SUR LE SITE DE "JEUNESSES IDENTITAIRE GENEVE"
Erick Werner – L’Avant-guerre civile
Auteur : Eric Werner
Titre de l’ouvrage: L’Avant-guerre civile
Date de parution, éditeur, nombre de pages: 1998, L’Age d’Homme, 103 pages
Résumé:
Oeuvre critique et polémique, l’Avant-guerre civile remet en cause nombre d’idées reçues que l’on peut avoir sur la nature des conflits actuels, les formes de totalitarisme, ou même encore la liberté.
Elle commence par une métaphore de la cité grecque afin d’expliquer le rôle des conflits dans la cohésion des individus au sein de nos États-nation. Le premier chapitre du livre s’intitule « La guerre comme remède » et analyse l’importance d’un ennemi commun pour l’unité au sein de la cité : la guerre étrangère serait donc le remède à la guerre civile. Toutefois, l’auteur admet une hiérarchie dans l’importance des conflits en illustrant l’exemple des cités grecques antiques. L’exemple de l’exécution de Socrate à Athènes en 399 av. JC révèle que cet ennemi n’est pas obligatoirement extérieur à la cité, il peut aussi être un bouc émissaire intérieur: « l’unification de la cité se fait non pas avec le philosophe mais contre lui. » (p.35). Eric Werner ne voit cependant pas le philosophe uniquement comme un bouc émissaire, il le voit aussi comme médiateur : il y a donc un autre remède à la guerre civile. C’est une première ébauche de remède alternatif, qui sera plus amplement explicitée au dernier chapitre de ce livre: « La philosophie comme remède ».
Le fait qu’il y ait plusieurs cercles de rivalités (hiérarchie des conflits) implique aussi plusieurs types de reconnaissance du Même et de l’Autre, qui sont spécifiques aux dits cercles : lorsqu’un ennemi cesse d’être reconnu comme tel, une rivalité antérieure devient principale, et donc le Même devient l’Autre. Réciproquement, dés qu’un niveau supérieur apparaît, l’Autre d’avant devient le Même. Ces deux notions devenant très relatives, se pose la question de la nature de ces inimitiés. Tout d’abord, on voit qu’il peut y avoir plusieurs ennemis, mais qu’un seul est prioritaire. Ensuite, il est écrit : « C’est l’antagonisme même les opposant aux Barbares qui fait prendre conscience aux Grecs de leur communauté de sang et de race. Autrement, ils n’y penseraient pas. » (p.20). C’est-à-dire que nous ne sommes pas amis ou ennemis par nature, c’est l’antagonisme qui crée cette différence et non pas l’inverse. Toutefois, le premier se nourrissant de la deuxième, nous entrons dans un cercle vicieux. Avec cet exemple antique, l’auteur fait un parallèle avec les rivalités politiques actuelles, les programmes et slogans se faisant toujours en fonction de l’adversaire.
Il ne se contente toutefois pas de cette vision du conflit, mais la confronte à la situation actuelle de l’État-nation, à savoir son effacement progressif. Avec l’apparition de nouvelles structures de pouvoir transcendant les frontières des dits États, s’est instauré le phénomène que l’on appelle « mondialisme ». Cette vision moniste de la société entraîne un retour à des cercles de rivalités antérieurs, à la guerre civile. Les notions de Même et d’Autre se trouvent donc changées, principalement par « un facteur (…) hérité de l’Entre-deux-guerres » (p.29) : l’idéologie.
Dans cet ouvrage, l’idéologie est vue comme une « idée réduite à sa propre logique » (p. 94), à savoir qu’elle ne tient pas compte de la réalité, voire la nie totalement : l’idéologie se suffit à elle-même. Elle a joué un grand rôle dans la définition des rivalités durant la seconde guerre mondiale. Avec l’exemple du cas français durant cette période, la guerre étrangère n’est plus un remède à la guerre civile, mais bien un catalyseur. L’idéologie est d’autant plus responsable des conflits car elle pousse les particularismes à l’extrême, alors que ceux-ci ne déclencheraient pas forcément une hostilité autrement.
La question est maintenant de savoir si, à notre époque, les conflits idéologiques ont disparus, comme on le pense généralement souvent. Cet essai prend à contre pied cette idée au dernier chapitre en désignant comme adversaires l’idéologie nationaliste et l’idéologie universaliste (l’idéologie actuellement dominante). L’auteur va même plus loin en critiquant cette dernière : « l’idéologie universaliste, dans la mesure où elle combat les particularismes, tend elle-même à se particulariser (…) » (p.92). Deux idéologies rivales vont donc surenchérir l’une sur l’autre afin de pouvoir s’imposer, jusqu’à devenir interchangeables, exemple avec l’antagonisme entre le nazisme et le communisme. De cette réflexion sur cette interchangeabilité découle la question des mouvements appelés « réactifs », se réclamant comme opposition à ce que l’on appelle la « modernité ». D’après l’auteur, ils n’en seraient en fait que les catalyseurs, n’existant pas autrement que ce par quoi ils s’opposent, donc n’ayant pas d’essence propre, ce ne sont que des sous-produits de la modernité. Ce propos pourrait paraître pessimiste à première vue, puisque finalement toute opposition à la modernité serait vouée à l’échec. Toutefois, il n’est dans ce livre jamais question des mouvements « créatifs », qui même en opposition à cette société ne construisent pas leurs projets de société en conséquence.
L’idéologie est donc un instrument de conquête du pouvoir, mais aussi de son exercice. Pour se faire, soit, elle définit un ennemi, soit au contraire elle n’en définit pas ou du moins le rend complètement flou à la compréhension. Dans ce dernier cas, nous avons donc la « guerre civile », mais elle permet au pouvoir de se maintenir : c’est la règle du « diviser pour mieux régner ». En fait, Eric Werner développe l’idée de la guerre civile comme remède à elle-même, l’ordre par le désordre sous toutes ses formes. Notre société ne serait pas entrain de se disloquer, l’insécurité, entre autres, empêchant les citoyens de se constituer en véritable résistance face au Prince.
Ce Prince peut être de nature étatique, ce qui paraît être logique, mais aussi de nature supra-étatique. L’auteur insiste beaucoup sur l’OTAN et ce qu’on appelle l’ « américanisation » : « Hégémonie qui ne s’exerce d’ailleurs pas seulement au plan stratégico-diplomatique, mais aussi économique, commercial, culturel et même idéologique » (p. 65), mais aussi sur certains « ex-soixante-huitards passés de l’autre côté de la barricade » (p.77). Il existe en fait plusieurs Princes à différents niveaux, les pouvoirs supra-étatiques dominant ceux étatiques. En ce qui concerne le rapport commandement-obéissance et les relations gouvernants-gouvernés, il faut prendre en compte seulement le niveau étatique. L’insécurité mentionnée plus haut permet aussi au Prince de légitimer le recours à la force publique. Mais « la référence à l’ordre public n’est bien souvent qu’un faux prétexte, invoqué par le pouvoir pour bâillonner l’opposition et l’empêcher ainsi d’exercer son droit à la critique » (p.41). Nous avons affaire ici au choix entre la liberté et la paix civile : si l’on veut la paix, il ne faut pas remettre en cause le pouvoir du Prince, à savoir actuellement les valeurs sur lesquels il l’appuie. Si on reprend les paragraphes précédents traitant de l’idéologie, nous serions sous le joug d’un régime totalitaire s’habillant de formes démocratiques, dont la domination serait cette fois-ci surtout psychique. Dans cette domination se trouve néanmoins la désignation d’un ennemi, ou plutôt sa non-désignation, ce qui revient au même dans la règle mentionnée dans le paragraphe précédent.
Alors quel remède appliquer à cette société déchirée par les affrontements et les dominations idéologiques ? Eric Werner y répond à la fin de son ouvrage : la philosophie, car elle occupe une position tierce entre les idéologies universalistes et particularistes. Elle voit le monde tel qu’il est et non comme on voudrait qu’il soit. Il met toutefois le lecteur en garde sur le risque de dérives idéologiques qui peuvent tenter la philosophie, car la frontière est très fine entre elle et son ennemie, l’idéologie.
Citation(s):
« On a souvent comparé le suicide de l’Europe au cours de la Première Guerre mondiale à celui de la Grèce durant la guerre du Péloponnèse. Comparaison justifiée, car dans un cas comme dans l’autre, le sentiment d’appartenance commune à une même civilisation avait disparu. » (p. 28)
« L’État moderne prétend volontiers qu’il se fonde sur la séparation du pouvoir et de l’opinion, (…) Mais la réalité est qu’il ne cesse en toute circonstance d’interférer avec les opinions des sociétaires, de leur dire ce qu’ils doivent penser ou ne pas penser. » (p. 39)
« les conquérants et leurs porte-parole tendent volontiers à assimiler les résistants à des bandits ou à des délinquants .» (p. 48)
« dire que les membres de la collectivité ne s’accordent pas entre eux sur la question de savoir qui est l’ennemi, c’est dire qu’ils ne s’accordent pas entre eux sur ce qui les unit. » (p.52)
« Il en va de même des mouvements néo-nazis que les médias s’emploient continûment à mettre en vedette, (…) On peut aussi les considérer comme un sous-produit de l’antinazisme, non pas évidemment celui des adversaires historiques du nazisme, (…) mais des dirigeants européens actuels, qui ont érigé l’antinazisme en fond de commerce institutionnel, afin de verrouiller le système à leur profit. » (p. 83)
Appréciation personnelle :
Après la lecture de cet ouvrage, on en sort transformé. Sa puissance et son intérêt résident dans le fait que finalement chacun peut y trouver son compte. Une analyse approfondie demanderait encore de nombreuses pages, et l’on en arriverait finalement jamais au bout tant le nombre de questionnements qu’il peut soulever est grand. C’est aussi ce qui rend son auteur très difficile à cerner, le classifier dans quelque famille de pensée, politique surtout, serait une erreur, même une absurdité. Même si certains peuvent entrer en totale opposition avec ce livre, la réflexion qu’il engendre et stimule n’en est que bénéfique, on y trouve donc pas seulement des réponses, mais aussi des questions qui nous permettent de nous forger notre propre opinion. Une se pose fondamentalement: notre société est-elle malade ou bien la maladie elle-même? Tenter de formuler une réponse ferait l’objet d’un autre livre, et encore de beaucoup de remises en question.
Pablo
````````````````````````````````````````````````````````````````````````
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire