lundi 5 mai 2014

CRISTEROS



Les Cristeros ou l'honneur de Dieu

 




Andy Garcia prête ses traits au général Gorostieta, qui fit d'une troupe de va-nu-pieds une véritable armée, fière de défiler à pied ou à cheval derrière la bannière du Christ et de la Vierge de Guadalupe. Derrière lui, le jeune martyr cristero de 13 ans José Sánchez, interprété par Mauricio Kuri.


Le 14 mai, loin des paillettes du Festival de Cannes, sortira en salles Cristeros, un film américain avec Andy Garcia évoquant la lutte et le martyre de paysans et de prêtres catholiques mexicains antigouvernementaux en 1926. 
Une histoire vraie et méconnue.

Source Le Figaro Magazine
 Du sang et des larmes, de la poudre et des balles, des feux dans la nuit et des mitraillades au soleil du matin: c'est la guerre. Une guerre qui se déroule au milieu du désert ou dans des villages surmontés de petites églises de style jésuite: nous sommes au Mexique. Les voitures sont rares, on se déplace à cheval: ce sont les années 1920. 

Dix ans après Emiliano Zapata et Pancho Villa, qui se battaient au nom de la révolution, d'autres paysans se font trouer la peau. Mais ceux-ci, au nom du Christ et de la Vierge de Guadalupe.

 Qui sait en Europe, que des milliers de Mexicains sont morts, entre 1926 et 1937, pour avoir défendu le droit de pratiquer leur religion? 

C'est cette tragédie que raconte Cristeros , un combat pour la liberté, un film qui sortira le 14 mai, œuvre du réalisateur américain Dean Wright et interprété par de grandes stars de Hollywood comme Andy Garcia, Eva Longoria, Oscar Isaac et Peter O'Toole, dans un de ses derniers rôles.

Tout commence par un discours de Plutarco Elías Calles, le président mexicain, stigmatisant l'Église catholique comme l'ennemi public numéro un. 

Chef de l'État depuis 1924, Calles a entrepris la mise en œuvre d'une législation qui existait avant son élection, mais qui n'était pas appliquée. En 1910 a éclaté la révolution mexicaine, longue guerre civile qui s'est terminée par la victoire d'un courant mêlant nationalisme, agrarisme, socialisme et anticléricalisme. 

La Constitution de 1917, qui a renforcé le pouvoir présidentiel et les prérogatives de l'État fédéral, stipule que l'Église est privée de personnalité juridique. Le texte prévoit par ailleurs la nationalisation des lieux de culte, la sécularisation des écoles, la prohibition des vœux monastiques, l'interdiction du droit de vote pour les membres du clergé et l'interdiction du port de l'habit ecclésiastique dans l'espace public.


Le 2 février 1926, une lettre apostolique du pape Pie XI incite évêques, prêtres et fidèles du Mexique à se défendre, mais en s'en tenant à «une action religieuse, morale, intellectuelle, économique et sociale». 

Alors que Calles confie l'application des lois antireligieuses à l'armée, qui utilise d'emblée la violence à l'égard des opposants - réels ou supposés -, la hiérarchie de l'Église, elle, appelle au calme. 

Le 14 juin, une nouvelle loi fédérale décide l'expulsion des congrégations enseignantes, la nationalisation des biens de l'Église et l'interdiction des organisations professionnelles catholiques. Mais les catholiques usent encore de recours pacifiques: occupations d'églises, manifestations de rue, boycott économique, remise d'une pétition au Congrès (2 millions de signatures, dans un pays de 15 millions d'habitants). À l'origine de ces initiatives se trouvent des associations de laïcs catholiques: Ligue nationale de défense religieuse, Union populaire, Action catholique de la jeunesse mexicaine.

Le 2 juillet, enfin, un décret rend passible des tribunaux toute infraction aux lois antireligieuses et oblige les prêtres à se faire enregistrer dans les commissariats, le ministère de l'Intérieur étant chargé de leur affectation dans les paroisses. En accord avec le pape, l'épiscopat réplique par une disposition qui prend effet le 31 juillet: dans toutes les églises du Mexique, le culte est suspendu et doit le rester jusqu'à l'abrogation de la loi. Destinée à faire pression sur Calles, cette mesure sans précédent aboutit à un résultat que n'avaient prévu ni le gouvernement - pour qui la religion était une affaire de bonnes femmes qui ne broncheraient pas devant la force - ni l'épiscopat - qui sous-estimait le peuple chrétien.

Une insurrection qui s'étend dans la moitié du Mexique

Le 31 juillet 1926, un soulèvement armé se déclenche à Oaxaca. En août, six foyers insurrectionnels sont signalés ; en septembre, treize supplémentaires ; en octobre, une vingtaine d'autres. Début 1927, le soulèvement s'étend…

Ce sont des paysans pauvres, dans l'immense majorité des cas, qui ont pris les armes. Équipés sommairement, manquant de munitions, dépourvus d'artillerie, rarement dotés de chevaux, ils se battent avec les moyens du bord. L'année précédente, Pie XI a institué la fête du Christ-Roi. Ils en tirent leur cri de guerre: «Viva Cristo Rey!» Ce cri leur vaut le sobriquet de Cristeros, terme qu'ils s'approprient comme un titre de gloire. Leurs drapeaux portent l'image de la Vierge de Guadalupe, apparue miraculeusement, en 1531, à l'Indien Juan Diego.

Partie du centre ouest, cette insurrection - que les historiens nomment la Christiade * - finit par toucher la moitié du pays, allant jusqu'à contrôler, à son apogée, une douzaine d'États de la fédération mexicaine. Un résultat obtenu grâce au recrutement par les Cristeros, en juillet 1927, d'Enrique Gorostieta Velarde (Andy Garcia dans le film de Dean Wright), un général de 38 ans, mis à la retraite en raison de son opposition à la politique gouvernementale. 

Des bandes inorganisées du départ, chaque chef dirigeant ses hommes, tel El Catorce («Le Quatorze»), ainsi surnommé parce qu'il a, à lui seul, tué quatorze soldats venus l'arrêter, Gorostieta constitue une armée disciplinée, répartie en régiments. Rebaptisée Garde nationale, elle regroupe 50.000 hommes. Figures mythiques, le père Vega et le père Pedroza, prêtres et généraux, commandent respectivement deux et sept régiments. Les femmes des brigades Sainte-Jeanne-d'Arc, elles, assurent l'approvisionnement en munitions, l'intendance, l'infirmerie et parfois l'espionnage.

Le sort des Cristeros, un temps victorieux, va se jouer loin d'eux. Les États-Unis, d'une part, ont besoin d'un Mexique pacifié, de façon à ce que la sécurité de leurs concessions pétrolières soit assurée. La hiérarchie de l'Église, d'autre part, que ce soit Pie XI ou les évêques mexicains qui se sont exilés (trois seuls, restés dans leurs montagnes, soutiennent l'insurrection), cherche une porte de sortie politique et diplomatique. 

Entamé dès 1927, un jeu serré se déroule entre le président Calles, Dwight Morrow, l'ambassadeur américain à Mexico, et Mgr Ruiz y Flores, le président du comité épiscopal mexicain qui, nommé délégué apostolique (représentant du pape), est autorisé à revenir au Mexique. Ces tractations se soldent par la signature, le 21 juin 1929, d'un accord (arreglos, «arrangements») entre Emilio Portes Gil, successeur de Calles à la tête du Mexique, et Mgr Ruiz y Flores. Cet accord prévoit la reprise du culte, le retour des évêques et, bien que les Cristeros n'aient pas été consultés, la fin des combats. Les lois antireligieuses, toutefois, ne sont pas abolies, mais suspendues.

Aux yeux du pape, cet accord s'impose à la fois pour des raisons prudentielles (l'Église prônant le respect a priori des autorités établies) et pour des raisons religieuses (par crainte que la privation durable des sacrements ne nuise au salut des âmes). Mais les arreglos de 1929, conclus trois semaines après la mort au combat du général Gorostieta, tombé dans une embuscade vraisemblablement montée par les services secrets mexicains, condamnent les insurgés, dont la lutte est dorénavant sans espoir.

Marché de dupes? Si la cathédrale de Mexico est rouverte le 15 août 1930, les forces de l'ordre, au même moment, traquent les anciens Cristeros (plus de 5000 d'entre eux, selon l'historien Jean Meyer, seront exécutés après 1929) et font toujours la chasse au clergé qui se cache: en 1935, 305 prêtres sont autorisés sur le territoire mexicain, contre 4500 avant la rébellion. Graham Greene, dans son roman La Puissance et la Gloire (1940), brossera le portrait d'un prêtre clandestin, déchiré entre son indignité (il est devenu ivrogne) et sa volonté de fidélité à son sacerdoce.

Pie XI manifesta son inquiétude sur la situation des Cristeros



Le 23 novembre 1927, des photographes immortalisent l'exécution du père Miguel Pro, fusillé sans procès. Quelques secondes avant les tirs, il écarte les bras dans un geste d'un symbolisme évident.


En 1932 éclate une seconde Christiade, brève et vaine, et Pie XI proteste contre le non-respect des arreglos par le gouvernement mexicain. En mars 1937, le souverain pontife publie coup sur coup trois encycliques condamnant des régimes ayant pour trait commun de persécuter l'Église: Mit brennender Sorge sur le nazisme, Divini Redemptoris sur le communisme et Firmissimam Constantiam sur la situation religieuse au Mexique. 

Selon certains témoins, Pie XI, en privé, reconnaissait a posteriori la légitimité de la lutte armée des Cristeros…

Cette guerre, selon Jean Meyer, a fait près de 250.000 victimes: environ 100.000 combattants, dont 60.000 gouvernementaux et 40.000 Cristeros, et 150.000 civils. Plus d'une trentaine de prêtres et de laïcs cristeros ont été béatifiés ou canonisés sous le pontificat de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Le film de Dean Wright met en scène la fin bouleversante de l'un d'entre eux, José Sánchez del Río, engagé chez les Cristeros à 13 ans, fait prisonnier, torturé dans l'attente qu'il abjure sa foi, poignardé, puis achevé d'une balle dans le dos. Dans la poche d'un vêtement de ce garçon, on trouvera un papier destiné à sa mère: «Ma petite maman. Me voilà pris et ils vont me tuer. Je suis content. La seule chose qui m'inquiète est que tu vas pleurer. Ne pleure pas, nous nous retrouverons. José, mort pour le Christ-Roi.»

En janvier 1979, le premier voyage à l'étranger de Jean-Paul II a été pour le Mexique. On raconte qu'au sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe, des vétérans de la guerre des Cristeros s'étaient massés sur son trajet. Au passage du Vicaire du Christ, les vieillards auraient poussé leur ancien cri de ralliement: «Viva Cristo Rey!»

* Jean Meyer est le premier historien français des Cristeros. Les Éditions CLD publient de lui La Cristiada. La guerre du peuple mexicain pour la liberté religieuse (224 p., 300 illustrations, 35 €, en librairie le 13 mai) et La Rébellion des Cristeros. L'Église, l'Etat et le peuple dans la révolution mexicaine, réédition enrichie de La Christiade (Payot, 1975). Autre ouvrage de Jean Meyer, La Révolution mexicaine (Tallandier, collection «Texto»), comprend un chapitre sur les Cristeros. À lire aussi le livre lyrique et plein d'empathie pour son sujet de Hugues Kéraly, La Véritable Histoire des Cristeros (Éditions de l'Homme Nouveau).






Mon père, ce héros cristero

INTERVIEW - José Francisco Gutiérrez évoque la mémoire de son père, un célèbre général cristero.
Propos recueillis par Isabelle Schmitz.

LE FIGARO MAGAZINE. - 

Comment votre père s'est-il engagé dans la lutte armée aux côtés des Cristeros?

 
José FRANCISCO GUTIÉRREZ. - Mon père, José Gutiérrez y Gutiérrez, faisait partie de la Gironda, un groupe d'étudiants catholiques lancé par Anacleto González Flores, un jeune avocat. On y parlait philosophie, histoire, politique. Dans un pays où 90% de la population étaient des catholiques pratiquants, l'article 130 de la Constitution de 1917, qui ôtait toute liberté à l'Église, préoccupait. 

La résistance pacifique s'organisait: pétitions, manifestations… Quand le président Calles, élu en 1924, transforma la pression en répression, mon père, qui était alors en troisième année de médecine, rejoignit les Cristeros. À la mort du général Gorostieta, le héros du film Cristeros, il fut nommé général et devint le bras droit de celui qui prit la tête de l'armée cristera, Jesús Degollado.

Votre père vous a-t-il transmis son passé de Cristero?
 
C'était la passion de sa vie, qu'il vivait de façon dépassionnée: sa famille avait été divisée entre Cristeros et fédéraux. Lors d'attaques de trains de marchandises, il s'était plusieurs fois retrouvé face à son cousin, officier de police à Guadalajara. À chaque fois qu'ils se sont croisés, ils se sont salués de loin, sans se tirer dessus. Après la guerre, ils se sont réconciliés.

Qu'a fait votre père après la signature des accords de 1929 entre le gouvernement et l'Église?
Même si les accords lui semblaient insuffisants et sans garantie, mon père a obéi aux évêques, comme la majorité des Cristeros, qui, en moins d'un mois, ont déposé les armes. Au cours d'une démarche officielle, sur la place de leur village, ils remettaient leurs armes et leurs chevaux…

Mon père a eu la vie sauve grâce au général officiel à qui il les a remis: celui-ci lui a recommandé de quitter le Mexique le jour même. Cinq mille autres Cristeros n'ont pas eu cette chance et ont été abattus malgré la garantie d'amnistie. Après huit mois d'exil à Los Angeles, mon père est revenu au Mexique et a vécu dans la clandestinité, essayant pendant huit ans de s'inscrire en faculté de médecine, en vain. Jusqu'à l'ouverture d'une faculté privée.

Votre père vous a-t-il parlé des actes de violence de son camp?
 
L'incendie d'un train, qui contenait encore des passagers, alors que le général pensait qu'ils avaient été évacués, est à ma connaissance un cas unique, évoqué d'ailleurs par le film. Mon père m'a parlé de ses attaques de trains de marchandises, où les passagers étaient systématiquement libérés. 

Les Cristeros n'ont pas torturé, contrairement aux fédéraux, qui n'ont pas hésité à massacrer des villages entiers, suspectés de venir en aide aux Cristeros. L'appui de la population des campagnes était en effet massivement du côté des Cristeros.
Une résistance non-violente aurait-elle été une solution?
 
Les catholiques ont résisté pacifiquement pendant près de dix ans. La violence du gouvernement rendait inéluctable la résistance armée, n'importe quel acte religieux non autorisé donnait lieu à des représailles terribles: un mariage, une première communion… qui finissaient en exécutions sommaires et endeuillaient tout un village. Comment ne pas réagir à de telles atrocités? Ce n'est pas dans le sang mexicain.






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