ET LES DENTS EN OR ?
A-t-on exagéré le nombre de juifs refoulés par la Suisse pendant la guerre pour ternir son image ?
«Je maintiens que la Suisse n’a pas refoulé plus de 3000 Juifs pendant la guerre», vient de rappeler Serge Klarsfeld, le chasseur de nazis, au quotidien suisse Le Temps1.
L’avocat, historien et chasseur de nazis
Serge Klarsfeld persiste et signe : selon lui la Commission Bergier a
exagéré en évoquant le chiffre de 24 000 refoulements de Juifs aux
frontières suisses.
Serge Klarsfeld:
Depuis
près de quarante ans, je passe mon temps auprès des victimes de la
Shoah en France : à les identifier, à retrouver pour chacune d’elles son
état civil, le lieu de son arrestation ; à rassembler les membres d’une
même famille malgré les homonymies ; à récupérer les actes de naissance
des 11 000 enfants déportés, à obtenir les photos de ces enfants et à
en publier plus de 4300. Du sort des Juifs de France entre 1939 et 1945,
j’ai une connaissance précise et s’il est deux ouvrages de référence en
ce domaine, ce sont Vichy-Auschwitz (Fayard, 2001) et Le Calendrier de
la persécution des Juifs de France 1940-1944 (Fayard, 2001, 4 tomes).
Lorsque j’ai
imprimé le premier Mémorial de la Déportation des Juifs de France en
1978, j’ai ramené le nombre de victimes de «100 000 à 120 000 déportés
raciaux» selon le Ministère des anciens combattants et les dirigeants
des organisations juives, à 75 000. Ce nombre qui n’est plus discuté
correspond à la réalité, donc à la vérité, et je ne peux qu’être soulagé
qu’il y ait moins de pertes que ce que l’on se représentait jusqu’à
l’aboutissement de ces recherches minutieuses. »
Pour la Suisse,
la mission d’une commission visant à cerner le comportement de ce pays
pendant la guerre devait être en priorité d’établir combien de Juifs y
avaient été accueillis et combien en avaient été refoulés et combien
avaient perdu la vie à la suite de ce refoulement. Entre quelles dates ?
Le 2 septembre 1939 et le 8 mai 1945. Ce qui s’est déroulé auparavant
est une autre histoire ; ce n’était pas encore la guerre et l’Allemagne
ne sévissait contre les Juifs qu’à l’intérieur des mouvantes frontières
du IIIe Reich.
La diplomatie
était telle qu’en décembre 1938, Ribbentrop était encore accueilli à
Paris avec le tapis rouge tandis qu’en juin 1939 les Juifs du navire le
Saint-Louis ne pouvaient débarquer à Cuba et aux Etats-Unis.
Le comportement
des Etats et des hommes a moins de signification en temps de paix qu’en
temps de guerre, quand la tournure des événements est plus dure et plus
claire : les Juifs étaient devenus la cible prioritaire pour les nazis
qui jusque-là voulaient avant tout les expulser de leur espace
territorial.
Ce qui comptait
pour les Juifs c’était de sauver ce qu’ils avaient de plus précieux et
d’irremplaçable, c’est-à-dire leurs vies et non des biens toujours
récupérables, tels leurs tableaux, leurs comptes en banque ou leurs
machines à coudre.
Il n’est donc
pas indifférent de savoir si 24 000 Juifs ont été refoulés ou 3000 ; il
s’agit de 21 000 vies et peut-être de 23 000 si l’on tient compte que
127 des 884 refoulés de la frontière franco-genevoise ont perdu la vie
et non 884.
Je sais que pour
de très hautes consciences, il n’y a pas de différence entre une seule
vie perdue et un million ; mais je ne fais pas partie de cette
soi-disant élite.
Pendant la
période de guerre sur la frontière italo-suisse, les historiens
s’accordent sur le nombre de 5000 à 6000 Juifs italiens accueillis en
Suisse et de moins de 250 refoulés parmi lesquels j’ai dénombré 179
déportés. Sur les frontières du IIIe Reich pendant la même période, les
possibilités de parvenir jusqu’à la frontière suisse pour les Juifs
vivant en Allemagne étaient tellement réduites qu’il est évident qu’un
afflux de réfugiés juifs de cette provenance était impossible.
Ne demeure donc que la France pour fournir cet important contingent de refoulés juifs.
Les travaux de
Ruth Fivaz-Silbermann en 2000, s’appuyant sur des archives complètes
pour le canton de Genève, relevaient moins de mille juifs refoulés.
Depuis, l’historienne genevoise a étudié des deux côtés de la frontière
franco-suisse le passage et le refoulement des Juifs pour sa thèse de
doctorat qu’elle présentera en 2014.
En ce qui
concerne la frontière jouxtant les départements du Doubs, du territoire
de Belfort et du Jura, les Juifs se dirigeant vers cette frontière,
beaucoup moins perméable que celle de Genève, et qui étaient nombreux en
provenance des Pays-Bas ou de Belgique, ont souvent été interceptés par
les policiers français ou allemands avant d’atteindre la Suisse. J’ai
dénombré près de 600 déportés, dont environ 350 pour l’année 1942. Le
nombre de refoulés et des déportés parmi les refoulés sera rendu public
par Ruth Fivaz-Silbermann à l’issue de ses travaux.
L’arrestation
de la majorité des déportés de cette frontière n’incombe pas à la
Suisse, oasis de liberté mais aussi mirage en raison des obstacles à
franchir pour les malheureux ; la responsabilité est celle des nazis
allemands et de leurs complices de l’Etat français de Vichy qui ont
élevé entre les fugitifs et la Suisse un barrage efficace.
De même,
l’accusation portant sur le refus de la Suisse d’accorder en temps de
guerre des visas d’entrée à des Juifs apparaît ridicule si l’on se
demande comment des Juifs pouvaient alors se présenter sans être arrêtés
à un contrôle frontalier de sortie français ou allemand avec le mot
«Juif» imprimé sur leurs papiers d’identité ou inscrit à l’évidence dans
leurs patronymes ou dans leurs prénoms.
Je ne pense pas
me tromper en évaluant à moins d’un millier le nombre de refoulements de
Juifs sur cette frontière du Jura que l’on avait fort peu de
possibilités d’atteindre, et à environ 300 le nombre des déportés parmi
ces refoulés.
En définitive il
m’apparaît certain que le nombre total des Juifs refoulés de Suisse ne
dépasse pas 3000 et que le nombre total de déportés parmi ces 3000
refoulés peut être évalué à un millier de personnes.
Certes, ces
chiffres sont très différents de ceux – 24 000 refoulés de Suisse et
voués à la mort – qui ont été imposés depuis bien longtemps à tous ceux
qui se sont intéressés au sort des Juifs pendant la Seconde Guerre
mondiale.
Des chiffres qui ne sont pas le résultat d’une véritable recherche historique et qui nuisent gravement à la réputation de la Suisse
Ce sera aux
historiens qui travaillent sur ce sujet de confirmer ou d’infirmer les
chiffres que j’ai indiqués et qui contredisent des chiffres qui ne sont
pas le résultat d’une véritable recherche historique et qui nuisent
gravement à la réputation de la Suisse. »
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