LES HOMMES-DIEUX
Nous sommes secrètement fiers d’être Gaulois
Jean – Paul Savignac est un savant gaulois auprès
duquel Astérix et ses comparses apparaissent comme des caricatures qui
prolongent l’occultation par la gallo-romanité des richesses de ce pays
plus grand et, sans doute, plus civilisé que la France actuelle.
Hier est paru en
librairie le livre que Jean-Paul Savignac a écrit, pour les Éditions de
la Différence, sur la mythologie gauloise. Des gouaches de Jean
Mineraud accompagnent chacun des textes de cet ouvrage.
Ce premier livre, qui raconte la naissance et l’adolescence, en définitive la genèse, du dieu tutélaire de la Gaule, Lougous Longue-Main, inaugure une série d’ouvrages qui ne se limiteront certainement pas aux huit livres d’ores et déjà programmés.
« Nous
sommes secrètement fiers des Gaulois », m’a dit, un jour, une amie
journaliste. Il y a de quoi, bien que nous les voyions à travers le
prisme déformant de notre présent. Un mot résume ce qu’ils furent et ce
en quoi nous nous reconnaissons en eux, ce grain de folie qui dépasse
toutes les philosophies, tous les pragmatismes, tous les dogmes : le
panache. Cette qualité chevaleresque exprime leur attitude à l’égard
des femmes, d’où procède notre courtoisie, leur désir des beaux tissus
et des belles parures d’or, d’où vient notre goût de l’élégance et du
raffinement, leur amour du faste partagé, des beaux chevaux, de la belle
parole écoutée pour elle-même et vénérée, qui fondent notre culte du
Beau. De leur héritage provient également, issu de leur Chaudron de
jouvence et d’immortalité, le Graal, ce symbole de l’élan religieux et du dynamisme pétulant de la France.
Leur antiquité quasi fabuleuse satisfait
notre rêve de descendre d’ancêtres sortis de la nuit des temps et
brusquement entrés dans la lumière de l’histoire, c’est-à-dire de
remonter au plus loin, dans le passé du passé, pour nous relier aux
dieux, ce dont se prévaut, par exemple, Don Ruy Gomez de Silva fier de
montrer à Hernani la galerie des tableaux de ses aïeux, comme tous les
nobles du monde, et ce dont s’enorgueillissaient les Gaulois eux-mêmes,
tel ce Ouiridomaros qui se targuait d’être issu du Rhin lui-même.
Car
les Gaulois possédaient eux aussi une antiquité.
Autre joie fière
qu’ils nous donnent : nous sentir intimement familiers avec la terre de
la Gaule-France qu’ils ont aimée au point d’en nommer les plaines, les
rivières, les montagnes et les installations humaines. Si la langue
gauloise avait subsisté, elle serait devenue du français. Les toponymes
en France le prouvent. Prenons au hasard le nom de Bayeux, admiré pour
ses sonorités et sa couleur vieil or par Marcel Proust. C’est le nom
gaulois Bodiocasses qui évolue phonétiquement au fil des siècles en
Baiocasses pour prendre jusqu’à notre XXe siècle
la forme gallo-française de Bayeux. Ainsi en est-il de Vannes
(Ouenetia), Rouen (Ratomagos), Dijon (Diouio), Meung (Magidounon),
Tonnerre (Tournodouron), Évry (Ebouriacon), Sablé (Sapoialon), Genouilly
(Genouliacon), Chambord (Camboritou), Alençon (Alantionon), Toul
(Toullon), Niort (Noouioritou), Riom (Rigomagos), Châlons (Caladounon),
Nanterre (Nemetodouron), Arles (Arelate), Lyon (Lougoudounon), Paris
(Parisii)…
Notre fierté
inavouée se fonde encore sur l’admiration que les Gaulois nous
inspirent : ils ont versé leur sang pour défendre leur liberté. Pleurons
les Gaulois de ce sacrifice sublime — « Morts pour la Gaule » ! — et
déplorons amèrement l’infamie de ceux d’entre nous qui ricanent à leur
propos, ingrats et ignorants de l’évidence du fait que tout homme a
nécessairement des ancêtres ! On n’insulte pas des héros.
Les nazis
savaient ajouter à l’ignominie de martyriser et de tuer leurs victimes
innocentes la perversion de les humilier avant. Ne suivons pas leur
exemple. J’ai jadis été frappé par un film qui offrait, aux sons de
chants graves que l’on reconnaissait comme étant tibétains, les images
d’armes gauloises et d’ossements humains disposés sur un sol herbu. La
force incantatoire des voix, transcendant la douceur du paysage entrevu,
la sobriété de l’armement épars à même le désastre des os et des
crânes, tout ce spectacle lent et terrible inspirait une farouche
sympathie pour ceux qui s’étaient battus là. C’était tout ce que pouvait
faire une caméra, mais il y avait dans ce travelling quelque chose
d’exemplairement évocatoire.
Et puis il y a
ce phénomène agréable que nous voyons le Gaulois comme un être joyeux.
Le rire gaulois, la bonne humeur : voilà ce que nous ne saurions dénier à
nos illustres pères. Sans doute faut-il y voir l’influence de Rabelais,
le maître rieur, en la parole duquel nous reconnaissons l’expression la
plus libre de notre génie national. C’est que Rabelais est gaulois !
Jehan de Gravot (un de ses pseudonymes) s’honore bien d’avoir écrit des Évangiles gallicques !
Ces Gaulois, nous les devinons plus gaillards que paillards à en croire
certaines inscriptions antiques sur pesons de fuseaux qu’ils nous ont
laissées. Le rire que leur évocation suscite spontanément en nous, s’il
ne trahit pas un plaisir régressif ou une intention railleuse, pourrait
être, à mon sens, un écho de leur propre gaieté. Des ancêtres qui font
rire ! Nous avons de la chance. Il plaît de penser que leur joie
reflétait la félicité des dieux. Les dieux : nous en revenons là. « La
nation est toute des Gaulois dans une pleine mesure adonnée aux rites »,
remâche César.
Avons-nous vraiment hérité d’eux ?
Hypocrite question ! Ce sont les mêmes héros, les mêmes martyrs, les
mêmes bourreaux, les mêmes victimes qui, pour ainsi dire, se
réincarnent. L’héritage de leur langue, fût-elle fragmentaire, est une
preuve suffisante de la continuité qui nous relie à eux.
Il faut
décaricaturer les Gaulois, les désanathémiser, les débarbariser, les
dépolitiser, les débarrasser de tout ce qui a été projeté sur eux.
L’ostracisme dont ils sont victimes ne date pas d’hier. Considérés comme
vaincus ils ont été abaissés par Rome, dépossédés de leur langue, de
leurs usages et de leurs prêtres par l’administration impériale romaine,
combattus par le christianisme constantinien. Vilipendés plus tard par
les rois de France qui se prétendaient francs, c’est-à-dire d’origine
germanique, ils ont été traités en réprouvés.
Des historiens les ont brandis, à la fin du XIXe
siècle, comme les drapeaux d’un nationalisme revanchard et, à cause de
cela, aujourd’hui, une propagande historique post-nationale, qui plaide
pour la « diversité », cherche à les éradiquer de notre mémoire. On a
fait d’eux des bouffons sympathiques à travers une bande dessinée pour
le moins simplificatrice, qui a toutefois le mérite de les avoir sortis
des ténèbres et de nous faire rire.
Mais qu’est devenue leur dignité
humaine ? Avons-nous envie de rire, quand nous voyons, au musée Bargoin
de Clermont-Ferrand, les crânes des Gauloises auxquels adhèrent encore
leurs cheveux tressés en une natte unique derrière la tête, comme celle
des squaws ? Nous sommes sans doute le seul peuple au monde qui salisse
le souvenir de ses ancêtres, alors que nous avons été le seul à les
revendiquer pour tels !
Ils ont la vie dure.
Aujourd’hui, nos prédécesseurs de la Gaule sont réduits par une archéologie muette et fossoyeuse à des cailloux, des ossements et de la ferraille qu’elle restaure et place dans des vitrines de palais, plutôt que de se voir ressuscités en tant qu’hommes ; car les hommes ne se définissent pas comme des utilisateurs d’objets, mais d’abord comme des êtres doués de la parole. Qui se soucie de réentendre la parole gauloise ? Qu’avons-nous fait de leur parole ? Qu’avons-nous fait de la Parole ? Les quelque deux mille inscriptions gauloises parvenues jusqu’à nous pourraient donner des éléments de réponses, hélas, elles sont l’affaire de linguistes de bibliothèque avares de leur science.
Calendrier gaulois
Le peuple français s’est souvent divisé
pour mieux se comprendre. Nous avons su que tout était affaire de
dialogue et que notre dualisme apparent aboutissait à la résolution
harmonieuse des contraires. Idéalisme chevaleresque et réalisme
populaire. Légalité et révolte. Rationalité et imagination : pour Pascal
l’imagination est « la folle du logis », pour Baudelaire c’est « la
reine des facultés ». Poésie et prosaïsme. Anciens et Modernes.
Tradition et modernité. Patriotisme et trahison. Ponts et Chaussées et
Eaux et forêts… Pourquoi pas culture gréco-latine et héritage gaulois,
voire francité et gallicité ?
Le délire des formes de l’art gaulois
s’ordonnant selon un impeccable lacis géométrique ne donne-t-il pas
l’image d’une réconciliation possible entre deux visions des choses
opposées ? Qu’avons-nous à perdre à engager le dialogue avec une origine
qui parle ? L’enjeu en est l’émergence de notre obscure identité française.
Reprenons le débat, sans arrière-pensées. Ce n’est pas en reniant ce
que nous avons foncièrement été que nous contribuerons à renforcer la
nécessaire diversité des nations. Le bonheur des hommes a besoin de
différence, non d’uniformité. Explorons notre différence ! Pour cela, ne
rejetons pas notre secrète nuit intérieure. C’est un trésor.
Refoulés par la
civilisation voulue par l’Église, les Rois et la République, les mythes
des Gaulois ont perduré souterrainement. Ils gisent dans les contes et
légendes, les vieilles chansons, chères à Nerval, les Vies
édifiantes, les romans médiévaux et resurgissent dans nos rêves
conformément à leur nature immortelle. Si bien qu’il est possible, en
ces temps de perte des repères, d’offrir aux lecteurs ces chants
premiers inspirés de l’iconographie antique continentale dont le reflet
littéraire brille dans les vieux textes insulaires, irlandais et
gallois. Ces récits mythiques, les voici restitués dans leur palpitation
authentique. Il suffisait d’endosser le manteau du conteur.
Voici des dieux
qui ont laissé leurs noms aux terres gauloises, voici leurs exploits
épiques, voici leurs figures mystérieusement familières, voici une
mythologie toujours pressentie et enfin recouvrée et révélée. Le dieu
qui incarne les Gaulois, Lougous Longue-Main, le protecteur de
Vercingétorix, traceur de routes, accourt escorté des autres divinités.
Le récit de ses aventures, divinement illustré par Jean Mineraud,
inaugure la collection LES HOMMES-DIEUX aux Éditions de La Différence.
Suivront Argantorota
Grande-Reine, Cernounnos Torque-d’Or, Nodons Main-d’Argent, Gobannos
Feu-Hardi, Ambactos Corps-Dévoué, Nectanos Gardien-des-Eaux, Ollouidios
Roue-du-Monde.
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