MALLIARAKIS : L'HOMME QUI NE RENVOIE JAMAIS L'ASCENSEUR
jeudi 01 sep 2011
Pauvres en France pauvre France
La hausse récente de la pauvreté, dans notre pays et dans quelques autres en Europe, sous toutes ses formes, ne saurait laisser indifférent aucun compatriote de saint Vincent de Paul. Qu'on l'impute à la seule crise remontant à la faillite de Lehmann Brothers de septembre 2008 semble d'ailleurs un raccourci de café du Commerce comme on s'en contente trop souvent au gré de la bulle médiatique.
Si la démocratie se caractérise en théorie par le débat, le régime dans lequel nous vivons s'est écarté depuis fort longtemps de la confrontation des opinions. On veut donc à tout prix les inscrire dans le registre de l'émotionnel. (1)⇓
Or, il convient certainement, au contraire, de s'interroger à la fois sur la profondeur, la durée, l'évolution de cette paupérisation partielle de notre société alors même que le progrès des techniques de production, des échanges, ou des capacités agricoles devrait en toute logique bénéficier à tous.
Beaucoup d'écueils entravent à la fois la réflexion des sociologues comme celle des économistes et l'action des hommes politiques. Ne parlons même pas ici des approches relevant du "journalisme", tel qu'on le pratique à Paris, forme chronique de la non-pensée, elle-même destinée à encourager l'inertie nationale.
On peut partir, sans nécessairement s'en contenter, des statistiques élaborées par l'INSEE. Cet organisme évalue le revenu médian des Français à 19 000 euros par an. Cette valeur économétrique, indicative, est présentée de manière péremptoire. Elle laisse malheureusement de côté la question des prélèvements sociaux monopolistes. Or, ceux-ci contribuent pourtant à appauvrir fortement les assujettis. Pour 100 euros empochés effectivement par un salarié moyen, son employeur en débourse 80 supplémentaires, eux-mêmes dilapidés dans notre merveilleux système social.
À partir de l'évaluation précitée, on appelle, par convention pure, "seuil de pauvreté" le revenu égal à 60 % de ce salaire médian, de telle sorte que l'on considère comme statistiquement "pauvre" la partie de la population de l'Hexagone vivant en 2009 avec moins de 11 450 euros par an (954 euros mensuels). À ce compte, la république jacobine recenserait près de 8 millions de pauvres, soit environ 13 % de la population. Après avoir connu un léger tassement durant la période 2000-2008 ce pourcentage aurait eu tendance à remonter précisément au cours de l'année 2009.
Il serait sordide d'ergoter. C'est pourtant, hélas, ce que tentent de faire les pouvoirs publics, en soulignant que cette somme ne caractérise pas la même situation et ne se traduit pas par le même niveau de vie à Paris et en zone rurale, selon qu'il s'agit de retraités de l'agriculture ou d'étudiants, etc.
Les chiffres de la misère nous renseignent d'abord sur la misère des chiffres.
On se permettra d'ironiser quand même sur la prétention de la puissance publique à gérer la situation. Le 21 décembre dernier Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, et Benoît Apparu, secrétaire d'État chargé du Logement, installaient de la sorte, solennellement, un Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale (CNLE).
Or, il existait déjà deux autres organismes officiels de préoccupation voisine : la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGV) et le Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE). La ministre souhaite renforcer les missions du CNLE. "Nous devons être plus efficaces. Pour cela, [il faut] mieux se coordonner et être mieux informés", annonçait-elle. Et pour cela elle n'hésite pas à suggérer l'apparition d'un quatrième comité : "on pourrait imaginer un Conseil national d'inclusion sociale – appellation, dit-elle, à déterminer". Voila qui pourra créer certes quelques emplois nouveaux de technocrates et remplir des mètres carrés de bureaux. Mais quel effet doit-on en attendre sur la grande pauvreté ? Aucun.
Soulignons cependant que le seuil de pauvreté reste un concept relatif. On a pu le fixer par le passé à hauteur de 50 % du revenu médian. Les raisons qui ont poussé à rehausser ce pourcentage au niveau de 60 % restent obscures et arbitraires.
Par exemple les experts de la CIA (2)⇓ évaluent doctement dans un pays comme le Sénégal à 54 % la part des habitants population au-dessous du seuil de pauvreté. Mais ce seuil lui-même est calculé à partir d'un PIB estimé à 635 dollars en 2003. Autrement dit la grande majorité de la population de ce beau pays, francophone et ami, vit avec moins de 250 euros par an. Comment ne pas comprendre dès lors que des réseaux de passeurs parviennent à convaincre des milliers de jeunes Sénégalais que ce que nous considérons, nous, comme des minima sociaux très bas, représente à leurs yeux des pactoles inespérés. Certes aux alentours de Lampedusa l'eldorado européen perd de son attraît mais le mal est fait.
Plus près de nous, Le Figaro décrivait le cas d'une doctoresse gastro-entérologue Voula Diamantou. Le salaire que touche en Grèce ce médecin hospitalier, dans ce pays membre de la zone euro dont tout le monde se plaît à dénoncer la trop prospère fonction publique, s'élève à 1 100 euros par mois. Elle a décidé d'émigrer vers l'Angleterre où on lui en propose immédiatement 2 500. Son mari ingénieur et son fils vont la suivre. (3)⇓
L'INSEE lui-même mesure donc la faiblesse de son approche économétrique hexagonale.
Il estime d'ailleurs que "si la pauvreté monétaire, stable, touche un peu plus d’un ménage sur dix, c’est près d’un tiers d’entre eux qui expriment un net sentiment de difficulté d’existence".
On dispose en effet de divers autres moyens de mesurer les graves souffrances éprouvées par de nombreux Français. Depuis la crise de 2008, toutes les catégories recensées ont vu leurs effectifs en hausse, que l'on envisage les chômeurs, les clients des associations caritatives ou les ménages surendettés.
Ainsi on sait, de sources bancaires, que 13,5 % de nos compatriotes rencontrent de sérieux problèmes pour le remboursement de leurs emprunts, ou bien se retrouvent régulièrement à découvert ou enfin puisent dans leurs épargnes pour couvrir leurs dépenses courantes.
Si l'on interroge les responsables d'organismes tels que les Resto du Cœur, le Secours catholique ou l'Armée du salut on découvre que les bénévoles qui font tourner ces indispensables structures voient les demandes croître plus vite encore que les statistiques officielles.
Dire que tout cela découle de la mondialisation en elle-même paraît une absurdité bien commode, une facilité à laquelle les pires démagogues eux-mêmes ne devraient pas recourir. En effet ce processus d'échanges transnationaux comme transcontinentaux contribue à la baisse des prix industriels. Il rend de plus en plus accessible au plus grand nombre les biens d'équipements. À l'inverse la hausse du coût de la vie résulte plutôt des comportements monopolistes des centrales d'achat et des grandes surfaces opérant sur les biens de consommation courante. Si le prix de vente des fruits et légumes augmente pour le panier de la ménagère et si le prix d'achat payé au producteur diminue ce sont bien les comportements franco-français qu'il convient de mettre en cause.
Remarquons aussi que les thèses de Marx et Engels se trouvent, une fois de plus, battues en brèche par la réalité : la "paupérisation" en Europe ne touche pas prioritairement les ouvriers de l'industrie mais les familles monoparentales, les femmes astreintes à des emplois à temps partiel, les travailleurs précaires, le monde rural et une partie des étudiants, souvent issus des classes moyennes. De plus il existe des populations ou bien de "souche", constitutives du quart-monde, ou bien des migrants sans papiers qui alimentent structurellement la partie de la population la plus pauvre sans aucune référence à l'économie.
Certes la baisse du niveau de l'emploi occasionne, indéniablement, une partie de la hausse de la précarité et de la pauvreté.
Mais alors comment y remédier ?
Comment inverser la tendance observable ces derniers mois ? Certainement pas par une plus grande redistribution étatique. Celle-ci ne crée aucun poste de travail et elle aggrave le déclin de l'économie nationale. La réponse au chômage ne peut pas venir de l'État, elle ne peut venir que des entreprises, et en particulier des petites.
JG Malliarakis
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Apostilles
- L'un des apports les plus importants de la Sociologie de Jules Monnerot a consisté à comprendre dès le départ que "Les faits sociaux ne sont pas des choses" [titre d'un livre qu'il publia en 1947] et à montrer combien le registre "émotionnel" servait la propagation du marxisme qui paradoxalement se veut une pensée "dialectique" et scientifique.⇑
- cf. sur le site de la CIA "The World Factbook".⇑
- cf. Le Figaro du 4 août 2011 article "Ils disent adieu à la Grèce en crise".⇑
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