PIERRE JOUVENTIN : LE MAITRE DES LOUPS
ENFANT-LOUP OU
LOUVE-ENFANT ?
« Ceci n’est point une fable ; et la
chose, quoique merveilleuse et presque incroyable, est véritablement
arrivée »
Jean de La Fontaine (Les souris et le
chat-huant)
Il était une fois deux petites filles dont les
parents étaient très pauvres. Ne pouvant élever leurs enfants, ils décidèrent
de les abandonner dans la forêt. Une louve passant par là, au lieu de manger
les bébés, les emporta dans sa tanière et les nourrit comme ses petits. Au bout
de quelques mois, les deux fillettes avaient complètement adopté les mœurs des
loups au milieu desquels elles vivaient.
Sans doute, auraient-elles continué à courir les
bois longtemps si des villageois ne les avaient aperçues et n’étaient allés le
dire à un pasteur de la région. Le Révérend Singh, ne pouvant croire ce qu’on
lui racontait, décida d’aller voir par lui-même.
Il ramena les deux enfants-loups et les confia aux villageois qui les laissèrent sans
nourriture. De retour, quelques jours après, il trouva les deux fillettes dans
leur enclos à demi-mortes de faim et de soif. Il les amena alors, le 4 novembre
1920, à l’orphelinat de Midnapore qu’il dirigeait. La plus jeune -un an et
demi- fut nommée Amala et la plus âgée -huit ans et demi-, Kamala.
Au bout d’un an, Amala mourut d’un œdème généralisé
et Kamala la suivit huit ans plus tard. Au cours de ces années, Kamala peu à
peu apprit à se dresser et à marcher, à saisir la nourriture avec les mains, se
laver, tolérer puis rechercher la présence humaine, éviter les chiens et jouer
avec les enfants, mettre une robe sans la quitter, enfin elle apprit à parler.
Selon ceux qui ont pu constater ses progrès continuels, elle n’était pas une
demeurée mais avait seulement été modelée par une autre société, celle des
loups.
Cette histoire à la fin tragique -puisque Kamala
décéda à l’âge de seize ans de fièvre typhoïde- a été très fortement mise en
doute depuis et il est probable que ce fut une supercherie montée par le
directeur de l’orphelinat. Pour Claude Lévi-Strauss, les enfants-loups de
Midnapore sont assimilables à des débiles congénitaux et pour Bruno Bettelheim
à des autistes. Il est vrai que la plupart des enfants dits sauvages, dont les
plus célèbres sont Victor de
l’Aveyron (1799) et Gaspard Hauser de Nuremberg (1828), sont en réalité des cas
d’isolement social, d’abandon ou de claustration par les parents, ce qui a
entraîné un arrêt du développement psychique et souvent l’incapacité de parler.
Il est vrai aussi que certains enfants autistiques refusent le port de vêtement.
Mais s’il est indéniable que certains enfants-fous évitent le contact humain ou que beaucoup d’enfants dits sauvages sont en réalité des cas d’isolement social, il n’en reste pas moins que des comportements originaux et liés à la biologie des parents adoptifs ont pu apparaître chez certains enfants dits sauvages, c'est-à-dire d’enfants ayant vécu surtout avec des animaux.
Mais s’il est indéniable que certains enfants-fous évitent le contact humain ou que beaucoup d’enfants dits sauvages sont en réalité des cas d’isolement social, il n’en reste pas moins que des comportements originaux et liés à la biologie des parents adoptifs ont pu apparaître chez certains enfants dits sauvages, c'est-à-dire d’enfants ayant vécu surtout avec des animaux.
Notre témoignage d’élevage d’une louve en
appartement ne peut en rien trancher cette querelle sans fin sur les enfants-loups. Si, malgré tout, ce débat est si
passionné et a duré si longtemps, c’est que son enjeu dépasse l’anecdote
journalistique et animalière pour poser le problème des racines biologiques de
l’homme. On a longtemps cru que les enfants-sauvages, plus encore que les
grands singes, représentaient un stade antérieur, intermédiaire entre l’animal
et l’homme, et qu’ils allaient nous donner les clefs de la nature humaine.
Carl von Linné, l’auteur de la classification des
êtres vivants, a créé pour Marie-Angélique, enfant-sauvage trouvée en 1731, une
espèce aujourd’hui oubliée, l’homme sauvage (Homo ferus) qu’il plaçait entre l’orang-outan et nous. Il définissait cet
intermédiaire mythique comme ‘marchant à
quatre pattes, muet et velu’. Lord Monboddo, philosophe et pionnier de
l’anthropologie, après l’avoir étudiée, écrivait : ‘Les orangs-outangs et les enfants sauvages n’ont besoin que d’instruction
pour apprendre à parler’. Jean-Jacques Rousseau, dans ‘Le discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité’, se
demandait si les ‘orangs-outans’
(synonyme à cette époque de grands singes anthropoïdes) sont des animaux ou
bien s’ils sont des enfants-sauvages qui n’ont pu développer leurs facultés
intellectuelles…
Du cas -en réalité pathologique- de Marie-Angélique, Buffon concluait à tort que ‘L’état de pure nature est un état connu’. Il estimait aussi les africains plus proches de l’état de nature que les européens et se demandait si l’homme ne serait pas un singe dégénéré alors que Lamarck -considéré souvent comme un rival malheureux de Darwin- ne voyait pas d’impossibilité à ce qu’un singe bien éduqué se transforme en homme !
Du cas -en réalité pathologique- de Marie-Angélique, Buffon concluait à tort que ‘L’état de pure nature est un état connu’. Il estimait aussi les africains plus proches de l’état de nature que les européens et se demandait si l’homme ne serait pas un singe dégénéré alors que Lamarck -considéré souvent comme un rival malheureux de Darwin- ne voyait pas d’impossibilité à ce qu’un singe bien éduqué se transforme en homme !
Avec le recul, nous savons que ces polémiques
étaient stériles car s’y confondaient pathologie humaine et animalité, les enfants-sauvages
étant le plus souvent des débiles abandonnés par leurs parents. Mais au-delà de
ce débat dépassé, ce sont bien les bases biologiques du comportement humain qui
étaient recherchées par cette voie alors sans issue mais qui s’est aujourd’hui
dégagée grâce à l’éthologie et à la préhistoire. Nous allons voir que, bien que
si différent de nous par leur morphologie, le loup -animal sauvage qui a le
plus marqué notre culture- et son double civilisé, le chien -premier animal domestiqué-, peuvent en
renouveler l’approche…
La crédibilité du Révérend Singh est donc
aujourd’hui considérée comme plus que douteuse, d’autant plus que ‘Le livre de la jungle’ de Kipling, qui
a pour cadre l’Inde et pour héros Mowgli-le-fils-du-loup, est paru 25 ans avant
le récit de la découverte de Kamala et Amala !
Quoi qu’il en soit, c’est en souvenir de l’histoire célèbre de
l’enfant-loup de Midnapore que nous
avons appelé Kamala, notre louve-enfant qui, à l’inverse, a été élevée par des
humains dans un appartement, ce qui parait encore moins possible mais qui est
attesté par nos photographies, nos films et ce témoignage.
Pierre
Jouventin Directeur de recherche au CNRS
Extrait de ‘Kamala, une louve dans ma famille’, livre paru chez Flammarion en 2012
Prix de l’Académie Vétérinaire de France et traduit en italien
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Extrait de ‘Kamala, une louve dans ma famille’, livre paru chez Flammarion en 2012
Prix de l’Académie Vétérinaire de France et traduit en italien
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