jeudi 11 juillet 2013

CE BON PETIT PERE DES PEUPLES...

Livres censurés

Prisonnière de Staline et de Hitler,

 par Margarete Buber-Neumann


7 décembre 2010 
 

 

Margarete Buber-Neumann a connu l’Enfer et elle en est revenue vivante. Après avoir été déportée successivement dans les camps de concentration soviétiques puis nazis, elle a légué à l’humanité son bouleversant témoignage d’une richesse historique unique et capitale sur le système concentrationnaire de ces deux régimes totalitaires. Elle a survécu, elle a raconté, elle a comparé.

Née en 1901 à Postdam, belle-fille du philosophe juif allemand Martin Buber, elle milite aux jeunesses communistes allemandes de 1921 à 1926 puis entre au parti communiste allemand en 1926, à l’âge de 25 ans. Elle épouse Heinz Neumann, communiste lui aussi, membre du bureau politique, du Komintern et député au Reichstag.


“Son témoignage vaut à lui seul dix ans de propagande anticommuniste”
Le couple, politiquement actif avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, s’enfuit ensuite vers la Suisse puis en Union soviétique. En 1937, son mari est arrêté et disparaît. Margarete Buber-Neumann ne le reverra plus jamais. 
Puis c’est son tour en 1938. Considérée par les autorités soviétiques comme un ” élément socialement dangereux“, elle est condamnée à cinq années de travail forcé. Elle est alors envoyée dans le gigantesque camp kazakh de Karaganda.

En 1939, l’Allemagne nazie et l’Union soviétique signe leur tristement célèbre pacte d’amitié à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.  

En guise de bonne intention envers cette amitié nouvelle, Staline livre froidement à Hitler et à sa gestapo près d’un millier de prisonniers dont des communistes et des Juifs voués à une mort quasi-certaine.  

Margarete Buber-Neumann fait partie du lot et est expédiée dans le camp de concentration pour femmes de Ravensbrück en 1940.

 En avril 1945, fuyant l’arrivée de l’Armée rouge et profitant de la défaite allemande, elle s’enfuit et se réfugie en Suède.


 

C’est donc à Stockholm, le soir, après le travail, qu’elle commence à rédiger son récit. D’abord publié en suédois en 1948 sous le titre Fåge hos Hitler och Stalin, son témoignage paraît dès l’année suivante en Allemagne (Als Gefangene bei Stalin und Hitler), en Angleterre et aux États-Unis (Under Two Dictators : Prisoner of Stalin and Hitler) et en France. Puis il sera traduit dans une dizaine d’autres langues comme l’espagnol (Prisionera de Stalin y Hitler) ou l’italien (Prigioniera di Stalin e Hitler).

Si nous insistons sur cette énumération, c’est pour bien montrer que partout, son histoire est publiée dans un seul et même livre. Partout ? Sauf en France bien sûr… En 1949 paraît Déportée en Sibérie, Prisonnière de Staline et de Hitler, t. 1. Et il faut attendre 1988 pour que paraisse la suite, Déportée à Ravensbrück, Prisonnière de Staline et de Hitler, t. 2 ! Soit près de 40 ans !!! Une véritable honte pour notre pays.

Et encore aujourd’hui, cette œuvre est toujours vendue séparément aux éditions du Seuil. A noter que sur la couverture du second tome du format poche, seul le titre Déportée à Ravensbrück est mentionné. Ainsi, la référence à Staline est effacée et la cohérence du récit s’en trouve donc subtilement tronquée…

Alors pourquoi ce décalage et cette triste spécificité française ? N’ayant pas de preuves concrètes nous rejoignons la thèse de Pierre Rigoulot exposée brièvement dans son ouvrage Les paupières lourdes publié en 1991 aux Éditions Universitaires selon laquelle le témoignage de Margarete Buber-Neumann sur Ravensbrück “ne correspondait pas aux stéréotypes usuels sur les camps nazis” et donc dérangeait. De même, n’était pas admise à l’époque sa vision du totalitarisme qui englobait aussi bien le nazisme que le communisme.


« La mort de faim d’un enfant de koulak ukrainien délibérément acculé à la famine par le régime stalinien « vaut » la mort de faim d’un enfant juif du ghetto de Varsovie acculé à la famine par le régime nazi.»

Véritable analyse hérétique à la sortie de la guerre où l’URSS était encore auréolée de son statut de vainqueur et où les partis communistes étaient très puissants dans un pays comme la France. Souvenons-nous du “scandale” provoqué dans notre pays par la publication en 1997 du Livre noir du communisme dans lequel Stéphane Courtois écrivit “le génocide « de classe » rejoint le génocide « de race » : la mort de faim d’un enfant de koulak ukrainien délibérément acculé à la famine par le régime stalinien « vaut » la mort de faim d’un enfant juif du ghetto de Varsovie acculé à la famine par le régime nazi“.

Cette phrase dans laquelle sont comparés et mis à égalité nazisme et communisme, a provoqué une des plus violentes polémiques intellectuelles de la fin du XXème siècle. Il suffit de lire ou de relire la violence des réactions [1] pour imaginer très facilement qu’évoquer une telle chose en 1948 était tout simplement impensable. Et impossible donc d’associer dans un même ouvrage les camps soviétiques et nazis.

 

Pourtant Margarete Buber-Neumann ne s’est jamais tue. Témoin essentiel lors des procès intentés par le magazine communiste Les Lettres françaises contre Victor Kravtchenko puis David Rousset, elle a affronté tous ceux qui la traitaient alors, plus ou moins explicitement, de menteuse, de trotskiste, de nazie, voire, pire encore, d’agent américain ! Une chose était certaine : il n’y avait pas, il ne pouvait pas y avoir de camps de concentration en Union soviétique ou dans n’importe quel autre pays communiste.


Donc tous les moyens ont été utilisés pour la rendre inaudible car, comme l’a noté Nina Berberova dans L’Affaire Kravtchenko (éditions Actes Sud) : “[son] témoignage vaut à lui seul dix ans de propagande anticommuniste“. Plusieurs années après, un des avocats de la partie adverse, maître Nordmann, aura l’honnêteté de reconnaître dans ses Mémoires que : “Face à son calme, à sa souffrance, je me comportais en partisan aveugle et sectaire. Son maintien à la barre et sa figure admirable auraient pourtant dû m’impressionner, ébranler mon jugement. Je ne l’ai pas cru !“. Sans donner plus de détails sur sa manière de faire, il avouera également : “Je ne me pardonne pas d’avoir maltraité cette femme admirable“.

Devant cet aveuglement, et par des procédés qui peuvent paraître de prime abord insignifiants comme la publication en deux volumes de cette œuvre immense, notre pays a honteusement accumulé un retard intellectuel sur les horreurs engendrées par le type de régime le plus impitoyable apparus au siècle dernier : le totalitarisme dont le communisme (et non pas le stalinisme) est indéniablement une des composantes.
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[1] Pour cela, nous renvoyons à l’excellent ouvrage de Pierre Rigoulot et d’Ilios Yannakakis : Un pavé dans l’Histoire. Le débat français sur Le Livre noir du communisme publié en 1998 aux éditions Robert Laffont.

(enquete-debat.fr)
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