vendredi 20 février 2009

O.I.F.E.

SUR LE BLOG DE CHRISTINE TASIN



Alain Morvan, le recteur limogé parce qu'il ne voulait pas de lycée musulman

Alain Morvan est agrégé, ancien élève de l'École Normale Supérieure.

Il entame une carrière dans l'enseignement supérieur (spécialiste de la littérature anglaise des 17e et 18e siècles), d'abord comme assistant à la Sorbonne, puis comme professeur d'université; il est nommé d'abord à l'Université de Lille 3 puis à l'Université de Paris 3.

Recteur d'académie de Lyon, il est connu pour son engagement dans la lutte contre le négationnisme, le racisme et l'antisémitisme.


Il s'oppose à la création d'un lycée de confession islamique par l'association Al-Kindi à Décines, avançant des arguments de sécurité et de laïcité.

Après avoir subi des pressions de la part du gouvernement, il est démis pour cette opposition par ce même gouvernement Villepin, le 21 mars 2007.


Auteur, entre autres, du livre L'honneur et les honneurs : souvenirs d'un recteur kärchérisé, Grasset, 2008

80% d’une tranche d’âge au bac et discrimination positive. Que vous inspirent ces deux concepts éducatifs ?


80%, il faut que ce soit un objectif et non une obligation de résultat. Je crois que ce pays meurt d’un mauvais usage de la notion d’obligation de résultat. Les personnels de l’Éducation nationale dont je connais les tourments, puisque j’ai été un de ceux qui ont longtemps transmis des consignes qui paraissaient parfois sévères ou incompréhensibles, vivent toujours dans cette exigence d’objectifs et de résultats.


C’est très bien d’avoir des objectifs et de se poser des résultats, mais il ne faut pas que ça devienne quelque chose de mécanique, et qui contribue à ce que l’on aille à l’encontre de la réalité par des jeux d’écriture.
Croyez-vous vraiment que cela fasse du dégât ?


L’obligation de résultat, quand elle entraîne à simplement faire du chiffre, est tragique. Il faut une ambition, qui est d’élever le niveau de chaque nouvelle classe d’âge, et pour cela il faut des objectifs. Mais c’est tragique quand on en vient à brader un examen sous prétexte qu’il faut arriver à l’horizon fixé par le Gosplan. Cette obligation et cette culture du résultat si chère au Président fait penser davantage à la gestion soviétique des choses, qu’aux rythmes qu’il faut respecter quand on est aux prises avec ce qu’il y a de plus subtil, de plus malléable et en même temps de plus fragile : la matière humaine et en particulier le niveau intellectuel des jeunes.
Donc, ne soyons pas victimes de nos propres pièges, de nos propres miroirs aux alouettes, fixons un but ambitieux pour le Baccalauréat. Mais ne le fixons pas à n’importe quel prix. En ce qui me concerne, dans les trois Académies dont j’ai été responsable, je n’ai jamais donné d’instructions aux jurys pour aller dans un sens de repêchage, et s’il m’arrivait d’avoir vent que deux ou trois de mes collaborateurs s’étaient livrés à ce genre de manœuvre pour redorer le blason de telle ou telle discipline, j’aime autant vous dire que ça se passait mal et que j’étais très mécontent.
Il faut laisser les résultats se construire d’eux-mêmes. On n’en préjuge pas à l’avance. C’est sur le déroulement des enseignements qu’il faut agir, et non sur le résultat de l’évaluation des élèves.
Et pour la discrimination positive ?


C’est une expression qui, je crois, fait violence à l’idée que l’on se fait de la laïcité, de la République et qui à sa façon, est un premier élément de la nation réduite à l’état de puzzle. On est dans l’image que vous donniez tout à l’heure : la carte religieuse ! On est dans une carte. C’est très intéressant, les cartes, mais il ne faut pas qu’elles ghettoïsent.
L’enfer étant pavé de bonnes intentions, la discrimination positive arrive paradoxalement (même si ce n’est pas son but, même si son but est le contraire) à réactiver cette notion de quotas. Alors qu’est-ce qui nous sépare du quota cher à M. Hortefeux et à son successeur M. Besson?


En revanche, s’agissant de ce que l’on appelle l’Éducation prioritaire, je suis bien sûr d’accord pour que, dans un souci d’égalité républicaine, on continue de « donner plus à ceux qui ont moins ». Le gouvernement semble l’oublier.


La déperdition de la langue, l’instauration d’une monoculture prive d’outils pour dialoguer. Serait-ce implicitement voulu pour obtenir plus d’obéissance ?


Je me le suis parfois demandé. Ce n’est pas voulu par tout le monde, c’est le fait d’un certain milieu économique et de ses tentacules politiques. Je ne crois pas à la vieille logomachie marxiste sur les courroies de transmission du CNPF comme on disait à l’époque, mais parfois je me dis que c’est quand même quelque chose que certains hommes politiques s’évertuent à accréditer.
Quand on les voit soucieux de solliciter et d’obtenir l’aval de Madame Parisot !


Quand on voit les liens qui existent dans ce pays entre les responsables au plus haut niveau et les chefs de grandes entreprises, au plus haut des plus hauts avec tel groupe important, on comprend l’expression utilisée autrefois par M. Le Lay – « le temps de cerveau disponible » - avec cette extraordinaire franchise qui le caractérisait.


On a là un matériau ductile, malléable, profitons-en. Je me dis que parfois il y a un lien très direct entre ce type de comportement (« temps de cerveau disponible ») et "Ne laissons pas à nos chers téléspectateurs, à nos chers auditeurs, à nos chers électeurs, à nos chers consommateurs, le temps de réfléchir".


Les cadres ne sont-ils pas un peu complices ?


Quand je vois les réactions d’anciens universitaires, responsables de postes éminents dans l’administration de la recherche, qui nous disent : « Vous ne vous rendez pas compte, les professeurs sont devenus fous ; il y a quelques années, à l’agrégation de philosophie, ils ont même mis Plotin!»


Là, on se dit qu’entre M. Le Lay et cette façon très béotienne de fustiger La Princesse de Clèves ou Plotin, il y a quand même une continuité qui est trop évidente. Ces gens ne veulent pas laisser à nos chères têtes blondes le temps d’être trop des têtes justement. Que sous la blondeur ou n’importe quelle couleur, le cerveau se calme et apprenne donc les règles du commerce.
Je n’ai rien contre le commerce : c’est une activité digne et noble mais il faut de tout dans une société.


Une société qui ne serait qu’une société de spécialistes, de relations publiques et de transactions commerciales, se condamnerait à mort. Il faut que l’esprit humain reste à la tête de l’attelage. Il a les rênes et le reste n’est que l’intendance. Mais l’intendance ne gouverne pas, comme nous le savons depuis fort longtemps.


Pour vous la laïcité est-elle un concept vendeur ou une école de pensée toujours à réformer ?
Si par réformer on entend réformer la loi de 1905, alors là, prudence ! Pas prudence de ma part, mais prudence de la part de ceux qui voudraient s’y risquer. On voit très bien que derrière tout cela, il y a une façon de répondre à un certain nombre de demandes qui ont été faites à ceux qui détiennent aujourd’hui le pouvoir, et qu’il s’agit de promesses qui ont été arrachées, ou – ce qui est pire – librement consenties.


Ca ne date pas d’aujourd’hui. A l’époque où M. Sarkozy était Ministre de l’Intérieur depuis peu de temps, il a créé le Conseil National du Culte Musulman, les Conseils régionaux des Cultes Musulmans, toujours en vertu du principe que ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre.
La République devient un immense jeu de construction que l’on vend à la découpe. Je revendique pleinement cette expression que j’avais utilisée comme Recteur en fin 2006, quand j’avais sous ma fenêtre des individus qui gesticulaient en m’accusant d’être raciste et xénophobe ; et plus encore, en accusant la loi d’être raciste et xénophobe. Il s’agissait de la loi qui interdisait le port du voile à l’école.


Les démonstrations et les menaces, les pressions exercées à l’époque par les milieux islamistes et leurs complices m’ont coûté ma place. Il n’y a rien de plus normal dans la république d’aujourd’hui lorsqu’un fonctionnaire est insulté par des extrémistes que de liquider le fonctionnaire !


On préfère faire sauter le fusible ?


Je compatis pour le département de la Manche dont on change le Préfet au bout de six mois et demi de présence ! Les Préfets ne sont pas faits pour cacher la vérité, mais pour la laisser apparaître. Si le président de la République veut avoir en province des voyages qui sont d’une totale insincérité, il faut faire ce qu’a fait le Préfet de Lyon, qui, lui, connaît bien la maison puisqu’il a été l’un des plus proches collaborateurs du Président au ministère de l’Intérieur. Il faut transformer, comme ce fut le cas hier, le centre ville de Lyon en une forteresse inexpugnable.


Ce qui me fait sourire, c’est le peu de confiance qu’ont le gouvernement et le président de la République, dans la considération que leur portent leurs concitoyens, leurs électeurs. Faut-il qu’ils se sentent fragiles, pour qu’on fasse des exemples de cette nature ! Eh quoi ! le rôle d’un Préfet serait de faire croire au Président de la République que tout va bien ? Et bien comme ça, nous irons à la catastrophe plus vite encore.


Le risque pour toute personne qui a du pouvoir, c’est la courtisanerie qui s’installe autour d’elle, mais encore faut-il que la personne ainsi entourée ait le souci de s’informer. Si non seulement on ne s’informe pas mais que l’on montre qu’on sanctionne très vigoureusement les gens qui laissent s’exprimer un tant soit peu l’opinion publique, où allons-nous ?
Revenons sur cette image de la France en « vente à la découpe »


Au risque de passer pour une vieille ganache jacobine, je dirai qu’il nous faut une République qui soit « UNE ». Je n’irai pas jusqu’à dire « et indivisible », de crainte que l’on me dise que je date ! Nous avons le devoir de renouveler tous les matins ce contrat qui est un contrat de total dévouement vis-à-vis de notre pays.


Excusez cette expression un peu religieuse mais je pense que c’est une espèce de baptême dont il faut renouveler les vœux tous les jours. Nous sommes tous de facto, que nous nous appelions Mohamed, Hortefeux ou Besson, nous sommes tous des Français de seconde main, de seconde intention, dans la mesure où la France ne va pas de soi !
Il faut que nous clamions chaque jour notre attachement non seulement à elle, qui est une belle entité, mais aussi à sa forme d’administration qui est la République, et qui est une partie de sa beauté.


La Loi 1905 fait-elle partie de cette "beauté" ?


Ne touchons pas à la loi de 1905. On ne peut plus, à l’heure actuelle, avoir des doutes sur tous ceux qui poussent le régime dans le sens d’une plus grande ouverture à la religion. Moi, je n’ai rien contre la religion et toute une partie de la bonne ambiance dont j’ai au début bénéficié à Lyon, ça a été dû justement au fait d’être à l’écoute les uns des autres... avant que les choses ne se gâtent à cause de la satanée école islamiste


Pendant un certain temps, j’ai eu de très bons rapports avec le Recteur de la mosquée de Lyon, avant qu’il ne soit victime (et partie prenante) de la compétition inter-CRCM.
Des religions qui s'immiscent dans la sphère publique ?


Il faut être lucide ; ce qui se passe dans notre pays depuis quelques temps nous montre à quel point les religions sont intéressées. Certaines en tous cas.
J’ai eu l’occasion récemment lors de la remise du Prix de la laïcité, de faire l’éloge d’une femme dont on a assez peu parlé en France, qui est morte il y a quatre mois, c’était une policière afghane qui s’appelait Malalaï Kakar ; cette femme a été tuée devant chez elle et devant ses enfants de plusieurs balles dans la tête.

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Cette femme, l’une des très rare policières d’Afghanistan, dirigeait à Kandahar le département de répression des violences faites aux femmes. Comme telle, elle avait un rôle très précieux à jouer dans la traque des Talibans. Les Talibans ont fini par l’abattre. A ma demande, le jury du Prix m’a autorisé à lui rendre hommage, et j’ai pris la parole pour saluer l’initiative de cette femme.


Il n'y a pas que cette religion là, si l'on en juge par la récente déclaration d'un évêque tout juste réintégré


Lorsque j’ai fait cette déclaration devant le jury et le public, à l’Hôtel de Ville de Paris, le pape venait quelques jours plus tôt d’annoncer son intention de réhabiliter nos bons seigneurs Williamson & C°. Ce « monseigneur » Williamson, je l’avais entendu sur Internet jouer son rôle de parfait petit négationniste antisémite. Je me rends compte que les évêques français ont mis une bonne dizaine de jours avant d’avoir le bon esprit de réagir. Pourquoi ce temps de latence ? Sans doute par manque d’esprit critique et par prudence.


Vous savez, on s’est beaucoup moqué de l’époque soviétique où l’on attendait les instructions de Moscou. C ’est la même logique : on attend les instructions de Rome. Il y avait probablement à Rome quelques cardinaux un peu plus ouverts que le pape lui-même – je parle du Pape actuel – et qui ont compris l’indignation de l’opinion.


Cette affaire étant mal engagée, et pour sauver l’honneur de l’Eglise catholique, on a décidé qu’on laisserait quelques éminences prendre leurs distances par rapport à ce très étonnant Williamson !


Moi ça m’a rappelé des souvenirs, vous comprenez. Moi qui ai dû patauger dans le marigot le plus gluant lorsque, recteur de Lyon, je luttais contre le négationnisme, je ne m’y suis pas fait que des amis. Mais, même avec cette expérience, cet exquis « évêque » intégriste est parvenu à me surprendre. Lui, il y va franco de port.


Pas un juif, selon lui, n’aurait été gazé ! C’est quand même extraordinaire que ce soient ces gens-là et ce pape-là, qui viennent décerner au chef de l’Etat un brevet de « laïcité positive », devant tout le gouvernement sanglotant d’émotion, M. le Ministre de l’Education Nationale baisant la main du pape…


Les religions à l'assaut, selon vous ?


Que ce soient ces gens là qui viennent nous dire maintenant, « Faisons évoluer les choses, la laïcité ne peut pas être la laïcité étroite de combat qu’elle était au temps du petit père Combes, etc. » a le mérite d’être très clair.


Si c’est pour laisser parler de plus en plus « Monseigneur » Williamson, je trouve que c’est consternant ; d’autant que derrière tout cela, il y a des enjeux qui sont insoupçonnés et probablement de certains catholiques eux-mêmes – j’aimerais le croire en tous cas. Je veux parler de cette offensive très préoccupante qui se déroule et dont nous voyons la trace dans notre pays depuis quelques années contre l’exercice de l’esprit critique et, pire encore, contre la science et ses acquis.


Je pense bien entendu au débat qui oppose les théoriciens de l’Intelligent Design aux darwiniens. Je pense donc aux créationnistes. Lorsque j’étais Recteur, j’ai vu l’offensive menée par des Turcs islamistes sous forme d’un luxueux Album de la Création où l’on nous montrait, par exemple, que la langouste n’avait jamais bougé depuis les origines, que Dieu est donc tout-puissant et que Darwin n’était qu’un imposteur…


L'intégrisme est une des choses les mieux partagées, à vous entendre


On nous explique que les darwiniens n’ont rien compris, que tout a été créé de manière immuable, comme que les livres saints, notamment le Coran ou la Genèse, l’ont décrit.

J’ai été frappé, quand je me suis colleté à ce dossier, de deux choses : d’une part qu’il y a une espèce de solidarité internationale de l’intégrisme, toutes tendances confondues.


D’autre part, que contrairement à ce que je croyais, et au sein même de certains établissements religieux, notamment catholiques sous contrat, on tenait la bride très courte aux professeurs de biologie, et qu’on ne les laissait pas trop s’aventurer afin que le concept d’évolution ne soit pas trop à l’honneur.


Devant ce retour militant et fier de lui-même à l’obscurantisme, devant cette collusion effroyable – si elle n’était risible – entre l’antisémitisme, l’intégrisme et la pensée traditionnelle de l’extrême droite telle qu’un certain catholicisme intégriste peut l’exprimer, je pense qu’il faut être très prudent quand on vient vous dire qu’il serait opportun d’être plus compréhensif quant à l’évolution la loi de 1905.


Ce serait en tout cas une très grave erreur que de le faire maintenant. Plus qu’un crime, ce serait une faute, pour parodier l’expression célèbre de Talleyrand.


Pour cause de guerre au Proche-Orient, la Catalogne a décidé d’annuler une commémoration publique de la Shoah. Simple mélange des genres ? Instrumentalisation de la Shoah ?
Je ne le savais pas, les bras m’en tombent. Je vais répondre par une question : la capitale de la Catalogne aurait-elle changé ? Serait-elle Munich ?C’est effroyable, méprisable et en même temps tellement conforme. Ce qui me frappe et m’inquiète pour l’avenir, c’est la dimension grandissante que prend la peur.


La peur, qu’elle s’exprime par une sorte d’angoisse carriériste au premier degré, ou plus sournoisement par cette espèce d’autocensure que les gens s’infligent en faisant en sorte de ne pas déplaire à l’échelon supérieur, fait qu’on cherche à tout prix à être dans la ligne. Je trouve cela effrayant!

C’est pire que tout et cela prouve que l’on a vraiment besoin d’une Éducation nationale qui reste un service Public.

3 février 2009

Josiane Sberro © Primo,

(christinetasin)

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