UN EXCELLENT ARTICLE DE JEAN MABIRE SUR LA NATION
L'Europe des Patries Charnelles
par Jean Mabire
Publié le 24/11/2012
par konigsberg
Ils ont rêvé l'Europe des Patries charnelles
Par Jean MabireDes idées qui nous sont aujourd'hui familières- enfin et heureusement ! - n'ont pas toujours la longue histoire que certains imaginent.
Ainsi en est-il de ce qu'on nomme tantôt l'Europe des régions, tantôt l'Europe des Ethnies, tantôt l'Europe des Peuples, tantôt l'Europe des Patries charnelles, toutes notions assez synonymes surgies d'un combat guère plus ancien, celui de l'Europe des Minorités.
Parce que le XIXe siècle avait vu la naissance de l'unité italienne et de l'unité allemande, certains le nommèrent un peu hâtivement le siècle des Nations.
C'était aller vite en besogne et y voir un prélude à cette Europe des Nations qui fut le grand échec du XXe siècle. C'était oublier une des grandes lois de la nature, donc de la politique : les réalités vivantes ne sont jamais semblables et on ne peut appeler - comme aujourd'hui - du même nom de "nation" des entités aussi diverses que l'Espagne ou le Luxembourg, pourtant membres l'une et l'autre à part entière de cette communauté Européenne, qui a décidé de se construire sur les Etats existants, un peu comme en Afrique qui tient encore compte des frontières coloniales et non des réalités tribales.
Dans ce mariage de la carpe et du lapin, le fameux slogan de l'unité dans la diversité -belle formule par elle même - se réduit à un voeu pieux.
Comment inclure dans un ensemble une Allemagne fédérale, bien vivante en ses Länder et une France centralisée, prise dans le corset d'un bi-séculaire jacobinisme ?
Pour un observateur attentif, la "nation" en Europe se confond rarement avec "l'Etat"..
Cathédrale de Coutances Normandie
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L'idée européenne
Il ne faut pas croire que l'idée d'Europe, au cours d'une très longue histoire, se soit confondue avec celle des patries qui la composent. Héritier d'une vieille tradition "européenne" (où s'étaient déja illustrés ses compatriotes normands Pierre Dubois, le légiste coutançais, Philippe le Bel et l'abée de Saint-Pierre, l'adversaire du Roi-Soleil), Pierre Drieu La Rochelle écrivit en 1931 un essai très justement intitulé l'Europe contre les patries.
C'était l'époque du rêve Européen de certains combattants de 14-18, qui mesuraient, avec un Aristide Briand, toutes les folies d'un traité de Versailles ayant crée de nouvelles "patries" aussi monstrueuses que la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie, héritières non du fédéralisme instinctif de l'empire des Hasbourg mais d'une conception "républicaine" et centralisée d'inspiration jacobine.
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Palace Athénée de Vienne
La plupart des partisans d'une Europe politique ne voyaient pas cette contradiction interne, car ils ne songeaient qu'à l'unification totale du continent, prêts à accepter une hégémonie qui n'était plus espagnole ou autrichienne comme au temps de l'Ancien Régime, ni française comme au Siècle des Lumières et surtout de l'Empire napoléonien mais fatalement, par sa position centrale et son dynamisme.
Prussienne, allemande, germanique, cette Europe conduisait, sans le dire, à l'emprise d'une nouvelle hégémonie, celle de la première puissance continentale. On retrouvait finalement le rêve jacobin et bonapartiste. A l'Europe de Genève d'entre les deux guerres et à son échec, succédait inévitablement en 1940 la réalité de l'Europe de Berlin. C'est pourquoi il devait séduire tout à la fois des hommes de gauche et des technocrates. Voir à ce sujet le remarquable essai de L'Europe nouvelle de Hitler de Bernard Bruneteau (Le Rocher, 2003).
L'Europe unie des Européens démocrates comme celle des Européens "fascistes" (les guillemets s'imposent) était fatalement une Europe uniforme avant d'être une Europe en uniforme.
L'idée européenne que prônaient les nationaux-socialistes au moment de la Croisade contre le Bolchevisme prétendait respecter les anciennes nations.
Il ne pouvait rien en être, surtout en pleine guerre totale et le général Vlassov, par exemple, devait connaître bien des malheurs. Il ne fut jamais question d'une Europe fédérale et il fallut attendre 1945 pour que le fédéralisme devînt un peu à la mode.
Monument à l'Infanterie Belge de Bruxelles
Idée née à la base
Il faut savoir qu'il régnait alors une ambiguïté qui n'a pas totalement disparu : le ton était donné par les "minorités", souvent à la base linguistique et les "régions" étaient mal reconnues.
On n'avait pas trop su où mettre les Normands, puisqu'ils prêchent un dialecte d'oïl ou parlent plus simplement la langue de Malherbe et de Corneille. Etaient donc absents de ces réunions "européennes" les Français, les Allemands, les Anglais, les Italiens, les Espagnols... L'Europe des minorités l'emportait sur l'Europe des peuples !
On devrait
par la suite retrouver les mêmes dérives dans les ouvrages du
professeur Guy Héraud, disparu en 2004, et dont le beau livre L'Europe
des ethnies (1963) souffre de reposer exclusivement sur des critères
linguistiques, qui ne devraient pas être les seuls. C'était bien l'avis
de mon vieil ami Paul Sérant. L'auteur de La France des minorités (1965)
avait pourtant compris que l'Europe devait arborer cent drapeaux (et
j'en dénombrais pour ma part trois fois plus, si l'on voulait que toutes
les "régions" de la future Euro-Sibérie soient présentes.
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Venise
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Cette
idée de l'Europe des Régions n'est pas venu de quelque sommet
bruxellois ou strasbourgeois mais de la base. Elle est née de militants
enracinés dans leur terroir et non pas de fonctionnaires internationaux
pris de l'envie de transformer l'Europe technocratique en un gigantesque
puzzle.
L'Europe des minoritaires ou des régionalistes, peu importe leur étiquette, a plus d'un demi-siècle d'existence. C'est le serpent de mer qui ressurgit périodiquement. On l'a vue, il y a une vingtaine d'année, s'exprimer à Copenhague par l'organe puissant et rural de Pierre Godefroy, député-maire de Valognes et ancien collaborateur de la revue Viking, un de mes plus vieux campagnons de combat identitaire. C'est à lui que je dois d'avoir connu l'oeuvre du grand réformateur Danois Nicolas Grundtvig (1783_1872) et de ses hautes écoles populaires.
Ne nous y trompons pas. Tous les "régionalistes" ne sont pas Européens, pas plus que tous les "Européens" ne sont régionalistes.
On l'a bien vu
avec le livre de Jean Thiriart, Un Empire de 400 millions d'hommes :
l'Europe (1964). Nationaliste Européen de l'espèce jacobine et ennemi
farouche des mouvements identitaires qui étaient à ses yeux
séparatistes, il se voulut chef autoritaire mais, avant même sa mort, il
avait sclérosé son propre mouvement par les outrances du caporalisme le
plus sectaire. Il est peu d'exemple qu'une aussi grande idée laisse
aussi peu de traces dans l'aventure d'une génération malgré quelques
admirables militants.
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Statue of the Goddess Concordia (Schlossplatz) Stuttgart
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Le prophète
Le vrai prophète de l'Europe des peuples ne fut pas un chef de bande mais un authentique écrivain. Il s'agit de Saint-Loup.
On n'a pas assez
insisté sur la rupture qu'il peut y avoir entre les idées qui furent les
siennes au temps des auberges de jeunesse du Front Populaire ou des
Jeunes de L'Europe Nouvelle (JEN) de l'occupation et des idées qu'un
tout nouveau public devait découvrir dans quelques-uns des romans du
chantre des "patries charnelles".
Ancien volontaire du Front de l'Est, il avait rompu avec l'idée d'une Europe une-et-indivisble à la mode jacobine, telle que le voyait les dirigeants du Reich national-socialiste.
Magnifique romancier à l'imagination
fertile, Marc Augier avait de la vérité historique une vision qui
rejoignait celle d'un alexandre Dumas : il inventa littéralement une
Europe des "patries charnelles", dont il attribua la paternité aux
éléments oppositionels de la SS et dont il publia la carte dans son
récit historique Les SS de la Toison d'or (1975).
Sous le titre de "l'Europe des Ethnies" figure ainsi un projet dont il prétendait qu'il était tiré "des cartes ébauchées par le clan non pangermaniste de la Waffen SS", dans lequel chaque province d'Europe "recevait son autonomie culturelle totale et restait dépendante de la fédération pour l'économe, la politique étrangère et la défense".
En
attribuant à la SS un découpage en contradiction formelle avec le vieux
projet pangermaniste d'une seul empire de la Norvège à la Flandre et au
Tyrol à l'Estonie, l'écrivain fondait un mythe gigantesque, encore
présent au XXIème siècle. Mais il l'enfermait dans une dangereuse
nostalgie en l'accouplant à une incapacitante diabolisation.
Lier
l'Europe des peuples au combat crépusculaire du IIIe Reich ne sert pas
cette cause qui repose sur un évident contresens historique. Sous cet
aspect, un homme comme Jean Thiriart, qui fut dans sa prime jeunesse
membre de l'association culturelle wallonne AGRA (Amis du Grand Reich
Allemand) était plus "dans la ligne" hitlérienne que le sergent Marc
Augier de la LVF !
Il n'est pas besoin de chercher de tels parrainages enfouis dans les cendres de l'Histoire. Transformer en fédéral un vieux rêve unitaire n'en est pas moins une belle trouvaille.
Saint-Loup aura beaucoup fait pour que l'idée de l'Europe des Ethnies (ou des Régions ou des Peuples) ait abouti à remplacer chez beaucoup de jeunes, le mot nationaliste par le terme identitaire.
Les romans du Cycle des
Patries charnelles, comme Nouveaux Cathares pour Montségur ou Plus de
pardons pour les Bretons, sont l'oeuvre d'un prodigieux éveilleur.
Ces
récits, où l'imagination transfigure la réalité historique, ne sont pas
les témoignages d'une nostalgie du passé mais le fondements d'une vision
de l'avenir.
Et pourquoi n'existerait-il pas contre l'Europe jacobine, une Europe romanesque ?
Jean Mabire
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