Anarchisme de droite
L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine
Sur Brassens, grand poète populaire, il manquait un livre qui lui fit les honneurs d'une célébration littéraire. Pol Vandromme s'en est chargé. Avec enthousiasme. Vandromme compare volontiers l'œuvre de Brassens à celle des poètes médiévaux. Pour lui, c'est le Moyen Âge qui était la citoyenneté de Brassens. Le Moyen Âge de Rutebeuf et de Villon. La poésie de Brassens naît en dehors des cénacles et des salons. Vandromme salue en Brassens un moyenâgeux qui refusait de flatter la modernité bourgeoise, les hypocrisies de l'ordre moral. C'est une fort belle leçon que nous donne là Pol Vandromme : c'est dans l'âme populaire que naît les grandes forces culturelles, c'est là qu'attendent les germes avant de fleurir superbement. Mais pourquoi diable cet écrivain, ce critique souvent si lucide, s'ingénie-t-il à confectionner des billets à propos de la politique dans des journaux et des hebdomadaires minables, reflets d'une pseudo-culture de pâtissiers et de marchands de bestiaux enrichis ?
À
l'origine d'un esprit de révolte qu'il analyse ici remarquablement,
François Richard évoque les baroques et les libertins du XVIe et du XVIIe siècles, diversement suspects aux pouvoirs en place et déjà “non conformes”. Il signale à juste titre la Satire Ménippée,
mais, très vite, en vient à son vrai sujet, qui tient à l'esprit et au
rôle de ceux qu'il range parmi les anarchistes de droite de la fin du
siècle dernier à nos jours.
« En fait, écrit-il, l'anarcho-droitisme se révolte contre la montée et la tentative d'incarnation des idéaux démocratiques, mais cette opposition n'englobe pas sa pensée dans son entier. Elle n'en est qu'un des aspects : sur cette humeur rétive, ce refus viscéral, croît et se développe une attitude philosophique globale qui, dans sa lucidité, sa violence et son appétit de liberté, a engendré l'un des flamboiements littéraires les plus contestés et les plus impressionnants de ce temps ».
Soutenu
par un excellent choix de citations, le livre s'articule en 6 chapîtres
de lecture aisée et captivante, qui vont du « refus de la démocratie » à
la « chasse à l'absolu ». Il est évident que la révolution de 89,
dont les masses se voient sommées, à leurs propres frais de
contribuables, de célébrer le bicentenaire, est ici une charnière, un
point de rupture fondamental. Parmi beaucoup d'autres, on peut retenir
cette appréciation de Léautaud :
« Au total, une bande de coquins et d'imbéciles sans en excepter un seul... Voilà pourtant ce qu'on glorifie, voilà les créateurs de la France, de la France d'aujourd'hui, les précurseurs des bavards et des sots qui nous gouvernent... ».
Drumont
avait déjà parfaitement constaté que « la Société fonctionnant en mode
subversif, tout ce qui semblerait devoir protéger les honnêtes gens
concourait en réalité à assurer aux gros voleurs le succès d'abord,
l'impunité ensuite ». La caractéristique de tous ces hommes que leur
forte individualité sépare et rend parfois hostiles les uns aux autres,
c'est le refus des mots creux, des abstractions grotesques imposées
comme valeurs suprêmes du Progrès à majuscule et d'une république
considérée par Léon Bloy
comme « le droit divin de la médiocrité absolue ». C'est aussi, dans un
siècle où l'idéal se réduit de plus en plus à « la même chose pour tout
le monde », l'appel spontané à la contradiction et la volonté farouche
de rejeter les crédos de plus en plus suspects, les vulgates les plus
agressivement niaises d'une intelligentsia aussi sotte que perverse en
ses pesants rabâchages. On conçoit dans ces conditions le cri de Nimier
et de quelques autres, qui eurent 20 ans en 45 : « Plus l'Apocalypse
s'est rapprochée de l'Allemagne et plus elle est devenue ma patrie ».
On
conçoit aussi que, dans l'asphyxie du conformisme ambiant, étayé d'un
appareil judiciaire et policier parfaitement au point, appuyé à tous les
créneaux possibles par des aboyeurs médiatiques, des enseignants
abrutis et l'armée socialisante d'une pléthorique fonction publique où
nul ne semble avoir jamais vu l'ombre d'un prolétaire, le moindre propos
d'un Drumont, d'un Céline, d'un Rebatet, et, plus près de nous, d'un Nabe ou d'un Micberth,
soit aussitôt perçu comme une menace intolérable. À l'Est, il y a pour
ces criminels les fameux “asiles psychiatriques”. Dans nos démocraties
de progrès, de tolérance et de droits de l'homme, c'est tout simplement
l'assassinat par étouffement, piqûres d'épingle, inquisition fiscale,
persécutions administratives, incarcération sur motifs fabriqués, le
tout dans « ce grand silence de l'Abjection » si bien évoqué jadis par
Châteaubriand.
De
Gobineau à Micberth en passant par Drumont, Bloy, Darien, Léautaud,
Daudet, Céline, Rebatet, Marcel Aymé, Bernanos et bien d'autres,
François Richard éclaire à merveille le talent, la vigueur polémique et
la fécondité d'un courant
qui, en dépit de toutes les censures, de tous les éteignoirs, et de
l'immense peur des bien-pensants de tous bords, apparaît « comme l'une
des tendances politiques, morales et intellectuelles les plus
stimulantes de notre modernité ».
Où
l'auteur de cette excellente étude s'égare un peu, me semble-t-il,
c'est lorsqu'il cite Louis Pauwels en bonne place parmi ces
irréductibles briseurs de tabous dont il souligne pourtant bien, par
ailleurs, le caractère irrécupérable. Certes Pauwels est honni et
abreuvé d'injures par les tout puissants foutriquets de ce qu'il nomme
si justement la « gauche caviar », qui ne sauraient lui pardonner ses
ricanements à propos du « sida mental » dont il les voit atteints. Mais
Pauwels est une institution qui se recommande, tout comme ses
adversaires et détracteurs, de la démocratie, de la République, et de
l'épilepsie moralisante de nos cardinaux judéo-chrétiens. Je distingue
mal le rapport avec Barbey d'Aurevilly,
Léon Bloy, Darien, Rebatet, Micberth, etc. Je regrette, en revanche,
que François Richard ait omis de citer Brigneau, Gripari, Marc-Edouard
Nabe, Willy de Spens,
d'autres peut-être, qui appartiennent, sans conteste, par l'éclat, le
talent et le caractère, à cette flamboyante aristocratie de réprouvés
qu'il s'est attaché à dépeindre. Mais ne boudons pas notre satisfaction
dès lors qu'il s'agit là du premier ouvrage sérieux sur un sujet
pratiquement tabou jusqu'à ce jour.
♦ François RICHARD, L'anarchisme de droite dans la littérature contemporaine, PUF, coll. “Littératures modernes”, 1988, 244 p.
► Jacques d'Arribehaude, Vouloir n°48/49, 1988.
pièces-jointes :
J. d'Arribehaude : « Une appellation [pour ce qui] échappe à toute classification sommaire »
•
Q.: Vous n'êtes tout de même pas de droite ? Je vous demande cela car
j'ai lu quelques phrases ambiguës sur les empires centraux et la
monarchie. À nouveau, rassurez-nous !
On
classe volontiers parmi les “anarchistes de droite” tous ceux qui
n’adhèrent pas au conformisme de la pensée unique et de l'idéologie
dominante qui s'affiche aussi bien à gauche que dans la droite honteuse
depuis le triomphe des “Lumières”. C'est ainsi que je figure dans
l'essai de François Richard, paru il y a quelques années dans la
collection “Que sais-je ?”. Je ne récuse nullement cette appellation,
mais qui se soucie aujourd'hui de savoir si Dante, Shakespeare ou
Cervantès, ont pu être de droite ou de gauche ? Sans la moindre
prétention, je me contente de croire que celui qui tente de témoigner
pour son temps dans l'isolement d'une création artistique échappe à
toute classification sommaire.
Je
constate en tout cas que nombre d'écrivains des années 30 parmi les
meilleurs, Chardonne, Montherlant, Drieu, Morand, Jouhandeau et quelques
autres, sans parler bien entendu de Céline, arbitrairement classés à
droite, et qui ont payé pour cela, n'en faisaient pas moins les délices
de Mitterrand, qui avait le bon goût de ne pas cacher sa paradoxale
prédilection. Mitterrand, icône de la gauche officielle, était au fond
tranquillement fidèle à sa jeunesse monarchiste, et mérite considération
et sympathie pour tout ce que nos médias lui ont haineusement reproché à
la fin de sa vie (ferme refus de “repentance”, émouvante et brillante
improvisation, au Parlement de Berlin, sur le “courage des vaincus”,
etc.).
Les premiers mots dont je me souviens ont été ceux d'une berceuse basque toujours populaire en faveur de don Carlos, “el Rey neto”,
soutenu par la tradition navarraise contre la farce constitutionnelle
de l'oligarchie prétendument progressiste attachée au règne factice
d'Isabel. Curieusement, Marx a exprimé son estime et sa préférence pour
l'insurrection carliste, dont les fueros populaires, nobles et
paysans étroitement mêlés et solidaires, offraient l'image d'une
démocratie autrement juste et authentique que le simulacre bourgeois
hérité de nos mystifications révolutionnaires. C'est à cette image, bien
évidemment de droite pour nos éminents penseurs professionnels, que je
me suis toujours voulu fidèle.
► Extrait d'un entretien avec Jacques d'Arribehaude, 2000.
Les anarchistes de droite contre l'esprit bourgeois
Entretien avec François Richard, docteur ès lettres modernes, a publié Les Anarchistes de Droite (PUF/Que sais-je), L'Anarchisme de droite dans la littérature contemporaine (PUF).
♦
Vos travaux sont consacrés à l’anarchisme de droite. Sous cette
appellation, vous classez des auteurs aussi différents que Gobineau,
Drumont, Darien, Bloy, Bernanos, Laurent, Nimier, Pauwels et bien
d’autres. Quels critères permettent de les rassembler sous cette
étiquette ?
Il
est vrai que les personnalités en question sont fort différentes à la
fois par leur caractère et la nature de leur talent. D’autre part, les
hommes que vous citez (ainsi que Barbey d’Aurevilly, Daudet, Léautaud,
Rebatet, Anouilh, Aymé, Vandromme, Perret), ont tous été saisis, à un
moment ou à un autre de leur vie, par l’esprit polémique. Esprits
libres, il serait parfaitement illusoire de les considérer comme les
défenseurs interchangeables d’une même cause. Ils exprimaient une
révolte individuelle au nom de principes aristocratiques allant jusqu’au
refus de toute autorité instituée. Cette attitude n’est pas seulement
constituée d’éléments liés à l’histoire et au contexte politique — refus
de la démocratie et de toutes les utopies béquillardes qui
l’accompagnent : progressisme, égalitarisme, collectivisme... — mais
plonge ses racines dans un passé culturel lointain, dans le mouvement
baroque et dans la philosophie libertine et tend constamment vers une
synthèse entre les aspirations libertaires de l’homme (anarchisme) et
son esprit de rigueur (celui d’une droite aristocratique). L’anarchisme
de droite nous apparaît aujourd’hui comme la perspective d’une harmonie
possible entre le culte de l’exigence et celui de la liberté.
♦ L’aversion de la bourgeoisie peut-elle englober toutes les attitudes des anarchistes de droite ?
Je
pense qu’effectivement l’aversion de la bourgeoisie peut être
considérée comme un englobant critique, négatif, des attitudes
anarcho-droitistes. Cependant, cette analyse, malgré sa pertinence et en
raison de l’accent qu’elle met sur l’aspect réactif de l’anarchisme de
droite, me paraît aussi réductrice. En effet, cette hostilité à l’égard
de la bourgeoisie, qui est ici plus intellectuelle et morale que
passionnelle, est constamment présente dans le refus de la démocratie et
l’esprit de révolte, mais ne figure que partiellement - et
indirectement - dans la haine des intellectuels et elle n’existe, à mon
sens, qu’en ombre portée, dans l’aristocratisme et la chasse à l’absolu
qui caractérisent eux aussi l’esprit de l’anarchisme de droite.
Ce
n’est pas pour le simple plaisir du morceau de bravoure qu’un Bloy, un
Darien, un Drumont, exécutent (littéralement) le bourgeois. Celui-ci
« singe l’aristocratie tant décriée » (Micberth) et occupe de plus en
plus le terrain. Il a engendré une société réifiée dont les maîtres et
les sous-maîtres traquent avec gourmandise et férocité l’intelligence,
l’imagination créatrice et la singularité, en bref tous ceux qu’ils ne
parviennent pas à réellement contrôler et qui se refusent à apporter
leur eau au moulin de l’efficacité.
♦
Peut-on dire des anarchistes de droite qu’ils s’attaquent plus à
l’esprit bourgeois qu’à la classe bourgeoise, à l’aliénation spirituelle
plus qu’à la domination formelle ?
Les anarchistes de droite n’ont pas de mots trop durs pour l’esprit bourgeois
mais ils n’ont garde d’oublier les responsabilités historiques de la
classe bourgeoise dans les orientations politiques et socio-économiques
de la France : son rôle cynique et brutal en 89, lorsqu’elle régla ses
comptes avec la noblesse sur le dos du peuple : la rudesse, l’avidité et
le goût exacerbé du pouvoir des chefs des grandes dynasties du
commerce, de l’industrie et de la finance ; la manière dont ils se sont
accommodés des grands charniers du siècle en les alimentant
matériellement ; la planétarisation de leurs ambitions, servis par une
volonté d’aboutir toujours aussi implacable, l’habillage idéologique
chatoyant pour masquer ces réalités éprouvantes (démocratie, droits de
l’homme, etc.) et l’utilisation de différentes stratégies pour
intensifier le matérialisme toujours grandissant du monde...
Cet
aventurisme économique semble bien loin de ce que l’on nomme
communément l’esprit bourgeois, ce mélange de conservatisme frileux, de
morale pudibonde, d’hypocrisie dans le jeu social, de conformisme dans
les pensées et dans les actes qui a longtemps caractérisé “la bonne
société” et qui glisse depuis 2 décennies vers un appétit de
jouissances, de confort et de loisirs de plus en plus prononcé, nuancé
d’un certain formalisme pour que la décence ne perde pas tout à fait ses
droits.
Mais
en réalité, de même que l'esprit bourgeois, méfiant, pudibond et
sourcilleux — du moins en apparence — a maintenu une certaine cohésion
sociale pendant 3/4 de siècle, après l’avènement de la IIIe
République, de même que les idéaux démocratiques de “progrès” culturel,
notre politique et économique ont permis la colonisation — par ex. —
c’est-à-dire l’enrichissement en matières premières et l’ouverture de
nouveaux marchés, puis de néo-colonialisme, c’est-à-dire le même type de
profits juteux, mais dans le contexte (bien diffèrent, naturellement)
de rapports d’État à État, de même le nouvel esprit bourgeois qui a
gagné toutes les couches de la population et qui incite exclusivement au
« bien-vivre et au bien jouir » (Micberth) est le contrepoint
socio-culturel d’une stratégie économico-financière d’une ampleur jamais
connue à ce jour.
• Trouve-t-on aujourd’hui, à l’heure de l’embourgeoisement de masse, des résistances inspirées d’anarchistes de droite ?
Il
faut distinguer ce qui est du ressort des approximations verbales ou
gestuelles, ce qui appartient à la provocation littéraire ou médiatique
et la réalité des faits. Il semble qu’il y ait aujourd’hui des
frémissements anarcho-droitistes dans l’air : tel saltimbanque [Philippe Léotard],
frère d’un ancien ministre, se proclame “anarchiste de droite” ; tel
chroniqueur acide d’une chaîne de télévision reçoit la même
dénomination ; les auteurs de cette farce animalière intitulée Le Bébête Show sont présentés par Jacques Lanzmann comme des anarchistes de droite ; un intellectuel commet un ouvrage sur L’Anarchisme de droite dans la littérature et le cinéma, “de Céline à Clint Eastwood” (tout un programme), etc. Tout cela, à mon sens, relève de l’anecdote, du parisianisme.
Un
anarchiste de droite digne de ce nom ne se contente pas d’émettre des
borborygmes satiriques à la radio ou la télévision, d’écrire un article
ou un livre incendiaire : il vit ses principes. Il n’est pas le bouffon
du pouvoir, le provocateur maison, le sémillant putasson : il subit les
tracasseries des pouvoirs publics, il est traîné en justice, jeté en
prison, traqué dans sa vie privée, diffamé, occulté, paupérisé. Le seul
homme de cette trempe, à ma connaissance, qui défende depuis près de 30
ans les mêmes principes, c’est Michel-Georges Micberth.
► éléments n°72, 1991.
Les sensibilités politiques : l'anarchisme de droite
« C'est la gauche qui me rend de droite » (Michel Audiard)
[Le dialoguiste Michel Audiard, dans le film Un singe en hiver
(1962) de Henri Verneuil adapté du roman éponyme d'Antoine Blondin,
fait subtilement allusion à toute une génération qui se sent perdue
après 45 : « En Chine, quand les grands froids arrivent, dans toutes les
rues des villes, on trouve des tas de petits singes égarés sans père ni
mère. On sait pas s'il sont venus là par curiosité ou bien par peur de
l'hiver, mais comme tous les gens là-bas croient que même les singes ont
une âme, ils donnent tout ce qu'ils ont pour qu'on les ramène dans leur
forêt, pour qu'ils trouvent leurs habitudes, leurs amis. C'est pour ça
qu'on trouve des trains pleins de petits singes qui remontent vers la
jungle. »]
L'anarchisme
de droite n'est pas une école de pensée. C'est une famille politique
introuvable voire impossible qui n'inspire pas de thèses de doctorat.
Les personnalités qualifiées d'“anars de droite” n'en ont jamais
revendiqué l'étiquette ou alors de guerre lasse, à l'instar d'un Vincent
Delerm qui, à force d'être assimilé à un prototype de bobo, a fini par
en assumer l'image. Ceux que je dois évoquer ne pourront d'ailleurs pas
s'en défendre car ils sont pour la plupart terriblement morts quoique
heureusement terriblement cultes. Le seul livre qui effleure l'essence
de la geste anarchiste de droite est celui de l'historien Pascal Ory,
paru en 1985 chez Grasset : L'anarchisme de droite ou du mépris considéré comme une morale.
Il
a le mérite d'annoncer la couleur en le dédiant aux... anarchistes de
gauche. La quatrième de couverture résume bien l'attaque que cet
intellectuel de gauche constipé (cette magnifique expression est de lui)
va livrer contre des auteurs et des films qui, malheureusement pour sa
démonstration, sont depuis entrés dans le top ten des préférés des Français : Louis-Ferdinand Céline, Michel Audiard et Les Tontons flingueurs :
« Ceci est un livre déplaisant. D'abord, il est rempli de gros mots, tels que fric, cons, gonzesses et, pour finir, social-démocratie. Ensuite, il prend au sérieux les Pieds nickelés, Céline, Michel Audiard et Samuel Fuller. Enfin, et c'est le plus grave, il conclut à la ringardise de l'anarchisme de droite, cette rêverie d'une féodalité perdue en plein âge démocratique, cette idéologie de garde-chasse ».
Je
vais m'appuyer sur les questions qu'il se pose au fil des chapitres
mais en inversant sa (talentueuse) démonstration pour rendre attrayant
(ou pas) ce qu'il perçoit en négatif. Les citations sans référence sont
extraites du livre. J'y ajoute mes propres réflexions, en ayant-droit,
mais en toute modestie puisque si j'étais génial, je ne serais pas un
blogueur mais un auteur...
L'anarchiste
de droite, c'est quelqu'un à qui on ne la fait pas. La façade ne
l'impressionne pas car il connaît les coulisses. Anarchiste, il se défie
du pouvoir en tant que tel. Comme l'écrit Jacques Laurent « le pouvoir
est méprisable, non parce qu'il est bas en lui-même mais parce qu'il est
bas de le vénérer » ; de droite, il sait la gauche toujours plus
dangereuse car elle croit en ses croyances, notamment en sa supériorité
morale (complexe de Tartuffe), et refuse que l'enfer soit pavé de bonnes
intentions.
Anarchiste ?
Le seul qui selon moi puisse se prévaloir d'avoir vécu en anarchiste pur est Georges Brassens.
Léo Ferré est trop militant (= chiant). Ou alors, il faudrait
distinguer le concept d'anarchiste de celui d'anarque, ce qui devient
trop spéculatif sur le plan intellectuel pour un anar de droite, lui qui
est avant tout quelqu'un qui pense que ce qui se conçoit bien s'énonce
clairement. Deux chansons au moins ont empêché la gauche de récupérer
Brassens comme elle l'aurait voulu : Les Deux Oncles (1964) qui renvoie dos à dos résistants et collaborateurs dans une sorte d'éloge de l'attentisme :
C'était l'oncle Martin, c'était l'oncle Gaston
L'un aimait les Tommies, l'autre aimait les Teutons
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts
Moi, qui n'aimais personne, eh bien ! je vis encore
et Mourir pour des idées (1972, en plein contexte post-soixante-huitard) :
Mourir pour des idées, l'idée est excellente
Moi j'ai failli mourir de ne l'avoir pas eue
Car tous ceux qui l'avaient, multitude accablante,
En hurlant à la mort me sont tombés dessus
ou encore cet inédit chanté par Maxime le Forestier :
J'ai conspué Franco la fleur à la guitare
Durant pas mal d'années ; (2x)
Faut dire qu'entre nous deux, simple petit détail
Y avait les Pyrénées ! (2x)S'engager par le mot, trois couplets un refrain,
Par le biais du micro, (2x)
Ça s'fait sur une jambe et ça n'engage à rien,
Et peut rapporter gros. (2)
De droite ?
L'anar
de droite déteste tout ce qui finit en “isme”, à part peut-être
l'individualisme. Sur le plan idéologique, « tout le travail historique
de l'anarchisme de droite a [...] quelque chose d'une contre-offensive
verbale, destinée à montrer que l'histoire démocratique française n'est
plus qu'un enchaînement de crimes et de crapuleries. Le régime moderne
ouvert par la révolution de 1789 est le triomphe du cuistre, de
l'hypocrite et du nouveau riche, tendanciellement réunis en une seule
personne ». Le film Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré est l'actualisation de cette analyse d'aristocrate tombé de cheval que résume Jean Anouilh dans Pauvre Bitos (1958) :
« On n'a jamais fait tant fortune que du jour où on s'est mis à s'occuper du peuple » (Jacouille devenu Jacquard reste avant tout un veule). Parmi les grotesques et les malfaisants, « les deux figures typiques des obsessions anarchistes de droite sont le snob de gauche [on dirait aujourd'hui gauche caviar ou bobo] et le robespierre [...] Le snob de gauche cumulait sur ses épaules la haine vouée au gros et la répulsion à l'égard du démocrate ; le robespierre, lui, est plutôt un pauvre vertueux (pauvre con) doublé d'un intellectuel (sale con) ».
Le
plus saisissant dans ce dégoût des valeurs officielles est sans doute
dans le rejet du résistancialisme et de la libération assortie d'une
épuration. Alors en prison, Arletty répondait à quelqu'un qui lui
demandait comment elle se sentait : « pas très résistante ». Marcel
Aymé, « ce grand méchant doux », dresse dans Uranus (1948) un tableau sans concession de l'hypocrisie morale de cette période.
Dans un article paru le 21 juillet 1984 dans Le Figaro magazine, intitulé « J'ai la mémoire en horreur... », Michel Audiard raconte le temps des femmes tondues :
« Mais revenons z'au jour de gloire ! Je conserve un souvenir assez particulier de la libération de mon quartier, souvenir lié à une image enténébrante : celle d'une fillette martyrisée le jour même de l'entrée de l'armée Patton dans Paris [...] Édentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, la fillette avait été abandonnée en travers d'un tas de cailloux au carrefour du boulevard Edgar-Quinet et de la rue de la Gaîté, tout près d'où j'habitais alors. Il n'y avait plus personne autour d'elle, comme sur les places de village quand le cirque est parti.Ce n'est que plus tard que nous avons appris, par les commerçants du coin, comment s'était passée la fiesta : un escadron de farouches résistants, frais du jour, à la coque, descendu des maquis de Barbès, avait surpris un feldwebel caché chez la jeune personne. Ils avaient — naturlich ! — flingué le Chleu. Rien à redire. Après quoi, ils avaient férocement tatané la gamine avant de la tirer par les cheveux jusqu'à la petite place où ils l'avaient attachée au tronc d'un acacia. C'est là qu'ils l'avait tuée. Oh ! pas méchant. Plutôt, voyez-vous à la rigolade, comme on dégringole des boîtes de conserve à la foire, à ceci près: au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés », (Audiard par Audiard, éd. René Chateau, 1995).
L'inversion
systématique de la mythologie dominante serait donc la principale
caractéristique de ce cynique qu'est l'anar de droite (« tous les
animaux sont égaux mais certains le sont plus que d'autres »). Ceux que
Bernard Franck a appelés, dans un éclair de génie, les Hussards,
derrière l'apparente désinvolture qu'ils opposent à l'engagement
sartrien et à la littérature de laboratoire façon Nouveau roman
(Houellebecq dit qu'un Robbe-Grillet c'est « franchement de la merde »),
seraient en réalité des compagnons de route de l'extrême-droite et de
toutes les idées ayant fait faillite, de la monarchie à l'Algérie
française en passant par Vichy. Nimier, dans Le Hussard bleu (1950), choisit comme héros un milicien, Blondin dans Ma vie entre des lignes (1982) ou Jacques Laurent dans Histoire égoïste (1976) évoquent leurs sympathies de jeunesse pour l'Action française et le souvenir de Robert Brasillach. Passés de Je suis partout à Rivarol, loin d'être apolitiques, ils seraient au contraire d'une droite bien dure. Dont acte.
Dans
un autre genre de littérature, le seul auteur de romans noirs
franchement “de droite” (avec Albert Simonin ou Jean Laborde alias Ralf
Vallet, auteur d’Adieu Poulet !), ADG, était d'ailleurs un chroniqueur de l'hebdomadaire Minute.
À la différence de ses voisins de gauche comme Didier Daeninckx,
Jean-Patrick Manchette ou Jean-Claude Izzo dont les salopards sont des
salauds de droites, les pourritures de Pour Venger Pépère sont des beatniks.
Tout seul ?
« C'est un garçon sans importance collective, c'est tout juste un individu » écrit Céline dans L'Église et réitère 12 ans plus tard dans l’incipit de Mort à Crédit
: « Nous voici encore seuls ». « Plus qu'une solitude subie, le
comportement de l'anarchiste de droite impose l'idée d'une solitude
choisie. C'est moins un homme seul qu'un solitaire ». Il n'est d'aucune
tribu ni d'aucune communauté. Il n'attend rien des institutions. Jean
Anouilh dans Les Poisson rouges explose :
« Est-ce qu'on ne peut pas lui foutre la paix, à l'homme et le laisser se débrouiller tout seul ? Il en crève, d'assurances sociales, votre homme. Il n'ose même plus faire un pet s'il n'est pas certain qu'il sera remboursé ! Il s'étiole à force d'être assuré de tout et perd sa vraie force — qui était immense ! C'était un des animaux les plus redoutables de la création. »
C'est
dans le film policier à la française des années 70 que s'épanouit le
plus cette figure du grand fauve trahi puis traqué par la société
anonyme des imbéciles et des salauds. La scène d'entrée la plus
familière serait une sortie de prison et le visage d'Alain Delon nous
faisant comprendre que la vraie souricière est de ce côté-ci des murs.
Les films de Jean-Pierre Melville (Le Samouraï, Le Cercle rouge), de José Giovanni (Dernier domicile connu)
et bien sûr de Georges Lautner sur des dialogues de Michel Audiard en
constituent l'archétype. Le message du film est clair : les pourris sont
solidaires pour vous abattre et les autres sont des complices passifs.
Pascal Ory accorde d'ailleurs une place de choix à un film qu'il
considère comme l'idéal-type du nanar de droite, Mort d'un pourri (1977).
Tous des cons ?
C'est l'une des répliques les plus célèbres du cinéma français, extraite des Tontons flingueurs
: « Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît ». Gabin
disait quant à lui : « Moi, je divise l'humanité entre les cons et les
pas cons. Tout le reste, c'est de la littérature ». « Les différentes
qualités de cons se reconnaissent aux proportions variables des trois
composantes caractéristiques : la médiocrité, la couardise et la
malveillance ».
Dans le genre métamorphose des cloportes, la scène la plus typique est sans doute dans La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara. Gabin y insulte 2 bistrots quinquagénaires qui exploitent une jeune fille juive dans le Paris occupé :
« Cinquante ans chacun. Cinquante ans de connerie [...] Qu'est-ce que vous faites sur Terre tous les deux ? Vous n'avez pas honte d'exister ? [il jouit de leur silence estomaqué et conclut par un légendaire] Salauds de pauvres ! »
Céline
n'a pas plus de considération pour les prolétaires, « ce sont des
bourgeois qui ont échoué ». Quant à Frédéric Dard, il laisse au moins
San Antonio donner un coup de chapeau aux idéalistes dans Les clés du pouvoir sont dans la boîte à gants :
« La grandeur de la gauche, c'est de vouloir sauver les médiocres ; sa
faiblesse, c'est qu'il y en a trop ! » mais écrit aussi que « le pauvre
con subit et admire le sale con. C'est lui le peuple ! »
Tous pourris ?
Dans Le Cercle rouge
de Melville (1970), l'inspecteur général des services énonce cette
pourriture intrinsèque : « Les hommes sont coupables. Ils viennent au
monde innocents, mais ça ne dure pas [...] Ne l'oubliez jamais : tous
coupables ». Le film démontre ce postulat et conclut à l'adresse du
commissaire joué par Bourvil, désormais convaincu, « Tous les hommes,
monsieur Mattei ». La pire engeance de pourri reste le politicien. Son
astuce (dont l'unique but est le fric) utilise comme tremplin la bêtise
des foules. Le pire du pire est l'énarque, synthèse du premier de la
classe (quand l'anar de droite a osé provoquer sa famille par une
indécrottable nullité scolaire) et du politicien. Bref, l'abomination.
« La corruption me dégoûte, mais la vertu me donne le frisson » explique
Xav (Delon) dans Mort d'un pourri.
Un homme, un vrai ?
Dans les œuvres anarchistes de droite, les femmes n'existent que par rapport au mec. Un héros de José Giovanni, dans Les Aventuriers (1974),
croise un couple ; la femme est plus petite que l'homme. Commentaire : «
les proportions étaient bonnes ». Les femmes ne semblent y comprendre
que la manière forte (« touche pas au grisbi salope ! »). Dans Les Valseuses de
Bertrand Blier, la libération sexuelle est une sorte de reprise
individuelle en matière de sexe. Dewaere et Depardieu ne respectent pas
plus la femme que la famille, la police ou la SNCF. C'est un tout.
Le culte de l'amitié virile avec son code de l'honneur et souvent l'alcool comme médiateur (Un Singe en hiver ou la scène la plus mythique des Tontons flingueurs)
est une valeur et un art de vivre. Le rapport qui s'établit est souvent
un type de rapport père-fils. Le couple vieux-jeune truand ou
vieux-jeune flic est une figure récurrente (Gabin-Belmondo,
Ventura-Belmondo, Montand-Depardieu, Ventura-Dewaere...).
Comment reconnaître un anarchiste de droite ?
Il a lu les Pieds Nickelés à 10 ans, Arsène Lupin
à 13 et Céline à 17. Pascal Ory conclut qu'ils sont bien agréables à
lire et fort insupportables à vivre et avoue qu'il aime aussi ricaner
avec Jean Yanne et vomir avec Céline. Je dirais quant à moi que cette
sensibilité politique (?) représente le non-conformisme dont la liberté
critique a besoin et le talent dont les émotions se nourrissent pour
mieux nous soulager. Avec eux, on ne perd pas son temps.
► Blog Slainte Mhath.
Sur Brassens, grand poète populaire, il manquait un livre qui lui fit les honneurs d'une célébration littéraire. Pol Vandromme s'en est chargé. Avec enthousiasme. Vandromme compare volontiers l'œuvre de Brassens à celle des poètes médiévaux. Pour lui, c'est le Moyen Âge qui était la citoyenneté de Brassens. Le Moyen Âge de Rutebeuf et de Villon. La poésie de Brassens naît en dehors des cénacles et des salons. Vandromme salue en Brassens un moyenâgeux qui refusait de flatter la modernité bourgeoise, les hypocrisies de l'ordre moral. C'est une fort belle leçon que nous donne là Pol Vandromme : c'est dans l'âme populaire que naît les grandes forces culturelles, c'est là qu'attendent les germes avant de fleurir superbement. Mais pourquoi diable cet écrivain, ce critique souvent si lucide, s'ingénie-t-il à confectionner des billets à propos de la politique dans des journaux et des hebdomadaires minables, reflets d'une pseudo-culture de pâtissiers et de marchands de bestiaux enrichis ?
♦ Pol VANDROMME, Brassens, le petit père, éd. Marc Laudelout, Bruxelles, 1983. [reprint La Table ronde, 1996]
► Vouloir n°2, 1984.
Où sont passés les anarchistes de droite ?
Ils
se méfiaient des slogans et des drapeaux. Ils se moquaient de tout et
surtout d'eux-mêmes. Qui, mieux qu'eux, aurait commenté la farce
élyséenne ? Avis de recherche : on demande la relève d'Audiard et de
Blondin. Il y a urgence : quand la droite est morose, la France
s'ennuie.
La
droite a-t-elle perdu le sens de l'humour ? Si elle sait encore être
déplaisante, si elle peut toujours être consternante, tout se passe
comme si elle avait renoncé à être drôle. Le MRP et l'UDR de jadis ne
ressemblaient certes pas à des laboratoires de farces et attrapes ; et
ni Georges Bidault ni Michel Debré ne faisaient figure de gais lurons.
Mais on trouvait encore, dans le métro, les bistrots, les journaux, des
gens qui n'étaient pas de gauche et savaient rester de bonne humeur. Ce
temps semble avoir pris fin, comme si la droite d'élégance et de
fantaisie, la droite anar d'Antoine Blondin s'était éteinte, victime des
profits en Bourse et des taxes sur les alcools.
On serait surpris aujourd'hui par la liberté de Michel Audiard, son théoricien définitif :
« Je suis toujours attiré par la déconnante, et la droite déconne. Les hurluberlus, les mabouls, on ne les trouve qu'à droite. La droite est branque, il ne faut jamais l'oublier. À gauche, c'est du sérieux. Ils pensent ce qu'ils disent et, c'est le moins qu'on puisse dire, ils ne sont pas très indulgents avec les idées des autres. Je n'ai jamais entendu Marcel Aymé porter des jugements sur le reste de l'humanité, ni demander des sanctions ou des châtiments ».
Tracer leur portrait-robot ? Mission impossible
Il
n'y a plus un Albert Simonin, un Pascal Jardin, un Jacques Perret, pour
réhabiliter la langue de La Bruyère dans les caboulots, parler du Bon
Dieu aux libres penseurs, juger du funeste présent à la lumière du bon
vieux temps. Geneviève Dormann, Jean Yanne et Claude Chabrol mènent
certes, chacun à sa manière, une résistance héroïque et désespérée. Mais
la relève se fait attendre. Les anarchistes de droite sont une espèce
en voie de disparition. Ils étaient pourtant les héritiers d'une
tradition qu'il ne faut pas hésiter à faire remonter jusqu'à Noé, parti
seul avec sa famille et quelques couples d'animaux sur une arche
mythique avec le projet de recommencer l'humanité lorsque viendraient
des jours meilleurs. Noé, qui se réservait un contact direct avec
l'Éternel, finit d'ailleurs ivre et nu dans sa vigne. Après lui, tous
les anarchistes de droite cultivèrent ce rêve d'une tribu capable de
faire bande à part sur les eaux du déluge, tous cherchèrent l'ivresse
pour tutoyer les anges.
L'anarchiste
de droite est d'autant plus difficile à reconnaître qu'il ne se définit
pas comme tel. Anarchiste ? Il se moque de tout, à commencer par
lui-même. De droite ? Rien ne l'agace autant que les snobs, les
bourgeois, les intellectuels de gauche. Non que leurs chimères soient
odieuses, mais elles sont fatigantes. « La grandeur de la gauche,
commente San Antonio, c'est de vouloir sauver les médiocres. Sa
faiblesse, c'est qu'il y en a trop ! » Il arrive parfois qu'on confonde
l'anarchiste de droite avec les anarchistes chrétiens — Bloy, Péguy, Bernanos — ou avec les misanthropes sublimes — Léautaud, Montherlant, Cioran. Son je-m'en-foutisme et son solide fond anarcho-communautaire dissipent aussitôt le malentendu.
Ne
l'appelez jamais anarchiste de droite, il se mettrait en colère.
Méfiant envers l'engagement, les slogans, les drapeaux, il aurait
l'impression de s'enrôler dans un parti. Malgré son goût avéré pour les
bouchons, l'argomuche et les copains, on n'arrivera jamais à en établir
un portrait-robot. De Barbey d'Aurevilly à Philippe Muray, d'Arletty à
Bernadette Lafont en passant par Léon Daudet, Dominique de Roux et Pierre Desproges,
l'anarchiste de droite est un songe, une légende, un mirage. Ce n'est
pas un hasard si on en a souvent identifié parmi les personnages de
fiction : l'illustre Gaudissart, le capitaine Fracasse, Arsène Lupin,
les Pieds nickelés, Fantômas, Achille Talon, l'inspecteur Harry. Ceux-là
n'ont pas à justifier leurs préférences auprès des agents de la
circulation idéologique. Les autres sont obligés de lever les yeux au
ciel à la manière de Lino Ventura dans Les Tontons flingueurs
pour n'avoir pas à répondre de leur nostalgie des grand-messes à fanfare
— « Sans le latin, sans le latin, la messe elle nous emmerde... »
(Brassens) —, de leur passion de l'histoire de France et de leur
prédilection pour les causes perdues. Car, on l'aura compris, ils
chérissent Waterloo pour le mot de Cambronne, Camerone pour son héroïsme
ensoleillé et Diên Bien Phu pour ses collines aux prénoms de
demoiselles.
Entre le couscous et McDo, leur choix est fait
Des
méfiants ont cru reconnaître des anarchistes de droite dans les parades
patriotiques organisées par les beaufs tricolores. Ils leur ont prêté
de vilaines pensées, les ont accusés d'être les agents doubles de
l'immonde. Pascal Ory s'employa même à le démontrer dans l'Anarchisme de droite ou du mépris considéré comme une morale,
le tout assorti de réflexions plus générales (Grasset, 1985), un essai
brillant et de mauvaise foi. N'en déplaise à cet éminent professeur, ni
Marcel Aymé ni le capitaine Haddock n'auraient pris leur carte au Front
national. L'anar de droite, qui, des versions latines, a surtout retenu
les leçons sur l'art militaire de César, aime trop la stratégie pour
risquer de se tromper d'ennemi. Il sait distinguer un couscous préparé
par un Kabyle, avec lequel il aime redéfinir la géopolitique
méditerranéenne sur un bout de nappe, des hamburgers servis par des
étudiants exploités par une firme américaine. Entre le boulaouane et le
Coca-Cola, son choix est fait. C'est quand même Marcel Aymé qui baptisa
un de ses personnages Abd el-Martin !
Ils réconcilient contre eux droite morale et gauche pragmatique
Inutile de fouiller dans les recoins sombres de notre histoire. L'anar de droite n'a rien à cacher. Avec Uranus,
un roman d'Aymé mettant au jour l'ambiguïté de la Libération, il
instruisit son procès Papon dès 1948. À l'époque, ça embarrassait encore
beaucoup de monde. Auparavant, Alphonse Boudard, José Giovanni, Jacques
Perret, René Fallet et Auguste Le Breton ne s'étaient pas privés de
profiter des « vacances de la vie » que leur offrait le maquis. Question
de style : le vert-de-gris leur déplaisait. « C'est incroyable qu'ils
aient pu gagner la guerre, chez nous, avec une couleur pareille,
s'étonnait Jacques Perret. Peut-être que chez eux la nature en a pris
l'habitude, mais, ici, partout ce vert postiche fait tache ». Un cœur
chouan brodé sur sa vareuse, un tromblon à l'épaule, Perret entra donc
en Résistance en sifflotant une chanson royaliste accompagné de
« quelque ombre choisie comme Pharamond, Charette, Louis le Gros ou
Gaston de Foix », comme il le raconte dans Bande à part. En exergue de son roman les Combattants du petit bonheur,
Alphonse Boudard a reproduit un mot de Giono qui résume l'état d'esprit
de ces drôles de maquisards : « Il y a six mois, je me serais fait tuer
pour mes idées; aujourd'hui, si je me fais tuer, ce sera pour mon
plaisir ».
Cette
philosophie ne peut que déplaire aux vertueux et aux réalistes de tous
les temps. Pour son plus grand malheur, l'anarchiste de droite
réconcilie contre lui la droite pragmatique et la gauche morale, les
lecteurs du Nouvel Économiste et ceux de Charlie Hebdo.
Il a ainsi fallu que Michel Audiard soit mort pour qu'on reconnaisse
son talent. Encore est-ce prudemment : beaucoup de ses livres (le Terminus des prétentieux, Vive la France), dont la cote flambe chez les bouquinistes, ne sont toujours pas réédités.
L'anarchiste
de droite n'occupe pas une position facile. Les uns lui reprochent
d'être plus de droite qu'anarchiste ; les autres d'être plus anarchiste
que de droite. Dans le fond, lui-même ne sait pas trop où il se situe.
Ses choix électoraux sont confus. « La dernière fois que j'ai voté,
assurait Anouilh, c'était à l'élection d'Hugues Capet ». Habituellement,
il aime sa patrie : « C'est tout de même une chose qui compte de se
sentir en accord avec le sol où on est accroché », confie un personnage
d'Uranus. Mais son patriotisme a des limites. Léon Daudet, à
qui des jurés du Goncourt reprochaient de défendre l'antimilitariste
Céline en 1932, l'établit clairement : « La patrie, je lui dis merde
quand il s'agit de littérature ! » L'anar de droite se paie tous les
luxes, y compris celui d'être de gauche, comme Roger Vailland, ou d'être
misogyne, comme Geneviève Dormann. On le dit antigaulliste, ignorant
son cousinage avec l'anarchiste légitimiste de Gaulle. Audiard, Perret
et Blondin ne portèrent certes jamais le « Grand Rantanplan » dans leur
cœur. En mai 1968, ils furent même ravis de voir la chienlit déferler
sur le quartier général.
Mais
il est tout aussi vrai qu'on trouve parmi les héros de la France libre
quelques belles gueules d'anars de droite, aristos décalés, aventuriers
mélancoliques et flibustiers d'un nouveau genre. Ainsi, le capitaine de
vaisseau Jacquelin de la Porte-des Vaux, ami de Georges Bernanos, qui
hissa le drapeau noir sur le bâtiment qu'il commandait en mer du Nord
lorsqu'il apprit l'armistice de juin 1940 et qui continua le combat
pendant plusieurs semaines avant de rejoindre Londres. Ainsi, le
capitaine Raymond Dronne, entré dans Paris, en tête de la 2e DB le 24 août 1944 avec, peint sur le pare-brise de sa jeep, le seul credo anarchiste de droite : « Mort aux cons ! »
Ces deux-là seraient probablement surpris, s'ils revenaient
aujourd'hui, de voir à quoi sont désormais employées les croix de
Lorraine.
C'est
pourtant des individus de cette espèce qu'il faudrait pour redonner du
piment à la vie. Des enfants d'Alexandre Dumas, de Pierre Mac Orlan, de Léo Malet
feraient le plus grand bien au roman. Aux chevau-légers de la droite
bourgeoise, aux Morand pour midinettes, ils apprendraient des gros mots,
des cochonneries, des idées dangereuses. Aux enfants des Sex Pistols
ils donneraient des leçons de grammaire et d'histoire de France. Aux
partisans de la taille-douce ils enseigneraient la manière noire. À
tous, ils feraient faire une cure de déconnante, de Rabelais et de
méchanceté.
Que
devient le polar depuis qu'on y est devenu sérieux et moral ? Qu'est-ce
qui reste de la Série noire sans Simonin, Bastiani, Le Breton et ADG ?
Qu'on prenne une nouveauté au hasard, qu'on relise en parallèle Touchez pas au grisbi, ce chef-d'œuvre de poésie, de drôlerie et d'impertinence. La comparaison est cruelle.
La vertu de la gouaille anarchiste de droite était de réconcilier le populo et l'aristo. Au cinéma, l'effet était garanti. La Traversée de Paris, c'est Molière à l'heure du marché noir ; Le Président, Machiavel en argot ; Un singe en hiver, Rimbaud au bistrot. Dans Les Tontons flingueurs, la jactance du café du Commerce fusionne avec la langue du XVIIe
siècle. « On ne devrait jamais quitter Montauban », lâche Ventura, qui
cause soudain comme La Rochefoucauld. Il n'est d'ailleurs pas anodin que
le trio Lautner-Simonin-Audiard ait écrit le scénario au Trianon Palace
à Versailles. Gavroche chez le Roi-Soleil ! Une ironie que le jeune
cinéma français rasoir et minimaliste d'aujourd'hui est incapable
d'assumer : les intellos de gauche n'aiment ni les bistrots ni les
châteaux.
Ne
parlons pas de l'art du décalage, du comique de situation, de la
comédie de caractères, autres spécialités anarchistes de droite. Elles
sont désormais suspectes. Lorsque Jean Gabin s'écrie « Salauds de
pauvres ! » dans la Traversée de Paris, lorsque Jean Yanne
proclame cyniquement « Moi y'en a vouloir des sous », la férocité de
leur humour possède une vertu sociale. Elle fait tomber le masque des
cagots, des hypocrites, des nouveaux riches toujours habiles à grimer
leur cupidité en munificence, leur libéralisme en libéralité.
Où se cachent les descendants de Bibi Fricotin ?
On
rêve de voir un Marcel Aymé raconter la comédie qui se joue en ce
moment entre Saint-Germain-des-Prés et Pristina, d'un Michel Audiard
pour en écrire les dialogues. Il faudrait un second Jean Yanne pour
adapter au cinéma la présente farce élyséenne, imaginer le Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil du
RPR. Où sont les enfants de Melville, Autant-Lara et Vemeuil ? Où se
cachent les descendants de Gaudissart, Bibi Fricotin et Arsène Lupin ?
La France s'ennuie. Elle aurait tant besoin de nouveaux
Galtier-Boissière pour présenter le Journal de 20 heures, de nouveaux
Bruant pour égayer les talk-shows, de nouveaux Spaggiari pour percer les coffres-forts. On demande des anarchistes de droite !
► Sébastien Lapaque, Marianne, juillet 1999.
La jeunesse, les beats et les anarchistes de droite
1
On
a beaucoup écrit, trop même, sur le problème de la nouvelle génération
et des “jeunes”. Dans la plupart des cas, cette question ne mérite pas
du tout l'intérêt qui lui a été accordé, et l'importance que l'on
reconnaît parfois, aujourd'hui, à la jeunesse en général, avec pour
contrepartie une espèce de dépréciation de ceux qui ne sont pas “jeunes”
est absurde. Il ne fait pas de doute que nous vivons dans une époque de
dissolution, si bien que la condition tendant toujours plus à
prévaloir est la condition du “déraciné”, de celui pour qui la
“société” n'a plus de sens, de même que n'en ont plus les rapports qui
réglaient l'existence et qui, du reste, pour l'époque qui nous a
immédiatement précédés et qui se continue encore en différentes zones,
n'étaient que ceux de la morale et du monde bourgeois. Naturellement, la
jeunesse a ressenti de façon particulière cette situation, et dans
cette perspective se poser certains problèmes peut être légitime. Mais
il faut mettre à part et considérer avant tout le cas où l'on vit
simplement cette situation, où l'on ne s'y trouve pas en vertu d'une
quelconque initiative active de l'individu, comme ce pouvait avoir été
le cas pour les rares individualistes rebelles de type intellectuel de
l'époque précédente.
Une
nouvelle génération, donc, subit simplement l'état de choses ; elle ne
se pose aucun vrai problème, et de la “libération” dont elle jouit, elle
fait un usage à tous points de vue stupide. Quand cette jeunesse
prétend qu'elle n'est pas comprise, la seule réponse à lui donner c'est
qu'il n'y a justement rien à comprendre en elle, et que, s'il existait
un ordre normal, il s'agirait uniquement de la remettre à sa place sans
tarder, comme on fait avec les enfants, lorsque sa stupidité devient
fatigante, envahissante et impertinente.
Le
soi-disant anticonformisme de certaines attitudes, abstraction faite de
leur banalité, suit du reste une espèce de mode, de nouvelle
convention, de sorte qu'il s'agit précisément du contraire d'une
manifestation de liberté. Pour différents phénomènes envisagés par nous
dans les pages précédentes, tels que par ex. le goût de la vulgarité et
certaines formes nouvelles des mœurs, on peut se référer, d'ans
l'ensemble, à cette jeunesse-là ; en font partie les fanatiques des 2
sexes pour les braillards, les “chanteurs” épileptiques, au moment où
nous écrivons pour les séances collectives de marionnettes représentées
par les ye-ye sessions, pour tel ou tel “disque à succès” et
ainsi de suite, avec les comportements correspondants. L'absence, chez
ceux-là, du sens du ridicule rend impossible d'exercer sur eux une
influence quelconque, si bien qu'il faut les laisser à eux-mêmes et à
leur stupidité et estimer que si par hasard apparaissent, chez ce type
de jeunes, quelques aspects polémiques en ce qui concerne, par ex.,
l'émancipation sexuelle des mineurs et le sens de la famille, cela n'a
aucun relief.
Les
années passant, la nécessité, pour la plupart d'entre eux, de faire
face aux problèmes matériels et économiques de la vie fera sans doute
que cette jeunesse-là, devenue adulte, s'adaptera aux routines
professionnelles, productives et sociales d'un monde comme le monde
actuel ; ce qui, d'ailleurs, la fera passer simplement d'une forme de
nullité à une autre forme de nullité. Aucun problème digne de ce nom ne
vient se poser.
Ce
type de “jeunesse” défini par le seul âge (parce qu'ici il ne s'agit
pas du tout de parier de certaines possibilités caractéristiques d'une
jeunesse au sens intérieur, spirituel) est fortement représenté surtout
en Italie. L'Allemagne fédérale nous présente un phénomène très
différent : les formes stupides et décomposées dont nous avons parlé y
sont beaucoup moins répandues ; la nouvelle génération semble avoir
accepté tranquillement le fait d'une existence dans laquelle on ne doit
pas se poser de problèmes, d'une vie à laquelle on ne doit réclamer ni
sens ni but ; elle pense seulement à utiliser les aises et les
facilités que le nouveau développement de l'Allemagne a procurées. On
peut ici parler du type du jeune “sans problèmes”, qui a éventuellement
laissé derrière lui de nombreuses conventions et acquis de nouvelles
libertés, sans se créer de conflits, sur le plan de cette “factualité”
bidimensionnelle à laquelle tout intérêt supérieur, pour des mythes,
une discipline, une idée-force, est étranger.
Pour
l'Allemagne, il ne s'agit probablement que d'une phase transitoire,
car si le regard se tourne vers des nations où l'on est allé plus loin
dans la même direction, où le climat d'une “société du bien-être” est
presque parfait, où l'existence est sûre, où tout est rationnellement
ordonné — on peut se référer en particulier au Danemark, à la Suède et,
en partie, à la Norvège — à la fin, de temps en temps, des réactions se
sont produites, sous forme d'explosions violentes et inattendues.
Celles-ci ont été provoquées surtout par la jeunesse. Dans ce cas le
phénomène est déjà intéressant et il peut valoir la peine d'y prêter
attention.
2
Mais
pour en saisir les formes les plus typiques il faut peut-être se
référer à l'Amérique, en partie aussi à l'Angleterre. En Amérique des
phénomènes de traumatisme spirituel et de révolte d'une nouvelle
génération sont déjà apparus très clairement et sur une grande échelle.
Nous faisons allusion à la génération qui s'est donnée le nom de beat generation et dont nous avons déjà parlé, du reste, dans les pages qui précèdent : les beats ou beatnicks, ou encore hipsters,
selon le nom d'une de leurs variantes. Ils ont été les représentants
d'une sorte d'existentialisme anarchiste et antisocial, mais de
caractère pratique plus qu'intellectuel (à part certaines
manifestations littéraires de faible niveau). Au moment où nous
écrivons, la période de vogue et d'épanouissement du mouvement est déjà
passée, celui-ci a pratiquement quitté la scène ou s'est dissous.
Toutefois, il conserve une signification propre car ce phénomène est
intimement lié à la nature même de la civilisation actuelle ; tant que
cette civilisation subsistera, il faudra donc s'attendre à ce que des
manifestations analogues se représentent, fût-ce sous d'autres formes
et sous des dénominations différentes. En particulier, la société
américaine représentant plus qu'aucune autre la limite et la réduction à
l'absurde de tout le système actuel, les formes beat du
phénomène de révolte ont revêtu un caractère spécial, paradigmatique,
et, naturellement, ne sont pas à mettre sur le même plan que cette
jeunesse stupide dont nous avons parlé plus haut en pensant surtout à
l'Italie (1).
De
notre point de vue, examiner brièvement certains problèmes dans ce
contexte a une raison d'être parce que nous partageons ce qui a été
affirmé par certains beats, à savoir qu'à l'opposé de ce que
pensent psychiatres, psychanalystes et “assistants sociaux”, dans une
société et une civilisation comme celles d'aujourd'hui et,
spécialement, comme celles d'Amérique — dans le rebelle, dans celui qui
ne s'adapte pas, dans l'asocial il faut voir en général l'homme sain.
Dans un monde anormal les valeurs se renversent : celui qui apparaît
anormal par rapport au milieu existant, il est probable que c'est
justement lui le “normal”, qu'en lui subsiste encore un reste d'énergie
vitale intègre ; et nous ne suivons en rien ceux qui voudraient
“rééduquer” des éléments de ce genre, considérés comme des malades, et
les “récupérer” pour la “société”. Un psychanalyste, Rober Linder, a eu
le courage de reconnaître cela. De notre point de vue, la seule
problématique concerne la définition de celui que nous pourrions
appeler “l'anarchiste de droite”. Nous verrons quelle distance sépare
ce type de l'orientation problématique propre, presque toujours, au
non-conformisme des beats et des hipsters (2).
Le point de départ, c'est-à-dire la situation qui détermine la révolte du beat,
est évident. Un système est mis en accusation qui, bien que ne
présentant pas de formes politiques “totalitaires”, étouffe la vie,
frappe la personnalité. Parfois on fait intervenir l'insécurité
physique dans l'avenir, étant donné que l'existence même du genre humain
serait remise en cause par les perspectives (d'ailleurs exagérées dans
un sens apocalyptique) d'une éventuelle guerre nucléraire ; mais
surtout on ressent le danger de la mort spirituelle inhérente à
l'adaptation au système en vigueur et à la force diversement
conditionnante (“hétéroconditionnante”) de celui-ci. L'Amérique, “pays
pourri, cancer qui prolifère en chacune de ses cellules” — “passivité
(conformisme), anxiété et ennui : ses trois caractéristiques”,
affirme-t-on. Dans ce climat est ressentie très vivement la condition
de l'être déraciné, unité perdue dans la “foule solitaire” : “la
société, parole vide, privée de sens”. Les valeurs traditionnelles ont
été perdues, les nouveaux mythes sont démasqués, et cette
“démythisation” frappe tous les nouveaux espoirs : “liberté, révolution
sociale, paix — seulement des mensonges hypocrites”. “L'aliénation du
Moi comme état habituel”, telle est la menace.
Ici,
cependant, on peut déjà indiquer le trait distinctif le plus important
par rapport au type de “l'anarchiste de droite” : le beat ne
réagit pas et ne se révolte pas en partant du positif, c'est-à-dire en
ayant une idée précise de ce que serait un ordre normal et sensé, en
s'appuyant fermement sur certaines valeurs fondamentales. Il réagit
d'instinct, selon un mode existentiel confus, contre la situation
dominante, à la manière de ce qui arrive dans certaines formes de
réaction biologique. Par contre, l'anarchiste de droite sait ce qu'il
veut, a une base pour dire “non”. Le beat, dans sa révolte
chaotique, non seulement n'a pas cette base, mais il y a même fort à
parier que si on la lui indiquait, il la repousserait probablement.
C'est pourquoi la définition de “rebelle sans drapeau” ou “sans cause”
peut valoir pour lui. Ceci entraîne une faiblesse fondamentale dans la
mesure où le beat et l'hipster, qui craignent tant
d'être “hétéro-conditionnés” c'est-à-dire déterminés par l'extérieur,
au fond, d'un autre côté, courent justement le danger de l'être, parce
que leurs attitudes sont provoquées, sous la forme d'une simple
réaction, par la situation existante. À tout prendre, l'impassibilité,
le détachement froid seraient une attitude plus cohérente.
Ainsi, lorsque le beat,
en dehors de sa protestation et de sa révolte tournées vers
l'extérieur, se pose le problème positif de sa vie intérieure
personnelle pour chercher à le résoudre, il se retrouve nécessairement
sur un terrain chancelant et insidieux. Manquant d'un solide centre
intérieur, il se jette à l'aventure, obéissant à des impulsions qui le
font rétrograder plutôt qu'avancer lorsqu'il cherche à combler de
quelque façon que ce soit le vide et le non-sens de la vie. C'est une
solution illusoire que celle d'un des précurseurs des beats,
Thoreau, lequel avait déterré le mythe rousseauiste de l'homme naturel,
de la fuite dans la nature : formule trop simple et, au fond, insipide.
Mais il y a ceux qui ont suivi la voie d'une bohème nouvelle et plus
crue, du nomadisme et du vagabondage (comme les personnages de Kerouac),
du désordre et du caractère imprévisible d'une existence qui a horreur
de toute ligne de conduite préétablie et de toute discipline (on peut se
référer aux premiers romans, non privés d'un certain fond
autobiographique, d'Henry Miller), avec la tentative de saisir d'instant
en instant une plénitude de vie et d'existence (« brûlante conscience
du présent, sans un "bien" et sans un "mal" »).
La
situation s'aggrave dans le cas des solutions extrémistes,
c'est-à-dire lorsqu'on cherche à combler le vide intérieur et à se
sentir “réel”, lorsqu'on veut se prouver à soi-même une liberté
supérieure (“le Moi sans loi et sans nécessité”) au moyen d'actions
violentes et même criminelles, auxquelles on donne donc le sens d'une
confirmation de soi-même, et pas seulement le sens d'actes de
résistance extrême et de protestation contre l'ordre établi, contre tout
ce qui est normal et rationnel. On a affirmé de la sorte un fond
“moral” du crime gratuit, accompli sans motivations matérielles ou
passionnelles, pour un “besoin désespéré de valeur”, parce qu'on veut
“se prouver qu'on est un homme”, qu'on “n'a pas peur de soi”, “jeu de
hasard avec la mort et l'au-delà”. L'emploi de tout ce qui est
frénétique, irrationnel et violent — le « désir frénétique de créer ou
de détruire » — peuvent rentrer dans le même cadre.
Ici,
le caractère illusoire et équivoque de solutions de ce genre apparaît
assez clairement. Il est évident, au fond, que dans de pareils cas la
recherche d'une sensation vitale exaspérée sert presque toujours de
succédané illusoire à un vrai sens du Moi. En fait d'actes extrêmes et
irrationnels, il y aurait lieu, du reste, de relever que peuvent revêtir
ce caractère non seulement, par ex., le fait de sortir dans la rue et
de tirer sur le premier venu (comme André Breton l'avait proposé, en son
temps, au “surréaliste”) ou de violenter une jeune sueur, mais aussi,
mettons, le fait de donner ou de détruire tout ce qu'on possède ou le
fait de risquer sa vie pour sauver un imbécile inconnu. Il faut donc
être capable de voir si ce qu'on pense être un acte extrême “gratuit”
n'est pas par hasard dicté par des impulsions cachées dont on est
esclave, plutôt que par quelque chose attestant et réalisant une liberté
supérieure. En général, là est la lourde équivoque de l'individualiste
anarchiste : “Être soi-même sans liens”, alors qu'on est esclave de
soi-même. L'observation d'Herbert Gold pour les cas où manque cet examen
intérieur est sans doute juste : « L'hipster est victime de la
pire forme d'esclavage, c'est l'esclave qui, inconscient et orgueilleux
de sa condition servile, l'appelle liberté ».
II y a plus. De nombreuses expériences intenses qui peuvent donner au beat
une sensation fugitive de “réalité”, le rendent au fond encore moins
“réel” parce qu'elles le conditionnent. Wilson met très clairement en
lumière cette situation dans un personnage de son roman déjà cité. Celui
qui accomplit, dans un climat plus ou moins beat, une série
d'assassinats de type sadique sur des femmes pour se “réintégrer”, pour
échapper à la frustration, “parce qu'on a été frustré du droit d'être
un dieu”, finit par se révéler comme un être défait et irréel. « Comme
un paralytique qui a besoin de stimulants toujours plus forts et pour
qui rien n'a d'importance ». « Je croyais que le meurtre n'était qu'une
expression de révolte contre le monde moderne et ses engrenages, car
plus on parle d'ordre et de société, plus augmente le taux de
criminalité. Je croyais que ses crimes n'étaient qu'un geste de défi...
Ce n'était pas ça du tout : il tue pour la même raison que celle qui
pousse l'alcoolique à boire, parce qu'il ne peut pas s'en passer. »
Ceci vaut aussi, naturellement, pour d'autres expériences extrêmes.
Au passage, pour établir de nouveau des distances précises, on peut rappeler que le monde de la Tradition a connu lui aussi la “Voie de la Main Gauche” — voie dont nous avons parlé ailleurs (3) [cf. tantrisme],
qui envisage l'infraction de la loi, la destruction, l'expérience
orgiaque elle-même sous différentes formes, mais en partant d'une
orientation positive, sacrée et “sacrificielle”, “vers le haut”, vers la
transcendance qui est incompatible avec toute limite. C'est le
contraire de la recherche de sensations violentes seulement parce qu'on
est intérieurement défait et inconsistant, seulement pour arriver à
rester debout d'une manière ou d'une autre. C'est pourquoi le titre du
livre de Wilson Ritual in the Dark est très approprié : c'est
une façon de célébrer de manière ténébreuse, sans lumière, ce qui
pourrait avoir, dans un autre contexte, le sens d'un rite de
transfiguration.
Dans la même direction, les beats
ont souvent recouru à certaines drogues, cherchant ainsi à provoquer
une rupture et une ouverture au-delà de la conscience ordinaire. Cela
selon l'intention des meilleurs. Mais un des principaux représentants du
mouvement, Norman Mailer, en est arrivé à reconnaître le « jeu de
hasard » qu'implique l'usage de drogues. À côté de la « lucidité
supérieure », de la « perception nouvelle, fraîche et originelle, de la
réalité, désormais inconnue de l'homme commun », auxquelles certains
visent en recourant aux drogues, il y a le danger des “paradis
artificiels”, de l'abandon à des formes de volupté extatique, de
sensation intense et même de visions, privées d'un quelconque contenu
spirituel et révélateur, et suivies d'un état dépressif lorsqu'on
revient à l'état normal, ce qui ne fait qu'aggraver la crise
existentielle.
Ce
qui décide ici, c'est de nouveau l'attitude fondamentale de l'être :
elle est presque toujours déterminante pour l'action dans un sens ou
dans l'autre de certaines drogues. L'attestent par ex. les effets de la
mescaline décrits par Aldous Huxley (écrivain déjà orienté dans le sens
de la métaphysique traditionnelle), lequel put penser établir une
analogie avec certaines expériences de la haute mystique, par opposition
aux effets tout à fait banals rapportés par Zaehner (l'auteur que nous
avons cité en note à l'occasion de la critique de Cuttat), qui avait
voulu répéter les expériences d'Huxley pour les “contrôler” mais en
partant d'une équation personnelle et d'une attitude complètement
différentes. Or, quand le beat se présente à nous comme un être
profondément traumatisé qui s'est jeté à l'aventure dans une recherche
confuse, il ne faut pas s'attendre à grand-chose de positif de l'usage
des drogues. Presque fatalement, l'autre alternative prévaudra,
renversant l'exigence initiale (4). Du reste, le problème n'est même pas
résolu par d'éventuelles ouvertures fugitives sur la “Réalité”, après
lesquelles on se retrouve dans une vie privée de sens. Que les prémisses
essentielles pour s'aventurer dans ce domaine soient inexistantes,
cela ressort clairement du fait que dans le cas des beats et des hipsters, il s'est agi en grande partie de jeunes privés de la maturité nécessaire et fuyant par principe toute autodiscipline.
D'aucuns ont affirmé que ce que les beats,
ou du moins une partie d'entre eux, ont obscurément cherché, c'est, au
fond, une nouvelle religion. Mailer, qui a dit : « Je veux que Dieu me
montre son visage », a carrément affirmé qu'ils sont les porteurs d'une
nouvelle religion, que leurs excès et leurs révoltes sont des formes
transitoires, qui « demain pourront donner naissance à une nouvelle
religion, comme le christianisme ». Tout cela fait assez discours en
l'air et, aujourd'hui, alors qu'on peut faire un bilan, rien n'est
encore apparu. Certes, on peut reconnaître que ce qui manque à ces
forces, ce sont justement des points de référence supérieurs et
transcendants, semblables à ceux des religions, capables de fournir un
soutien et une juste orientation. « Recherche d'une foi qui les sauve » —
a dit quelqu'un. Mais « Dieu est en danger de mort » (Mailer), ce qui
se rapporte au Dieu de la religion théiste occidentale. C'est pourquoi
celui qu'on a appelé the mystic beat a cherché ailleurs, a été
attiré par la métaphysique orientale et, comme nous l'avons signalé
dans un autre chapitre, par le Zen surtout. Mais, sur ce dernier point,
il y a lieu de s'interroger en ce qui concerne les motivations. Le Zen a
exercé une attirance sur les éléments en question surtout sous ses
aspects de doctrine qui envisage des ouvertures illuminantes, soudaines
et gratuites, sur la Réalité (par le satori), que l'explosion
et le rejet de toutes les superstructures rationnelles,
l'irrationalité pure, la démolition impitoyable de toute idole, l'usage
éventuel de moyens violents pourraient produire. On peut comprendre que
tout cela attire beaucoup le jeune Occidental déraciné qui ne supporte
aucune discipline, qui vit à l'aventure et se révolte. Mais le fait est
que le Zen suppose tacitement une orientation précédente liée à une
tradition séculaire, et des épreuves très dures (il suffit de lire la
biographie de certains maîtres Zen — Suzuki, qui a été le premier à
faire connaître ces doctrines en Occident, a pu parler littéralement
d'un « baptême du feu » comme préparation au satori) ne sont
pas exclues. Arthur Rimbaud a parlé de la méthode pour devenir voyant
par un dérèglement systématique de tous les sens, et nous n'excluons
pas que dans une vie absolument, mortellement aventureuse, même sans
guide, procédant seule, des “ouvertures” du genre de celles auxquelles
fait allusion le Zen puissent se produire. Mais il s'agira toujours
d'exceptions ayant vraiment le caractère d'une sorte de miracle : comme
si l'on était prédestiné ou protégé par un bon génie. On peut
soupçonner que la raison de l'attirance que le Zen et des doctrines
analogues peuvent exercer sur les beats consiste en ceci : les beats
supposent que ces doctrines donnent une sorte de justification
spirituelle à leur disposition pour une anarchie négative, pour le pur
dérèglement, éludant la tâche première, tâche qui, dans leur cas,
reviendrait à se donner une forme intérieure.
Ce
besoin confus d'un point de référence supérieur, métarationnel, et,
comme quelqu'un l'a dit, de saisir « l'appel secret de l'être », est
d'ailleurs complètement dévié quand cet “être” est confondu avec la
“Vie”, sous la suggestion de théories comme celles de Jung et de Reich,
et quand on voit dans l'orgasme sexuel et dans l'abandon à cette espèce
de dionysisme dégradé et paroxystique parfois offert par le jazz nègre
d'autres voies valables pour “se sentir réel”, pour prendre contact
avec la Réalité (5).
Au
sujet du sexe, il faudrait répéter ce que nous avons déjà dit plus
haut, au chapitre XII, en examinant les perspectives des apôtres de la
“révolution sexuelle”. Un des personnages du roman déjà cité de Wilson
se demande si « le besoin d'une femme qu'on éprouve n'est pas seulement
le besoin qu'on a de cette intensité », si une impulsion plus haute,
vers une liberté supérieure, ne se manifeste pas obscurément dans
l'impulsion sexuelle. Cette demande peut être légitime. Nous avons déjà
rappelé que la conception non biologique ou sensualiste, mais d'une
certaine manière transcendante, de la sexualité a, en effet, des
antécédents précis et non extravagants dans les enseignements
traditionnels. Mais il faut se référer à la problématique étudiée par
nous dans Métaphysique du sexe, où nous avons aussi mis en
évidence l'ambivalence de l'expérience sexuelle, c'est-à-dire les
possibilités soit positives, soit régressives, “déréalisantes” et
conditionnantes, qui y sont renfermées. Or, quand le point de départ
est une sorte d'angoisse existentielle, au point que le beat
apparaisse obsédé par l'idée de ne pas atteindre “l'orgasme parfait”
sous l'influence des vues déjà signalées de Wilhelm Reich et, en
partie, de DH Lawrence,
lesquels y ont vu le moyen de s'intégrer à l'énergie primordiale de la
vie confondue avec l'Être ou l'esprit, dans ce cas il y a lieu de
supposer que ce seront les contenus négatifs et dissolvants de
l'expérience sexuelle qui prédomineront — une fois de plus parce que
les conditions existentielles préliminaires afin que l'opposé se
vérifie, sont inexistantes : le sexe et la force débordante de
l'orgasme posséderont le Moi, et non vice versa, comme il le faudrait
pour que tout cela puisse servir de voie. De même que pour les drogues,
ce n'est pas une jeune génération à la dérive qui peut affronter des
expériences de ce genre, par ailleurs envisagées en principe aussi par
la Voie de la Main Gauche. Quant à la pleine liberté sexuelle comme
simple révolte et anticonformisme, elle est banale et n'a rien à voir
avec le problème spirituel.
La direction négative se précise lorsque les beats
font du jazz une sorte de religion et y voient un autre des moyens
positifs pour surmonter leur “aliénation”, pour saisir des moments
d'intensité libératrice. Les origines nègres du jazz (lesquelles, en
tant que base, ne disparaissent même pas dans les formes élaborées de
ces rythmes, lorsque s'établit le climat du swing et des be bop session),
au lieu de faire réfléchir, sont mises en valeur. Nous avons déjà
indiqué, dans un autre chapitre, comme un aspect de la “négrification”
spirituelle de l'Amérique, le fait que Mailer justement, dans un essai
fameux, ait pu assimiler la position du beat à celle du Noir,
parler du premier comme d'un « nègre blanc », admirer certains aspects
de la nature nègre irrationnelle, instinctive, violente. En plus, il y a
eu parmi les beats une tendance affichée à la promiscuité, y
compris sur le plan sexuel, avec des jeunes fille blanches qui ont
défié les “préjugés” et les conventions en se donnant à des Noirs. En ce
qui concerne le jazz on peut reconnaître, dans ces milieux, une
compréhension plus sérieuse que celle propre à l'engouement de cette
jeunesse stupide non américaine dont nous avons parlé au début de ce
chapitre ; mais c'est précisément pour cela que la chose est beaucoup
plus dangereuse : il y a lieu de croire que dans l'identification à des
rythmes frénétiques et élémentaires se produisent des formes
d'“autotranscendance descendante” (pour employer cette expression
précédemment expliquée), des formes de régression dans
l'infra-personnel, dans ce qui est purement vital et primitif, des
possessions partielles qui, après des moments d'une intensité et d'un
déchaînement paroxystique avec des passages semi-extatiques, laissent
plus vides et irréels qu'avant. Si l'on considère l'atmosphère des rites
nègres et des cérémonies collectives auxquelles le jazz renvoie par ses
origines et ses premières formes, cette direction semble assez évidente
parce qu'il est clair qu'on se trouve, comme dans la macumba et dans le cadombé
pratiqués par les Noirs d'Amérique, devant des formes de démonisme et
de transe, devant d'obscures possessions auxquelles échappe toute
ouverture sur un monde supérieur.
Malheureusement, il n'y a pas beaucoup plus à recueillir d'une analyse de ce que beats et hipsters
ont cherché, sur le plan individuel et existentiel, comme contrepartie
d'une révolte légitime contre le système existant, pour remplir un
vide et résoudre le problème spirituel. La situation de crise subsiste.
En des cas exceptionnels seulement, on se rapproche de ce qui pourrait
avoir une valeur positive quand il s'agit d'un “anarchiste de droite”.
En définitive, le problème est celui du matériel humain. Pour tout ce
qui est anticonformisme pratique, démythisation, froide
désidentification par rapport à toutes les institutions de la société
bourgeoise : pour cela uniquement il n'y a rien à objecter, quand cette
ligne est sérieusement suivie par la nouvelle génération. Selon le
souhait de certains représentants de la beat generation, nous
n'avons pas considéré ici leur mouvement comme une mode passagère. Nous
nous sommes arrêté sur ce mouvement à travers ses aspects typiques ; sa
problématique est une expression naturelle de l'époque contemporaine.
Sa signification demeure, bien que ces formes aient cessé d'être
actuelles en Amérique et d'avoir un mordant particulier.
3
Nous
voulons maintenant envisager un cas particulier, en ce qui concerne la
jeune génération. Il y a des jeunes qui se révoltent contre la
situation politico-sociale existant en Italie, et qui s'intéressent
simultanément aux horizons propres à ce que nous avons l'habitude
d'appeler, en général, le monde de la Tradition. Alors que, d'un côté,
ils s'opposent sur le plan pratique aux forces et aux idéologies de
gauche qui avancent dangereusement, de l'autre ils regardent vers des
horizons spirituels, ils s'intéressent, au moins sur le plan théorique,
aux enseignements et aux disciplines d'une antique sagesse en des
termes plus positifs que ce qui s'est vérifié dans les approches
confuses du mystic beat.
Nous
avons donc des forces qui, potentiellement, sont “à disposition”. Le
problème, c'est celui des directives capables de donner une orientation
positive à leur activité.
Notre livre Chevaucher le tigre,
considéré par certains comme un “manuel de l'anarchiste de droite”,
résout le problème jusqu'à un certain point dans la mesure où il
s'adresse essentiellement — chose que, souvent, on n'a pas relevé
suffisamment — à un type humain différencié bien précis, ayant en propre
un haut degré de maturité. Par conséquent, les orientations proposées
dans ce livre ne sont pas toujours adaptées et, en général, réalisables,
pour la catégorie de jeunes à laquelle nous avons fait allusion.
La
première chose qu'il faut recommander à ces jeunes, c'est la méfiance
pour des formes d'intérêt et d'enthousiasme qui pourraient n'être que
d'origine biologique, c'est-à-dire dues à leur âge. Il faudra voir si
leur attitude restera inchangée avec l'approche de l'âge adulte, quand
ils devront résoudre les problèmes concrets de l'existence.
Malheureusement, notre expérience personnelle nous a montré que c'est
rarement le cas. Au tournant, disons, des trente ans, bien peu restent
sur les mêmes positions.
Nous
avons déjà parlé d'une jeunesse qui n'est pas seulement biologique,
mais qui a aussi un aspect intérieur, spirituel, donc propre à n'être
pas conditionnée par l'âge. Mais cette jeunesse supérieure peut se
manifester dans l'autre jeunesse. Nous ne dirons pas qu'elle est
caractérisée par “l'idéalisme”, car le terme est galvaudé et suspect et
car la capacité de “démythifier” les idéaux en s'approchant même du
point zéro des valeurs courantes devrait être une qualité que ces jeunes
partageraient avec d'autres courants d'une orientation éventuellement
très différente. Nous parlerons plutôt d'une certaine capacité
d'enthousiasme et d'élan, de dévouement inconditionné, d'un détachement
de l'existence bourgeoise et des intérêts purement matériels et
égoïstes. Or, la première tâche consisterait à assimiler ces
dispositions qui, chez les meilleurs, affleurent parallèlement à la
jeunesse physique, pour en faire des qualités permanentes résistant à
toutes les influences contraires auxquelles on est fatalement exposé
avec l'avancement de l'âge (6). Quant à l'anticonformisme, la première
chose requise c'est un style de vie fermement antibourgeois. Durant sa
première période Ernst Jünger
n'eut pas peur d'écrire : « Mieux vaut être un délinquant qu'un
bourgeois » ; nous ne disons pas qu'il faut prendre cette formule à la
lettre, mais une orientation générale y est indiquée. Dans la vie
quotidienne il faut aussi prendre garde aux pièges représentés par les
affaires sentimentales concernant le mariage, la famille et tout ce qui
appartient aux structures subsistantes d'une société dont on reconnaît
l'absurdité. C'est là un point fondamental. Par contre, pour le type en
question, certaines expériences, dont nous avons reconnu tout le
caractère problématique dans le cas des beats et des hipsters, pourraient ne pas présenter les mêmes dangers.
Comme
contrepartie, chez lui devrait se manifester un goût pour
l'autodiscipline sous des formes libres, détachées de toute exigence
sociale ou “pédagogique”. Il s'agit, pour les jeunes, du problème de
leur formation, au sens le plus objectif du terme. Ici une difficulté
se présente, du fait que toute formation suppose, comme point de
référence, certaines valeurs, alors que le jeune révolté repousse toutes
les valeurs, toute la “morale” de la société existante et de la
société bourgeoise en particulier.
Mais,
à cet égard, il faut établir une distinction. Il y a des valeurs qui
ont un caractère conformiste et une justification tout à fait
extérieure, sociale, pour ne pas parler des valeurs devenues telles
parce que leurs fondements originels ont été irrévocablement oubliés.
Par contre, d'autres valeurs se proposent uniquement comme des appuis
pour assurer à un être une véritable forme et une fermeté. Le courage,
la loyauté, la franchise, la répugnance pour le mensonge, l'incapacité
de trahir, la domination de tout égoïsme mesquin et de tout intérêt
inférieur peuvent être comptés au nombre des valeurs qui, d'une certaine
façon, surplombent le “bien” comme le “mal” et se tiennent sur un plan
non “moral”, mais ontologique : précisément parce qu'elles donnent un
“être” ou le renforcent, contre la condition présentée par une nature
instable, fuyante, amorphe. Il n'y a ici aucun impératif. Seule doit
décider la disposition naturelle de l'individu. Pour prendre une image,
la nature nous présente aussi bien des substances parvenues à une
complète cristallisation que des substances qui sont des cristaux
imparfaits et inachevés, mêlés à une gangue friable. Certes, nous
n'appellerons pas “bonnes” les premières, “mauvaises” les autres, dans
un sens moral. Il s'agit de différents degrés de “réalité”. La même
chose vaut pour l'être humain. Le problème de la formation du jeune et
son amour pour l'autodiscipline doivent être considérés sur ce plan,
au-delà de tout critère et de toute valeur de la morale sociale. F.
Thiess a écrit justement :
« II y a la vulgarité, la méchanceté, la bassesse, l'animalité, la perfidie, tout comme il y a la pratique imbécile de la vertu, le bigotisme, le respect conformiste de la loi. La première chose vaut aussi peu que l'autre ».
En
général, tout jeune est caractérisé par un trop-plein d'énergies. Le
problème de leur emploi se pose, dans un monde comme le monde actuel. À
cet égard, on pourrait envisager d'abord tout le développement ultérieur
sur le plan physique du processus de “formation”. Nous nous garderons
bien de conseiller la pratique des sports modernes dans leur
quasi-totalité. Le sport est en effet un des facteurs typiques de
l'abrutissement des masses modernes, et un caractère de vulgarité lui
est presque toujours associé. Mais certaines activités physiques
particulières pourraient entrer en jeu. Un exemple est offert par
l'alpinisme de haute altitude, à condition qu'il soit ramené à ses
formes premières, sans la technicisation et les débouchés sur un
acrobatisme qui l'ont déformé et matérialisé ces derniers temps. Le
parachutisme peut offrir lui aussi des possibilités positives — dans ces
2 cas la présence du facteur risque est une aide utile pour le
renforcement intérieur. On pourrait donner comme autre exemple les arts
martiaux japonais, si l'on avait la chance de pouvoir les apprendre
selon la tradition d'origine et non sous leurs formes désormais si
répandues en Occident, formes privées de cette contrepartie spirituelle
grâce à laquelle la maîtrise de ces activités pouvait se rattacher
étroitement à des formes subtiles de discipline intérieure et
spirituelle. En des temps assez proches, certaines corporations
estudiantines d'Europe centrale, les Korpsstudenten qui pratiquaient la Mensur
— c'est-à-dire les “combats” sous la forme cruelle de duels non mortels
suivant des normes précises (comme traces, des cicatrices sur le
visage) — dans le but de développer le courage, la fermeté,
l'intrépidité, la résistance à la douleur physique, tandis qu'on
honorait certaines valeurs d'une éthique supérieure, de l'honneur et de
la camaraderie, sans fuir éventuellement certains excès, ces
corporations offraient différentes possibilités. Mais les cadres
socio-culturels y correspondant ayant disparu, on ne peut pas penser
aujourd'hui, en Italie spécialement, à quelque chose de semblable.
Le
trop-plein d'énergies peut aussi mener à diverses formes d'“activisme”
dans le domaine politico-social. Dans ces cas-là serait essentiel, en
premier lieu, un examen sérieux pour s'assurer que l'engagement éventuel
en faveur d'idées opposées au climat général n'est pas seulement le
moyen de déverser des énergies (d'autant plus qu'en d'autres
circonstances même des idées très différentes pourraient également
servir au même but) ; donc que le point de départ et la force motrice
sont une véritable identification due à la reconnaissance méditée de
leur valeur intrinsèque. Cela étant, pour un quelconque activisme la
difficulté est que si le type de jeune auquel nous nous référons peut
avoir clairement compris pour quelles idées il vaut la peine de
combattre, il pourrait difficilement trouver, par contre, dans le climat
actuel, un front, un parti, un groupe politique défendant vraiment,
avec intransigeance, des idées de ce genre. Une autre circonstance — à
savoir qu'étant donné le stade où nous sommes la lutte contre les
courants politiques et sociaux qui dominent désormais a peu de chances
d'aboutir à des résultats globaux appréciables — pèse peu en dernière
analyse, car ici la norme devrait être de faire ce qui doit être fait en
étant disposé à se battre, éventuellement, même sur des positions
perdues. De toute manière, affirmer aujourd'hui une “présence” par
l'action sera toujours utile.
Quant
à un activisme anarchiste de simple protestation, qui pourrait aller
de certaines manifestations violentes jugées “délictueuses” du genre de
celles de la jeunesse de certaines nations (nous avons déjà parlé du
cas de pays d'Europe du Nord où règne la “société du bien-être”) jusqu'à
des actes terroristes comme ceux auxquels s'adonnèrent les anarchistes
politiques nihilistes du siècle dernier, si l'on exclut — et on devrait
les exclure — les motivations de certains beats, c'est-à-dire
le désir d'une action violente quelconque simplement parce qu'on a
besoin de la sensation qu'elle procure —, même dans le cadre d'un simple
exutoire d'énergies cet activisme apparaît peu sensé. Certes, si l'on
pouvait organiser aujourd'hui une espèce de Sainte Vehme agissante,
capable de tenir les principaux responsables de la subversion
contemporaine dans un état d'insécurité physique constante, cela serait
une excellente chose. Mais ce n'est pas une chose qu'une jeunesse peut
organiser, et, d'autre part, le système de défense de la société
actuelle est trop bien construit pour que de semblables initiatives ne
soient pas brisées dès le départ et payées à un prix trop élevé.
Un
dernier point doit être envisagé. Dans la catégorie des jeunes dont
nous sommes en train de parler et qui, par rapport au monde actuel,
pourrait être définie comme celle des anarchistes de droite, on en
trouve un certain nombre sur lesquels, en même temps, les perspectives
de réalisation spirituelle qu'ont fait connaître les études de sérieux
représentants du courant traditionaliste, avec des références à
d'anciennes doctrines sapientielles et initiatiques, exercent une
attraction. Il s'agit ici de quelque chose de plus sérieux que l'intérêt
ambigu suscité par l'irrationalisme d'un Zen mal compris chez certains beats
américains, ne serait-ce qu'en raison de la qualité différente des
sources d'information. Cette attraction est compréhensible si l'on pense
au vide spirituel qui s'est créé à la suite de la décadence des formes
religieuses qui ont dominé en Occident et de la remise en cause de leur
valeur. On peut donc concevoir que, détaché de ces dernières, on aspire à
quelque chose d'effectivement supérieur, et non à de vains succédanés.
Toutefois, quand il s'agit de jeunes, il ne faut pas nourrir
d'aspirations trop ambitieuses et éloignées de la réalité. Il n'est pas
seulement nécessaire d'arriver à la maturité requise ; il faut aussi
tenir compte du fait que la voie dont nous avons indiqué le sens ici,
dans des chapitres précédents (XI et XV), exige et a toujours exigé une
qualification particulière et quelque chose d'analogue à ce qu'on
appelle la “vocation” au sens spécifique dans le domaine des Ordres
religieux. On sait que dans ces Ordres un certain temps est laissé au
novice afin qu'il vérifie la réalité de sa vocation. En rapport avec
ceci, on doit répéter ici ce qui a été dit au sujet d'une vocation plus
générale que l'on peut ressentir lorsqu'on est jeune : il faut voir si, à
mesure que passent les années, elle se renforce au lieu de s'affaiblir.
Les
doctrines auxquelles nous avons fait allusion ne doivent pas faire
naître les illusions favorisées par de nombreuses formes impures issues
du néo-spiritualisme contemporain — théosophisme, anthroposophie, etc.
—, à savoir s'imaginer que le but le plus élevé est à la portée de tous
et réalisable avec tel ou tel expédient ; alors qu'il doit apparaître
comme une lointaine ligne de crête vers laquelle seule peut conduire une
voie longue, âpre et périlleuse. Malgré tout, on peut toujours indiquer
à ceux qui nourrissent un intérêt sérieux certaines tâches
préliminaires non négligeables. En premier lieu, on peut se consacrer à
une série d'études concernant la vision générale de la vie et du monde,
vision qui est la contrepartie naturelle de ces doctrines, pour
acquérir une formation mentale nouvelle qui corrobore, sur la base de
quelque chose de positif, le “non” dit à tout ce qui existe aujourd'hui,
et pour éliminer les multiples et profondes intoxications dues à la
culture moderne. La seconde phase, la seconde tâche, serait de dépasser
le plan purement intellectuel en rendant “organique” un certain
ensemble d'idées, en faisant en sorte que cela détermine une orientation
existentielle fondamentale et suscite par là même le sentiment d'une
sécurité inaliénable, indestructible. Une jeunesse qui arriverait peu à
peu à ce niveau serait déjà allée très loin. Elle pourrait laisser
indéterminés le “si” et le “quand” de la troisième phase, dans
laquelle, avec le maintien de la tension originelle, certaines actions
“déconditionnalisantes” par rapport à la limite humaine peuvent être
tentées. À cet égard, des facteurs impondérables entrent en jeu, et la
seule chose sensée qu'on puisse atteindre, c'est une préparation
adéquate. S'attendre à quelque chose d'immédiat, chez un jeune, est
absurde.
Diverses
expériences personnelles nous ont convaincu que ces dernières brèves
considérations étaient nécessaires, bien qu'elles concernent évidemment
un groupe très différencié de la jeunesse non conformiste : le groupe de
ceux qui ont ressenti de manière juste le problème proprement
spirituel.
Par-là
même nous sommes allé assez au-delà de ce qu'on appelle communément le
problème des jeunes. On peut concevoir “l'anarchiste de droite” comme
un type suffisamment défini et plausible, à opposer soit à la jeunesse
stupide, soit aux “rebelles sans drapeau” et à ceux qui se jettent à
l'aventure et se livrent à des expériences qui n'apportent aucune vraie
solution, aucune contribution positive, si l'on n'a pas, déjà, une
forme intérieure. En toute rigueur, on pourrait objecter que cette forme
est une limitation, un lien, qu'elle contredit l'exigence initiale, la
liberté absolue de l'anarchisme. Mais puisqu'il est bien difficile que
celui qui formule cette objection le fasse en ayant comme point de
référence la transcendance au sens propre et absolu — le sens que ce
terme a, pour nous faire comprendre par un exemple, dans la haute ascèse
—, il faut seulement répondre que l'autre alternative concerne une
jeunesse “brûlée” à un point tel qu'on peut la considérer — aucun noyau
solide n'ayant résisté à l'épreuve représentée par la dissolution
générale — comme un pur produit existentiel de cette même dissolution,
de sorte que cette jeunesse se fait beaucoup d'illusions quand elle
pense être vraiment libre. Une pareille jeunesse, révoltée ou non, nous
intéresse bien peu et il n'y arien à faire avec elle. Elle peut
seulement être un sujet d'étude dans le cadre général de la pathologie
d'une époque.
► Julius Evola, L'Arc et la massue, ch. XVI, 1968.
• Notes :
(1) En ce moment même cette jeunesse italienne niaise et carnavalesque s'est qualifiée de beat et applique ce terme à n'importe quoi. Pour problématique qu'ait été le mouvement beat
américain, sur le plan de l'engagement il n'y a aucune comparaison
entre lui et les attitudes et les velléités risibles de “protestation”
de ces épigones beat italiens.
(2)
Dans ce qui suit nous utiliserons en partie le matériel formé par les
témoignages et les essais recueillis dans le volume anthologique de S.
Krim, The Beats – les essais les plus importants sont ceux de
H. Gold, de Mac Reynold et de N. Podhoretz ; on peut ajouter le livre
de Norman Mailer, Advertisements for myself. Mailer a aussi été un porte-parole des beats et des hipsters,
et il semble qu'il ne se soit pas arrêté à la seule théorie, puisqu'il
serait allé, par ex., jusqu'à poignarder “gratuitement” sa femme. Pour
le climat général on peut recourir aux romans de Jack Kerouac, On the road et The Dharma Boom, auxquels on peut ajouter le roman de Colin Wilson (anglais) Rituel in the Dark, qui aborde en partie la même problématique ; dans un livre qui suscita beaucoup d'intérêt, The Outsider,
Wilson avait étudié en général la figure de « celui qui est en dehors »
– en dehors de la société et du monde “normaux” (Les romans de J.
Kerouac sont disponibles en traduction française. Le livre de C. Wilson,
The Outsider, a été publié en français, sous le titre L'homme en dehors, par les éditions Gallimard en 1958, NDT).
(3) Métaphysique du sexe, Payot, 1976, § 28.
(4) Un beat,
Jack Green, a fait (dans l'anthologie signalée plus haut) certaines
descriptions intéressantes de ses expériences avec une drogue spéciale,
le peyotl. Il finit par reconnaître que cette substance peut donner «
une euphorie mais non la grande libération » et que s'il avait eu «
l'œil exercé il n'aurait pas eu besoin du peyotl ». Par ailleurs, pour
ce qu'il peut avoir recueilli de positif, il y ale fait qu'il possède
une certaine connaissance de la doctrine Zen du satori. À la
fin il rapporte que pendant une longue période il « n'a plus vécu
d'expériences authentiques » et qu'il « les cherche rarement ». Il
reconnaît en outre la diversité des effets possibles. Il écrit entre
autres : « Il est possible que la préparation intense et, en partie
aussi, la préparation inconsciente qui vient de la vie contemplative,
provoquent une fracture soudaine qui est sentie comme une unité
inattendue ». Même après le déclin du mouvement beat, la
jeunesse américaine, universitaire spécialement, a été loin
d'abandonner la voie des drogues. Au moment où nous écrivons,
l'inquiétude suscitée par la diffusion toujours croissante, parmi cette
jeunesse, du Lsd 25 (acide lysergique diéthylamidique), l'atteste.
(5) Quelques affirmations faites avec beaucoup de désinvolture sont typiques, comme dans cette phrase de Mailer : « L'hipster
a un respect incident (!) pour le Zen, il ne nie pas l'expérience du
mystique parce qu'il l'a connue lui-même (?), mais préfère tirer
l'expérience du corps d'une femme ».
(6)
Dans ce contexte une référence à l'ancienne civilisation arabo-persane
pourra présenter un certain intérêt. Cette civilisation a connu le terme
futâwa qui, dérivé , de fatà = jeune, désigne la
qualité « être jeune » justement au sens spirituel indiqué, non défini
par l'âge mais par une disposition particulière de l'âme. C'est ainsi
que les fityân ou fityûh (les jeunes) ont pu être
conçus comme un Ordre, et un rite particulier (avec une libation
rituelle) consacrait cette qualité “être jeune”, et comportait en même
temps une sorte de voeu solennel de la maintenir. Une terminologie
semblable fut employée dans le milieu des partisans d'Ar et dans les
milieux soufis.
Publié dans À CONTRE-TEMPS | Lien permanent | Commentaires (1) | Trackbacks (0) | Envoyer cette note
| Tags : littérature | |
Trackbacks
Voici l'URL pour faire un trackback sur cette note : http://vouloir.hautetfort.com/trackback/3791270
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire