jeudi 15 mai 2014

LE LONDRES DE WILLIAM TURNER

Mr. Turner: de l'art et du cochon




Timothy Spall incarne de façon stupéfiante William Turner.

Mike Leigh restitue avec application le Londres de l'époque victorienne à travers le portrait du génial paysagiste.


Si une bonne reconstitution ne fait pas forcément un chef-d'œuvre, celle de Mike Leigh est exemplaire. Son Mr. Turner nous plonge vraiment dans l'Angleterre de la jeune reine Victoria et de la révolution industrielle. 

Le peintre William Turner, académicien à 26 ans, professeur de perspective à 32, est à son apogée depuis des lustres déjà. On le suit dans son quotidien durant ses vingt-cinq dernières années jusqu'à son dernier souffle. Seules manquent une évocation de son troisième et dernier voyage à Venise et celle de l'incendie des Chambres des lords et des communes. Deux motifs que Turner a pourtant su magnifier de sa manière, sublime.

Les scènes du salon de la Royal Academy permettent, pour leur part, de mesurer ce qui les différencie des expositions actuelles. Aucune respiration entre les tableaux, accrochage à touche-touche sur plusieurs rangs, jusqu'à la verrière zénithale et les surcharges de dorures moulées. On intriguait intensément pour avoir son œuvre à hauteur d'yeux. Et, comme le précise le film, la trouver reléguée dans le vestibule signifiait qu'on ne l'appréciait guère.

D'autres séquences ont été tournées à Petworth House, le splendide manoir du Sussex de lord Egremont, l'un des plus fidèles et puissants soutiens de Turner. Parmi ses dix-neuf huiles toujours sur place, la caméra croise le Pont de chaînes de Brightonet le Canal de Chichester aujourd'hui propriété de la famille des comtes de Northumberland ; les autres étant des dépôts de la Tate Britain, musée gratuit tous les jours selon le souhait du peintre, où l'on peut admirer le plus grand nombre de ses chefs-d'œuvre.

De la véracité dans les détails

Dans le film, son showroom bâti pour les clients à Queen Anne Street, contiguë à sa maison et son atelier du 64 Harley Street, est très précisément rendu. Connu par des gravures et une huile posthume de George Jones, il s'était, avec le temps et l'âge, délabré. Mike Leigh s'inspire du témoignage de Charles Hutton Lear, un artiste qui avait rencontré Turner en 1847, soit quelques années avant sa mort. 

Murs lépreux, fenêtres empoussiérées, pagaille de chats et servante muette au visage enveloppé de bandages… Les toiles se trouvaient à l'abandon. Pas moins de trois cents et quelque 19.000 feuilles lors de l'inventaire d'après décès. Le cinéaste n'oublie même pas les seaux sous la verrière qui fuit à grosses gouttes. Il filme vrai aussi lorsqu'on voit Turner délayer sa touche en crachant, jalouser la photographie naissante dans l'atelier d'un daguerréotypiste, ou lorsqu'il épate son rival Constable en ajoutant une pointe de rouge au centre d'une marine, juste avant le vernissage d'un salon annuel. C'était le beau temps où l'académisme était fécond.

L'épisode où Turner se fait attacher à la hune d'un bateau affrontant un grain - cela pour peindre Tempête de neige (1842) - ne repose, en revanche, que sur des dires confiés à un seul interlocuteur. 

Le «Turner» de Leigh est largement basé sur les caricatures contemporaines de Richard Doyle. 

Être rugueux, épaisseur balourde, bourrue, le dandy de naguère est un vieux sanglier grognant, au visage rouge et au nez proéminent. D'où perce toutefois une sensibilité aiguë.


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