mardi 31 mars 2009

LA VIE


11.03.09 - n° 3315


Intégristes : leurs amitiés avec l'extrême droite
par Philippe Merlant


Les lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie-X et les nationalistes d’ultradroite ont des affinités idéologiques et des adversaires communs.



Mais savent aussi se déchirer.


« Je suis un lefebvro-lepéniste. » Conseiller municipal (Front national) de Taverny (Val-d’Oise), Alexandre Simonnot, 31 ans, assume avec fierté sa double appartenance.



Fidèle à la Fraternité Saint-Pie-X, d’un côté, au Front national, de l’autre, il a salué d’un tonitruant communiqué, « Monseigneur Lefebvre avait raison », la nouvelle de la levée des excommunications des quatre évêques intégristes.



Et rappelé que l’évêque d’Écône « avait régulièrement, au grand dam des évêques français marxistes et francs-maçons, appelé à voter pour Jean-Marie Le Pen ». Si on lui objecte que la seule déclaration publique en ce sens date d’avril 1985 (dans une interview au quotidien Présent), il rétorque qu’en privé Mgr Lefebvre ne se privait pas de réitérer son soutien au FN.



Jean-Marie Le Pen, lui, a participé à l’hommage solennel au fondateur d’Écône, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, après sa mort en 1991.



Rien d’étonnant pour Alexandre Simonnot : « C’est le même combat, car nous avons les mêmes adversaires : le communisme et l’avortement. »



Certes, cet élu du FN n’ignore pas qu’il appartient à un parti de rassemblement, qui compte aussi bien dans ses rangs des néopaïens, des traditionalistes et des intégristes.



Certes, il sait que Saint-Nicolas-du-Chardonnet compte des fidèles de toute obédience politique.



Mais vu les soutiens qu’il reçoit de la part des paroissiens intégristes, sa conviction est faite : « 80 % d’entre eux votent FN ! »


Tant que cela ? La plupart des spécialistes de l’extrême droite ne souscrivent pas à cette hypothèse. « C’est sans doute vrai des dirigeants, pas forcément des fidèles », nuance Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).



Les sondages montrent que les catholiques pratiquants, y compris les plus traditionnels, votent plutôt moins FN que les autres.



Et si, en Belgique, les liens entre l’intégrisme et l’extrême droite s’affichent, en France, les liens sont plus dispersés.




Plusieurs raisons à cela. D’abord, l’extrême division qui marque ces deux familles, aussi bien celle des cathos tradis (divisés entre ralliés de la Fraternité Saint-Pierre, néoralliés du Bon-Pasteur et intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X) que celle de la droite nationaliste.



Dans ce contexte, se trouver dans la même case au carrefour des deux familles devient hautement improbable ! « D’un point de vue extérieur, leurs positions peuvent ­sembler très proches ; vu de l’intérieur, ils n’ont rien à voir les uns avec les autres », analyse le sociologue Erwan Lecœur. Constat auquel Jean-Yves Camus ajoute : « Ce sont des univers traversés par de fortes haines intérieures. »


Ensuite, l’arrimage des tradis au Front national n’a pas été exempt d’arrière-pensées tactiques.



C’est en 1984 que se noue l’alliance entre Jean-Marie Le Pen, qui veut sortir le FN de son statut groupusculaire, et Bernard Antony, qui vient d’effectuer un court passage au Centre national des indépendants et paysans, fondé par Antoine Pinay.



L’année suivante, Le Pen annexe la traditionnelle fête de Jeanne-d’Arc, jusqu’ici apanage des Camelots du roi, branche militante avant-guerre de l’Action française. « Comme Maurras, il a fait le choix du catholicisme par tactique : il faut un ordre social fort que seule la religion catholique, en France, peut incarner.



Et Bernard Antony lui a apporté les réseaux qui lui faisaient défaut en province », estime Erwan Lecœur.

Mais dans un pays qui se flatte d’être « la fille aînée de l’Église » et où, comme l’explique Jean-Yves Camus, « les cathos ont du mal à assumer la désobéissance », rompre avec Rome aurait fragilisé le schéma de conquête du leader du FN.



Même si la fibre personnelle de Bernard Antony est plus intégriste que strictement tradi – l’une des associations qu’il a fondées, Chrétiens solidarité, envoie des jeunes cathos français se battre aux côtés des chrétiens au Liban, au Nicaragua ou en Croatie –, il veut garder de bonnes relations avec le Vatican. Dans cette logique, les dirigeants du FN proches des intégristes – tels Roland Gaucher, François Brigneau, Martine Lehideux ou Bruno Gollnisch – mettent leur sympathie personnelle en sourdine, se contentant d’être des fidèles réguliers de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

Enfin, la hiérarchie s’est abstenue de jouer ouvertement la carte du politique.

À une exception près : Philippe Laguérie, qui célébra en 1996 la messe en mémoire du milicien Paul Touvier, « une âme délicate, sensible et nuancée », et a, en juillet dernier, baptisé la troisième fille de Dieudonné en présence de son parrain… un certain Jean-Marie Le Pen !

Mais l’abbé du Bon-Pasteur n’appartient plus stricto sensu à la galaxie des intégristes.

« Ceux-ci sont plus dans le “métapolitique” – un concept né autour de la Nouvelle Droite et qui prône d’abord la bataille des idées – que dans le jeu des relations avec les partis », explique Erwan Lecœur.

Deux passerelles importantes relient malgré tout intégristes et nationalistes.
Les médias, tout d’abord.

Fondé par Bernard Antony, le quotidien Présent a longtemps été dirigé par le conservateur Jean Madiran, ancien collaborateur de Charles Maurras, « dernier titulaire de la francisque (une décoration du régime de Vichy) encore vivant en France », selon Jean-Yves Camus, et rallié au Front national.

Radio Courtoisie, « la radio de toutes les droites », a toujours été un vecteur de rapprochement, voire de cohabitation : les abbés de la Fraternité Saint-Pie-X, tels Alain Lorans et Régis de Cacqueray, y ont leurs émissions ; et le rédacteur en chef a longtemps été Serge de Beketch (ancien directeur de Minute et de National Hebdo, décédé en 2007), qui affichait lui aussi sa double appartenance « lefeb­vro-lepéniste ».

La lutte contre l’avortement, ensuite. « Un acte révolutionnaire et satanique », selon le docteur Xavier Dor, qui a créé voilà 22 ans SOS Tout-Petits, organisation catholique qui revendique une bonne centaine de descentes dans des centres pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Et organise aujourd’hui des prières dans la rue pour la conversion des francs-maçons.« Le lobby proavortement repose avant tout sur les loges. Quand Satan s’est adressé au genre humain, il s’est tourné vers Ève, pas vers Adam. Les maçons ont compris que, pour pervertir la société, il faut pourrir la femme. Le fer de lance de Lucifer, c’est la femme. Et sa prétendue libération n’est qu’un esclavage épouvantable », explique à La Vie le fondateur de SOS Tout-Petits.

Les militants se recrutent aussi bien chez les « ralliés », au Bon-Pasteur ou à la Fraternité Saint-Pierre. « Mais les intégristes sont les plus fidèles, les plus déterminés, les plus militants », affirme sans hésiter le docteur.

Côté politique, Xavier Dor ne cache pas son appartenance au FN, qui a « un vrai programme contre l’avortement ». Du moins, avait… Car l’influence de Marine Le Pen a considérablement édulcoré, selon lui, les positions du FN sur la question.

« Les catholiques sont des orphelins politiques », arboraient nombre de manifestants à la Marche pour la vie de janvier 2007.

Et voilà Xavier Dor tenté par le passage du Rubicon qu’ont déjà effectué d’autres « tradis », tels Martial Bild, Martine Lehideux ou Bernard Antony : rejoindre le Parti de la France, fondé le 23 février par Carl Lang.

Déçus du lepénisme, certains tradis lorgnent vers les groupes plus radicaux.

Au premier rang desquels le Bloc identitaire : la « soupe aux cochons » distribuée aux SDF, les pressions sur le maire de Triel-sur-Seine (78) pour qu’il expulse des gens du voyage, la perturbation des cercles de silence en soutien aux sans-papiers… c’est eux.

Plus radicaux, mais beaucoup moins nombreux : les Intransigeants. Des ultraminoritaires qui ne représentent pas grand-chose.
Mais assument un projet où politique et religieux sont liés : « Le retour à la royauté du Christ », explique Jean-Yves Camus.

Au-delà des apparences, tous ces courants cathos nationalistes partagent une base commune : la théocratie.

(lavie.fr)
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