CALAIS : LA GALE
La ville de Calais saturée par les migrants
Les trois principaux camps, où vivent 550 personnes, vont être démantelés.
De 250 personnes en juin 2013,
elle est désormais passée à 700. En plein centre-ville, sous le pont
Mollien, au pied de la mairie, dans la zone portuaire, dans des squats
disséminés dans la ville. Pire encore depuis 15 jours, dit la mairie de
Calais, où «l'on constate un afflux très important de nouvelles
populations».
Somaliens, Afghans, Syriens, Palestiniens, Irakiens,
Érythréens, Égyptiens, Ukrainiens… Des tentes de fortune amoncelées sur
le béton, avec 3 ou 4 occupants vivant dans des conditions
désastreuses. «Même les chiens et les chats, on ne les laisse pas vivre
comme ça», dit Ali, un Afghan de 20 ans arrivé il y a trois mois.
«Une
situation inhumaine et scandaleuse», résume Natacha Bourchart,
maire (UMP) de Calais et sénatrice du Pas-de-Calais. «Un no man's land
catastrophique pour le tourisme et l'économie», dit Francis, un enfant
du pays.
C'est pourquoi la municipalité a décidé d'agir. Le 27
mai, une vaste opération d'expulsion sera conduite pour démanteler les
trois camps principaux, où vivent 550 personnes. Natacha Bouchart a
saisi Denis Robin, le préfet du Pas-de-Calais, aux côtés de la chambre
de commerce - l'exploitant portuaire -, des autorités policières et des
hôteliers et restaurateurs du coin, dont l'activité et l'attractivité du
territoire en pâtissent. Le préfet a confirmé cette mesure mercredi
après-midi lors d'un déplacement à la sous-préfecture de Calais. «Un
plan d'intervention en urgence» sera pris par arrêté «dans les jours qui
viennent».
L'urgence est d'abord sanitaire. Les cas de gale, très
contagieuse, seraient nombreux, selon les associations et l'Agence
régionale de santé (ARS) qui avancent une contamination de l'ordre de 20
à 25 %.
Traitée au cas par cas jusqu'à maintenant, la gestion de
l'épidémie sera cette fois collective. Comprimés et mesures d'hygiène,
sur la base du volontariat, a précisé le préfet. Deuxième mesure: la
fermeture des trois camps, «pour ne pas revivre la “jungle”», démantelée
en 2009.
Enfin, une solution d'hébergement sera proposée aux migrants
mineurs, dans un parc à l'écart de Calais. Dans la région du Calaisis,
les migrants seraient 850 au total. Les autorités en avaient éloigné 930
en 2012, 1300 en 2013, compare le préfet Robin, et déjà 1800 à 2000
pour les seuls premiers mois de 2014.
«Ce n'est plus contrôlable,
c'est le ras-le-bol généralisé», constate Natacha Bouchart. Face à
«l'inertie», dit-elle, elle ne pouvait plus fermer les yeux, comme il
lui avait été recommandé à l'approche des JO de Londres ou bien des
élections municipales. La venue de Manuel Valls
en décembre dernier lui avait apporté deux compagnies de CRS
supplémentaires. Mais «pour le fond du problème, rien!», commente
Francis. Même les associations arrivent «à saturation», dit Vincent
Lenoir, président de l'association Salam. La nourriture manque, «on est
obligé d'organiser la distribution de manière militaire», regrette le
bénévole. Ce qui entraîne des tensions, des rixes, des règlements de
comptes, admettent plusieurs migrants du camp du port.
Les camions toujours convoités
Sous
la tente de Zaid, Syrien de 27 ans, Khaled, Palestinien de 33 ans, et
Mouafaq, Syrien de 52 ans, on rêve des côtes anglaises autour d'un thé à
l'eau trouble. Mouafaq a une fille de l'autre côté. Huit ans qu'il ne
l'a pas vue. Il ne connaît pas son petit-fils. Propriétaire de huit
maisons en Syrie,
toutes tombées sous les bombes, cet ancien constructeur ironise sur la
toile qui lui tient désormais lieu de toit. Tous ont essayé deux, trois,
quatre fois de traverser la Manche sous les essieux des camions.
«Capturé à chaque fois», regrette Mahdi, un jeune Palestinien. Une fois
au port de Calais par les policiers français, une fois en
Grande-Bretagne, après une traversée dangereuse mais victorieuse. Ils
retenteront tous, prévoient-ils, car «même dans ces conditions, c'est
toujours mieux que dans nos pays en guerre», dit Zaid.
Dans la
tente à côté s'entassent un médecin, un avocat et un ingénieur. L'un
d'eux vient d'arriver, «on le voit à sa chemise encore impeccable et son
pantalon de costume, désigne en souriant Abdullah John, le doyen “très
respecté” du campement. Quand il sera là depuis 5 mois, comme moi, il
s'habillera comme nous!» Comme tous ceux aussi, des Africains ceux-là,
qui sont sous le pont du centre-ville.
Des journées à penser au nouveau
plan à monter pour traverser. «Certains ont même essayé à la nage, croit
savoir Arnaud, 35 km!» Ou bien à pied. «Des chaussures avec le pied
coupé à l'intérieur ont été retrouvées dans le tunnel sous la Manche»,
assure-t-il. Si les migrants essaient par tous les moyens, les camions
sont la façon la plus convoitée.
Malgré l'arsenal des systèmes de
contrôle tels que les scanners géants, les perches à CO2 pour détecter
la trace d'une respiration clandestine ou les «heart bit» pour traquer
les mouvements du cœur. Peu, en revanche, parlent des passeurs.
«Pas
confiance, dit Khaled, et pas d'argent.» Un ticket sans garantie de
résultat qui s'achète entre 2000 et 5000 euros.
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