LES EXCUSES, C'EST POUR QUAND (2)
Dans une enquête mondiale, l'anthropologue musulman Malek Chebel,
révèle les pratiques d'asservissement dans le monde islamique et leur inquiétante persistance :
- Un combat actuel :
La Mauritanie a voté le 8 août 2007 une nouvelle loi antiesclavagiste plus répressive.
En mai dernier, à Marrakech, s'est également tenu le premier colloque international sur l'esclavage dans les pays arabo-musulmans, sous l'égide de l'Unesco. Et un peu partout dans le monde arabe, dans le Golfe, en Iran, en Afrique, des écrivains s'engagent, des associations, composées d'anciens esclaves ou de leurs descendants, apparaissent et militent, malgré l'hostilité des Etats.
Un véritable mouvement se dessine, dont l'Occident ne mesure pas encore l'ampleur, mais qu'il faut soutenir, sans quoi le pire est toujours à venir. Ces enfants de Bamako qui courent vers les étrangers pour se livrer eux-mêmes en servitude ne nous le disent-ils pas ?La traite atlantique avec son système triangulaire, concentrée entre le XVIe et le XIXe siècle, nous est désormais bien connue.
Malgré l'existence de travaux universitaires de qualité, on connaît encore malheureusement trop peu la traite orientale ou musulmane, qui s'étend, elle, sur près de quinze siècles et qui a asservi des millions de Noirs (15 millions ? peut-être plus ?), mais aussi des Européens captifs de guerre, des Slaves, à l'instar des janissaires dans l'armée ottomane, ou des Circassiennes, ces femmes originaires du Caucase qui remplirent les harems du calife et des notables de Bagdad.
Parce que je suis un intellectuel musulman, un anthropologue qui défend depuis toujours le droit des personnes et qui combat les tabous de l'islam, je me sens missionné pour dénoncer ce drame de l'esclavage qui a contaminé tous les pays où l'islam a prospéré.
A Brunei, au Yémen, dans les pays du Sahel, chez les Touaregs, en Libye, dans le Sud tunisien, en Egypte, en Arabie, en Mésopotamie, à Oman et Zanzibar, au Soudan ou à Djibouti, il n'est en effet pas un lieu gagné par l'islam où ne se soit jamais pratiqué le commerce d'esclaves.
Le phénomène demeure encore vivace.
Les marchés de chair humaine à ciel ouvert n'existent certes plus, mais que sont d'autre que des «esclaves modernes» les domestiques non rémunérés, réquisitionnés nuit et jour, fondus dans le décor des palais et des maisons bourgeoises marocaines, les ouvriers auxquels on retire leur passeport dans les pays pétroliers du Golfe, les jeunes enfants exploités en Afrique, en Inde ou en Indonésie, les femmes qu'on livre à des inconnus contre quelques billets ou lors de «mariages de jouissance», et les concubines qui subissent un asservissement sexuel dans les familles ?
Sans oublier la polygamie, qui est selon moi une forme soft d'esclavage. Comment expliquer ces pratiques, si ce n'est par la survivance d'une mentalité esclavagiste au sein même de l'Islam ?
- Le Coran et les esclaves
On me dira peut-être que j'aggrave les attaques continuelles contre l'Islam ou l'on utilisera mes positions pour tenter de déculpabiliser l'Occident de son passé colonialiste.(ndlr : You are right, my friend !)
Tant pis, je cours le risque de ces récupérations idéologiques.
Je parle avec ma conscience et avec l'objectivité du scientifique.
Je n'en demeure pas moins scandalisé par les discours de la droite, ceux de 2005 sur les «effets positifs de la colonisation» comme celui prononcé cet été à Dakar par le président Sarkozy, qui réitère le refus du «repentir de l'homme blanc».
Or il y a bel et bien eu crime.
J'ajoute qu'il est tout autant nécessaire que l'Islam fasse lui aussi son travail de remise en question. Les pays musulmans ont leur propre responsabilité pour un esclavage qu'ils ont eux-mêmes fait prospérer.
Héritage de l'Antiquité, l'esclavage, lors de l'avènement de l'islam, au vif siècle, était une pratique largement répandue. La situation des hommes asservis dans le Hedjaz et dans la péninsule Arabique était alors déplorable. Le Coran, qui évoque la question dans vingt-cinq versets, a voulu y mettre fin en promulguant une politique d'affranchissement suivie par le calife Abû Bakr (mort en 634), qui consacra sa fortune personnelle au rachat et à la libération des esclaves. Mais dès Omar, le deuxième calife, elle fut contrecarrée.Dans un hadith classé «authentique», le Prophète dit que «Dieu n'a rien créé qu'il aime mieux que l'émancipation des esclaves, et rien qu'il haïsse plus que la répudiation».
A celui qui Lui demandait ce qu'il devait faire pour mériter le Ciel, Mohammed aurait répondu : «Délivrez vos frères des chaînes de l'esclavage.»En adoptant la nouvelle religion, l'esclave païen acquiert aussi la liberté. Tout musulman sincère qui possède un esclave est donc invité à l'affranchir. Mais l'Islam n'a pratiqué qu'une politique timorée, sans réelles contraintes pour les grands propriétaires terriens et les marchands d'esclaves, les gellab en arabe (le même mot utilisé pour désigner les marchands de bestiaux !), qui ont continué à faire fructifier leur abject commerce.C'est là qu'est la faille constitutive de l'islam qui fait de l'esclavage l'une de ses pathologies : le Coran n'étant pas contraignant, l'abolition relève de la seule initiative personnelle du maître.
L'idée d'affranchir un esclave en vue de gagner la bénédiction du Ciel a ainsi été reléguée au second plan. J'ai même découvert que juristes et théologiens avaient édicté un «Code noir» arabe, composé d'articles réglementant toutes les questions concernant l'esclave, depuis sa vente jusqu'à sa place dans la guerre sainte, en passant par son échange pour vice caché.
J'en ai trouvé trois versions. Au paragraphe 58 du Livre de la propriété sexuelle, extrait de la «Moudawwana» d'Ibn al-Qâsim, telle que rapportée par Sahnoun (776-854), il est par exemple écrit : «Les parties honteuses» de l'esclave femelle appartiennent de droit à son maître. Il en va ainsi de son ventre (ses enfants) et de son dos (sa force de travail).»
Le grand penseur Ibn Khaldoun (1332-1406) lui-même, dans sa «Muqaddima», explique les diverses manières de choisir son «domestique».
Il a fallu attendre le XVIIIe siècle vertueux et surtout l'émergence, au XIXe siècle, d'une morale universelle, impulsée par les Constitutions occidentales, pour que s'amorcent lentement des politiques d'abolition dans le bassin méditerranéen.
Certains souverains réformateurs, comme Ahmed Bey, à Tunis, virent là l'occasion de rattraper la marche du progrès, mais trop souvent ces politiques furent hypocrites et peu suivies.
- Pour un sursaut
Aujourd'hui encore le constat demeure affligeant.
Je regrette que de nombreux musulmans, arabes ou non, ne semblent éprouver de plaisir, hélas, qu'en accomplissant l'inverse de ce que recommande si clairement le Prophète, et s'emploient sans vergogne à répudier leurs femmes et à mettre en servitude leurs domestiques.
Au Koweït comme au Qatar, en Arabie Saoudite ou à Dubaï, l'employeur a de puis longtemps remplacé le négrier.
«Esclaves économiques», Philippins, Indiens, Malais, Bangladais se sont substitués aux anciens captifs d'Afrique, Habachis et Zandj.
Au Maroc se pose aujourd'hui la question des domestiques, ces «petites bonnes» non rémunérées, corvéables à merci, qu'on réquisitionne jour et nuit, et que les autorités elles- mêmes évaluent à plus de 1 million.
Que dire aussi des eunuques à La Mecque ! Oui, en 2007, des eunuques gardent toujours les lieux saints de l'islam !
Soyons clairs, je n'attaque ni un pays en particulier, ni l'islam en tant que religion.
Mais son dévoiement, qui n'en finit pas de faire des ravages.
Il faut que l'Islam retrouve sa vraie nature et rejoigne enfin les grandes civilisations libératrices.
Anthropologue et spécialiste de l'islam, Malek Chebel est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, dont le «Dictionnaire amoureux de l'islam» (Plon, 2004).
En 2007, il a publié «l'Islam expliqué par Malek Chebel» (Perrin)
et «Treize Contes du Coran et de l'islam» (Flammarion).
Il publie aujourd'hui chez Fayard «l'Esclavage en terre d'Islam. Un tabou bien gardé».
Marie Lemonnier
Le Nouvel Observateur
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