LA SAINTE INQUISITION
Pour en finir avec l’Inquisition
Fanatiques torturant et immolant
des innocents rendus coupables d’hérésie, l’Inquisition et ses
serviteurs comptabilisent à eux seuls de nombreux préjugés erronés,
issus pour la plupart de la pensée des Lumières si prompte à critiquer
l’Église, mais également par les historiens républicains du XIXe et
jusque dans les années 1950-60, toujours dans une optique anticléricale,
reprise de nos jours par la sphère bien pensante du milieu politique et
journalistique pour dénoncer un événement « arbitraire », démontrant
une fois de plus son ignorance et son hypocrisie totale quant à la lutte
face aux préjugés.
Nous avons décidé de faire la lumière sur cette
justice extraordinaire que fut l’Inquisition. Par commodité, nous ne
traiterons que l’origine et l’application de l’Inquisition dans le
royaume de France entre le XIe et la fin du XIIIe siècle.
Introduction
Avant de parler de l’Inquisition, nous
aimerions mettre les choses au clair et apporter au lecteur une méthode
de compréhension de l’événement historique sujet à caution. L’Histoire
n’est pas manichéenne, elle n’est pas le récit de la lutte entre les
bons et les mauvais, entre les justes et les injustes, entre le Bien et
le Mal, pas plus qu’elle n’est le produit de la lutte des classes. Pour
comprendre un événement ou une période historique, comme par exemple le
Moyen Âge, il faut se replacer dans le contexte de l’époque et « dans la
tête » d’un contemporain. Juger l’Inquisition et la lutte contre
l’hérésie avec notre œil d’homme du XXIe siècle conduit forcément à une
erreur d’interprétation, où l’on verrait un combat entre une Église
tyrannique et intolérante combattant contre la liberté de culte et
d’expression, deux notions qui, soit dit en passant, sont totalement
inconnues à l’époque.
De même que juger le christianisme et le dogme de
l’Église au travers de la pensée païenne de la Grèce ou de la Rome
antique conduit forcément à une mauvaise compréhension des faits, voire à
une partialité réductrice digne des Lumières envers l’Église, faisant
passer les cultes païens germaniques pour de joyeuses fêtes
folkloriques, l’hérésie cathare pour un courant écologiste progressiste
et non violent en plein Moyen Âge, alors que le catholicisme serait
considéré comme une régression intellectuelle et un frein à une
conception moderne de la liberté, inconnue au Moyen Âge.
L’hérésie, un péril où chacun est concerné
Ce qu’il faut comprendre, c’est que
l’hérésie au Moyen Âge est une déviance, due à une remise ne cause de la
Trinité et du dogme de l’Église, sans lequel le salut ne peut
s’excercer. Or, l’Église est universelle et son objectif ultime est
d’assurer le salut des âmes des « gens des Nations » par l’unité de la
foi sur Terre. Prenons comme exemple un corps humain représentant la
chrétienté, dont la tête serait le Christ. Chaque partie du corps humain
représente chaque chrétien. L’unité de la foi assure la bonne santé
dudit corps, au nom du Christ, la tête, sans qui le Salut est
impossible. Si l’une des parties du corps est malade, deux solutions
sont possibles pour éviter la propagation à l’ensemble de l’organisme :
1) la guérison de l’hérésie par tous les moyens dont dispose l’Église :
prédication, évangélisation, excommunication, interdit ; 2) l’ablation
du membre si aucun remède ne fonctionne, autrement dit, appel au bras
séculier, seul capable de mettre en œuvre la torture et la répression
violente, sans quoi l’intégralité du corps sera parasité et le salut de
tous sera compromis.
En cela, tous les chrétiens sont acteurs de cette
universalité de la foi en Christ. Ainsi, on le verra, l’Inquisition ne
choquait personne et était approuvée par une large majorité de la
population, car créait un sentiment d’appartenance à une même
communauté, l’adversité renforçant les liens entre les membres
identifiés d’une même communauté.
L’hérésie languedocienne, définition et condamnation
Le
catharisme se développa dans le Sud-Ouest de la France, où l’Église
carolingienne s’était moins bien développée que dans le reste du
royaume, c’est-à-dire au Nord de la Loire (lire notre article sur le Catharisme).
Comme le note Jean Chélini, les déviances religieuses s’appuyaient
généralement sur des sentiments régionalistes. L’hérésie languedocienne,
comme les autres déviances de cette époque, sont paradoxalement dues
entre autre chose à la volonté de réforme profonde de l’Église, initiée
dès le XIe siècle et connue sous le nom de « réforme grégorienne ».
Cette réforme avait encouragé l’instruction des laïcs en matière
religieuse et avait entrainé chez certains une curiosité spirituelle qui
les a conduit à rechercher d’autres moyens d’assurer leur salut dans
des formes hétérodoxes.
L’hérésie languedocienne est une des
formes les plus virulentes et les plus dangereuses de ces déviances
apparues au cours du siècle. Ses fondements remontent probablement aux
premiers balbutiements du christianisme en Orient et reposent sur un
manichéisme simple : selon la doctrine, l’univers serait en proie à la
lutte permanente entre le Bien et le Mal, le Bien ayant créé l’Esprit,
le Mal la matière, ce qui revient à dire que l’Univers a été créé non
pas par Dieu, mais par Satan.
Aux yeux de cette secte, Jésus n’est pas
le fils de Dieu, mais un ange dont la vie terrestre n’était qu’une
illusion. Autrement dit, les cathares ne voient en la Passion qu’une
illusion, car Jésus étant un ange ; il ne peut pas mourir et ne peut
donc, logiquement, ressusciter le troisième jour. De même, Marie n’était
qu’une illusion également, un pur esprit. Pour les cathares, lorsque le
corps meurt, il reste dans le royaume terrestre du Démon, alors que
l’âme rejoint le monde des esprits.
Les cathares se fondent sur une morale à
deux étages : la majorité, appelée « croyants », n’est soumise à aucune
contrainte morale ou de vie. À l’inverse, les élites de la société
cathare, appelées « parfaits », forment le noyau de cette secte. Ayant
rompu tout lien avec leur famille, ils vivent en communauté et
s’astreignent à une vie très rude : jeûne permanent entraînant parfois
des morts par inanition, interdiction de tout rapport sexuel, obligeant
les « parfaits » à quitter leur conjoint et à vivre une vie de célibat.
Mais, et c’est là que l’on voit que le catharisme est plus une secte
qu’une Église de par la non-unité du dogme, certains parfaits ne sont
pas opposés aux rapports charnels, mais critiquent l’intrusion du
mariage.
En somme, ils prônent la liberté sexuelle[1].
De ce fait, le catharisme, plus qu’une hérésie, est une parfaite remise
en cause de l’Église et de la société féodale telle qu’elle existe à
l’époque. Cette secte se développa très vite dans la région, touchant
nombre de membres de la cour comtale de Toulouse.
L’Église ne tarde pas à réagir : le
concile de Latran IV de 1215 condamne l’hérésie cathare dans le canon I
et réaffirme ensuite avec vigueur tous les points de la doctrine
catholique contestés pas les hérétiques :
- Dieu est le seul créateur de toutes choses,
- Seul le prêtre peut donner les sacrements, alors que les « parfaits » se considéraient capables de transmettre une sorte de sacrement tout-puissant[2] par l’apposition des mains (consolamentum),
- Le pain et le vin sont nécessaires lors de la célébration du sacrifice, où se produit la transsubstantiation du pain et du vin, qui deviennent alors la chair et le sang du Christ (Matthieu XXVI, 26-30),
- Le mariage des laïcs est bon et n’empêche nullement d’atteindre le salut de l’âme.
Le canon III, le plus important pour
notre sujet, met en place les moyens de la répression que l’on appellera
Inquisition par la suite : les hérétiques reconnus coupables devaient
être livrés au bras séculier (la justice laïque), leurs biens devaient
être confisqués. Les receleurs d’hérétiques devaient être excommuniés et
bannis de toute fonction publique ; les évêques ayant au sein de leurs
diocèses des hérétiques devaient mener une enquête et faire appliquer
les sanctions canoniques prévues, les évêques négligents seraient
déposés, on ne pouvait prêcher qu’avec l’accord écrit du pape ou de
l’évêque ordinaire. Lorsque la croisade fut déclarée, les croisés
recevaient les mêmes privilèges spirituels que lors des croisades en
Terre Sainte. Le concile de Latran IV dépouilla officiellement Raymond
IV du comtat de Toulouse ainsi qu’à toute sa famille.
La répression de l’hérésie par l’Inquisition
L’Inquisition est officiellement créée en 1231 par le pape Grégoire IX au travers de la bulle Excommunicatus.
Cependant, l’Église n’a pas attendu cette date pour lutter contre
l’hérésie. On l’a vu, le rôle de combattre les hérétiques échoit aux
évêques, qui depuis les premiers siècles du christianisme ont cette
mission. Nous allons ici pouvoir casser la légende noire de
l’Inquisition : il n’a jamais été dans les habitudes de l’Église de
rafler les hérétiques de manière arbitraire et de tous les livrer au
bûcher. En réalité, le meilleur moyen pour lutter contre les hérésies et
contre le paganisme en son temps, fut, comme le disait saint Bernard de
Cîteaux, par les arguments et non par la violence. Ainsi, la
prédication, le débat public pour confronter les hérétiques à leurs
erreurs fut la première arme de l’Église contre les cathares. Si les
légats pontificaux envoyés par Innocent III dès 1198 dans le Midi
échouèrent, ce fut moins le cas de Dominique de Guzman, jeune chanoine
castillan qui traversa le Languedoc où il constata les ravages que
provoquait le catharisme. Avec l’accord de son évêque, Diègue d’Ozma,
Dominique parcourut la région pendant dix ans afin de prêcher la vraie
foi parmi les hérétiques, afin de les ramener dans le droit chemin.
C’est là qu’il fonda l’ordre des dominicains, qui regroupait d’anciens
cathares ayant abjuré.
Si, comme on l’a vu, l’Inquisition nait
officiellement en 1231, ce n’est en réalité que l’aboutissement d’un
processus que certains font remonter au traité de Paris, mais qui, selon
Jean Chélini, remonte au concile de Vérone de 1184, où le pape Lucius
III condamne pour la première fois l’hérésie néo-manichéiste (les
cathares) ainsi que d’autre courants hérétiques.
Il est décrété que le
pouvoir civil doit assistance pleine et entière aux évêques pour lutter
contre l’hérésie (ce qui n’est qu’un rappel de la tradition de l’appui
du bras séculier) sous peine d’excommunication. De même, les populations
civiles sont invitées à dénoncer les hérétiques aux évêques.
Le concile d’Avignon de 1209 décrète que
chaque paroisse comportera désormais un tribunal composé d’un laïc et
d’un religieux chargé de démasquer les hérétiques et leurs complices,
disposition confirmée par le canon III du concile de Latran IV de 1215.
Les ordres mendiants vont être chargés de traquer l’hérésie et de
l’éradiquer, ils formeront le fer de lance de l’Inquisition.
L’Inquisition à sa création sous le
pontificat de Grégoire IX (1227-1241) possède un caractère indépendant.
Reflet des ambitions théocratiques de Grégoire, l’Inquisition se place
directement sous la juridiction du pape, et ne dépend d’aucune
juridiction civile ou ecclésiastique autre. L’Inquisition est une
justice extraordinaire, qui supplante toute forme de droit ou de
coutume. Elle est « la manifestation et l’instrument du pouvoir pontifical »[3].
C’est une justice rationnelle, qui élabore des manuels, précis et
pratiques. L’Inquisition tient des registres de toutes les personnes
accusées d’hérésie. Elle repose sur la procédure d’enquête (inquisitio
en latin). Le but est de recueillir l’aveu de l’accusé, car cet aveu
permet le pardon et la repentance. Le recours à la torture, uniquement
utilisée lorsque les accusés refusaient d’avouer malgré les preuves, car
les preuves étaient nécessaires, était utilisé, même s’il restait
exceptionnel. En réalité, les peines et les moyens utilisés par
l’Inquisition étaient loin de ce que l’on veut nous faire croire
aujourd’hui : l’inquisiteur, arrivé sur place, décrète deux édits, l’un
ordonnant la dénonciation des hérétiques par la population, si celle-ci
est ostentatoire[4]
sous peine d’excommunication, l’autre ordonnant aux hérétiques
d’abjurer sous un délai de 15 à 30 jours pour être pardonné. En cas de
refus, les récalcitrants font l’objet de poursuites.
Jean Sévillia nous explique dans Historiquement correct,
que l’Inquisition était une justice tempérée et paperassière. Nous
pouvons aller en ce sens, mais émettre quand même une critique :
contrairement à Sévillia, Jean-Louis Biget, spécialiste reconnu de
l’Inquisition et de l’hérésie cathare, affirme que l’accusé n’avait
aucun recours en appel ni la possibilité de produire de témoins ou
d’avoir un défenseur. Cependant, les faux témoignages étaient également
poursuivis, ceci étant un péché mortel (Exode XX 16).
Cependant, tous deux vont dans le même
sens en ce qui concerne les peines : alors que les manuels scolaires
dépeignent des hérétiques persécutés voués aux pires châtiments, la
réalité est encore une fois dépassée par le mythe. Les chiffres montrent
que sur les 930 sentences que prononce par exemple l’inquisiteur
Bernard Gui à Albi entre 1308 et 1323 on compte : 139 acquittements, 286
pénitences religieuses (imposition de croix, pèlerinage ou service
militaire en terre Sainte), 307 incarcérations, 156 sentences diverses
(allant de l’exposition au pilori à la destruction de maison ou à
l’exil) et seulement 42 condamnations au bûcher.
À noter qu’en ce qui
concerne la torture et la mise à mort, seul le pouvoir civil possédait
cette capacité jusqu’en 1252, où Innocent IV l’autorise pour les
tribunaux ecclésiastiques à condition que le prisonnier ne soit ni
mutilé, ni que son sang ne coule. De même, la papauté veille au grain :
les abus des inquisiteurs sont réprimandés.
Conclusion
Certes, l’Inquisition ne fut pas
toujours tendre envers les hérétiques, mais il faut se replacer dans le
contexte de l’époque pour concevoir le fait que ce tribunal n’était en
rien un instrument de tyrannie, mais bien un outil pour rétablir la paix
et l’unité de la chrétienté. L’hérésie cathare disparut presque
totalement du Sud-Ouest dans les années 1320, ses adeptes revenus dans
la foi catholique ou bien exterminés (au sens latin du terme : ex terminis :
« hors des frontières », c’est à dire contraints à l’exil en Allemagne
ou en Italie).
Il n’y a en effet jamais eu de massacres de cathares : la
célèbre phrase attribuée au légat Amaury en 1209 : « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », a
en réalité été écrite cinquante ans après le sac de Béziers où fut
théoriquement prononcée cette fameuse harangue, par un moine allemand,
Césaire de Heisterbach, dans son œuvre Le livre des miracles.
Nicolas Champion
Bibliographie
- GAUVARD Claude (dir.), Dictionnaire de la France médiévale, paris PUF, 2011
- CHELINI Jean, Histoire religieuse de la France médiévale, Paris, Pluriel, 2010, 663 p.
- SEVILLIA Jean, Historiquement correct, Paris, Tempus, 2003 (rééd. 2013), 510p.
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