dimanche 17 avril 2011

Europe : la contagion du populisme

Elle se nourrit du rejet des élites, de la peur de la globalisation, de l'immigration et d'un islam de plus en plus visible.

La vague populiste pourrait encore enfler, dimanche, à l'occasion des élections législatives en Finlande.

Europe : la contagion du populisme

Ils s'appellent Jimmie Akesson, Geert Wilders, Heinz Christian Strache, Pia Kjaersgaard, Siv Jensen, Timo Soini ou Marine Le Pen.

Ils sont jeunes, décomplexés et charismatiques. Ils condamnent à tout-va la politique d'immigration massive à laquelle se prêtent, selon eux, leurs gouvernements. Ils éreintent l'islam, accusé de menacer leurs valeurs et leurs cultures. Ils vitupèrent contre l'Europe. Trop libérale, trop ouverte, trop coûteuse, trop fédérale ; certains d'entre eux prônent même la sortie de l'euro. Ils revendiquent un lien direct avec le peuple qu'ils veulent affranchir des élites politiques coupables d'aveuglement et de faiblesse. Ils ont laissé le politiquement correct au vestiaire et parlent « vrai », en évitant toutefois soigneusement les dérapages racistes qui risqueraient de les marginaliser, les privant ainsi des suffrages du plus grand nombre.

La recette fait miracle : les partis xénophobes, eurosceptiques et nationalistes poussent les feux dans toute l'Europe. Jamais depuis l'entre-deux-guerres, les mouvements protestataires n'avaient rassemblé autant de suffrages. Depuis leur éclosion dans les années 1970, leur nombre et leur influence n'ont cessé d'enfler. On compte aujourd'hui - selon le politologue Dominique Reynié -27 partis populistes de droite dans 18 pays européens différents. Si seulement deux d'entre eux participent à des gouvernements - la Ligue du Nord en Italie et l'UDC en Suisse -, leurs élus siègent dans quatorze Parlements. Aux élections européennes de juin 2009, l'extrême droite a réalisé un score à deux chiffres dans huit Etats membres (Pays-Bas, Belgique, Danemark, Royaume-Uni, Hongrie, Autriche, Bulgarie et Italie) et réuni entre 5 % et 10 % des suffrages dans cinq autres Etats (Finlande, Roumanie, Grèce, France et Slovaquie).

Une inquiétude civilisationnelle

Leurs dernières conquêtes ?

En avril 2010, la Ligue du Nord, alliée du gouvernement Berlusconi, remporte deux régions parmi les plus riches de l'Italie, la Vénétie et le Piémont. L'Autriche expérimente à son tour au printemps dernier un 21 avril 2002 à la française, avec le maintien au second tour de l'élection présidentielle de la candidate du FPO autrichien, Barbara Rosenkranz (15,6 % des voix). En Hongrie, le parti nationaliste Jobbik se hisse au troisième rang des forces politiques du pays (16,7 % des voix). En juin, aux Pays-Bas, le Parti de la liberté (PVV) de Geert Wilders fait une percée historique aux législatives et triple sa présence à la Chambre basse. Enfin, en septembre dernier, le parti xénophobe des Démocrates de Suède, héritier d'une formation néonazie, rafle 20 sièges au Rikstag, la Chambre unique du Parlement.

Les élections de dimanche montreront si les « Vrais Finlandais » de Timo Soini confirment ou non le raz de marée annoncé par les sondages. Si c'est le cas, le mouvement populiste pourrait faire son entrée au gouvernement et même... le diriger. Avec, à la clef, une révision drastique de la politique proeuropéenne de la Finlande. Timo Soini ne souhaite pas que son pays participe au sauvetage des pays les plus endettés de l'Europe du Sud. D'ailleurs, si ça ne tenait qu'à lui, ils ne feraient plus partie de l'euro.

Comment expliquer cette poussée de fièvre extrémiste qui saisit jusqu'aux peuples réputés les plus tolérants, les Néerlandais et les pays du nord de l'Europe, ou encore ceux qui, plus à l'est, sortent à peine de cinquante ans d'obscurantisme communiste ? La crise économique et financière qui a balayé le monde occidental depuis 2007 pourrait justifier bien des colères contre le capitalisme financier et les gouvernements en place. « Ce phénomène a certainement des fondements économiques et sociaux. Il suffit de s'attacher aux résultats des enquêtes : l'hostilité à l'égard des étrangers suit très précisément la courbe du chômage », explique Pascal Helwitt, professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles. Cette nouvelle génération de partis d'extrême droite est apparue dans le sillage des premiers chocs pétroliers, accompagnant la perception que la crise qui se produisait était profonde, structurelle », poursuit-il.

Sans nier ses racines économiques, le spécialiste de l'extrême droite, Jean-Yves Camus évoque cependant un phénomène « plus psychologique qu'économique », sinon comment expliquer la poussée de l'extrême droite en Suisse, au Danemark, aux Pays-Bas, en Suède ou en Autriche, sociétés prospères s'il en est alors que la violence de la crise n'a provoqué aucun réveil de l'extrême droite en Islande, en Irlande, en Espagne ou au Portugal. « Il y a chez ces électeurs un sentiment de décadence, de précarisation, quel que soit d'ailleurs leur statut social. L'élément déterminant c'est la peur du déclassement. » Jean-Yves Camus parle d'une « inquiétude civilisationnelle ».

« Le phénomène n'est pas seulement conjoncturel », confirme Magali Balent, de la Fondation Robert Schuman. Il est lié aux « défis structurels lancés par le processus de mondialisation et se caractérise par un malaise identitaire lié à l'ouverture des économies, à l'immigration et à l'avènement de sociétés multiculturelles ».

A ces explications, Dominique Reynié en ajoute une autre dans l'ouvrage qu'il vient de publier, « Populisme : la pente fatale » : le vieillissement démographique, qui rend les Européens plus réceptifs aux thèmes populistes. Il qualifie de « populisme patrimonial » cette « défense conservatrice et virulente d'un patrimoine matériel qui est le niveau de vie et d'un patrimoine immatériel qui est le style de vie ». Un mouvement de fond capable selon lui « de perturber le système politique des nations européennes comme celui de l'Union dans son ensemble ».

La bête noire européenne

Car l'Europe est l'une des bêtes noires de ces mouvements populistes. « Dans les années 1970, l'Union européenne ne suscitait pas du tout d'hostilité de l'extrême droite. Elle était vue comme un rempart contre le danger communiste. Mais, depuis les années 1990, elle s'est engagée dans une intégration de plus en plus poussée allant jusqu'à abandonner les monnaies nationales au profit de l'euro. Aujourd'hui, l'Europe est perçue comme un exécutant de la mondialisation, ouverte sur l'extérieur, s'élargissant à l'infini, cosmopolitique, multiculturelle », poursuit Magalin Balent.

Face à ces bouleversements, les partis qu'elles qualifient de « nationaux-populistes » proposent la défense de l'identité originelle des peuples européens.

En termes simples et dans la bouche de Jimmie Akesson, leader des Démocrates de Suède, cela se traduit par : « Les musulmans constituent la plus grande menace pour la Suède depuis la Seconde Guerre mondiale. » Ou encore : « Choisissez de mettre fin au financement de l'immigration avant que soit mis fin au financement des retraites. »

L'antisémitisme a quasiment disparu du registre idéologique de l'extrême droite - sauf dans les partis nationalistes est-européens en Pologne, Slovaquie, Roumanie et Hongrie.

Désormais, c'est la lutte contre l'immigration et la résistance à l'influence de l'islam qui sont devenues les nouveaux marqueurs de ces partis.

Geert Wilders, le leader du PVV néerlandais, dénonce une « islamisation rampante » des Pays-Bas et réclame l'interdiction du Coran, qu'il comparait il y a quelques années au « Mein Kampf » d'Hitler. Mesure phare de son programme, qu'il s'ingénie aujourd'hui à mettre en oeuvre, la division de moitié des flux migratoires.

L'Union européenne est, de fait, aujourd'hui, le premier continent d'immigration - légale -au monde, devant les Etats-Unis, avec environ 3,5 millions d'entrants chaque année environ. « La question des équilibres ethniques s'installe au coeur des débats politiques nationaux et européens sur l'immigration et l'identité nationale », précise Dominique Reynié.

Or, « des deux modèles d'accueil des étrangers, le multiculturalisme et l'intégration, aucun n'a fait ses preuves », constate Thierry Chopin, professeur à Sciences po. Les partis nationaux-populistes ont récupéré avec succès cette thématique dont ils jouent avec une grande habileté. « Ces partis se battent contre l'islam en prenant le masque de la démocratie, explique Nonna Mayer, directrice de recherche au Centre d'études européennes de Sciences po. Ils prétendent défendre les droits des femmes et des homosexuels contre une religion présentée comme celle de l'intolérance. »

Ainsi, le leader du PVV, Geert Wilders, qualifie-t-il l'islam d' « idéologie fasciste » et se présente comme le meilleur défenseur des libertés : « Je le dis de la manière la plus claire : ma culture est meilleure que la culture islamique. Nous ne traitons pas les femmes, les hommes, les relations politiques comme cette culture attardée. Chez nous, les individus sont égaux. »

Le silence des élites

Face au silence - longtemps-observé sur ces questions par les élites politiques par crainte de banaliser ces discours, « ces partis populistes ont imposé leur agenda dans le débat public », assure Thierry Chopin. Et tandis que cette droite extrême se saisit de thèmes plus consensuels comme la laïcité, la protection sociale et parfois la défense des minorités, la droite traditionnelle cède peu à peu aux sirènes du populisme, quand elle ne lui a pas carrément succombé comme le gouvernement italien à la Ligue du Nord. Celle-ci influence la politique d'immigration de l'Italie et a obtenu la limitation des transferts de richesse du nord vers le sud du pays. En Suisse, l'UDC a réussi à imposer par référendum l'interdiction de construire des minarets. Au Danemark, le Parti du peuple (DF) monnaye chèrement son soutien au gouvernement minoritaire de Lars Lokke Rasmussen : « La législation danoise s'est nettement durcie sur les critères d'accueil des immigrés et des réfugiés et sur leurs conditions de vie dans le royaume. Le Danemark est devenu l'un des Etats les plus restrictifs d'Europe », affirme le journaliste Antoine Jacob dans la revue « Politique internationale ».

Ce raidissement identitaire gagne la France où le président Nicolas Sarkozy fait le pari que le Front national ralliera d'autant moins de suffrages que le gouvernement s'emparera des thèmes qui inquiètent les Français : immigration et sécurité.

Même la sage Angela Merkel a durci son discours sur l'immigration, prenant acte de l'échec du multiculturalisme. Un récent sondage publié par « Die Zeit » en décembre n'a-t-il pas révélé que deux Allemands sur cinq se sentaient menacés par l'islam, plus que les Français et les Néerlandais ?

La contagion populiste atteint même les rivages de la plus vieille démocratie parlementaire, terre accueillante s'il en est pour les immigrés. A l'approche des élections locales, David Cameron a prononcé hier, dans le Hampshire, un discours très dur dénonçant le coût et les tensions causées par l'immigration massive de ces dernières années. Il vient par ailleurs de faire voter par le Parlement un « verrou référendaire » qui permettra de soumettre à référendum tout futur transfert de souveraineté à l'Union européenne.

Banalisation des politiques de repli identitaire ou prise en compte louable des préoccupations réelles des citoyens ?

Entre les deux, l'Europe balance. « Il est nécessaire de restaurer le sentiment défaillant d'identité des gens et de retrouver un sens d'appartenance à la communauté, conclut Thierry Chopin.

Mais, en flirtant ainsi avec les thématiques de l'extrême droite, les gouvernements prennent le risque d'exacerber les tensions et de créer une distance de plus en plus radicale entre "le peuple" et les élites, "le peuple" et les étrangers, "le peuple" et le reste du monde. »

CATHERINE CHATIGNOUX, Les Echos
(lesechos.fr)
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