THIERRY LE PORTIER : DRESSEUR FELINIEN
L'homme qui murmure à l'oreille des fauves
Par Claudie Baran
Publié
Thierry travaille ici avec son léopard Damoo, l'une de ses trois panthères ayant tourné dans l'Odyssée de Cartier, petit joyau publicitaire, gratifié du grand prix du luxe. Crédits photo : Christophe LEPETIT
Les plus grands réalisateurs ne jurent que par Thierry Le Portier, dresseur «félinien». Après Pasolini, Ridley Scott ou Jean-Jacques Annaud, Ang Lee a fait appel à ce Français pour diriger le tigre du Bengale héros de L'Odyssée de Pi. Nous l'avons rencontré au milieu de ses chers fauves dans son repaire vendéen.
Dresseur d'exception, le travail effectué sur L'Odyssée de Pi avec King est unique dans l'histoire du cinéma.
Deux cent trente kilos de chair armés de crocs assassins et de griffes en lames de rasoir... Richard Parker est le nom du tigre à l'affiche de L'Odyssée de Pi , le film d'Ang Lee sorti dans nos salles mercredi.
Quand il n'apparaît pas sous la forme d'une créature visuelle numérique, il a les traits bien réels de King, un tigre du Bengale de 7 ans. Un vrai, superbe, énorme, royal Panthera tigris tigris que l'on retrouve avachi, les paupières mi-closes, dans une des cages qui entourent la maison vendéenne de Thierry Le Portier. Difficile d'imaginer que la jolie peluche brûle de tenir sous ses ongles le front brisé du curieux qui l'observe.
Pourtant, Thierry Le Portier n'a de cesse de vous écarter gentiment mais fermement des barreaux de la cage en rappelant que la dernière journaliste venue l'a payé de sa botte (haute couture) et d'une frayeur mémorable. Juste pour être passée quelques centimètres trop près de la cage. «King est dur, dangereux, mauvais.» Par ces quelques adjectifs, Thierry décline l'identité de la bête. N'y voir aucun jugement de valeur mais de vraies qualités. En dompteur chevronné, l'homme fait preuve à la fois d'attention et d'intuition, de force physique et de résistance nerveuse, de prudence et de courage. Mais l'adversité et la difficulté sont source d'adrénaline à laquelle il s'abreuve. Ang Lee ne s'y est pas trompé, qui recherchait pour son film le meilleur dresseur du monde.
«Ang a passé deux jours chez moi. Pour choisir son tigre du Bengale, il a passé en revue les 18 spécimens de ma ménagerie.» Après s'être enquis des croyances religieuses de Thierry (le film traite longuement de la foi), le réalisateur taïwanais s'est arrêté devant la cage de King: ce serait lui Richard Parker. «Il l'a choisi pour le dessin que le félin porte sur son front. Le jin est un signe divinatoire qui signifie puissance et dignité.» De janvier à avril 2012, Thierry et son félidé ont rejoint le lieu du tournage du film: en l'espèce, le plus grand bassin à vagues jamais réalisé pour le cinéma.
Dans Roselyne et les lions, Thierry répète avec Voltan, un redoutable félin qui faillit lui coûter la vie. Crédits photo : Christophe LEPETIT
Jaguars, tigres, panthères, lions, hyènes partagent son quotidien
Toutes les scènes où l'animal apparaît ont été validées par le dresseur. Même les virtuelles. «Il a fallu 700 graphistes pour réaliser les images de synthèse, mais un seul dresseur pour que toutes les scènes soient crédibles.» Thierry Le Portier connaît sa valeur, qualité indispensable ou plutôt vitale pour exercer ce métier. Il s'agit en effet de ne jamais oublier qu'un fauve, même ses griffes rétractiles en dedans et l'oeil dans le vague, n'a qu'un seul et unique objectif: en finir avec le type qui lui claque du fouet sous le nez.«Les Romains disaient qu'un bon dresseur était empereur en son arène comme un roi en son royaume et que l'obéissance venait à lui s'il avait les deux qualités de celui qui domine: la potestas et l'auctoritas. Le pouvoir et l'aura. Thierry possède ces qualités-là.» Le compliment est signé Philippe de Villiers dans l'ouvrage qu'il consacre au parc thématique du Puy du Fou (dont il est le créateur). Ces deux-là se connaissent de longue date. Il y a dix ans que Thierry assure un spectacle de jeux du cirque à la romaine en Vendée. Dix ans et 2500 séances où le belluaire paie de sa personne en endossant la toge d'un dresseur antique de bêtes sauvages. Deux lions, six lionnes et une tigresse descendent dans l'arène au milieu d'un public frémissant que les créatures balaient du regard avec cet air snob qui donne à penser qu'elles s'ennuient prodigieusement.
Elles manifestent une insolence de monarque déchu dans d'arrogants déhanchés. Veille sur les bêtes le seul maître des lieux, celui qui assure de la dextre la fusée de son fouet. «Le plus grand dresseur du monde!» s'enthousiasme Philippe de Villiers qui peut s'enorgueillir d'avoir réussi à sédentariser le vieux lion. C'est à Vendrennes (à quelques kilomètres du Puy du Fou) qu'il a jeté l'ancre, après une vie de bohème au long cours.
Sa vie tient du roman d'aventures. A 16 ans, Thierry est un adolescent au cartable bourré de coups de poings. Entre castagne et rugby, il traîne dans les jupons de sa mère. Un jour, elle le somme d'aller au zoo pour chasser son ennui. Il s'entiche du métier en observant le vieux dompteur du cirque de Marseille qui lui en apprend les rudiments. A la dure, comme garçon de cage. Entre paille et paillettes, Thierry rencontre sa future épouse, Roselyne. Des années plus tard (en 1989), Jean-Jacques Beineix racontera leur histoire - d'amour - dans Roselyne et les lions, avec une Isabelle Pasco moulée dans le strass. Entre-temps,
Le Portier se taille la part du lion dans les plus grands cirques d'Europe. Remarquable, il se fait vite remarquer. En 1974, Pasolini fait appel à ses talents pour son film Les Mille et Une Nuits à l'occasion d'une scène où un lion dévore un chrétien. Le réalisateur italien lui ouvre grandes les portes du 7e art. A 23 ans, Thierry découvre Cinecittà et sympathise avec le sulfureux écrivain et cinéaste, connu pour être pingre et n'avoir jamais payé un café de sa vie (même les siens). C'est pourtant le restaurant qu'il offre au jeune dresseur, subjugué par son génie! Au titre de dompteur s'ajoute bientôt celui d'acteur. Il tourne dans le célèbre spot publicitaire pour les peintures Valentine sous la direction de Beineix (encore), qui n'a pas oublié: «Un acteur aurait eu peur de tourner avec une panthère. Les risques étaient énormes.
Thierry a toujours eu une belle gueule. Je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas pu incarner le type qui repeint son salon!» Quatre pubs pour la marque ont suivi. Le réalisateur est lui aussi un admirateur de Thierry. Surtout de ses talents de séducteur: «Un mec qui parle aux fauves est un mec qui sait parler aux femmes. Quand Thierry est à table devant dix nanas à raconter ses histoires de dresseur, arrive Michael Schumacher ou n'importe quelle autre célébrité, elles n'en ont rien à faire!»
Thierry (16 ans) à ses débuts au zoo de Marseille. Crédits photo : Christophe LEPETIT
Un bon dresseur est, surtout, chef de meute
En son domaine, le patron c'est lui! Suffit d'observer l' armée d'amazones qui l'entoure. Petites mains venues apprendre du maître, leur tâche consiste à l'assister dans la gestion quotidienne de sa soixantaine de fauves. Mais à le supporter, aussi. Thierry gueule un sabir où les ordres sont donnés en allemand et les encouragements en anglais. Réservé initialement aux séances de dressage, il use du même mode de communication avec son personnel féminin. Nulle ne bronche. Une seule y échappe: Monique. La belle Martiniquaise l'épaule et le seconde en tout. L'été, elle se métamorphose en Félindra et tient en respect une escouade de tigres à fort Boyard.«Thierry se situe instinctivement comme un chef de meute, un alpha mâle», considère Jean-Jacques Annaud qui le connaît bien: ils ont travaillé ensemble sur L'Ours en 1988, et Deux Frères en 2004. Entre les deux films, Thierry a connu la consécration grâce à Ridley Scott, qui a fait appel à lui pour dresser les tigres, lions et hyènes de Gladiator.
A son palmarès sont accrochés les plus beaux trophées. La panthère de L'Odyssée, de Cartier, c'est aussi lui! Un petit bijou publicitaire qui vient de remporter le grand prix du luxe. Et pourtant, rien n'a altéré son naturel, son authenticité. Ce sosie de Clint Eastwood reste avant tout «un dresseur de fauves. Un lion vertical. C'est-à-dire un animal comme eux. Un fauve sur les pattes arrière qui a pris l'autorité», selon ses propres mots. Et Jean-Jacques Annaud de conclure: «Chaque fois que Thierry sort un fauve et se confronte à lui, il risque sa vie. Je crois qu'il espère secrètement mourir en dompteur, comme Molière est mort en acteur, dans l'exercice de son art.»
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