L'HOMME MEDIEVAL
19 février 2014
L’homme médiéval est une compilation de conférences d’historiens du Moyen âge, portant chacune sur un profil d’homme de cette époque : le moine, le guerrier, le citadin, le paysan, l’intellectuel, le marchand, le marginal… L’occasion de traverser l’univers fourmillant, extrêmement riche de cette période, riche au point d’être devenue inconcevable dans sa vue d’ensemble.
Inconcevable, pas seulement pour l’homme moyen qui, de ce vaste passé ne retiendra que deux ou trois images fixes (le chevalier et sa dame, les bûchers, les foules de crétins aux dents pourries…), mais plus globalement inconcevable pour notre modernité. Le Moyen âge est une planète exogène, fantaisiste, d’une étrangeté bien supérieure à celle des « univers fantastiques » que voudraient réussir à proposer la science-fiction et le cinéma. C’est une civilisation et une anthropologie à part, qui ne semble proposer aucun dénominateur commun, aucune passerelle vers notre monde et notre langage, aucun moyen de s’y projeter…
C’est peut-être pour cette raison, finalement, qu’aucune de nos fictions nationales n’exploitent ce terreau : alors qu’il est absolument propice au jaillissement de l’imaginaire, plein d’histoires et de personnages épiques, alors qu’il y aurait matière à en faire notre Far West à nous, rien. Pas même sous une forme vulgarisée, simplifiée, diabolisée… On ne n’y frotte simplement pas. L’époque nous est devenue étrangère, inconcevable dans son ensemble.
L’homme médiéval, justement, en déconstruisant le Moyen âge en une mosaïque de vues subjectives, en le mettant en pièces détachées, nous offre d’en explorer un morceau après l’autre, d’en ranimer chaque composante tour à tour, isolément, chacune éclipsant la précédente. Lecture superficielle, légère, insouciante… mais suffisante pour baigner dans l’ambiance. De ce Moyen Age que l’on traverse de façon vivante et profonde, on retient quelques coups d’œil essentiels, jetés par la fenêtre ; comme ceux d’un voyageur qui ne descendrait pas de sa calèche. Une façon appropriée, du moins pour le béotien que je suis moi.
Quelques images brèves que j’en retiens, quelques extraits, quelques visions qui cassent les idées qu’on peut se faire :
***
Sur le monde monastique : le monde des moines n’était pas cet
isolement qu’il est aujourd’hui, du moins que l’on s’imagine ; il était
la concentration du savoir et de la culture de l’époque. Un monopole
sans équivalent, semblable à l’université, la bibliothèque et la MJC
réunies ! Le monastère était un lieu d’influence que l'on consultait et
qui jouait son rôle dans les jeux politiques du monde alentour.« La belle aventure chevaleresque mourut-elle au milieu de la forêt des piques et de la fumée des bombardes (…) ? Oui et non. De légende en légende, de décoration en décoration, la fascination de la civilisation chevaleresque survit dans le monde contemporain (…). La mythologie chevaleresque fait partie d’une manière de comprendre l’histoire qui répète continuellement le thème du mundus senescens et de la corruption du présent, contre lequel on réclame la venue du héros sans peur et sans reproche. L’attente du chevalier fait partie d’une exigence profonde (…). Les institutions chevaleresques et la culture qui leur a conféré leur prestige se sont révélées l’un des moteurs les plus vigoureux du processus d’identification et de conquête de la conscience de soi de l’homme occidental ».
« Je n’aime pas du tout cette cité. Toutes sortes de gens s’y rassemblent, venant de tous pays possibles ; chaque race y apporte ses propres vices et ses usages. Personne n’y vit sans tomber dans quelque sorte de crime. Chaque quartier surabonde en révoltantes obscénités… Plus un homme est scélérat, plus il est considéré. Le nombre des parasites y est infini. Acteurs, bouffons, garçons efféminés, Maures, flatteurs, éphèbes, pédérastes, filles qui chantent et dansent, charlatans, danseuses du ventre, sorciers, extorqueurs, noctambules, magiciens, mimes, mendiants : voilà la troupe qui remplit les maisons ».
« Je suis utile au roi, à la noblesse, aux riches et à tout le peuple. Je m’embarque sur un navire avec mes marchandises et je fais voile vers des territoires situés au-delà des mers, je vends ma marchandise, j’achète des objets précieux qui ne se trouvent pas ici dans le pays. Je les rapporte au prix de grands risques : parfois je sombre dans un naufrage où je perds tous mes biens et d’où je réussis tout juste à sauver ma propre vie ».
Ou encore, l'enseignement d’un marchand à son fils : « Tu es jeune, mais quand tu auras atteint mon âge et rencontré autant de gens que moi, tu comprendras que l’homme représente par lui-même un danger, et qu’il est périlleux d’avoir à faire à lui ».
L'évêque : « Les hommes de ton art ont souvent l’habitude de ne pas tenir leurs promesses à cause du fait qu’ils acceptent plus de travaux qu’ils ne peuvent en faire. Cette lettre, simplement pour que tu t’appliques avec un soin exclusif aux travaux que nous t’avons commandés, en écartant toute autre tâche qui pourrait te gêner jusqu’à ce qu’ils soient accomplis. Sache que nous sommes prompts dans nos désirs et que ce que nous voulons, nous le voulons sans retard. "Qui donne rapidement donne deux fois", écrit Sénèque. Nous nous proposons de t’écrire plus longuement par la suite à propos de la conduite de ta maison, du régime et des soins à donner à ta famille, de la manière de diriger ta femme. Adieu. »
L'orfèvre : « C’est avec joie et obéissance que j’ai reçu tes avertissements inspirés par ta grande bienveillance et par ta sagesse. Ils méritent mon attention et par l’insistance nécessaire et par le prestige de celui qui me les a envoyés. Je les ai gravés dans ma mémoire et j’ai pris note que la confiance doit recommander mon art, la vérité marquer mon œuvre et que mes promesses doivent être tenues. Toutefois, qui promet ne parvient pas toujours à tenir, surtout quand celui auquel la promesse a été faite la rend impossible ou en retarde l’accomplissement. Par conséquent, si comme tu le dis, tu conçois rapidement tes désirs et si tu veux immédiatement ce que tu veux, hâte-toi de ton côté afin que je puisse me mettre rapidement à tes travaux. Parce que je me hâte et me hâterai toujours si la nécessité ne met pas d’obstacles sur mon chemin. Ma bourse est vide et personne parmi ceux que j’ai servis ne me paie. Donc, secours moi dans mes difficultés, utilise le remède, donne rapidement de manière à donner doublement et tu me trouveras fidèle, constant, et entièrement consacré à ton travail. Adieu. »Quant à l’artiste au sens plus commun où on l’entend aujourd’hui, il a plus à voir avec le marginal et le réprouvé :
« Le fait d’être un professionnel du spectacle et de l’art de divertissement est toujours cité dans les registres judiciaires comme une preuve à charge à l’encontre du prévenu. Déjà le droit romain considérait que se produire sur scène dans le but lucratif était une occupation infamante. (…) Au Moyen âge, les histrions sont méprisés tout autant que les prostituées ; saint Augustin exigeait même qu’ils soient privés de sacrements. Ménestrels et comédiens sont présentés dans les écrits de théologiens comme l’incarnation même du Mal et comme les alliés du diable. Même si, au fil du temps, certains qualificatifs concernant cette profession changent, la juridiction et la littérature théologique restent implacables envers les « jongleurs », les « histrions », les « forains », les assimilant volontiers aux catégories les plus basses de population, mendiants, vagabonds, infirmes. Pour Thomas d’Aquin, il ne fait aucun doute que, pour la plupart, les bateleurs, conteurs et comédiens, sans parler de ceux qui jouent de différents instruments, sont damnés et connaîtront les pires supplices de l’enfer (…) ».
(culturalgangbang.com)
================
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire