L'EUROPE ...AVANT L'INVASION
Europe : l'identité introuvable ?
FIGAROVOX/TRIBUNE-
Pour Anne Lorne, le génie européen tient précisement à des principes
universels enracinés dans une histoire : la place centrale accordée à la
personne humaine, la distinction entre politique et religieux, et la
dignité de la femme.
Anne Lorne est candidate aux elections européennes sur la liste de Renaud Muselier (UMP) dans la circonscription Sud-Est. Elle participe également à Sens Commun.
«Les racines de l'Europe autant musulmanes que chrétiennes» affirmait de manière provocatrice le Président Jacques Chirac, en mai 2003, pour justifier son refus d'inscrire toute référence au christianisme dans la constitution européenne.
De fait, si l'on considère l'identité comme l'addition arithmétique des influences qui se sont succédé sur le continent européen au fil des siècles, l'Europe serait tout aussi bien chrétienne que musulmane, du moins en Espagne et dans les Balkans, longtemps dominés par une présence musulmane. Doit-on pour autant effectuer un calcul par pourcentage d'influence sur une échelle de temps donnée? Ce serait nier la notion même d'identité.
Il est vrai que l'identité, instinctivement ressentie par ceux qui l'éprouvent, est, en revanche, beaucoup plus difficile à définir tant le risque est grand, alors, de l'enfermer dans des termes ne rendant pas suffisamment compte de sa complexité comme de son évolution: «Ce qu'il y a de moins simple, de moins naturel, de plus artificiel, c'est-à-dire de moins fatal, de plus humain et de plus libre dans le monde, c'est l'Europe» affirmait à juste titre Jules Michelet dans son Introduction à l'histoire universelle. De fait, l'Europe est d'abord une aventure humaine et ses frontières, fixées par la géographie des mers à l'Ouest et au Sud, relèvent d'un donné culturel à l'Est.
Il faut donc faire appel à la culture pour brosser à grands traits une identité marquée par les méandres de l'histoire. Héritière de la philosophie grecque, structurée en grande partie par le droit romain et enracinée dans la pensée judéo-chrétienne, l'Europe peut fièrement revendiquer Athènes, Rome et Jérusalem comme ses trois «mères-patries», selon l'expression de Jean-Marie Paupert.
Cela n'exclut nullement les apports antérieurs ou les influences ultérieures, qu'ils soient celtes, germains, arabes ou slaves. Mais l'identité, loin de nier ces particularités, les ordonne en fonction d'un tout et c'est cela qui nous préoccupe.
Nécessairement plurielle, à la manière d'une toile impressionniste, l'identité n'est donc pas un bloc monolithique. Mais si elle s'enrichit de toutes les influences qui la nourrissent au fil du temps, elle ne se résume pas non plus à une agrégation de cultures.
Elle est un tout qui ordonne, sans les nier, les particularités locales, en fonction d'un axe vertical qui lui donne sa cohérence. De même qu'une personne, ayant pu recevoir par héritage différentes influences, s'ancre résolument dans la culture qu'elle choisit d'aimer, l'Europe, qui a vu déferler sur son sol différentes influences, a historiquement choisi de s'enraciner dans la culture gréco-latine et dans les valeurs judéo-chrétiennes.
De fait, la greffe musulmane n'a pas pris sur le long terme, en Espagne comme dans les Balkans.
L'identité est donc aussi affaire de volonté et c'est pourquoi elle est un combat permanent.
Par-delà les tribulations de l'histoire, quels sont les invariants qui dessinent à grands traits les caractères essentiels de notre identité? Distinguons-en trois principaux:
- Une place centrale accordée à la personne humaine : c'est particulièrement visible dans l'art, reflet de toute civilisation. Qu'il s'agisse du Louvre, du musée de l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, du Prado à Madrid ou de la National Gallery à Londres, le visage humain est magnifié et conçu comme le sommet de la beauté, là où d'autres civilisations s'interdisent de le représenter.
Héritage d'une culture où le fils de Dieu s'est incarné pour prendre un visage humain, l'Europe considère la personne comme un sujet de droit doté d'une dignité inaliénable, là où d'autres civilisations font primer la logique de clan, d'ethnie, de groupe ou de caste.
- Une distinction des pouvoirs civils et religieux, qui fonde la liberté de conscience: là où l'empereur romain avait coutume, comme dans toutes les autres civilisations de l'époque, de «cumuler» la dignité sacrée de Pontifex Maximus avec le titre guerrier d'Imperator, l'Occident chrétien a, pour la première fois dans l'histoire des sociétés, opposé une fin de non-recevoir au souverain et contesté le monopole de son pouvoir religieux.
C'est l'apparition du domaine réservé de la conscience que le pouvoir politique ne peut, sous peine d'illégitimité, violer allègrement, comme le pressentait déjà Antigone face à Créon.
À noter que la liberté de conscience est aujourd'hui en France un principe de valeur constitutionnelle que souhaiteraient remettre en cause tous ceux qui souhaitent faire primer un consensus législatif précaire sur les droits inviolables de la conscience humaine.
- Une dignité particulière de la femme : là où d'autres civilisations ont voué les femmes à la reproduction ou en ont fait des instruments de plaisir, l'Europe, issue d'un personnage féminin de la mythologie grecque, a célébré la femme dans la littérature et dans l'art, et lui a accordé un rôle éminent dans la vie sociale, et ce, bien avant le dévoiement, par un féminisme agressif, de l'altérité des sexes.
«Les sociétés sont ce que veut être la femme», résume magnifiquement le bienheureux Joseph Anacleto Gonzalez Flores, chef cristeros martyrisé par les autorités mexicaines en 1927 et béatifié par Benoît XVI en 2005.
De fait, la conception que se fait de la femme une société, est révélatrice de son degré de civilisation.
Le point commun entre ces principes, c'est qu'ils sont universels par vocation et pourraient concerner a priori toutes les nations, même s'ils restent circonscrits à l'Europe dans leur développement historique.
C'est là tout le génie et le paradoxe de notre continent, universel par vocation mais identitaire par construction.
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