vendredi 28 mars 2014

COMBIEN Y A-T-IL VRAIMENT DE PETITS FRANCAIS "DE SOUCHE" QUI PARTENT FAIRE LE JIHAD ?



Djihad en Syrie : l'opium des losers


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Reuters/Abdalghne Karoof. Alep, le 26 mars 2014


FIGAROVOX/HUMEUR - La tribune, en forme de coup de gueule, du romancier Julien Suaudeau sur les raisons qui poussent de jeunes Français à partir se battre et parfois mourir en Syrie.



Né en 1975, Julien Suaudeau vit à Philadelphie. Il est l'auteur de Dawa, son premier roman. Vous pouvez le retrouver sur www.facebook.com/dawa/
 

Qu'y a-t-il, au juste, dans la tête et le cœur de ces petits Français «de souche» ou enfants de l'immigration, parfois mineurs, qui partent se faire tuer en Syrie au nom du djihad, sous la houlette de desperados armés et financés par les multinationales terroristes et leurs sponsors étatiques au sein du monde sunnite?


Ces jeunes gens ont-ils pour objectifs, comme ils le proclament dans les vidéos de propagande qui les mettent en scène, 

la destruction des régimes apostats et la restauration du califat sur la terre de l'islam?

 la mort d'Israël?

 la punition de l'Occident?

 Ou bien, très loin en amont de ces finalités géopolitiques, des buts de guerre affichés par leurs marionnettistes, ne faut-il pas d'abord voir en eux les prisonniers d'un désarroi et d'un désordre intimes, ensablés dans la haine de soi et saisis par l'effroi d'une vie qui commence mal? 

Leur premier mouvement, conscient ou non, n'est-il pas d'apaiser la blessure narcissique qui fait de leur quotidien en France une insupportable agonie - du moins en sont-ils convaincus - un enfer où coagulent angoisse économique et sociale, sentiment d'exclusion et de victimisation culturelle, écoeurement moral et tourments affectifs?

Il y a un romantisme du djihad, que l'on ne peut déconstruire sans s'intéresser au préalable à la psychopathologie du djihadiste. Le dépit amoureux, universel, aiguisé par la honte et le ressentiment qui rongent le chômeur, le désespoir de l'indigent: les idées noires qui transforment un individu responsable en imbécile utile et en chair à canon ont leur source dans les méandres de son histoire personnelle, dans le poison invisible que libère l'accumulation des petits échecs et des grandes déroutes, des attentes frustrées et des rêves déçus, non dans je ne sais quelle adhésion idéologique ou illumination religieuse. Ce qu'ignorent nos décideurs et nos intellectuels patriciens, campés sur leur laïcité à géométrie variable et prompts à juger l'inconduite de la populace sur le terrain des valeurs, c'est que la certitude de n'être rien, de n'avoir aucune chance, aucun avenir, est aujourd'hui l'impression la mieux partagée dans les profondeurs de la société française.


Le réflexe de religiosité et la radicalisation militante interviennent dans un deuxième temps sur ce terreau fertile, suivant un mécanisme d'autosuggestion identitaire stimulé par YouTube, Facebook, et Al Jazeera, bien plus que sous l'hypothétique influence de beaux parleurs en provenance du Golfe. Une fois assimilée l'empathie pour le calvaire de Gaza et les autres théâtres d'oppression de l'oumma, miroirs hyperboliques de la situation perçue en France, il est trop tard pour comprendre que cette vision du monde et cette conscience de soi arabo-musulmane ne sont qu'une projection subjective, une sublimation du malaise individuel, toutes deux fabriquées de bric et de broc, a fortiori chez les néo-convertis.

Aux yeux des quantités négligeables de 2014, le djihad ne se vit pas comme un conflit de nature politique, mais comme une expérience personnelle de la guerre, une aventure, une stratégie de reconquête de soi (j'emprunte cette expression à mon ami Raphaël Pouyé), qui peut aussi s'interpréter comme une catharsis: partir au front comme on arrête de fumer ou comme on se met à la course à pied, pour se sentir mieux dans sa peau, plus à sa place et plus important. La désignation de l'ennemi et de ce qui est haram s'inscrit dans la même logique de consolation du moi, au sens où nommer ce qu'on n'aime pas - la viande impure, la société de consommation, les juifs, Israël, les Etats-Unis - permet de sauver la face, de passer sous silence qu'on n'a pas les moyens de s'offrir les mêmes goûts que tout le monde.

C'est dans ce vide culturel et affectif que fleurissent les représentations de l'islam radical, offrant à tous ceux qui s'estiment frappés par le mal du siècle le frisson d'une contre-société clandestine, la chaude solidarité des braves qui se serrent les coudes, la promesse de l'héroïsme, le mirage de la juste cause. Dans cette grille de lecture, le guérillero en cagoule et djellaba, kalach en bandoulière ou explosifs à la ceinture, n'est autre que le super-héros des vauriens et des ratés, une figure rédemptrice de la misère endurée quand on n'a pas la carte. La culture mainstream, du reste, n'a pas mis longtemps à repérer la prépondérance du simulacre dans la construction de l'imaginaire djihadiste ; elle propose déjà ses propres modèles, musulmans convenables et positifs, comme en témoignent les personnages de Kamala Khan, dernière création de Marvel et de Disney, ou de Burka Avenger, dans le dessin animé plus sulfureux que diffuse Geo Tez, la première chaîne d'informations pakistanaise. L'avenir nous dira si le djihad est soluble dans sa transfiguration pop.


En attendant, on peut toujours se rassurer avec les truismes d'usage sur la révolte, maladie infantile de l'Homme: après tout, il faut bien que jeunesse se passe. La liste est longue, chez Stendhal ou Flaubert, des têtes un peu fragiles et éprises d'absolu, de ces aventuriers improbables partis à la chasse au bonheur, par refus de l'ordinaire et désir d'être plus que ce qu'ils sont. Historiquement, aussi, les précédents sont multiples et variés, de la Commune à la Guerre d'Espagne, de l'Afghanistan des années quatre-vingts à la Bosnie et la Tchétchénie des années quatre-vingt-dix. Ce qui fait la singularité du djihad contemporain par rapport à ces références, c'est l'éclipse de toute rationalité politique, libération nationale ou lutte des classes, et la mise en avant d'une transcendance hirsute, mélange de dogmes salafistes et de rengaines eschatologiques qui ne seraient pas hors sujet dans certaines séries B hollywoodiennes.

Au lieu de verser des larmes de crocodile sur le délitement du vivre-ensemble et la montée du Front National, nos élites seraient bien inspirées de regarder en face cette religion du malheur qui se propage à grande vitesse chez les galériens et les paumés de France, au gré des revers et des reniements d'une gauche bon teint qui promettait, il n'y a pas si longtemps, de réenchanter le rêve français, mais qui ne sait plus parler au peuple.


A lire
 Dawa de Julien Suaudeau-492 pages-21 euros




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