Extrait
Heinz HEGER
(1917-1994)
Les Hommes au Triangle rose
On
arriva au mois d'avril et j'étais encore vivant malgré le travail de la
mine.
Mon corps s'était pas mal affaibli mais mon jugement était resté
relativement clair et rapide, ce qui était absolument nécessaire si l'on
voulait rester en vie dans les camps et survivre aux exactions des SS.
Photo extraite du film "un amour à taire"
Un
matin, à l'appel, je fus affecté à un autre commando.
Il s'agissait de
construire un nouvel emplacement de tir pour les troupes des SS du camp.
Dieu soit loué ! J'étais heureux de quitter la carrière de la mort !
C'en était terminé des coups de gourdin des kapos, de l'affreux
spectacles des membres écrasés des camarades épuisés !
Enfin un autre
travail !
Ma
joie fut de courte durée, je n'aurais pas pu imaginer ce qui
m'attendait. Ce nouveau commando, lui aussi, n'était composé que
d'homosexuels. Il y avait bien quelques Juifs mais ceux-ci ne revenaient
jamais vivants le soir.
Dans ce commando aussi, la vie des déportés ne
comptait pas, qu'ils soient Juifs ou homo. Nous avions des brouettes et
nous devions transporter de la terre pour faire une butte, destinée à
retenir les balles derrière les cibles du stand de tir.
Au début,
c'était assez calme : nous transportions la terre et lentement la butte
prenait forme. Cependant, après quelques jours, des groupes de SS
vinrent pour s'entraîner au stand de tir pendant que nous étions au
travail. Naturellement, nous ne voulions plus continuer pendant les
exercices. Mais les kapos nous y contraignirent en nous menaçant de
leurs gourdins ou de leurs fouets.
Les
balles sifflaient dans nos rangées. Beaucoup de nos camarades
tombaient, certains blessés mais d'autres mortellement atteints. Et
bientôt nous nous aperçûmes que les SS, au lieu de tirer sur les cibles,
préféraient nous viser, nous, les déportés : ils faisaient la chasse
aux conducteurs de brouette.
Chaque jour, il y avait donc des morts et
des blessés dans notre commando. Et chaque matin, nous partions au
travail remplis d'effroi sachant pertinemment qu'un certain nombre
d'entre nous ne reviendraient pas vivants le soir. Nous étions devenus
le gibier des SS : ceux-ci se rejouissaient à grands cris lorsque l'un
d'entre nous roulait à terre (...)
L'objectif
du régime nazi, en ce qui concerne les homosexuels, était
l'extermination : il fallait faire place nette, débarrasser le peuple
allemand des dépravés. Ce plan était consciencieusement exécuté par les
SS, qui y trouvaient un plaisir sadique. Mais les théoriciens nazis
avaient prévu de nous faire passer par l'expérience de la cruauté et de
la brutalité, ils avaient prévu ces rations qui faisaient de nous des
affamés perpétuels, le travail exténuant, la torture : nous devions
souffrir pour notre mort.
Photo extraite du film "un amour à taire"
Nous servions de distractions aux SS. Quelles exclamations de joie quand, au tir, ils avaient pu abattre l'un d'entre nous.
Pendant
deux jours, je passai miraculeusement entre les balles. Puis le
troisième, un kapo, un Vert, me fit l'offre de m'affecter au remplissage
des brouettes et non plus au transport de celles-ci, à condition que je
devienne son ami. Je ne serais alors plus exposé aux balles des SS.
Après
quelques hésitations, j'arrivai à me convaincre que ma volonté de vivre
était la plus forte que toute idée de décence ou de fermeté de
caractère. Me condamne qui le peut. Le spectacle de mes camarades
abattus ou gravement blessés m'était toujours aussi intolérable. De
plus, j'étais effrayé, j'éprouvais sur cette butte une peur panique.
Pourquoi n'aurais-je pas saisi cette chance qui, sans doute, était une
dégradation mais me rendait l'espoir ?
Photo extraite du film "un amour à taire"
Le
15 mai 1940, un convoi tout à fait inattendu fut constitué lors de
l'appel du matin. Je fus appelé pour en faire partie. Quelques heures
plus tard, nous devions monter dans les camions et quitter le camp.
D'une certaine façon, je regrettais de partir car, par cette amitié
sexuelle avec mon kapo, mes conditions de vie dans le camp s'étaient
nettement améliorées.
Je recevais de la nourriture en supplément et mon
travail était facile et sans danger. Je pris congé de mon kapo. Ce fut
bref et sans douleur. Nous nous serrâmes la main. Il me dit "je te
regretterai". Je le remerciai. Une amitié où chacun trouvait son intérêt
se dénouait.
Bent, film tiré du récit
Avec
un sentiment d'angoisse, je montai dans le camion, ne sachant pas ce
que m'apporterait le futur. Pourtant, instruit de l'expérience, j'étais
devenu habile, plkus conscient de ce qu'il fallait faire si je voulais
rester en vie. Et je n'étais animé que par une seule idée : je veux
vivre, survivre !
Les hommes au triangle rose [Poche]
Heinz Heger (Auteur),
Alain Chouchan (Traduction)
Poche: 179 pages
Editeur : H&O (19 octobre 2005)
Collection : Poche h&o
Langue : Français
ISBN-10: 2845471122
ISBN-13: 978-2845471122
Heinz Heger (Auteur),
Alain Chouchan (Traduction)
Poche: 179 pages
Editeur : H&O (19 octobre 2005)
Collection : Poche h&o
Langue : Français
ISBN-10: 2845471122
ISBN-13: 978-2845471122
05:00 Écrit par jj-tryskel
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