JEAN-PIERRE CHEVENEMENT PARLE DE "LA NATION" ET "DES NATIONS"
De la « négation des nations »?
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Quelle « conception » de la nation?
Jean-Pierre Chevènement qui en appelle au sens de la longue durée a parfois la mémoire courte. Qu'importe, il rappelle quelques vérités toujours bonnes à dire.
Et balaye les « coquecigrues ». Nous ne lui en voudrons pas – ou si peu... - d'oublier la « conception » royale., capétienne...
Portemont, le 3 décembre 2009
Pascale Fourier |
Pascale Fourier « Quand j’ai parlé à mes amis du fait que j’allais vous rencontrer, ils m’ont dit: « Mais tu vas voir quelqu’un qui professe des idées complètement obsolètes et en particulier l’idée de nation ! Chevènement est complètement déconnecté de la réalité ! » Est-ce que vraiment on peut dire que l’idée de nation est obsolète ? »
Ceux qui ne sont pas dans le coup, c’est à mon avis ceux qui surfent sur la mode et qui ont oublié que le sentiment d’appartenance nationale s’est forgé au long des siècles, pour ne pas dire des millénaires, qu’il y a là quelque chose d’extrêmement fort qu’on ne peut pas faire disparaître d’un coup de gomme. Certains y ont cru dans le passé. En France dans les années 30, on était très anti-national... Les gens regardaient vers Rome, Moscou, Berlin, pas vers Paris. A Paris, on était pacifiste, puis ça a donné la défaite de 1940, l’occupation. Et on a vu des gens comme Aragon qui «conchiait» le drapeau français qui, ensuite, ont chanté la France dans leur poésie - très bien d’ailleurs... « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup y ramène ». Il n’y a donc rien de nouveau sous le soleil.
Pascale Fourier : Certains vous diraient : « Certes, ce que vous dites jusque-là est valide. Mais il faut mettre tous nos espoirs dans la construction d’une Europe dans laquelle un peuple européen pourrait se reconnaître »...
Et je ne sais pas ce que c’est le peuple européen. Où s’arrête-t-il ? Est-ce que vous allez rejeter les Russes par exemple - je ne parle pas des Ukrainiens, des Biélorusses, etc.. Quid de la Turquie ? Qu’est-ce que l’Europe, enfin, où s’arrête-t-elle ? À l’Oural, à Vladivostok, avant ?
Tout ça est une idée encore imprécise qui est liée à un cercle de solidarité entre les nations européennes parce qu’elles sont situées à l’extrémité du petit cap eurasiatique. C’est vrai, mais prenons par exemple le commerce extérieur. L’Allemagne a une politique de déflation salariale depuis 2000 qui lui donne une compétitivité très grande au détriment de ses voisins européens. Donc on ne peut pas dire qu’elle ait une stratégie véritablement coopérative l’échelle européenne. Elle a une stratégie dont je ne sais d’ailleurs pas à quel mobile profond elle obéit, parce qu’elle pèse aussi lourdement sur la croissance allemande. Certes, l’Allemagne a un fort excédent commercial, qui vient d’ailleurs d’être dépassé par l’excédent chinois. Mais cet excédent se réalise pratiquement aux deux tiers sur l’Europe. Il serait peut-être plus intelligent d’avoir une politique keynésienne à l’échelle d’un espace européen protégé. Mais qui est d’accord pour cela ? À ma connaissance, pas l’Allemagne, mais l’Allemagne est le pays le plus puissant d’Europe. Et à partir du moment où l’Allemagne ne veut pas d’un gouvernement économique de la zone euro, par exemple, comment le lui imposer ?
Et elle sera bientôt plus parlée en Afrique qu’en Europe. On ne peut pas comprendre que l’Inde et le Pakistan aient voulu accéder à l’arme nucléaire si on ne parle pas du conflit indo-pakistanais qui dure depuis cinquante ans, un peu plus même. Et Israël? Est-ce qu’on peut comprendre qu’Israël se soit dotée d’armes nucléaires indépendamment du contexte du Proche-Orient ? Ceux qui sont modernes ne sont pas ceux qui le croient. » La France est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Ce n’est pas rien. Cela nous donne des responsabilités et des devoirs particuliers. Nous sommes un des pays membres du club très restreint des Etats dotés nucléairement, d’après les traités - il y a en 5, d’abord le TNP, et puis 3 autres s’y sont rajoutés en contravention avec le TNP.
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Pascale Fourier : Qu’est-ce qui explique que la Gauche, et le Parti socialiste en particulier, a fait justement sienne cette idée européenne et, me semble-t-il, a abandonné la question sociale à cette occasion ? Cela n’allait pas de soi parce que les Verts allemands voulaient qu’il y ait des passeports mentionnant l’origine des Allemands, c’est-à-dire « Allemand-turc » ou bien «Allemand-bosniaque ». Donc on aurait eu des «Allemands-allemands», des « Allemands-turcs » et des « Allemands- bosniaques »... : il est extrêmement difficile de s’arracher à une tradition nationale ancrée dans les siècles. Et le peuple allemand s’est défini à travers Fichte en 1806 comme un peuple « originaire », c’est-à-dire parlant sa propre langue et non pas, comme la France, une langue artificielle empruntée au latin. Nous ne parlons pas gaulois. Il y a très peu de mots gaulois en français. Nous parlons une langue essentiellement latine. Eh bien, c’est l’observation que faisait Fichte en disant qu’il y avait une supériorité dans le peuple allemand qui était dans sa langue, dans sa culture- ce discours de la nation allemande qui connut ensuite quelques dérives.
Et je pense qu’il faut quand même garder présent à l’esprit que la nation doit être ouverte à l’universel et que la conception républicaine de la nation est fondée sur des valeurs universelles qui nous permettent de travailler avec d’autres nations, de coopérer et peut-être un jour de fusionner, tout est possible... Je pense qu’il y a une certaine résistance qui est inscrite dans la réalité historique. Moi je suis né à Belfort. La frontière entre le parler alémanique et le parler roman reprend très exactement celle qu’avait tracée un empereur romain, Majorien, au Ve siècle après Jésus-Christ, pour séparer les Burgondes romanisés du côté de Belfort et les populations alémaniques du côté de Mulhouse. Evidemment, ça a changé parce que les gens à Mulhouse parlent français, mais la topographie, les noms de lieux, le dialecte-même restent alémaniques. D’ailleurs moi-même, je suis un prototype: mon nom s’écrivait avec un S, ma famille est originaire d’un canton suisse qui est à la fois germanophone et francophone, et ma famille à l’origine est germanophone, mais s’est francisée au long des siècles... Ça prend du temps. Je n’en tire aucune gloire... et j’ai de la sympathie pour la Suisse contrairement à la Doxa dominante - bien que n’y ayant aucun compte malgré ce qu’on a pu dire dans l’affaire Clearstream... Donc je pense qu’il faut avoir le sens de la longue durée, de la longueur de l’Histoire. On ne fait rien de bien si on ne comprend pas le réel. |
J'ai dû louper un épisode...
les interviews de Pascale Fourier
(www.lesmanantsduroi.com)
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