dimanche 16 août 2009

16 AOUT 1909 : MASSACRES DE CILICIE -PRELUDE AU GENOCIDE ARMENIEN

C'EST PARCE QU' ILS ETAIENT CHRETIENS,

QUE LES ARMENIENS FURENT MASSACRES

PAR LES MUSULMANS TURCS


Violences antérieures au génocide
Caricature du Sultan Abdülhamid II.

Massacres hamidiens, 1894-1896

Article détaillé : Massacres hamidiens.

Les massacres hamidiens, de 1894 à 1896, constituent la première série d'actes criminels, le premier prélude, de grande ampleur perpétrés contre les Arméniens de l'empire ottoman. Ils eurent lieu sous le règne du sultan Abdülhamid II, connu en Europe sous le nom du « Sultan rouge » ou encore du « Grand Saigneur », qui ordonna des massacres à la suite de révoltes des Arméniens[12]. Le nombre des victimes arméniennes serait d'environ deux cent mille[13].

Jean Jaurès dénonça le massacre des populations arméniennes dans un discours à la Chambre des députés le 3 novembre 1896[14].

Corps d'Arméniens massacrés dans la ville d'Adana.

Massacres de Cilicie (d'Adana), 1909

Article détaillé : Massacres d'Adana.

Autre prélude au génocide arménien, les massacres de Cilicie (ou d'Adana) eurent lieu entre les 14 et 27 avril 1909. Ils s'étendirent aux zones rurales ciliciennes et à différentes villes : Adana, Hadjin, Sis, Zeïtoun, Alep, Dörtyol. Environ trente mille Arméniens y laissèrent leur vie[15], dont vingt mille dans le seul vilayet d'Adana.

Des troupes constitutionnelles ottomanes participèrent aux massacres. Stéphen Pichon, ministre des Affaires étrangères, portera l'accusation à la Chambre française, séance du 17 mai 1909 :

« Il est arrivé malheureusement que des troupes qui avaient été envoyées pour prévenir et réprimer les attentats y ont, au contraire, participé. Le fait est exact[16]. »

Contexte et déroulement

Entrée en guerre de l'Empire ottoman

Le 1er novembre 1914, après avoir été depuis août sollicité par l'Allemagne, l'empire ottoman entre dans la Guerre mondiale aux côtés des puissances centrales. De nouveaux fronts s'ouvrent alors, dont un sur la frontière caucasienne avec la Russie. La troisième armée ottomane, qui s'est engouffrée sans préparation logistique en Transcaucasie, est écrasée en janvier 1915, à Sarikamish.

À Istanbul, Enver Pacha accuse les Arméniens de la région de pactiser avec les Russes[17]. Les dirigeants du CUP décident de profiter de l'occasion de la guerre pour résoudre définitivement par l'extermination des Arméniens la « Question arménienne » (Ermeni sorunu) qui, depuis le congrès de Berlin de 1878, est l'un des points les plus épineux de la « Question d'Orient »[18]. En outre, animés par une idéologie nationaliste turquiste et panturquiste, ils voient dans les Arméniens un obstacle majeur à leur unification ethnique en Anatolie et à leur expansion dans les pays de langue turque d'Asie centrale[19].

La justification avancée est qu’il s’agit d’une réaction face aux désertions d’Arméniens qui eurent lieu dans certaines régions (en partie à cause des conditions infligées aux chrétiens dans l’armée ottomane), mais surtout face aux quelques actes localisés de résistance : le cas le plus important, Van, sera présenté par le gouvernement comme une révolution, un soulèvement, version démentie par tous les rapports des témoins italiens, allemands ou américains (consuls, missionnaires, enseignants...) qui expliquent que les Arméniens ont organisé une défense de la ville pour éviter de subir un massacre[20],[21].

Les massacres

Cadavres d'Arméniens : photo prise par H. Morgenthau.
Carte représentant les déportations
1915

En février 1915, le comité central du parti et des ministres du cabinet de guerre, Talaat Pacha et Enver en particulier, met secrètement au point un plan de destruction qui sera exécuté dans les mois suivants[22]. Il est présenté officiellement comme un transfert de la population arménienne — que le gouvernement accuse de collaborer avec l'ennemi russe — loin du front. En fait, la déportation n'est que le masque qui couvre une opération d'anéantissement de tous les Arméniens de l'empire[23].

La première mesure est le désarmement des soldats arméniens enrôlés dans l'armée ottomane. Ils sont employés à des travaux de voirie ou de transport et, au cours de l'année 1915, éliminés par petits groupes[22]. Puis les Jeunes-Turcs, à la recherche des preuves d'un complot arménien, procèdent à des perquisitions et à des arrestations, lesquelles frappent particulièrement en premier lieu les notables et intellectuels arméniens de Constantinople, arrêtés les 24 et 25 avril, déportés puis tués. Cet événement marque le véritable point de départ du génocide. Le nombre de morts est évalué entre deux cents et six cents personnes. Dès que l'« intelligentsia » (l'élite) d'un peuple est annihilée, il est plus facile d'exterminer le reste de la population[24]. La destruction des populations arméniennes est opérée en deux phases successives : de mai à juillet 1915 dans les sept provinces — vilayets — orientales d'Anatolie — quatre proches du front russe[25] : Trébizonde, Erzurum, Van, Bitlis, trois en retrait : Sivas, Kharpout, Diyarbakır — où vivent près d'un million d'Arméniens ; puis, à la fin de 1915, dans d'autres provinces de l'empire. L'éloignement de nombre des victimes du front, lors des différentes phases des massacres, enlève toute vraisemblance à l'accusation de collaboration avec l'ennemi.

Dans les provinces orientales, l'opération se déroule en tous lieux de la même manière. Les séquences suivantes se produisent systématiquement dans les villes et les bourgs[26] :

  • perquisitions dans les maisons des notables civils et religieux ;
  • arrestation de ces notables ;
  • tortures pour leur faire avouer un prétendu complot et des caches d'armes ;
  • déportation et exécution des prisonniers à proximité de la ville ;
  • publication d'un avis de déportation ;
  • séparation des hommes qui, liés par petits groupes, sont exécutés dans les environs de la ville ;
  • évacuation de la totalité de la population arménienne répartie en convois de femmes, d'enfants et de personnes âgées qui quittent la ville à intervalles réguliers, à pied, avec un maigre bagage ;
  • enlèvement dans le convoi de femmes et d'enfants conduits dans des foyers musulmans ;
  • décimation régulière des convois par les gendarmes chargés de les escorter, des bandes kurdes ou des miliciens recrutés à cette fin.

Seules quelques milliers de personnes survivent à cette déportation[27]. Dans les villages, à l'abri des témoins, tous les Arméniens sont tués, à l'exception de quelques femmes ou enfants enlevés[28]. Dans les vilayets de Bitlis et de Diarbékir, presque tous les Arméniens sont assassinés sur place[29].

Dans le reste de l'empire, le programme prend les formes d'une déportation, conduite par chemin de fer sur une partie du parcours, les familles restant parfois réunies. Les convois de déportés — environ 870 000 personnes[27] — convergent vers Alep, en Syrie, où une Direction générale de l'installation des tribus et des déportés les répartit selon deux axes : au sud, vers la Syrie, le Liban et la Palestine — une partie survivra ; à l'est, le long de l'Euphrate, où des camps de concentration, véritables mouroirs[30], sont improvisés. Les déportés sont peu à peu poussés vers Deir ez-Zor. Là, en juillet 1916, ils sont envoyés dans les déserts de Mésopotamie où ils sont tués par petits groupes ou meurent de soif[31]. Les derniers regroupements de déportés le long du chemin de fer de Bagdad, à Ras-ul-Aïn, à Intilli sont, eux aussi, exterminés en juillet 1916. Seul survit un tiers des Arméniens : ceux qui habitaient Constantinople et Smyrne, les personnes enlevées, les Arméniens du vilayet de Van, sauvés par l'avancée de l'armée russe, soit deux cent quatre-vingt-dix mille survivants[27]. Quelque cent mille déportés des camps du sud survécurent également.[réf. nécessaire]

Les massacres des populations assyro-chaldéennes, syriaques et yézidies

Article connexe : Massacre des Assyriens.

La population araméenne (chaldéenne) fut aussi durement touchée durant cette période, ayant été en grande partie éliminée par les autorités ottomanes[32], ainsi que certains Syriaques et Yézidis[33].

Bilan des massacres

Les faits sont connus dès mai 1915 via les rapports de diplomates neutres et les témoins appartenant aux nombreuses missions, écoles et hôpitaux présents dans l'empire ottoman. La presse de l'époque, en particulier aux États-Unis et au Canada, se fait l'écho de l'indignation soulevée par ces révélations. Après la guerre, le régime Jeune-Turc ayant disparu depuis octobre 1918, des procès montrent la réalité des massacres et révèlent l'existence d'une organisation criminelle, l'Organisation spéciale, qui a orchestré les destructions de la population arménienne[34].

Lorsque, à la fin de 1916, les observateurs font le bilan de l'anéantissement des Arméniens de Turquie, ils peuvent constater que, à l'exception de trois cent mille Arméniens sauvés par l'avancée russe et de quelque deux cent mille habitants de Constantinople et de Smyrne qu'il était difficile de supprimer devant des témoins, il ne persiste plus que des îlots de survie[35] : des femmes et des jeunes filles enlevées, disparues dans le secret des maisons turques ou rééduquées dans les écoles islamiques comme celle que dirige l'apôtre du turquisme Halide Edip ; des enfants regroupés dans des orphelinats pilotes ; quelques miraculés cachés par des voisins ou amis musulmans ; ou, dans des villes du centre, quelques familles épargnées grâce à la fermeté d'un vali ou d'un kaïmakan. Ces massacres auront coûté la vie à un nombre d'individus variant, selon les auteurs, de six cent mille à un million et demi de personnes[36],[37].

Événements postérieurs

Procès des Unionistes, Constantinople, 1919

En 1919 se tient à Constantinople le procès des Unionistes. Les principaux responsables du génocide y sont condamnés à mort par contumace, ayant pris la fuite en 1918, juste après avoir détruit la plupart des documents compromettants. La cour martiale établit la volonté des unionistes d'éliminer physiquement les Arméniens, via son organisation spéciale. Voici sa conclusion :

« Immédiatement après la mobilisation du 21 juillet 1914, le Comité central du parti Union et Progrès avait constitué un Techkilat-i Mahsoussé (nom turc de l'organisation spéciale) qui était entièrement différent dans ses buts et sa composition du Techkilat-i Mahsoussé déjà existant. Par ordre des ministères de l'Intérieur et de la Justice, ce même Techkilat-i Mahsoussé accepta les condamnés relâchés que le Techkilat-i Mahsoussé dépendant du ministère de la Guerre refusait d'incorporer. Lorsque des détenus étaient libérés, le Parti, pour tromper l'opinion publique, répandait la nouvelle selon laquelle les criminels libérés seraient employés sur le front alors qu'ils étaient envoyés dans des centres d'entraînement et qu'ils étaient ensuite utilisés pour piller et détruire les convois de déportés arméniens. »

Traité de Sèvres

Article détaillé : Traité de Sèvres.

Ce traité est signé le 10 août 1920 par les puissances parties prenantes (empire britannique, France, Japon, Italie), et les États alliés représentés par l'Arménie, la Belgique, la Grèce, le Hedjaz, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Tchécoslovaquie et l'État yougoslave réunissant Slovènes, Croates et Serbes. La cérémonie s'est déroulée dans la grande salle qui abrite actuellement le musée de la Porcelaine à Sèvres. Parmi les principales dispositions de ce traité, on notera deux articles (88 et 89) concernant la République arménienne :

« La Turquie déclare reconnaître, comme l'ont déjà fait les puissances alliées, l'Arménie comme un État libre et indépendant. »

« La Turquie et l'Arménie, ainsi que les hautes parties contractantes, conviennent de soumettre à l'arbitrage du président des États-Unis d'Amérique, la détermination de la frontière entre la Turquie et l'Arménie, dans les vilayets d'Erzeroum, Trébizonde, Van et Bitlis, et d'accepter sa décision, ainsi que toutes les dispositions qu'il pourra prescrire relativement à l'accès de tout territoire ottoman adjacent. »

Le mandat d'exécution des dispositions relatives à la République arménienne est confié aux États-Unis. À son retour, le président Woodrow Wilson se heurte à l'opposition d'une majorité de sénateurs américains qui, sous l'impulsion du sénateur Cabot Lodge, refusent la ratification du Traité de Sèvres et partant, le mandat américain sur l'Arménie.

Procès Téhlirian, 1921

« Ils ne périront pas » : comité américain de soutien des Arméniens dans le Proche-Orient, Douglas Volk, 1918.

Le 15 mars 1921, Talaat Pacha, le grand ordonnateur de l'extermination des Arméniens, est abattu d'une balle de revolver dans une rue berlinoise.

Le tireur est arrêté sur les lieux du crime. Il s'agit d'un jeune arménien de 23 ans, Soghomon Tehlirian, survivant du génocide au cours duquel il perdit sa mère et toute sa famille. Il faisait partie de l'« Opération Némésis », montée pour exécuter la sentence de mort par contumace du procès des unionistes.

Tehlirian est jugé peu de temps après, le 2 et 3 juin 1921, par le tribunal de première instance de Berlin.

Les témoignages de Tehlirian, de Christine Terzibashian, Johannes Lespius ou même du général Liman von Sanders, ainsi que les documents retenus, parmi lesquels cinq télégrammes chiffrés adressés par Talaat à Naïm Bey, documents qu'a fait parvenir Andonian au tribunal, donnent une nouvelle dimension au procès, où le crime génocidaire de Talaat et des Jeunes-Turcs est à son tour mis en accusation. L'authenticité des documents Andonian a été depuis mise en cause par les historiens turcs Orel et Yuca, authenticité pourtant réaffirmée ensuite par l'historien arménien Dadrian. Le tribunal acquitte Soghomon Tehlirian. Le procès est retentissant et son issue est interprétée comme une condamnation des responsables du génocide.

Traité de Lausanne

Article détaillé : Traité de Lausanne (1923).

Ce traité, signé à Lausanne le 24 juillet 1923 revient sur le traité de Sèvres. L'Arménie n'y est plus mentionnée. L'historien H.-L. Kieser commente :

« Pour les perdants aussi bien que pour les humanitaires internationaux, l’ombre de la conférence était écrasante. Le traité acceptait tacitement les faits de guerre : le génocide des Arméniens ottomans, le massacre d’Assyriens ottomans, la déportation de Kurdes ottomans (1915-1916) et l’expulsion des Ottomans gréco-orthodoxes (1914 et 1919-1922), commise au profit de la turquification de l’Anatolie. Le nouveau gouvernement d’Ankara cachait à peine sa naissance au sein du parti Jeune-Turc, directement responsable des crimes perpétrés entre 1914-1918. Le traité complétait les faits de guerre par un transfert de populations jusqu’alors inouï, celui de Grecs musulmans (356 000) et d’Ottomans anatoliens de confession orthodoxe (290 000, avec ceux déjà expulsés comptant environ un million et demi de personnes). Avec quatre générations de retard, on a tout récemment commencé à déplorer publiquement ce transfert, même en Turquie. Pour ce qui est des crimes antérieurs, le négationnisme et l’apologie parfois grotesques, mais tacitement autorisés par le traité, prévalent toujours largement. »

La reconnaissance et la négation du génocide

Article détaillé : Négation du génocide arménien.

La question de la reconnaissance du génocide arménien, peu évoquée durant une grande partie du XXe siècle, a été ravivée d'abord par l'apparition du terrorisme arménien durant les années 1970 (notamment par le CJGA et l'ASALA), puis à l'occasion de l'ouverture de négociations entre l'Union européenne et la Turquie en vue d'une adhésion éventuelle de celle-ci. Le Parlement européen a reconnu le génocide arménien le 18 juin 1987[38]. Cette question est fréquemment abordée lors des débats concernant la conformité de la politique de l'État turc avec les valeurs morales de l'Union et, en particulier, son attachement au respect des droits de l'homme.

La position des historiens

La communauté des historiens qualifie ces événements de génocide[39]. Plusieurs historiens et spécialistes de l'Holocauste, dont Elie Wiesel et Yehuda Bauer, ont fait connaître publiquement leur position le 9 juin 2000 dans le New York Times, pour déclarer « incontestable la réalité du génocide arménien et inciter les démocraties occidentales à le reconnaître officiellement »[40]. L'Institut de l'Holocauste et des génocides (situé à Jérusalem)[41], et l'Institut pour l'étude des génocides (situé à New York)[42] ont établi comme un fait historique le génocide arménien. Pierre Vidal-Naquet, grande figure de la lutte contre le négationnisme, affirme « qu'il est évident que dans le cas du massacre des Arméniens, l’État turc est négationniste »[43] dénonçant dans le même temps, avec d'autres historiens de renom, « les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l'appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens [...] », rappelant que « dans un État libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique »[44].

Cette analyse historique du génocide arménien s'est construite sur la base des témoignages des survivants, ainsi que des observateurs étrangers, et s'est enrichie grâce à l'ouverture progressive des archives officielles ottomanes. L'examen de ces archives a permis aux historiens d'affiner la connaissance sur les responsabilités. Ainsi, la responsabilité du génocide (conception, préméditation, organisation et exécution) est essentiellement attribuée aux officiels issus du parti des Jeunes-Turcs Ittihadistes, le rôle de ce parti des Jeunes-Turcs étant assimilable à celui des nazis en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale[45].

L'État turc et une « poignée d'historiens aux ordres » ont développé des études niant le génocide arménien[39]. Ces historiens turcs ou s'intéressant à l'histoire ottomane et/ou turque refusent la qualité de génocide à ces événements ; ils se contentent de parler de massacres plus ou moins spontanés et de déportations rendues nécessaires par les circonstances, et minimisent également le nombre de victimes. Même si de nombreux pays et instances gouvernementales ou religieuses dans le monde les ont officiellement définis comme génocide, la Turquie continue à contester l'ampleur de ce qu'elle appelle des « tueries » ou « le prétendu génocide arménien », ajoutant qu'il y a aussi eu beaucoup de Turcs massacrés durant cette période. Cette position est dénoncée tant par les survivants que par la communauté des historiens en général.

Cependant, l'Association internationale des historiens spécialisés dans l'étude des génocides (International Association of Genocide Scholars), représentant la majorité des historiens européens et d'Amérique du Nord, a publié une lettre ouverte adressée au Premier ministre turc le 13 juin 2005 afin de lui rappeler que ce n'était pas seulement la communauté arménienne, mais des centaines d'historiens, de nationalités différentes, indépendants de tout gouvernement, qui avaient étudié et établi la réalité du génocide arménien :

« Nier la réalité factuelle et morale du génocide arménien relève non pas de l'étude historique mais d'une propagande destinée à affranchir les coupables de leurs responsabilités, en accusant les victimes, et en effaçant la signification morale de leurs crimes[46]. »

Autres positions

La position turque

Le gouvernement turc actuel maintient une position ferme de refus de la reconnaissance du génocide et condamne vivement toute reconnaissance du génocide par des gouvernements ou parlements étrangers. Le gouvernement turc ne niait pas le génocide directement après la Première Guerre mondiale[47],[48]. Il est présenté comme une cruelle conséquence de la guerre, appelée tragédie de 1915, et non comme un acte volontaire et formalisé.

Les enjeux pour la Turquie

Au-delà des implications morales et psychologiques, aussi bien pour les États que pour les descendants des populations impliquées, la reconnaissance officielle d'un génocide en 1915-1916 implique des enjeux financiers et territoriaux importants pour la Turquie. En effet, reconnaître le génocide arménien ouvrirait la voie à des demandes de dommages et intérêts auxquelles la Turquie ne veut pas céder[49],[50]. La Turquie pourrait être contrainte à payer une indemnisation pour les préjudices humain, moral et matériel (comme l'Allemagne a dû le faire après la Shoah), voire de restituer des territoires à l'Arménie (le traité de Sèvres, mis à mal par le génocide puis par le traité de Brest-Litovsk, donnait à l'Arménie des territoires situés sur l'actuelle Turquie, mais aussi en Azerbaïdjan et en Géorgie[51],[52]).

Sachant que ce sont les Jeunes-Turcs et les kémalistes qui ont fondé la République en 1923, la majorité des dirigeants de la Turquie moderne sont issus des rangs jeunes-turcs. Ainsi, nombre d’entre eux ne veulent pas remettre en cause leur parti politique.

Position officielle

Aujourd'hui, la République turque refuse de reconnaître l'existence du génocide arménien et qualifie les événements de 1915-1916 de « sözde ermeni soykırımı » (« prétendu génocide arménien »).

En pointe dans la lutte contre toute référence au génocide se trouve le corps diplomatique turc : les diplomates de Turquie figurent parmi ceux qui diffusent activement les argumentaires de propagande sur la scène internationale. Cela en fit une des cibles prioritaires des attentats de l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie (Asala), qui firent une trentaine de victimes dans les rangs diplomatiques turcs durant les années 1970-1980.

Sur le sol national, l'appareil judiciaire et juridique prévoit également des sanctions pour ceux qui contreviendraient à la version officielle turque : le nouveau Code pénal, censé rapprocher la Turquie des standards européens en termes de droits de l’homme, a été dénoncé par plusieurs organisations internationales dont Reporters sans frontières[53] et Amnesty International[54], notamment à cause de son article 305 qui punit de trois ans à dix ans de prison et d'une amende tous « actes contraires à l’intérêt fondamental de la nation » ; la peine peut être étendue à quinze ans de prison si cette opinion est exprimée dans la presse. Des notes explicatives du projet indiquent que cela pourrait, entre autres, s'appliquer aux revendications concernant le génocide arménien[55]. Le parlement britannique a, pour sa part, considéré qu’aucune mention du « génocide arménien » n’était faite dans cet article du Code pénal[56]. Mais des procès récents faits à des personnes s'exprimant au sujet du génocide des Arméniens (notamment Orhan Pamuk, cf. infra), montrent que le Code pénal turc (article 301) permet de poursuivre des défenseurs des droits humains, des journalistes et d’autres membres de la société civile exprimant pacifiquement une opinion dissidente[57].

L'argumentation en faveur d'une non-reconnaissance de la qualification de génocide repose essentiellement sur trois axes[58] :

  • une contestation de l'ampleur du nombre de victimes (évalué entre trois cent mille et cinq cent mille alors que les estimations arméniennes sont d'un million et demi de morts[59]) ;
  • la remise en cause de l'existence d'une préméditation de la part du gouvernement Jeune-Turc ;
  • le retournement de la culpabilité (les Arméniens sont responsables de ce qui leur est arrivé) et indignation face à l'occultation des représailles des milices arméniennes sur les populations civiles turques.

En avril 2005, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan a proposé au président arménien Robert Kotcharian de mettre en place une commission d'historiens. Malgré cette proposition, Cemil Çiçek, porte-parole du gouvernement turc et ministre de la Justice, a parlé de « trahison » et de « coups de couteau dans le dos de la nation turque », à propos d' historiens universitaires turcs (non acquis à la thèse officielle turque) qui voulaient participer à un colloque traitant des « Arméniens ottomans au moment du déclin de l'empire » organisé en mai 2005 qui aurait dû avoir lieu dans des universités turques[60],[61]. Le ministre arménien des Affaires étrangères Vardan Oskanian avait répondu en voyant dans la proposition de création de commission de la Turquie une volonté de « réécrire son histoire de manière éhontée et de vouloir la propager dans les autres pays »[62]. Il faut par ailleurs noter que, à l'époque, il s'agit encore de l'empire ottoman et non de la République turque, mais que celle-ci empêche toujours les historiens de faire leur travail, car elle n'a toujours pas ouvert les archives ottomanes de cette époque. Même si le gouvernement turc affirme dans le même temps avoir ouvert toutes ses archives, cette affirmation n'a jamais pu être accréditée par des historiens indépendants[62],[63].

Opinion publique turque

Une information libre et objective sur le sujet est impossible en Turquie. Ainsi, lorsque l’écrivain Orhan Pamuk a déclaré, en 2005, à un quotidien suisse, qu'« un million d'Arméniens et trente mille Kurdes ont été tués en Turquie », un sous-préfet de Sütçüler (région d'Isparta, au sud-ouest) a ordonné la destruction de tous ses livres[64]. Le 16 décembre 2005, le procès d'Orhan Pamuk s'ouvre à Istanbul pour ces propos considérés comme une « insulte à l'identité nationale turque » et passibles à ce titre de six mois à trois ans de prison[65] ; la justice turque abandonnera néanmoins les poursuites le 23 janvier 2006[66]. L’opinion publique n’a accès qu’à la version officielle concernant ces massacres du début du siècle et rejette généralement la qualification de génocide, du moins ouvertement. En privé, certains Turcs reconnaissent la réalité des massacres. Le cas échéant, la population n'hésite d'ailleurs pas à manifester son rejet de certaines méthodes. Le 19 janvier 2007, Hrant Dink, rédacteur en chef de la revue arménienne d'Istanbul Agos et principal promoteur de la reconnaissance du génocide en Turquie, est assassiné par un jeune nationaliste. Près de cent mille manifestants descendent dans les rues d'Istanbul à l'occasion de ses funérailles, brandissant des pancartes proclamant « nous sommes tous des Arméniens »[67], une première en Turquie où le discours restait jusqu'alors fortement imprégné par la position officielle du gouvernement.

La majorité des intellectuels et historiens turcs soutiennent la thèse niant le génocide. Néanmoins, certains intellectuels, personnalités, militants des droits de l'Homme ou professeurs turcs s'inscrivent en faux contre la version historique établie par Ankara.

Parmi les universitaires, on peut citer :

  • Taner Akçam qui considère que les coupables du génocide font partie des fondateurs de la République de Turquie née sept ans plus tard et que le gouvernement turc ne peut donc pas « accepter que parmi “les grands héros qui ont sauvé la patrie” certains ont été des assassins »[68]. Il a été le premier Turc à avoir ouvert les archives ottomanes et assumer le génocide[69] ;
  • Halil Berktay[70] (professeur à l'université d'İstanbul) qui n'hésite pas à qualifier de « berceuses » les thèses d'Ankara, ajoutant qu'« il y a des tonnes de documents prouvant la triste réalité » ;
  • Ahmet İnsel[70] (universités de Paris I et Galatasaray) qui dénonce notamment, selon ses propres mots, le « délire négationniste » qui règne en Turquie, et qui se traduit, selon lui, par la négation de la souffrance arménienne, le refus de reconnaître les intentions génocidaires d'une partie des Unionistes au pouvoir, et, enfin, par les accusations contre les Arméniens ;
  • Fikret Adanır (voir sa contribution au colloque organisé par le CDCA, « L'actualité du génocide des Arméniens ») ;
  • Altan Gökalp, Engin Akarlı ou encore Fatma Müge Göçek[70].

Les défenseurs des droits de l'Homme sont nombreux, mais mentionnons particulièrement Ali Ertem (et toute son association SKD contre le crime de génocide, « Soykırım Karşıtları Derneği »), Bülent Peker (Fondation turque des droits de l'Homme) ou Ragip Zarakolu[70] (surnommée « Mère Courage » par les Arméniens). Des livres et des expositions sur la communauté arménienne voient le jour et rencontrent un certain succès, ce qui semble indiquer une évolution des mentalités.

Le 15 décembre 2008, quatre intellectuels, Cengiz Aktar, Ali Bayramoglu, Ahmet İnsel et Baskın Oran, lancent la pétition özür diliyorum (« Nous leur demandons pardon »)[71]. Les auteurs, défenseurs de la cause depuis longtemps, travaillent depuis deux ans sur cette pétition qui vise à une reconnaissance par l'État turc du génocide arménien. Le texte dit : « Ma conscience ne peut accepter que l’on reste indifférent à la Grande Catastrophe que les Arméniens ottomans ont subi en 1915, et qu’on le nie. Je rejette cette injustice et, pour ma part, je partage les sentiments et les peines de mes sœurs et frères arméniens et je leur demande pardon[72]. » Événement sans précédent en Turquie, le texte a recueilli plus de mille signatures d'intellectuels, d'artistes et universitaires turcs le jour même de son lancement[73]. Les dix mille signatures sont atteintes deux jours plus tard[71]. Mais des sites « concurrents » refusant de présenter des excuses, niant le génocide ou dénonçant au contraire l'attitude supposée arménienne durant la Première Guerre mondiale ont rapidement vu le jour et récolté également de nombreuses signatures[74].

Néanmoins, selon les sondages, huit Turcs sur dix pensent que leur pays devrait rompre les négociations d'adhésion avec l'Union européenne si celle-ci exigeait la reconnaissance du génocide.

Depuis 1993, un chapitre des manuels scolaires d'histoire est consacré aux arguments réfutant les allégations de génocide. En 2003, une circulaire du ministère de l'Éducation invite les enseignants à « dénoncer les prétentions des Arméniens ». Des concours de dissertation sont organisés dans les écoles, y compris dans les quelques écoles arméniennes qui subsistent à Istanbul. La presse turque finit par s'en émouvoir.

Le ministère turc de la Culture défend sur son site internet la version officielle de l'Histoire[75] et, selon un rapport du parlement français, subventionne de nombreux sites internet défendant cette thèse.

Les 24 et 25 septembre 2005 s'est tenue pour la première fois en Turquie, dans un climat de fortes tensions[70], une conférence intitulée Les Arméniens ottomans au temps du déclin de l'empire. Annulée la veille sur ordre du tribunal administratif d'Istanbul, ce qui avait été commenté par la Commission européenne comme une provocation, cette conférence, qui était soutenue par le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, a pu finalement avoir lieu à l'université Bilgi d'Istanbul. Le seul homme politique à y avoir participé est le membre du CHP (gauche) Erdal İnönü, fils d’İsmet İnönü, le plus proche compagnon de Mustafa Kemal.

La communauté internationale

La reconnaissance du génocide arménien dans le monde.

Les pays ou chambres nationales ayant reconnu le génocide arménien sont : l'Uruguay[76], la chambre des représentants de Chypre[77], la Chambre des représentants des États-Unis[78], la Douma russe, le parlement grec, le sénat de Belgique[79], le parlement de Suède[77], le parlement libanais, le Vatican[77], le parlement français[80], le Conseil national suisse (contre l’avis du Conseil fédéral)[81],[82], l'Argentine, l'Italie[83], les Pays-Bas, la Slovaquie, le Canada, la Pologne, la Lituanie[84], le Venezuela[85] et le Chili[86].

Certaines institutions internationales et régionales ont également reconnu le génocide : c'est le cas du Tribunal permanent des peuples, d'une sous-commission de l'ONU pour la prévention des droits de l'homme et la protection des minorités[87], du parlement européen, du Conseil de l'Europe et du Mercosur.

En Allemagne, le Bundestag a émis une résolution condamnant les massacres sans utiliser le mot « génocide ». D'autres pays ont refusé de considérer les massacres arméniens comme un génocide : c'est le cas du Royaume-Uni et de l'État d'Israël, mais la plus haute autorité religieuse d’Israël, en la personne du grand rabbin, a reconnu le génocide arménien

(wikipedia)


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