SALE COUP POUR LES BIGOTS !
Qu'est ce qui fait qu'un «homme» en est bien un?
En quoi se distingue-t-il de ces animaux qui lui sont si proches?
Comment définir au mieux l'«espèce» humaine?
Durant des siècles et des siècles les religieux apportèrent, sans preuves, d'infaillibles réponses.
Ils faisaient alors généralement référence à l'existence d'une âme individuelle associée à des corps reflétant l'image du Dieu créateur.
Puis vinrent les Lumières, la biologie et, plus récemment, la génétique.
Et avec elle tout craque. C'est ainsi qu'une formidable publication de l'hebdomadaire américain Science vient, à un demi-siècle de distance, relancer la problématique philosophique et scientifique qui nourrit le cœur des Animaux dénaturés de Vercors.
Cette problématique est également omniprésente dans le récent ouvrage signé Yves Christen publié chez Flammarion «L'animal est-il une personne?»
La publication de Science apporte pour la première fois la démonstration objective de l'existence - jusqu'ici fort controversée - de «croisements» (et non d'une simple «cohabitation») entre «l'homme de Néanderthal» et les lointains ascendants des populations européennes, asiatiques et australasiennes d'aujourd'hui; un résultat à bien des égards révolutionnaire obtenu par une équipe internationale dirigée par Svante Paabo (Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste de Leipzig). L'affaire n'est pas, techniquement, des moins complexes. On peut néanmoins la résumer assez simplement.
Il était jusqu'ici généralement tenu pour acquis qu'Homo neanderthalensis (depuis longtemps disparu) et Homo sapiens (toujours bien présent et hautement prolifique) étaient des cousins nullement germains mais très éloignés, tous deux issus d'un lointain ancêtre commun ayant vécu il y a cinq ou six millions d'années.
Or voici que nous nous apprenons qu'une fraction (nullement négligeable) du génome du premier est présente dans le nôtre, du moins pour ceux d'entre nous qui sont des «non-Africains».
Telle est la conclusion la plus étonnante du séquençage de l'ADN prélevé notamment sur trois os de Néanderthaliens retrouvés dans une grotte de Croatie où ils furent inhumés il y a près de 40 000 ans.
«Néanderthal»? Son nom est directement issu de Neanderthal, une petite vallée située à proximité de Düsseldorf où, en 1856, des ouvriers carriéristes découvrirent par le plus grand des hasards des os longs et un fragment de calotte crânienne. Les progrès de la paléontologie firent que l'on classa bientôt cet «homme» dans la catégorie des «représentants fossiles» du genre Homo.
Tout indique aujourd'hui que ses congénères vécurent (en Europe et en Asie occidentale) dans une période comprise entre il y a (environ) 400 000 et 28 000 ans.
Et depuis plus d'un siècle les paléoanthropologues se déchirent à son sujet: est-il une sous-espèce d'Homo sapiens proche de nous (et à ce titre Homo sapiens neanderthalensis )? Ou au contraire - comme les spécialistes le pensaient généralement ces derniers temps - une espèce radicalement étrangère à qui on devait retirer le privilège sapiens; un trait d'union entre l'animalité et l'humanité: Homo neanderthalensis.
L'affaire faisait depuis longtemps grand bruit dans le landerneau académique. Elle renvoyait immanquablement à la définition même de l'essence humaine.
Un exemple. Posons qu'Homo neanderthalensis n'est pas un homme. Comment, alors, interpréter les traces multiples retrouvées des préoccupations spirituelles néandertaliennes dont témoignent les sépultures qu'il s'ingénia à élaborer?
Ne serions-nous pas prisonnier de l'image reconstruite de cet être d'une laideur d'autant plus repoussante que simiesque: insupportables «bourrelets sus-orbitaires», «chignon crânien» etc...
Tout cela à priori incompatible avec notre conception de l'intelligence humaine Mais comment comprendre alors que ce «sur-singe»/«sous-homme» doté d'un cerveau légèrement plus volumineux que le nôtre ait pu, lui aussi, nourrir quelques interrogations esthétiques?
Et puis, en prime, ce mystère jamais résolu: pourquoi a-t-il brutalement disparu il y a environ 28 000 ans de la surface de la Terre?
Sur un tel terreau les fantasmes ne peuvent que fleurir. Et ils fleurissent d'autant plus qu'Homo (sapiens) neanderthalensis (seul hominidé apparu en Europe) a longuement coexisté avec notre ancêtre Homo sapiens; aïeul venu (il y a environ 50 000 ans) d'Afrique pour s'implanter sur des terres que l'on ne désignait pas encore comme étant le Vieux Continent. Que s'est-il passé, pendant quelques millénaires, entre ces deux «espèces»? Nos très anciens aïeux ont-ils exterminé un Homo perçu comme un dangereux étranger? N'y a-t-il pas eu entre eux des espaces et des périodes de cohabitation voire d'affinités plus électives?
Longtemps la paléoanthropologie fut une science des plus incertaines et des plus polémiques: elle n'avait pour principal objet d'étude que quelques rares fragments osseux découverts le plus souvent par hasard. A chaque mandibule sortant du sable africain on redessinait les racines de l'arbre généalogique de notre espèce.
Mais les temps changent et cette discipline vit depuis peu une considérable révolution du fait des progrès de la génétique et du séquençage toujours plus rapide de l'ADN et des patrimoines héréditaires.
C'est ainsi que nous découvrons aujourd'hui qu'Homo neanderthalensis et Homo sapiens ont fait beaucoup plus que s'entretuer; ou que se regarder en chiens de faïence. Le travail de l'équipe dirigée par Svante Paabo ne laisse plus place au doute. Cette recherche génétique post mortem en paternité révèle et démontre qu'il y a bien eu suffisamment de relations sexuelles fécondantes entre les deux camps pour que l'on retrouve aujourd'hui entre 1 et 4% de matériel génétique «néandertalien» chez les Homo sapiens eurasiens.
Pour aboutir à une telle conclusion les auteurs de ce travail ont comparé la structure de l'ADN toujours présents dans les trois os (vieux de 38 000 à 40 000 ans) de la grotte croate au génome d'un chimpanzé et de cinq personnes: un Français, un Han chinois, un Papou de Nouvelle-Guinée, deux Africains.
Et c'est bien là que les difficultés commencent. Pour Svante Paabo rien ne permet de dire à quoi correspond précisément aujourd'hui l'héritage génétique néanderthalien. «Tout ce qu'on peut dire, c'est que ce ne sont que des parcelles aléatoires d'ADN, dit-il, prudent car conscient des extrapolations que l'on ne manquera pas de faire des résultats de son équipe. Il y a eu des métissages à un petit niveau. Je préfère laisser à d'autres le soin de se quereller pour savoir si l'on peut nous qualifier d'espèces distinctes ou non. D'un point de vue génétique, ils n'étaient pas très différents de nous.» On appréciera comme il convient la délicatesse du «nous».
Les difficultés se poursuivent avec les pourcentages et les comparaisons établies avec le génome du chimpanzé.
On explique ainsi que 98,8% du patrimoine génétique de ce dernier serait structurellement identique à celui de l'homme «moderne».
A titre de comparaison le génome néanderthalien est à 99,7% identique à celui des Eurasiens contemporains et également identique (à 98,8%) à celui des chimpanzés.
Difficultés encore avec le fait que les généticiens croient pouvoir affirmer que dans les différentes régions du génome de l'«humain contemporain» qui semblent être le siège des «sélections positives dans l'évolution» on trouve trois gènes dont les mutations affectent le développement mental et cognitif; mutations plus ou moins associées aux syndromes schizophréniques, autistiques et à la trisomie 21.
Autres régions du génome humain contemporain différant du Néandertalien: celles incluant des gènes impliqués dans le métabolisme énergétique, le développement de différentes structures osseuses de première importance: boîte crânienne, clavicule et cage thoracique...
En marge du scientifique l'affaire est bien évidemment politiquement explosive.
Certains avaient pris grand plaisir à faire de l'homme de Néanderthal l'archétype du «bon sauvage», cette éternelle victime des colonialistes agissant sous toutes les latitudes, toutes les longitudes.
D'autres, de sinistre mémoire, avaient aussi instrumentalisé la génétique de manière à ce qu'elle permette d'établir les bases -enfin- objectives d'une hiérarchie au sein de l'espèce humaine.
La vérité? Elle est que les techniques de séquençage à haut débit établissent, au risque de choquer, l'existence de différences structurelles incontestables entre les membres de notre espèce.
Une autre vérité est que ces différences ne permettent en aucune façon d'établir une «hiérarchie» entre les humains.
On ne fera pas pour autant l'économie d'une question certes post mortem mais essentielle: devons-nous, dans le cercle de la grande famille humaine, accueillir à grands cris tous les Néanderthaliens, toutes les Néanderthaliennes?
Jean-Yves Nau
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