LES PAIENS SONT AUSSI DES PATRIOTES !
Les dieux maudits.
À la rencontre des dieux maudits.
Jean MABIRE, parlant de son livre :
« Les DIEUX MAUDITS ( Récits de mythologie nordique ) »
Pourquoi
ne pas l’avouer ? Je me suis résolu à écrire ce petit livre parce que
j’avais grande envie de le lire. Il n’existait rien de tel en langue
française : une sorte de Que sais-je de
la mythologie nordique. Guère plus de deux cents pages et un peu
d’ordre dans ces récits décousus et parfois contradictoires. Cet ouvrage
a donc été d’abord composé comme mon propre «pense-dieux». Je voulais
en faire une sorte d’aide-mémoire élémentaire pour éclairer tant de
ténèbres.
Ténèbres
au milieu desquelles j’ai longuement vagabondé, la torche à la main,
tel les héros de Jules Verne dans les méandres souterrains de la
lointaine Islande, bien certain de découvrir comme eux le secret des
runes au terme de ce Voyage au centre de la foi…
Dissiper les nuages qui obscurcissent le ciel, c’est parfois s’enfoncer
dans les entrailles de la terre et de l’Histoire. Interroger la mémoire
la plus longue. Que l’on se rassure : je ne suis point spécialiste et
encore moins universitaire. Pour évoquer nos dieux, je n’ai d’autres
titres, que l’espérance et la fidélité – poussées au point de devenir
hantises et vertus théologales d’un paganisme enfin naturel.
S’il est un livre que je me devais d’écrire, c’est bien celui-ci. Normand d’origine et de passion, fondateur de la revue Viking, collaborateur de Heimdal ou de Haro qui
en ont repris le flambeau, auteur d’une histoire des Normands et d’une
épopée des Vikings, chroniqueur des explorations polaires, familier des
Sagas du moins celles traduites en français – pèlerin fervent du soleil
hyperboréen de l’ultima Thulé, navigateur dont le compas sentimental
s’obstine depuis quelques décennies à toujours marquer le Nord, il me
fallait rendre aux dieux d’Asgard la vie qu’ils m’avaient naguère
offerte.
Je
rêvais depuis longtemps de restituer leurs périples, afin de les rendre
familiers et populaires, comme il sied à des dieux de notre clan. Dans
cette entreprise, toute érudition me semble inutile. Ce qui importe, ce
sont les couleurs et les gestes. Donner à voir importe plus que donner à
croire. Je ne vais pas jouer au savant que je ne suis pas. Le Futhark
runique ne me sert pas d’alphabet clandestin. Je ne veux être qu’un
amateur. Mais passionné et fureteur, inlassable comme ce Ratatosk, qui
ne cesse de courir des branches aux racines d’Yggdrasil, pour attiser
l’éternel combat de l’aigle et du serpent.
C’est
un fait. La mythologie nordique s’enveloppe de cette brume tenace et
glacée, que les marins appellent la crasse, et qui évoque tout de suite
les vaisseaux éventrés. Il existe d’innombrables ouvrages popularisant
les grands thèmes de la mythologie des Grecs et des Romains.
Familiarisés dès l’école avec les dieux et les déesses de l’Olympe, nous
retrouvons leurs traits figés dans le marbre des musées. Ils restent
des symboles évidents,
à défaut d’être encore des divinités tutélaires. Mais cette lumière,
dont resplendit la tradition «classique», n’en rend que plus
ténébreuse l’ombre qui entoure le légendaire «barbare». Cette opposition, soigneusement entretenue par des cuistres, n’a pas peu contribué à défigurer un héritage qui reste à la fois méconnu et rejeté. Maudits, nos dieux l’ont été tout autant par les missionnaires de l’évangélisation que par les pédagogues de la latinité, séduits par le mythe de l’Ex oriente lux dont se réclament les libres-penseurs épris de progrès tout autant que les bigots les plus traditionalistes.
ténébreuse l’ombre qui entoure le légendaire «barbare». Cette opposition, soigneusement entretenue par des cuistres, n’a pas peu contribué à défigurer un héritage qui reste à la fois méconnu et rejeté. Maudits, nos dieux l’ont été tout autant par les missionnaires de l’évangélisation que par les pédagogues de la latinité, séduits par le mythe de l’Ex oriente lux dont se réclament les libres-penseurs épris de progrès tout autant que les bigots les plus traditionalistes.
Certains
ecclésiastiques pourtant, au début du siècle, ne se montraient guère
effrayés par le paganisme maurrassien. Derrière les hauts murs des
collèges catholiques, la mythologie gréco-latine semblait apprivoisée et
affadie. Elle n’était plus jugée dangereuse et les adolescents se
voyaient autorisés à taquiner les muses. Le tonnerre de Zeus devenait
anodin. La légende dorée des dieux et des héros de l’ancienne Hellade ou
de la Rome antique se trouvait ainsi récupérée, véritablement
aseptisée, débarrassée de tous les miasmes septentrionaux, qui
constituaient pour les clercs une sorte de mal absolu. L’Antéchrist
venait du froid… Les dieux maudits, ignorés, perdus dans les brumes du
Nord devaient fatalement m’apparaître séduisants, dans la mesure ou ils
restaient interdits.
Réflexe
élémentaire de tout adolescent : la révolte contre l’ordre établi et
surtout enseigné. Il se trouve toujours des collégiens pour trouver que
pieux et pions ont la même étymologie. A la religion des autels et des livres, comment ne pas préférer la croyance aux bois et aux sources ? Le
Nord, pour moi, c’était d’abord la Nature. La terre contre l’au-delà,
si l’on veut. Et la poésie contre le décalogue. Je ne voyais guère
cependant, l’intérêt de remplacer le bon Dieu ou Jupiter par Odin, si ce
n’est par goût de l’irrespect, donc de la sagesse. Il me parut bien
vite évident qu’il ne fallait pas décalquer l’une sur l’autre les religions antagonistes.
Échanger la croix du Christ contre le marteau de Thor n’est qu’un geste
rituel. C’est la nature même de la foi qui doit devenir différente.
D’un côté, la nuée, et de l’autre, le réel. D’où la nécessité de ne pas
lire l’Edda comme une Bible, de ne pas chercher dans la mythologie nordique autre chose que des images et des symboles,
des maximes et des récits. Il n’est pas inutiles de le rappeler au
seuil de ce petit livre. L’essentiel de la conception de vie des anciens
Nordiques n’est pas codifié, mais suggéré. Leur mythologie doit se traduire et non se subir. Être fidèle à ces dieux maudits, c’est d’abord comprendre, c’est-à-dire, bien souvent, écouter une voix intérieure.
Une
fois libéré de l’idée d’un Dieu unique, donc totalitaire, et de ses
commandements numérotés et absolus, on découvre vite que le sacré peut
être multiple, c’est-à-dire vivant. Alors s’estompe la rigoureuse
frontière entre les dieux, les héros et les humains. La religion n’est plus extérieure mais intérieure.
Le divin se retrouve au cœur de chacun. Démarche essentielle du
paganisme. Les dieux du Nord peuvent se montrer souvent terribles et
parfois burlesques, ils restent avant tout familiers. Aucun des neuf
univers de la mythologie scandinave n’est insensé. Les voyageurs passent
sans cesse de l’un à l’autre. Il n’existe pas d’arrière-monde d’une
nature différente.
Le
paganisme nordique a finalement mieux résisté aux assauts étrangers que
le paganisme méridional. Sans doute, parce qu’il a été vaincu plus
tard. Le fait est là, dans son altérité sentimentale. Étudier la
mythologie «classique» ne conduit pas retrouver la foi, au sens exact du
terme ; cela ne dépasse guère l’émotion intellectuelle. L’évocation des
sources antiques, si chères aux poètes et aux peintres du Parnasse, à
la fin du siècle dernier, n’est pas un mouvement religieux, mais
seulement littéraire et artistique. Sauf, peut-être, pour un personnage
aussi singulier que Louis Ménard, dont les Rêveries d'un païen mystique demeurent un fort curieux témoignage. Par
contre, pour aborder la mythologie «barbare», j’oserai dire qu’il faut
déjà posséder la foi. Non la croyance en un dogme et encore moins la
soumission à une chapelle, mais un élan de l’âme vers un ailleurs que
les anciens situaient dans cette ultima Thulé aux limites
septentrionales du monde connu.
Aborder
l’univers spirituel nordique, dont la mythologie n’est qu’un aspect, ne
saurait être un passe-temps ou une curiosité, mais une découverte et
une quête, que certains ont naguère comparé à la recherche du Graal.
Mais sans la mystique, le Graal n’est qu’un gobelet. Dans cette optique,
le retour à la foi nordique peut fort bien se passer de Thor, d’Odin ou
de Frey, qui apparaissent bien davantage comme des figures que comme
des idoles. Il ne faudrait pas trop abuser de l’opposition Nord-Sud,
même si ce réductionnisme simplificateur a de quoi séduire les naïfs.
Pendant très longtemps, des préjugés méridionaux ont cherché à rendre
encore plus obscures les légendes septentrionales. Répondre par d’autres
mépris serait d’autant plus stupide qu’il existe une indéniable
similitude religieuse entre le monde scandinave et le monde hellénique,
entre l’univers germain et l’univers romain. Les recherches de Georges
Dumézil sur la tripartition ont lumineusement démontré la parenté des peuples
indo-européens. Opposer en un affrontement absolu le Sud et le Nord
aboutit à gravement mutiler un héritage commun. Il est bon de le
rappeler au seuil d’un livre qui veut justement mettre en lumière des
dieux maudits, ce qui ne veut pas dire rejeter dans l’obscurité des
dieux plus aimables et plus aimés.
Tout
familier de la mythologie méditerranéenne ne trouvera pas dans la
mythologie scandinave un climat sensiblement différent. Passé le premier
moment de surprise provoqué surtout par la consonance de noms
inhabituels a qui n’est pas familiers des langues germaniques, tout
s’éclaire. Les comparaisons sautent aux yeux, tellement évidentes qu’il
n’est pas nécessaire ici d’y insister bien longtemps. Apollon et Balder
ne sont pas des ennemis mais des frères, au moins des cousins. Pour les
sectaires de la culture classique, les dieux hyperboréens se confondent
plus ou moins avec les divinités lapones. Il serait tout aussi stupide
d’identifier les dieux hellènes avec les démiurges levantins. Et il
faudra bien réconcilier un jour les dieux celtes et les dieux slaves, écartelés dans la fragile mémoire de nos peuples d’Europe.
Que
l’on ne s’y méprenne pas. J’ai voulu rendre la vie aux dieux maudits
d’Asgard non pas parce qu’ils seraient «supérieurs», mais surtout parce
qu’ils restaient «maudits», c’est-à-dire, par un singulier paradoxe, à
la fois méprisés et ignorés. Depuis un millier d’années, il y a eu
«déicide» au nord de notre continent. Et en ce domaine, l’Université a
longtemps pris la relève de l’Église. Il ne s’agit donc pas ici de
vengeance, mais de justice. Au dieu unique, qui les a naguère vaincus,
répondent enfin les dieux différents. Ceux-ci ont longtemps été
maltraités par l’histoire, sans doute parce qu’ils étaient les plus
purs, comme figés dans la glace d’une lointaine patrie. De la mythologie
scandinave, la plupart des Français ne connaissent guère que la
chevauchée des Valkyries, qu’ils imaginent d’ailleurs à travers la
transposition lyrique et déjà «méridionale» (ou si l’on veut
«classique») des opéras de Richard Wagner. C’est tout juste s’ils font
le rapprochement Wotan-Odin, à l’instar de la comparaison Zeus-Jupiter rabâchée sur les bancs du lycée. Le crépuscule des dieux – que les Nordiques nomment Ragnarok – n’est pour eux qu’un roulement de timbales qui fait frissonner les nuages de toile peinte. Hors cela, tout n’est qu’obscurité.
Il
y a plus grave que la niaiserie et c’est la trahison. On a posé la
question tout en fournissant déjà la réponse : cette mythologie nordique
ne serait-elle pas néfaste, puisqu’on a vu s’abreuver a sa source les
apôtres d’un pangermanisme qu’il convient aujourd’hui de remiser au
magasin des accessoires du théâtre européen ? Une telle calomnie prouve
une méconnaissance totale de l’univers mental ou s’est épanouie la littérature nordique
primitive. Dans cette Islande de la haute époque médiévale, sur la
terre des glaciers et des volcans, va naître le premier parlement du
monde ! Cet Althing,
qui réunit tous les hommes libres, impose le respect de la loi commune,
c’est-à-dire l’ordre, sans lequel il ne saurait y avoir de liberté. De
ces païens islandais, les voyageurs étrangers ont pu dire, stupéfaits : «Ils n’ont pas de roi, seulement une loi».
Aucune nation n’a été plus rebelle au totalitarisme politique ou
religieux que ce peuple de l’Atlantique nord, longtemps fidèle au
souvenir de ceux des leurs qui avaient fui la dictature des premiers
monarques norvégiens.
Sur
cette Islande – que l’on peut sans démesure nommer Île sacrée du Nord –
va surgir, comme floraison a la fonte des neiges, une prodigieuse
littérature héroïque et mystique, dont la puissance, l’originalité et la
grandeur séduisent tous ceux qui la découvrent. Les récits, plus ou
moins contemporains de l’âge viking, que l’on nomme sagas et ou
s’entremêlent les travaux champêtres, les batailles sanglantes et les
navigations hasardeuses, sont désormais de mieux en mieux connus hors du
monde scandinave. Il s’en dégage un certain nombre de figures héroïques
devenues aujourd’hui assez familières à défaut d’être encore
exemplaires.
Le
monde des dieux est moins connu que celui des héros. Il apparaît plus
abrupt et les textes qui l’évoquent se dressent comme de hautes falaises
au-dessus de rivages désolés. Il est difficile d’y aborder et bien
davantage encore de les gravir. Ces textes sont essentiellement
constitués par les Eddas et
par un ensemble de poèmes, dont on peut supposer qu’ils ne représentent
que les fragments d'une immense littérature engloutie, un peu comme le
sommet de ces icebergs qui émergent de l’océan et dont les trois quarts
disparaissent sous les flots glacés.
On a coutume, en l’opposant aux sagas, de parler de l’Edda. En réalité ce mot désigne deux réalités assez différentes. D’une part, l’Edda de Snorri Sturluson, rédigée vers 1230, et qui comprend entre autres, sous le nom de Gylfaginning,
ce que Régis Boyer nomme très justement «un véritable manuel
d’initiation à la mythologie nordique destiné aux jeunes poètes». Quant à
l’Edda anonyme, dite aussi Edda poétique ou Edda ancienne,
elle restitue une très ancienne tradition orale qui fut, elle aussi,
recueillie au début du XIIIème siècle, mais contient de très nombreux
passages archaïques, assez bien préservés de toute influence chrétienne.
Il faut rappeler quand même, pour dater toute cette aventure
spirituelle, que l’Islande s’est convertie à la religion du Christ lors de l’Althing de
l’an Mil, non par une décision autoritaire d’un souverain mais par un
vote, dont le résultat dégagea une majorité longtemps tolérante pour la
minorité restée fidèle aux anciens dieux païens.
Des deux Eddas,
il n’existe pas de traduction intégrale en langue française. De même,
un grand nombre de poèmes d’inspiration mythologique nous sont encore
inconnus. Il convenait donc d’en réaliser une sorte de synthèse et
surtout de la rendre accessible à un très large public. Malgré
l’habileté technique des versificateurs, malgré les interdits des
missionnaires, malgré l’enchevêtrement parfois inextricable des personnages, des symboles et
des péripéties, cette mythologie scandinave primitive a été populaire.
Elle a inspiré d’innombrables récits de veillée, elle a longtemps attisé
les rires et les craintes, les peines et les joies, les rites et les
peurs d’hommes simples. Paysans et marins, ils vivaient tous dans
l’intimité de ces dieux d’Asgard. Guerriers, ils croyaient mériter un
jour le palais étincelant du Valhalla. Ces récits formaient la trame
même de leur vie et les aidaient à accueillir sans crainte la mort.
Aujourd’hui, ces dieux maudits ne doivent pas nous apparaître comme des
dieux étrangers, ni surtout comme des dieux mystérieux et inaccessibles.
Ce livre a pour première ambition de «populariser» leurs aventures…
Ces
récits vont apparaître, à l’image même de la vie, fort divers. On y
passe tour à tour du merveilleux au grotesque, de l’épouvante à la
farce, de la tragédie la plus grave à la comédie la plus folle : cela ne
va pas sans horreur ni sans trivialité. Les dieux naviguent allégrement
du champ de bataille à la salle de banquet. Ils ripaillent et
s’insultent. Nous voici en pleine truculence. Loki lance son fait à
chacun. Il traite Freya de putain et Thor de cocu. Odin lui-même n’est
pas épargné et devient une ganache de la pire espèce. On peut trouver
choquant ce mélange. Mais c’est celui de toute une vieille tradition
européenne, telle qu’elle va se perpétuer pendant tout le Moyen Age et éclater dans l’œuvre écrite d’un Rabelais ou dans l’œuvre peinte d’un Breughel.
Une
des grandes leçons de cette mythologie, par ailleurs si incohérente,
est peut-être le refus de briser l’unité profonde de la vie. Il apparaît
tout aussi naturel, pour les vieux Nordiques, d’assumer son destin en
se faisant tuer joyeusement que de ripailler entre deux combats. Il est
aussi noble pour eux de brandir une épée que de vider une corne à boire.
Ce qui est ignoble, c’est la lâcheté, le mensonge et le parjure.
L’unité
de ces récits vient du fait que l’on y retrouve les mêmes personnages –
mais dans des situations souvent fort diverses. Elle vient aussi du
cadre immuable : les neufs mondes et surtout Asaheim et Jotunheim,
car les géants servent de perpétuels «faire-valoir» aux dieux. Les
hommes sont presque toujours absents de ces aventures, encore plus
effacés que les nains besogneux et les elfes évanescents.
Mais ces dieux
sont humains, trop humains parfois.
* * *
Jean Mabire
Source : Revue Eléments N°27 – Hiver 1978.
Wotan by Andre Kosslick
(fierteseuropeennes.hautetfort.com)
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