ROMS : VOLEURS DE FERRAILLE ?
Christophe Soullez, est Chef de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), co-auteur de «La criminologie pour les Nuls» (First)
Le
quotidien lyonnais a dressé un «palmarès» des actes de délinquance dans
le Rhône en fonction de la «nationalité». Les «Roms et gens du voyage»
seraient les premiers auteurs des vols de ferraille, les albanais et les
Georgiens des cambriolages.
Cette classification des délits par
nationalité traduit-elle la réalité ou est-elle caricaturale?
En
prenant connaissance de l'infographie publiée par le «Progrès» sur les
«principales nationalités impliquées dans le Rhône» dans sept types
d'infractions («cambriolages», «vols de ferraille», «piratages de
distributeur de billets» …), ce qui saute aux yeux est, préalablement
l'absence de sources.
On ne sait pas d'où viennent ces informations,
quel a été le mode de collecte, sur quel échantillon reposent-elles,
bref, la méthodologie statistique qui a conduit à cette typologie.
Par ailleurs, le deuxième point, c'est l'amalgame fait entre la nationalité («Géorgiens», «Albanais» ou «Roumains»),
élément d'état-civil objectif, et d'autres éléments de profils comme
«toxicomanes», «groupes de cités», «gens du voyage» et «roms».
Si pour un policier ou un gendarme,
l'utilisation de telles expressions peut avoir un sens opérationnel,
elles ne peuvent pas servir ainsi à établir une typologie des auteurs.
Dans cette infographie, on assimile des éléments qui n'ont rien à voir
les uns avec les autres. C'est donc une présentation erronée, très peu
rigoureuse et créant des amalgames pouvant nuire à tout débat sérieux et
statistique sur cette question.
L'ONDRP
a déjà eu l'occasion de publier régulièrement des études sur la
nationalité des personnes mises en cause selon les types d'infraction
mais celles-ci portent exclusivement sur la nationalité. D'ailleurs le
ministère de la Justice publie chaque année des statistiques sur la
nationalité des personnes condamnées.
Par ailleurs, on rappelle
que les statistiques sur les nationalités publiées par l'ONDRP porte sur
les «personnes mises en cause» et non sur les «auteurs», deux notions
qu'il ne fait pas non plus confondre, car une personne mise en cause par
la police n'est pas nécessairement une personne qui sera condamnée.
L'article le plus récent de l'Observatoire sur ce sujet date de décembre
2013 («Repères 23»).
Les statistiques ethniques en matière de délinquance sont interdites en France. Est-ce une exception française?
Non, ce n'est pas une exception. D'autres pays n'autorisent pas de statistiques ethniques
alors qu'à l'inverse, pour les pays anglo-saxons, cette caractéristique
ne pose pas de problème.
C'est une question d'histoire, culturelle et
d'organisation et de conception de la société. Dès lors que des Etats
sont organisés selon une logique communautaire il ne leur apparaît pas
illogique, et encore moins scandaleux, de caractériser les individus
selon leur origine ou leur ethnie.
Pour en revenir à
l'infographie, les termes qui posent problème ne sont cependant pas des
catégories statistiques, y compris dans les pays qui utilisent des
statistiques dites ethniques comme les Royaume-Uni ou les Etats-Unis.
En
tant que criminologue, pensez-vous que l'autorisation des statistiques
ethniques serait utile au débat public? Faut-il briser ce tabou pour
éviter les fantasmes?
Il faudrait tout d'abord savoir
pourquoi on voudrait mettre en place des statistiques ethniques. Une
fois que celles-ci seraient disponibles, à quoi serviraient-elles? D'une
manière générale je suis plutôt favorable à la diffusion de toute
information qui peut permettre de rendre compte de situations réelles
bien que parfois très complexes.
Le fait de dissimuler des éléments
peut, comme vous le rappelez, susciter des phantasmes et donner
l'impression que des choses sont cachées. Objectiver peut souvent
permettre de rationaliser un débat. Il faudrait toutefois mettre en
œuvre, parallèlement, tout un dispositif de garanties liées à
l'interprétation de ces données et surtout les croiser avec bien
d'autres informations socio-économiques dont la valeur peut être tout
aussi importante que l'origine des individus.
Les étrangers sont-ils surreprésentés dans les statistiques de la délinquance?
La
question est mal posée car elle fait l'hypothèse qu'il existerait une
relation entre la part des étrangers dans la population et celle qu'il
représente dans la délinquance. Une approche relative serait plus
appropriée et la question posée devraient être: «en dehors des
infractions à la police des étrangers, quelles sont les infractions pour
lesquelles la part des étrangers au sein des mis en cause est la plus
élevée?».
Par exemple, pour les vols à la tire, cette part dépasse 80 %
alors que pour les vols à main armée, elle est voisine de 10 %. De tels
écarts peuvent être interprétés.
Puis, on étudie l'évolution de
cette part dans le temps, et, en cas de fortes variations sur une
période de temps courte, on peut émettre des hypothèses sur l'évolution
du profil des auteurs d'actes de délinquance comme l'a fait l'ONDRP à
propos des cambriolages et des autres vols sur la période 2008-2012.
Toute cette démarche d'analyse nécessite de grandes précautions dont ne
s'embarrasse pas l'infographie du Progrès.
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