samedi 26 avril 2014

LA LUTTE DES RACES


Robert Redeker : Comment l’immigré a remplacé le prolétaire autochtone aux yeux de la gauche

Le philosophe Robert Redeker s’interroge sur la mutation de l’imaginaire de gauche. Dans celui-ci l’immigré a pris la place de la classe ouvrière autochtone, punie pour avoir abandonné la lutte des classes.
Le vocabulaire de la gauche a profité des trois dernières décennies pour évincer les termes de prolétariat et de prolétaire. Exhumés des souvenirs de la Rome antique, ces mots s’étaient imposés, malgré le dégoût qu’ils suscitaient, dans la langue politique au XIXème siècle. […]
Pourquoi ne pas le remplacer, cet ingrat prolétaire autochtone, par de nouveaux levains de l’histoire? Pourquoi pas par le travailleur immigré? Par le sans-papier? Par le jeune de banlieue? Pourquoi pas par le Rom? L’échec de mai 68 a causé la péjoration du peuple.
De héros, d’idole, de substitut du Christ pour assurer le salut de l’homme dans l’histoire, il devint le Beauf, il devint Dupont-Lajoie, il devint le sujet méprisé du populisme.
Les mots prolétaire et prolétariat en sont venus à passer de vie à trépas aussi pour une autre raison: les prolétaires – comprenons : les prolétaires autochtones, européens – n’étaient pas au rendez-vous.
Dans les années 70 une formule devenue cliché méprisant s’est répandue chez les intellectuels de gauche: «le peuple manque». Il n’est jamais au rendez-vous que la théorie a fixé pour lui. En mai 68, puis dans les années 70, les prolétaires, ces ingrats, ont manqué. On – c’est-à-dire les battus de mai – a commencé dès lors à le haïr, le peuple! On a commencé dès lors à le désaimer, le prolétaire.
De héros, d’idole, de substitut du Christ pour assurer le salut de l’homme dans l’histoire, il devint le Beauf, il devint Dupont-Lajoie, il devint le sujet méprisé du populisme. La formule des bourgeois apeurés par les partageux d’autrefois était reprise, implicitement, par ceux qui allaient donner naissance au nouvel antiracisme: «salauds de pauvres!» Salauds de prolétaires au gros rouge qui tache! Salauds de souchiens pue-la-sueur! Ils n’ont pas voulu de la révolution, ces Dupont-Ducon! Eh bien nous nous tournerons vers d’autres!
Ainsi, l’immigré devint le mime raté du prolétaire. Il en est perçu aussi comme la punition: la promotion de l’immigré est la punition infligée au prolétaire pour avoir manqué à son devoir historique ! […]
Pour assurer le salut de l’humanité, il y eut, chez Saint-Simon, les savants et les industriels ; les travailleurs et les femmes, chez Auguste Comte ; les prolétaires, chez Marx ; les étudiants, chez Marcuse. Nous rencontrons dans la gauche actuelle les immigrés comme étant la nouvelle figure du groupe chargé d’opérer le basculement de l’histoire. 
Auprès de ce fantôme de la gauche qu’est la gauche morale et sociétale contemporaine, l’immigré, le sans-papiers, le Rom, endossent le double rôle d’ersatz et de Père Fouettard du prolétaire.
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