LES BONS CONSEILS DU GRAND PATRIOTE JACQUES ATTALI
Démographie. Menace sur les allocations familiales.
Un contresens mortel
Faut-il réserver les allocations familiales aux immigrés ?
Ainsi formulée, pareille proposition a l’air d’une provocation.
C’est bien ce qui risque d’arriver pourtant, si on suit l’une des propositions phare du rapport Attali 2 : mettre les prestations familiales sous condition de ressources.
Luc Ferry la reprend dans une chronique du Figaro qui n’admet pas de réplique : « C’est une évidence », dit-il. Quand deux proches du pouvoir lancent la même idée, c’est qu’il y a anguille sous roche.
Une évidence ? C’est pourtant tout le contraire. Les allocations familiales ne sont substantielles qu’à partir du troisième enfant. L’immense majorité des familles indigènes (le sens exact de “français de souche”) a un ou deux enfants, quand enfant il y a.
Où se situent les familles nombreuses ? Principalement dans l’immigration, surtout sahélienne. Accessoirement dans une frange de la classe moyenne, d’inspiration catholique ou pas, mais consciente de ses responsabilités vis-à-vis des générations futures.
C’est cette deuxième catégorie qui est visée par la proposition. Ce n’est pas la première fois ; Juppé puis Jospin avaient tenté cette mise sous condition de ressources : ils durent chaque fois reculer face à la détermination des associations familiales et surtout de l’opinion, plus intelligente que les Attali, Ferry et consorts.
À tort, on croit que les gens de cette catégorie sont riches. Les jeunes vraiment riches sont rares : les traders de haut vol n’ont en général ni le temps ni l’envie d’avoir à élever des enfants. Dans la société actuelle, les vrais riches sont plutôt grandsparents : le vrai déséquilibre est là, entre les générations autant qu’entre les classes sociales.
Si l’on rapporte les mesures prises depuis trente ans en faveur des hauts revenus (niches fiscales, abaissement des tranches les plus élevées, bouclier fiscal) et au détriment des familles (plafonnement du quotient familial, RDS taxant les prestations, transferts de la branche famille vers la branche vieillesse), c’est, parmi les contribuables de la classe moyenne, un transfert continu qui se sera opéré de ceux qui ont charge d’enfants vers ceux qui n’en ont pas.
Même l’allégement des droits de succession profite bien davantage aux enfants uniques qu’aux familles nombreuses. La mise sous condition de ressources des allocations familiales ne ferait qu’aggraver cette dérive, typique d’une société égoïste et vieillissante.
Or c’est évidemment le contraire qu’il faut faire : le principe d’une politique familiale, ce n’est pas l’aumône faite à des nécessiteux, c’est celui d’une solidarité, à revenu égal, entre ceux qui n’ont pas charge de famille et ceux qui en ont et qui, par conséquent, font des sacrifices pour préparer les retraites des autres. Au moment où se pose de manière aiguë la question de l’avenir des retraites, la proposition Attali est un signal terriblement négatif, d’autant qu’il se conjugue avec une réforme qui ne ménage pas les femmes ayant dû interrompre leur carrière pour élever des enfants.
C’est parce que ce principe de solidarité y a été, bon an, mal an, préservé, que la fécondité en France se porte plutôt moins mal que dans le reste de l’Europe. Encore qu’il ne faille pas oublier que si le taux global de fécondité atteint presque le seuil de renouvellement (2 pour un seuil à 2,1), il ne serait que de 1,7 sans l’apport de l’immigration, un décalage dont on ne connaît que trop les effets à terme et que la politique préconisée par MM. Attali et Ferry ne ferait qu’aggraver.
La mise sous condition de ressources a bien d’autres inconvénients : d’abord la complication bureaucratique pour les bénéficiaires, sans cesse tenus de justifier qu’ils sont au-dessous du seuil. Certes, cette complication existe déjà, une partie des prestations étant déjà conditionnelles : ceux qui fréquentent les sorties d’écoles savent d’ailleurs combien l’allocation de rentrée scolaire, dont c’est le cas, suscite des frustrations à l’égard des bénéficiaires, surtout immigrés.
L’autre conséquence serait la constitution d’un ghetto : les prestations familiales ne seraient plus un droit mais seraient vite perçues comme un signe d’infériorité sociale.
La désastreuse loi Boutin qui tend à chasser des cités HLM tous ceux dont le revenu déclaré n’est plus tout au bas de l’échelle a le même effet.
C’est, non seulement les immigrés, mais la famille nombreuse en tant que telle qui se verraient stigmatisés. Rappelons enfin que cette mise sous condition de ressources, dans les pays qui l’ont mise en place, comme l’Espagne ou l’Italie, fut le premier stade d’un démantèlement pur et simple de la politique familiale, dont on connaît les conséquences graves pour ces pays.
On dira que l’Angleterre de Cameron semble s’engager, austérité oblige, sur cette voie.
Mais le contexte est différent : sait-on que, dans ce pays, les frais de scolarité très lourds du secteur privé sont déductibles de l’impôt sur le revenu ?
L’équilibre démographique, tout relatif, de la France demeure fragile.
Le processus d’intégration l’est encore davantage.
Une mesure qui mettrait en péril l’un et l’autre n’est rien moins qu’une “évidence”!
Roland Hureaux, essayiste
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