, petit village à une dizaine de kilomètres d’Abbeville dans lequel le colonel De Gaulle n’entreprit rien d’héroïque, subissant le feu nourri allemand abrité dans son QG. (4) Henri de Wailly, De Gaulle sous le casque. Abbeville, 1940, Perrin, Paris, 1990. (5) De Gaulle, lui-même se chargera de brosser l’autoportrait de son fiasco dans ses Mémoires de guerre. (6) « En invitant les officiers et les soldats à se joindre à lui, il brise avec la règle traditionnelle et fondamentale du fonctionnement des armées. Il introduit la notion ‘‘révolutionnaire’’ du droit au libre examen par opposition au devoir de discipline. Vingt ans plus tard, à la fin de la guerre d’Algérie, ce droit sera invoqué par les officiers et soldats qui refuseront les choix à leurs yeux criminels du général De Gaulle devenu entre temps président de la République. Mais ce dernier les fera alors condamner au nom de la règle traditionnelle de discipline qu’il avait en son temps transgressée », in Dominique Venner, Histoire critique de la Résistance, Pygmalion, Paris, 2002. (7) Charles Vaugeois, « Les racines d’une grande querelle », Enquête sur l’Histoire, Eté 1995, n°14, p.38. (8) Jean Touchard, Le gaullisme (1940-1969), Editions du Seuil, Paris, 1978. |
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