mardi 1 juillet 2014

SEBASTIEN LE PRESTRE DE VAUBAN

La guerre sous Louis XIV (III) – Génie, artillerie et guerre de siège
Statue de Vauban à Avallon par Bartholdi.

La guerre sous Louis XIV (III) – Génie, artillerie et guerre de siège

Comme nous l’avons vu précédemment, les guerres sous l’Ancien Régime sont dominées par le siège des places fortes. Il ne faut pas entendre par là que la guerre est uniquement tournée vers le siège, car nombre de batailles en rase campagne ont lieu. Mais force est de constater que le siège d’une place et la prise des places fortes en territoire ennemi constitue la finalité de toute campagne militaire. L’enjeu est de taille : dans son propos introductif, Vauban n’hésite pas à affirmer que « le gain d’une bataille rend bien le Vainqueur maître de la Campagne pour un temps, mais non pas du Païs, s’il n’en prend pas les places. »[1]

Ce à quoi R. C Smail ajoute : « Un envahisseur pouvait maîtriser une zone quand il l’occupait avec une armée. Mais s’il ne s’emparait d’aucune place forte, cette maitrise prenait fin avec la retraite de ses forces armées. L’objectif premier d’un agresseur venu annexer un territoire était d’en saisir et d‘en occuper les points forts, et non, comme aujourd’hui,  de détruire ou de paralyser les forces mobiles ennemies pour imposer sa volonté au pouvoir dont il attaquait les terres. »[2]

Cette citation est fort révélatrice de l’enjeu guerrier du Moyen Âge : l’anéantissement de l’armée ennemie n’est pas l’objectif, c’est la conquête des places fortes. Pourquoi ? D’abord les armées du Moyen Âge sont sans commune mesure avec les armées modernes : réduites numériquement et dénuées de moyens techniques d’anéantir l’armée ennemie sans se détruire en partie elle-même, restant largement codifiée avec une suprématie des combats de cavalerie, l’agresseur n’avait d’autre moyen d’assurer l’annexion d’une terre que par la prise des positions fortifiées qu’elle contient.  En effet, outre l’importance des places fortes dans le système défensif, ces dernières sont aussi bien souvent le siège d’un pouvoir local : la vicaria castri du Moyen Âge a une fonction symbolique et politique ; c’est le siège du pouvoir du seigneur, qui marque ainsi son droit de ban sur la population vivant aux alentours. S’en emparer est donc le meilleur moyen, voire le seul, de contrôler la base économique de la région annexée.

Militairement parlant, il serait fastidieux de refaire tout l’historique de l’évolution des fortifications. Disons simplement qu’avec l’apogée des fortifications en pierres qui marquent l’imaginaire collectif aujourd’hui, aux alentours du XIVe siècle, les techniques de combats – encore relativement simples malgré l’évolution de la poliorcétique – restaient les mêmes que deux siècles auparavant : les assauts étaient humains principalement, on s’en prémunissait donc en édifiant de hautes murailles, relativement épaisses. Tout change au XVe siècle avec l’invention d’une puissante artillerie de siège, capable de briser les défenses de citadelles que l’on croyait jusque là imprenables. C’est ce qui permit aux Rois Catholiques, forts d’un train d’artillerie de siège de 180 pièces, de réduire, entre 1482 et 1492, toutes les citadelles du royaume de Grenade, achevant la Reconquista et « l’âge de la défense verticale. »

Portrait de Sébastien Le Prestre de Vauban.
Portrait de Sébastien Le Prestre de Vauban.

Il ne faut pas s’imaginer que c’est Vauban qui fut l’inventeur de la « défense en profondeur » et de la configuration en étoile. Dès les années 1440, un humaniste et architecte italien du nom de Leon Battista Alberti propose dans son traité De re aedificatoria de disposer les fortifications en dents de scie afin de briser l’effet de choc des énormes projectiles des bombardes, non moins monstrueuses, utilisées alors. Mais aucun gouvernement italien de ce temps ne prêta attention au traité d’Alberti, qui ne fut publié qu’en 1485.

L’invasion de la péninsule par Charles VIII en 1494 précipite l’acquisition d’armes à feu par les différents États italiens et achève la démonstration de l’impuissance des anciennes fortifications face à un déluge de feu. Pourtant, des ingénieurs italiens étaient dès lors en train d’imaginer une parade à la prédominance du feu sur les assauts humains lors des sièges : construire des forteresses plus basses mais plus épaisses, mieux protégées contre les projectiles mais en revanche vulnérables à des assauts humains. Pouvant accueillir des pièces d’artillerie dont la taille diminue à mesure que leur puissance augmente, les fortifications deviennent géométriques, complexes, avec des systèmes de bastions, couronnements, ravelins et larges douves pour contrer les assauts ennemis et les tenir en respect hors des villages et autres positions stratégiques vitales pour la garnison, qui dispose « de tous les fourrages qui sont sous la demi-portée du Canon ».[3]

Cette « trace italienne », de nombreux États vont s’en doter, initiant la mise en place de « ceintures » de forteresses sur leurs frontières. Cependant, ces constructions ont un coût, et pas des moindres : le projet de construction de 18 bastions autour de Rome fut abandonné en 1542 quand on se rendit compte que la construction d’un seul ouvrage coûterait au trésor pontifical 50 000 ducats, soit l’équivalent de 100 000 francs.[4]

Quant à Vauban, il ne fait que reprendre ce qui se fait depuis plus d’un siècle en matière de fortifications, à ceci près qu’il va savoir tirer tout le bénéfice de ce nouvel art de la guerre de siège afin de rendre imprenables les fortifications du royaume, et de permettre au contraire la prise rapide de celles de l’ennemi.

Né en 1633, Sébastien le Preste, futur marquis de Vauban, est issu d’une famille noble du Morvan (Bourgogne). Durant la Fronde (1648-1652), Vauban s’engage dans l’arme rebelle du prince de Condé alors qu’il n’a que 17 ans. Capturé en 1653, il est conduit devant Mazarin qui, séduit par sa vivacité d’esprit, le convainc de se mettre à son service, c’est-à-dire au service du roi. Participant à de nombreux sièges, souvent blessé, Vauban se distingue suffisamment pour être nommé ingénieur militaire responsable des fortifications en 1655, à 22 ans. Il perfectionne les forteresses des Flandres et en prend plusieurs, notamment Douai, Lille, Tournai, en seulement 9 jours.

Nommé commissaire général des fortifications en 1678, Vauban va continuer à s’illustrer au service de Louis XIV à la fois en sa qualité de preneur de places, mais aussi grâce à ses constructions et ses modernisations de forteresses préexistantes.

D’abord, c’est sur l’instigation de Vauban que le roi négocie, lors du traité de Nimègue de 1678 mettant fin à la guerre de Dévolution, la fameuse « ceinture de fer », plus connu sous le terme de « pré-carré ».
pre carre vaubanQu’est-ce que le « pré-carré » ? Expression empruntée au droit privé, cette politique s’inscrit dans le revirement stratégique de la France vers la fin du XVIIe siècle, une fois les derniers grands noms de l’école suédoise décédés, comme Turenne. Renonçant à l’offensive, la France, sous l’impulsion de Vauban et appuyée par Louvois, se tourne vers la défense de ses frontières du Nord en négociant une partie des citadelles des Flandres afin de défendre Paris contre d’éventuelles agressions étrangères, notamment Lille, Tournai, Menin, Marienbourg, Charleroi, Cambrai, Maubeuge. 

On obtenait alors une frontière quasi linéaire, ne représentant ni une frontière géographique, ni historique, ni linguistique, mais stratégique. Celle-ci devait permettre à la France de se prémunir d’une invasion étrangère, notamment venue de Hollande. Vauban eut pour mission de moderniser ces forteresses, afin de former une triple ligne défensive impénétrable qui montra toute son efficacité lors de la guerre de succession d’Espagne (1701-1714).[5]

Vauban eut aussi pour tâche de fortifier les côtes, notamment bretonnes, pour contrer un éventuel débarquement de troupes anglaises dans la péninsule, organisant d’ailleurs avec succès la défense de Camaret en 1694. Grand bâtisseur, Vauban va ainsi construire et moderniser plus de 180 forteresses.

Constructeur de places, Vauban est aussi un brillant preneur de places. Rationalisant la guerre de siège, il élabore un système permettant de prendre rapidement des forteresses avec un coût minimum en pertes humaines. Dans le septième chapitre de son  Mémoire pour servir d’instruction à la conduite des sièges, Vauban rappelle seize maximes générales sur la manière de conduire correctement un siège. Nous n’en ferons pas le détail ici, mais nous pouvons résumer ces maximes :
  • Rationnel, Vauban explique, et cela peut nous paraître élémentaire aujourd’hui mais cela ne l’était pas à l’époque,  qu’un siège se planifie de longue date, avec des plans de bataille, l’étude du terrain bordant les fortifications pour y placer au mieux les redoutes, les tranchées.
  • Les tranchées doivent être larges et ne doivent pas être construites de telle manière que les pièces d’artillerie ennemies puissent y semer la mort.
  • Ces tranchées doivent permettre la sortie rapide de ses occupants en cas de repli ou d’attaque.
  • Il ne faut jamais attaquer une forteresse de front, afin de ne pas subir un feu de flanc, ni dans un angle rentrant.[6]
Les tranchées parallèles mises en place par Vauban.
Les tranchées parallèles mises en place par Vauban.

Là où Vauban innove, c’est qu’il rationnalise l’art de la guerre, du moins l’art du siège et de la défense d’une place. Expliquant dans l’avant-propos de son Mémoire pour servir d’instruction dans la conduite des sièges que le siège d’une place est moins, sinon nullement, soumis aux aléas qu’une bataille en rase campagne, Vauban considère donc qu’un siège doit être systémique, rationnel, préparé. En cela nous pouvons affirmer que Vauban se situe dans la même ligne directrice que son maître, qui, on l’a vu, se plaisait à tout planifier à l’avance, au grand désarroi de ses maréchaux.
L’artillerie subit elle aussi une réforme dont elle avait besoin. Arme très négligée, ne formant pas un corps d’armée à part entière, l’artillerie faisait jusqu’alors partie intégrante de l’infanterie, servie par des fantassins lors des campagnes. Sous l’impulsion de Louvois, des compagnies de canonniers et de bombardiers — servant de mortiers et d’obusiers ­— voient le jour.

Tactiquement parlant, cela ne change guère : les pièces de « vieille invention », lourds canons longs de petit calibre, servent à la fois en tant que canon de campagne mais aussi, et surtout, en tant qu’arme de siège. Comme vu dans un autre article, il n’existe aucune distinction entre arme de siège et arme de campagne avant les réformes de Gribeauval dans les années 1770. Cependant, après la guerre de Hollande (1672-1678), un capitaine espagnol au service de Louis le Grand, le capitaine Gonzales, protégé de La Frezelière et soutenu par Louvois, entend produire de nouvelles pièces, plus légères et plus maniables ainsi que moins voraces en poudre. Mais face à la montée en puissance des guerres de sièges par rapport aux guerres en rase campagne, ce projet n’aboutit pas.

Autre innovation dans le domaine de l’artillerie : la progression de l’usage des mortiers tirant des obus explosifs à mèche, en réponse à la fortification avancée des villes et des places, à partir des années 1680.

Dans le prochain épisode de notre série, nous nous intéresserons à la Royale, la flotte de guerre française.

Nicolas Champion
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