dimanche 12 mai 2013

GRANDEUR ET DECADENCE DE LA LANGUE FRANCAISE

Le vent de l’Histoire souffle sur la langue française

De François 1er à François Hollande, grandeur et décadence de la langue française. Etude d’Arouet le Jeune.


Le 25 avril 2013, M. le Premier Ministre a signé la circulaire n° 5652/SG. Cette circulaire de trois pages porte « sur l’emploi de la langue française ». Deux grandes lois y sont citées qui ancrent la circulaire dans l’histoire : l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et l’article deuxième de la Constitution, révisée en 1992, de la République, aux termes duquel, pour la première fois dans l’histoire, est donnée au français une place dans un texte fondamental.  

De cette circulaire, dont le premier ministre croit qu’elle sera historique, il suffit de lire l’en-tête pour se convaincre que si empreinte historique il y a, l’empreinte est imperceptible, car le premier ministre ne s’adresse pas aux Français, ni aux associations politiques, ni aux fonctionnaires, mais aux seuls ministres et ministres délégués. On dénombre soixante six millions de Français, mais la circulaire n’est destinée qu’à trente-sept d’entre eux. Les pédagos ont inventé la « centration sur l’enfant » ; le pédago premier ministre la centration sur le ministre. De nombreux verbes ont pour sujet ou complément « nous » : « l’histoire nous a légué », « nous disposons », « il importe que nous fassions un outil » (à mettre dans la boîte idoine ?), etc. La chose étant nouvelle, il est dans l’ordre de cette chose que l’on dénombre dans ces trois pages trente occurrences des possessifs « notre » ou « nos ». Il n’y a quasiment pas de nom qui ne soit pas précédé de « notre » ou de « nos ». Notre langue est répété sept ou huit fois. Outre langue, ce sont pays, tissu social, démocratie, pacte social, expertise, constitution, culture, savoir-faire, représentants, frontières, points de vue, intérêts, administrateurs, interlocuteurs, etc. 

Jadis, le Roi usait du nous de majesté ; le ministre Ayrault use du nous de communauté. Ces trente-huit ministres, dont personne ne se souviendra dans dix ans, ne font ni un peuple, même pas une avant-garde, encore moins l’Histoire. On dénombre quatre occurrences de notre pays, ce qui est beaucoup, surtout si on y ajoute des désignations telles notre démocratie, notre tissu social, notre pacte social, qui désignent une partie de ce tout qu’est le pays. Le pays n’est jamais explicitement nommé, sinon une fois, dans un emploi secondaire de complément circonstanciel, à propos de « réunions et de conférences organisées en France à l’initiative de l’Etat ou d’un de ses établissements » (p 3). 
C’est une manière assez inélégante d’exprimer le mépris que l’on voue à la France que de ne pas la nommer ou bien une manière élégante de laisser aux ministres la latitude de mettre sous le nom pays la patrie de leur cœur, quelle qu’elle soit, Maroc, Guyane, Bretagne, Saint-Herblain, Tulle chef-lieu de département, Algérie, Corée, Antilles, etc.     
   
La circulaire porte sur « l’emploi de la langue », mais elle révèle d’abord le mauvais emploi qui y est fait de la langue. M. le Premier Ministre ne se satisfait pas des nos et notre de communauté, il abuse aussi des ses et sa ambigus. Quand il écrit « placer la langue française au cœur de la politique de modernisation de l’Etat, en développant et valorisant ses ressources », à quelles ressources réfère-t-il ? Celles de l’Etat ou celles de la langue, d’autant plus que la suite ne lève pas l’ambiguïté : « en lui donnant les meilleures chances de prospérer dans l’univers numérique » ? 

Dans l’univers numérique prospère aussi bien la langue que l’Etat. Il en est de même de cette assertion : « organiser la dimension linguistique de l’action publique contribue à sa modernisation ». Quand on connaît la propagande dont se gargarisent M. Hollande et ses ministres, il semble que la modernisation soit celle de l’action publique. Mais rien n’empêche de penser que sa renvoie à « dimension linguistique ». Soit cette autre phrase : « mieux mettre en évidence la dimension par nature interministérielle de la politique du français ». La « nature », quelque sens que l’on donne à ce mot, n’a rien à faire, ni à voir dans ces choses, qui sont toutes de culture. Ce n’est pas le seul mot de la phrase qui soulève des difficultés. M. le Premier Ministre rappelle sans cesse dans la circulaire qu’il incombe à chaque ministre d’appliquer les lois et règlements qui régissent l’emploi du français en France.

 Cette politique ne résulte pas de concertations ni de tractations entre les trente-huit ministres et leurs cabinets : elle n’est donc pas « interministérielle ». Comme elle concerne tous les ministres, elle est, hasardons un néologisme, pan-ministérielle. Au sujet de chacun, les lexicographes indiquent que ce pronom désigne « des hommes ou des femmes » : c’est « toute personne, qui que ce soit, tout le monde, on » (Littré, 1872). Il est inutile d’écrire « chacune ou chacun d’entre vous », sauf à soumettre la langue aux oukases de l’idéologie féministe. D’ailleurs, M. le Premier Ministre semble hésiter sur ce point, comme sur bien d’autres, puisqu’il écrit p 3, s’adressant à ses trente-sept ministres dont dix-neuf sont des femmes, « chacun d’entre vous », préférant se plier aux règles de la langue plutôt que de plier la langue à l’idéologie du jour.  

Dans certaines phrases, aux impropriétés se mêlent des propositions absurdes. Ainsi dans « en privilégiant systématiquement l’emploi de la langue française dans les différents outils de communication dont elles disposent (site internet, signalétique, nom de marque, campagnes publicitaires…), vos administrations contribuent à l’épanouissement de la relation de confiance entre la langue et le citoyen », est impropre l’emploi du verbe privilégier. On ne privilégie pas l’emploi de la langue française, on le favorise ou mieux, si l’on est ministre, on rappelle les lois et règlements qui, depuis l’An II de la République, rendent obligatoire l’usage exclusif de la langue française dans les administrations et on exige que soient sanctionnés les auteurs des infractions constatées. Pourtant, le pire est dans la fin de la phrase.
 Une relation de confiance est, par définition, réciproque quand elle s’établit « entre » deux entités. Dire que le citoyen a confiance dans la langue de son pays a un sens. Mais qu’est-ce que la confiance de la langue dans le citoyen ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la confiance du citoyen que nourrit l’emploi du français dans l’administration, mais la confiance des citoyens dans les administrations.  

Ceux qui écrivent l’anglais des media, des administrations, des institutions de pouvoir, etc. préfèrent, est-il souvent remarqué, les noms dérivés de verbes aux verbes eux-mêmes. L’essence du français est d’utiliser les verbes pour exprimer des actes ou des processus. Le rédacteur de cette circulaire, lui, préfère les noms aux verbes : épanouissement à épanouir ou faire épanouir, valorisation à valoriser, organisation à organiser, interprétation à interpréter, traduction à traduire, application à appliquer, promotion à promouvoir, modernisation à moderniser, engagement à s’engager, etc., comme s’il « essentialisait » les actes ou les processus.

 Un Premier Ministre rompu à l’emploi de la langue française n’aurait pas écrit « dans un souci de valorisation de la diversité linguistique », souci étant impropre et le nom d’action valorisation inutile. Il aurait écrit « pour valoriser la diversité linguistique ». De plus, « s’exprimer dans la langue maternelle d’un interlocuteur » chez qui l’on est reçu n’a rien à voir avec la « diversité linguistique », à valoriser ou non : c’est une affaire de courtoisie ou de savoir-vivre ; et la France est réputée pour être ou avoir été le pays de la courtoisie, ce que M. le Premier Ministre semble ignorer.  

Il est un emploi étrange, c’est celui d’interprétation : « dès lors qu’une interprétation dans notre langue est disponible » (pour « dès qu’un interprète est disponible »), « lorsque le statut de notre langue le permet (comprendre : lorsque l’usage du français est prévu par des conventions internationales), exiger cette interprétation, afin d’avoir l’assurance d’être compris » (pour « exiger les services d’un interprète »). Certes, ce mot a pour sens « traduction » depuis le XIVe siècle, mais ce n’est qu’une signification secondaire, que les lexicographes actuels tiennent pour « ancienne » ou désuète. Si toute la circulaire avait été écrite dans une belle et haute langue, cet emploi subtil ou littéraire d’interprétation n’aurait pas déparé, mais il détonne dans un texte aussi mal écrit. 


Venons-en aux questions de fond. L’emploi de la langue française, à l’exclusion de toute autre langue, est obligatoire dans l’Etat et dans les établissements qui dépendent de l’Etat, dans les administrations, locales, départementales, régionales, dans les services publics. Des lois et règlements régissent cela depuis 1794 : lois Bas-Lauriol, loi Toubon, article 2 de la Constitution. Ces lois s’appliquent, comme un impératif catégorique, aux ministres. Or en prenant connaissance du contenu de cette circulaire (dont le but est « de favoriser l’usage » du français en France même), les Français apprennent, ébahis, que les ministres contreviennent à ces lois ou qu’ils ferment les yeux sur les innombrables infractions de leurs administrations.

 Les extraits suivants le disent éloquemment : « on ne saurait défendre et promouvoir le français hors de nos frontières sans en favoriser l’usage dans notre pays lui-même, à commencer par l’ensemble des représentants de l’Etat » (comme si les représentants de l’Etat étaient « hors de nos frontières » et inclinaient à employer en France même une autre langue que le français) ; « veiller au respect des textes qui encadrent l’emploi de notre langue dans la société » (il ne s’agit pas de « respecter » ces textes, mais de les appliquer) ; « privilégier systématiquement l’emploi (de la langue française) dans les différents outils de communication dont disposent les administrations » (ce qu’elle ne faisaient donc pas) ; « mise en place d’une interprétation dans les réunions et conférences organisées en France à l’initiative de l’Etat ou d’un de ses établissements » (ce qui signifie que la langue en usage dans ces réunions et conférences n’est pas le français). 


Il est humiliant que l’Etat soit incapable d’appliquer ou de faire appliquer les lois. Pour convaincre les ministres « de favoriser l’usage du français » en France, que reste-t-il au Premier Ministre, qui, hélas, n’est pas le meilleur expert qui soit en matière d’emploi du français, comme l’atteste la circulaire qu’il a signée ? L’idéologie, la propagande, le rappel de quelques dogmes de la nouvelle religion ! On n’utilise plus la langue pour dire les réalités, mais pour montrer que l’on pense comme il faut penser. D’où un grand nombre de propositions absurdes, telle la référence à un nouveau « droit à », le « droit au français », dont les citoyens ne jouissent pas, mais dont ils « tirent parti dans leur vie quotidienne » : ce droit « participe de notre démocratie » (apparemment, pas de celle des ministres) ; « il garantit un égal accès à l’information et au savoir », etc. La circulaire est toute tissue de propositions bizarres, incongrues, maladroites ou encore plus évidentes que les portes grandes ouvertes. Citons « notre pays s’est construit dans un rapport étroit à la langue française » ; l’usage du français par l’administration « contribue à la cohésion de notre pays autour d’une langue partagée » ; faire du français « un outil de l’ouverture au monde » (ce n’est pas une boîte qu’il faut à M. Hollande, mais un conteneur, tant il a d’outils à sa disposition) ; « c’est notre tissu social qui est fragilisé si ces textes (sur l’usage du français en France) ne sont pas strictement observés » ; « l’interprétation et la traduction favorisent la circulation des idées et des savoirs » ; ou encore la confiance relative accordée à l’encontre de la « traduction automatique » des textes. 


A sept ou huit reprises, M. le Premier Ministre désigne la langue française d’un autre nom que le sien. Notre langue, répète-t-il. Oui, effectivement, c’est leur langue – non pas la langue des Français, mais la langue des ministres. Comme ce notre langue est apparié à République ou à républicain (à deux reprises sont invoqués de mystérieux principes républicains pour justifier que le français soit employé en France), cette langue est le républicain, et non le français.

 C’est une langue que l’on pourrait nommer le ministrin ou le ministrais, la langue des ministres ; ou comme, au lu de cette circulaire, ces ministres ne sont pas grand-chose, le minustrin ou minustrais.      
  
© Arouet le Jeune pour LibertyVox

 
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