LES MUSULMANS ONT LEUR PROPRE DEFINITION DES "DROITS DE L'HOMME" !
LE CAIRE, 5 AOUT 1990
La Déclaration du Caire
sur les droits de l'homme
en Islam
La 19e Conférence des ministres des affaires étrangères de l'Organisation de la Conférence islamique (OCI) a adopté, le 2 août 1990, dans le cadre de sa résolution n°49/l9-P[66] la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam.
Cette dernière contient un préambule et vingt-cinq articles.
A. Le Préambule de cette Déclaration affirme que les Etats membres de l'OCI sont convaincus que les droits fondamentaux et les libertés publiques en Islam font partie "de la Foi islamique", car ce sont les droits et les libertés dictés par Dieu "dans ses Livres révélés", et qui font l'objet du message du dernier prophète Muhammad.
Ainsi, cette Déclaration confirme le caractère divin, et à la fois sacré, des droits de l'homme qui trouvent leurs sources d'inspiration dans tous les livres révélés aux prophètes.
La Déclaration du Caire insiste, en premier lieu, sur le rôle de la Oumma, la communauté des croyants. On attend d'elle, d'après le préambule, quelle joue son rôle pour "éclairer la voie de l'humanité" et pour "apporter des solutions aux problèmes chroniques de la civilisation matérialiste".
La Déclaration en question reconnaît les droits de l'homme afin que l'homme soit protégé "contre l'exploitation et la persécution".
Mais, force est de constater que nous ne trouvons aucune référence, dans ce préambule, ni à la Charte des Nations unies, ni à la Déclaration universelle des droits de l'homme.
B. La Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam regroupe les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que quelques principes du droit international humanitaire.
Elle consacre 16 articles aux droits civils et politiques.
Ce sont les articles 1-8, 10-12, et 18-23.
Ainsi, on trouve successivement le droit à la vie (art. 2), l'interdiction de la servitude, de l'humiliation et de l'exploitation de l'homme, né libre (art. 11), le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile (art. 18), l'égalité devant la loi et les garanties judiciaires (art. 19 et 20), la liberté d'expression et d'information (art. 22).
La Déclaration du Caire consacre six articles aux droits économiques, sociaux et culturels. Ce sont les articles suivants : 9, et 13-16.
Elle insiste, en premier lieu, sur les droits culturels: "La quête du savoir est obligatoire", et la société et l'Etat sont tenus d'assurer l'enseignement, qui est "un devoir" (art. 9).
En outre, "Tout homme a le droit de jouir du fruit de toute oeuvre scientifique, littéraire, artistique ou technique dont il est l'auteur" (art. 16).
L'article 13 parle du droit du travail, des garanties sociales pour les travailleurs et des devoirs de l'Etat dans ce domaine.
Le droit de propriété, pourvu que la propriété soit "acquise par des moyens licites", est garanti (art. 15 (a)), et l'usure est prohibée (art. 14).
C. La spécificité de la Déclaration du Caire se manifeste à travers plusieurs dispositions:
1. Le respect de la vie et de l'intégrité du corps humain: la vie est présentée, dans cette déclaration, comme "un don de Dieu", et ce don est "garanti à tout homme" (art. 2a). Celle du foetus est, par exemple, considérée, d'après les règles de la Charia, comme une vie à partir du quatrième mois, et elle doit être protégée comme la mère qui le porte (art. 7a).
La Déclaration insiste également sur le respect de l'intégrité du corps humain, en sorte que "celui-ci ne saurait être l'objet d'agression ou d'atteinte sans motif légitime". Il incombe à l'Etat de garantir le respect de cette inviolabilité (art. 2a).
2. Les principes du droit international humanitaire: la Déclaration énonce quelques principes du droit international humanitaire. Ainsi, l'article 3 évoque ces principes à travers l'interdiction, en cas de recours à la force ou de conflits armés, "de tuer les personnes qui ne participent pas aux combats, tels les vieillards, les femmes et les enfants", ou "l'abattage des arbres, la destruction des cultures ou du cheptel, et la démolition des bâtiments et des installations civiles de l'ennemi par bombardement, dynamitage ou tout autre moyen".
L'article 3 parle aussi du droit du blessé et du malade d'être soigné, de l'échange de prisonniers, de leur droit d'être nourris, hébergés et habillés, et de la réunion des familles séparées.
3. Les devoirs: la notion de devoir, ou plutôt la responsabilité individuelle de l'homme et la responsabilité collective de la communauté, est également affirmées dans la Déclaration du Caire.
Celle-ci mentionne, à plusieurs reprises, les devoirs de l'Etat, de la société, du peuple, et de l'individu. Ainsi, l'Etat et la société "ont le devoir d'éliminer les obstacles au mariage, de le faciliter, de protéger la famille et de l'entourer de l'attention requise" (art. 5b). Il incombe au mari, en tant qu'individu, d'entretenir sa famille (art. 6b). Les Etats et les peuples "ont le devoir de les soutenir dans leur lutte pour l'élimination de toutes les formes de colonisation et d'occupation" (art. 11b). Enfin, si tout homme a droit à une éducation, cette dernière "doit développer la personnalité de l'homme, consolider sa foi en Dieu, cultiver en lui le sens des droits et des devoirs et lui apprendre à les respecter et à les défendre" (art. 9b).
4. La Déclaration s'intéresse plus particulièrement à quelques phénomènes. Ainsi, l'article21 traite d'un problème qui préoccupe la communauté internationale: la prise d'otages.Cet article interdit, en effet "de prendre une personne en otage sous quelque forme, et pourquelque objectif que ce soit".
5. Le droit à un environnement sain: l'article 17 parle du droit de vivre dans un environnement sain, et l'obligation de garantir ce droit incombe à l'Etat. Ce droit ne trouve sa place que dans l'article 24 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981.
D. Quelques dispositions de cette Déclaration ont suscité des controverses:
1. L'égalité: l'article premier affirme que, "Tous les hommes, sans distinction de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d'appartenance politique, de situation sociale ou de toute autre considération, sont égaux en dignité et en responsabilité".
L'égalité se manifesterait-elle seulement en dignité, en devoir et en responsabilité, mais pas en droit! Pourtant, le premier projet de 1979, déjà mentionné, insistait, dans son article premier, sur l'égalité entre tous les membres de la famille humaine. La Déclaration de Dacca affirme, de son côté, l'égalité quant aux droits fondamentaux, entre tous les hommes "sans distinction aucune de race, de couleur, de langue, de religion, de sexe, d'opinion politique, de statut social ou toute autre considération". En revanche, l'article 6 alinéa (a) de la Déclaration du Caire parle de l'égalité entre la femme et l'homme, mais seulement sur le plan de la dignité humaine!
2. Le mariage: l'article 5, alinéa (a), de la Déclaration du Caire, évoque également le droit de se marier: "Aucune entrave relevant de la race, de la couleur ou de la nationalité ne doit les empocher de jouir de ce droit". Quant à la religion, elle n'est pas mentionnée, dans cet alinéa (a) : c'est que la femme musulmane ne se voit pas reconnaître le droit, d'après la Charia, de se marier avec un non-musulman.
3. La liberté de croyance : aucun article ne mentionne la liberté de croyance ou la liberté de manifester sa religion! L'article 10 explique seulement qu'"aucune forme de contrainte ne doit être exercée sur l'homme pour l'obliger à renoncer à sa religion... ". Pourquoi, a-t-on négligé de mentionner la liberté de croyance?
L'Islam respecte pourtant toutes les religions et interdit formellement toute contrainte dans la religion, et plusieurs versets coraniques insistent sur la liberté de religion. D'autre part, les régIes de la Charia protègent la présence des minorités religieuses, surtout les "gens du Livre" (juifs et chrétiens).
4. Le droit d'asile et le problème des réfugiés: l'article 12 confirme la liberté de l'homme, "de circuler et de choisir son lieu de résidence à l'intérieur de son pays", mais à condition de respecter les règles de la Charia.
D'un autre côté, ce même article affirme le droit de se réfugier dans un autre pays si l'on est persécuté: "Le pays d'accueil se doit de lui accorder asile et d'assister sa sécurité, sauf si son exil est motivé par un crime qu'il aurait commis en infraction aux dispositions de la Charia".
5. La Charia comme seule source de référence: les articles 24 et 25 précisent que les droits et les libertés énoncés dans la Déclaration "sont soumis aux dispositions de la Charia" et que cette dernière est "l'unique référence pour l'explication ou l'interprétation de l'un des quelconques articles contenus" dans la Déclaration.
Une grande question se pose concernant cette référence: à quelle Charia, ou précisément à quelle interprétation de la Charia se réfèrent ces deux articles pour expliquer ou interpréter l'un de ces articles? Nous savons qu'il y a au moins, quatre écoles sunnites d'interprétation, et une ou plusieurs écoles chiites: quelle interprétation est donc la bonne?
La Déclaration du Caire mélange les normes des droits de l'homme et les normes du droit international humanitaire, dans le souci de montrer que la Charia comprend des dispositions qui ressemblent, par exemple, aux dispositions figurant dans les Conventions de Genève de 1949.
Mais quelques droits et libertés font cruellement défaut dans cette Déclaration comme la liberté de religion, la liberté de croyance ou la liberté de manifester sa religion.
D'autres articles ressemblent aux articles de la Déclaration universelle des droits de l'homme, comme le droit à l'asile (art. 12), et le droit à la propriété mais avec interdiction, dans la Déclaration du Caire, de l'usure (Ribâ) (art. 14).
Il n'en reste pas moins que la Déclaration du Caire contient des dispositions qui sont très spécifiques, par exemple, l'interdiction de prendre une ou des personnes en otage ou le droit de vivre dans un environnement sain. Au total, on peut avoir le sentiment que l'inspiration de la Déclaration reste en deçà d'une lecture ouverte et tolérante de l'Islam d'aujourd'hui.
Il faut signaler, pour finir, qu'un groupe intergouvernemental d'experts est chargé, actuellement, du suivi de cette Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam. Il a organisé, à cet effet, avant janvier 2003, sept réunions de travail.
Source: Mohammed Amin AL MIDANI, Les droits de l'homme en Islam, Textes des organisations arabes et islamiques, Editions université Marc Bloc, Strasbourg, 2003.
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