SOUVENIRS DE PARAS
Algérie 1957, secteur d’El Milia, nord-constantinois.
Début 1957, j’étais alors artilleur au 2/4e RA,
3e batterie, qui appuyait le 3e
Régiment étranger d’infanterie qui tenait le secteur d’El Milia.
J’accompagnais en
opérations ce glorieux régiment comme observateur d’artillerie. De
mon affectation précédente en Allemagne, je m’étais porté volontaire
pour l’Algérie. J’étais venu pour en découdre et j’allais
être servi.
Le 15 avril, le secteur nous informe que deux sections de la 3e
compagnie sont fortement accrochées une dizaine de kilomètres au nord
d’El Milia. Des renforts vont partir et il faut y
adjoindre un DLO, observateur d’artillerie. Je suis désigné par
notre commandant de batterie, le capitaine Buchet, et je fonce avec mon
équipe radio sur la route rejoindre le 18e RCP
qui, providentiellement, arrivait à ce moment même, pour participer à une opération prévue pour le lendemain.
Je me présente à son patron, le lieutenant-colonel de Beaugrenier,
grand gaillard tonitruant, qui porte ses jumelles suspendues avec une
ficelle autour du cou. « Comme vous connaissez le
secteur, vous passez en tête, nous irons plus vite »,
m’intime-t-il.
Je suis évidemment flatté de cet honneur, mais je pense
que si les fells ont monté une embuscade pour intercepter
les renforts, nous serons, avec mon équipe, aux premières loges.
Mais comme le colonel est en tête lui aussi, alors on y va.
Il pleut depuis plusieurs jours, l’atmosphère est maussade et
l’ambiance dramatique, nous roulons à tombeau ouvert, les nouvelles ne
sont pas bonnes, il faut faire vite.
Nous arrivons bientôt au pied des montagnes boisées ou a lieu l’accrochage. La compagnie portée du 3e REI, capitaine Jaluzot, rapide comme la foudre, est déjà là, et les compagnies du
18e RCP s’infiltrent rapidement dans les bois. Le PC
opérationnel s’installe immédiatement. Avec beaucoup de radios, il y là
un hélicoptère Bell et le lieutenant-colonel de
Vaugrigneuse commandant du 3e REI.
Le lieutenent-colonel de Beaugrenier m’appelle auprès de lui et me
dit textuellement : « L’artilleur, faites moi un peu de bruit dans le
paysage ! ». Du bruit, je trouve qu’il
y en a déjà beaucoup, et de plus, je ne connais rien des positions
amies, ce que je lui fais observer.
« Débrouillez-vous... ». Comme je ne veux pas contrarier ce grand soldat,
je m’informe rapidement auprès de l’adjoint qui me donne quelques vagues indications, car la situation est des plus fluides.
Ne voulant pas prendre de risques, je consulte ma carte, essayant de
deviner en fonction du relief les itinéraires de replis des fells,
carrefours de pistes etc. et mets rapidement quelques tirs
en place.
Dans ce contexte difficile, j’ai toute confiance en notre
batterie que j’ai vu souvent réussir des tirs délicats, et qui est
installée à côté de la piste d’El Milia, d’où décollent les
Pipers L18 du PA 14e DI détachés sur le secteur.
Le colonel semble satisfait, mais nous recevons bientôt un message
furieux : c’est l’observateur (probablement le lieutenant Messier) du
Piper qui est sur l’opération, ce que j’ignorais, et
qui nous reproche de déclencher des tirs sans le prévenir. Je m’en
excuse, tout en m’étonnant du manque de liaison entre lui et notre
batterie…Mais je ne lui jette pas la pierre, et il m’arrivera
deux ans après une aventure semblable lorsque, étant à mon tour
observateur ALAT, nous nous retrouvâmes avec mon pilote au beau milieu
d’un tir de mortier de 120m/m du 35 ème RALP, un peu par ma
faute, il est vrai.
Mais les événements se précipitent : les pertes du 3e REI
semblent sévères, la situation est difficile, et le lieutenant-colonel
de Vaugrigneuse décide de reconnaître le terrain
par lui-même en hélicoptère pour se porter au secours de ses hommes.
La tragédie qui se noue sous la pluie au milieu des chênes-lièges va
bientôt connaître son point d’orgue…
Le lieutenant-colonel décolle donc à bord du Bell, qui se perd bientôt dans la pluie.
Les rafales toutes proches redoublent, le 18e RCP a sans
doute trouvé le contact, et accentue sa pression sur les fells, qui
semblent s’accrocher sur le terrain pour consolider leur
bilan.
Bientôt, nous voyons l’hélicoptère surgir de la mélasse et se poser à
côté du PC. Le lieutenant-colonel semble prostré, et le pilote, très
pâle, sors rapidement de l’hélicoptère pour réclamer le
toubib : de Vaugrigneuse est gravement touché, et reprends tout à
coup conscience pour se plaindre dramatiquement. Après une piqûre de
morphine, il est évacué aussitôt sur l’antenne
chirurgicale d’El Milia, ou il décédera peu après.
La Légion perd un magnifique officier, un « chevalier et un preux »,
comme le déclarera l’aumônier lors de l’oraison funèbre.
Il semble que dans la confusion du combat, un fell aurait agité un
chiffon blanc pour attirer l’hélicoptère qui, s’approchant au plus près,
a été cueilli par de sévères rafales. Ce fût le sort de
bien des hélicoptères et avions de l’ALAT, dont la lenteur et
l’absence totale de protection, en faisaient une cible idéale, surtout
lorsqu’ils leur arrivaient de se trouver face à une
mitrailleuse allemande MG 42, dont la cadence de tir avoisinait les
1 200 coups/minutes.
Nous ne connaissons pas encore le bilan exact de l’accrochage, que
nous devinons cependant sévère, mais cette nouvelle perte achève de
transformer les événements en tragédie.
La pluie ne faiblit pas, circonstance aggravante, car la chasse ne
peut intervenir. Les fells ont bien goupillé leur affaire. Mais
l’après-midi s’avance, il faut conclure avant la nuit, la
meilleure complice des rebelles, et le 18e RCP redouble
d’efforts pour dégager nos camarades. Bientôt, il sera maître du
terrain, et c’est l´heure du bilan, qui est lourd, très
lourd : 11 légionnaires tués, et 12 blessés. Les morts sont alignés
sur le plancher d’un camion et abrités par une bâche, fraternellement
unis dans la mort comme ils l’ont été dans le
combat.
Les fells sont en plein décrochage, et je demande au
lieutenant-colonel de Beaugrenier l’autorisation d’effectuer quelques
tirs sur leurs itinéraires probables de repli dans l’espoir de les
châtier si possible, autorisation qui m’est accordée. Mais le cœur
n’y est pas, et ces tirs presque à l’aveugle sont plutôt l’expression de
notre douloureuse colère.
Le 18e RCP, dont l’intervention éclair a permis d’éviter
le pire, s’en tire sans pertes. Mais il en sera autrement le 11 juin
1957, lorsque un peloton-jeep de reconnaissance du
18e RCP, commandé par le sous-lieutenant Manceau depuis
le 31 mai tombe dans une embuscade dans la region de Taher, à l’est de
Djidjelli. Le sous-lieutenant est tué, avec dix de ses
hommes, un important armement perdu.
Mon ami Pascal Franchi, qui
commandait ce peloton jusqu’au 31 mai, avait été démobilisé à cette
date. Cadeau du destin.
Le démontage de l’opération s’organise sous la pluie, à la nuit tombante, dans un morne silence de veillée d’armes.
Nous rentrons à El Milia.
Gérard Contard.
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