DR LOUIS DESTOUCHES ...ET MR CELINE (HAS CELINE BEEN INSTRUMENTAL IN THE SUICIDE OF DR ICHOK ?)
L.-F. Céline à Clichy
L.-F. Céline à Clichy
par Marc Laudelout
Le
nom d’Aimée Paymal vous est parfaitement inconnu ? Si ce n’est pas le
cas, vous pouvez vous targuer d’être un célinien pointu.
Née en 1905,
cette employée au dispensaire de Clichy dactylographia, nous dit-on, le
manuscrit de Voyage au bout de la nuit.
Figure destinée à sombrer dans l’oubli comme tant d’autres personnages
secondaires ayant croisé la destinée de Louis Destouches.
Un
jeune bibliothécaire vient de lui consacrer un (premier) roman,
appliqué et sans relief, où l’on éprouve forcément quelque difficulté à
discerner ce qui relève de la biographie ou du roman. Le hic c’est que
pour traiter un pareil sujet, il est indispensable de bien connaître
aussi la biographie de Céline.
Sur la seule page 135 s’étalent deux
erreurs. Ce n’est pas dans un café, en compagnie de deux collègues du
dispensaire (!), que l’auteur du Voyage
attendit le résultat du Goncourt : ce sont sa mère et sa fille qui
étaient à ses côtés en cette matinée du 7 décembre 32.
Plus ennuyeux :
ce n’est pas le tapuscrit (corrigé de sa main) que Céline vendit à
Étienne Bignou mais bien le manuscrit lui-même — celui qui atteignit un
chiffre record (1,67 million d’euros, sans les frais) lors de la fameuse
vente publique à Drouot. Un bon connaisseur de la biographie célinienne
n’eût pas commis une telle erreur.
Tant
qu’à évoquer Clichy (c’est le titre du roman), il eût été plus
intéressant de mettre en scène une figure autrement complexe : le
directeur du dispensaire, Grégoire Ichok.
Ce n’est sans doute pas demain
la veille qu’on disposera d’une biographie de ce médecin lituanien
d’origine juive né en 1892 à Marijampolė.
On
sait que les relations entre Ichok et son subordonné Destouches furent
exécrables.
Rien d’étonnant à cela, d’autant que c’est la municipalité
communiste qui nomma ce laudateur de la médecine soviétique ¹ à la tête
du dispensaire flambant neuf. C’est dire si après la parution de Mea culpa,
la situation devint intenable.
Membre actif de la Ligue contre
l’antisémitisme, Ichok était un ami personnel du député socialiste
Salomon Grumbach, vice-président de la Commission des affaires
étrangères.
Lequel soutint sa demande de naturalisation. Naturalisé
français en mars 1928, il est nommé directeur du dispensaire de Clichy
six mois plus tard.
Passionné de médecine sociale, Ichok est l’auteur de
nombreuses études sur la question ².
Le 10 janvier 1940, il se suicide
en croquant une capsule de cyanure.
L’homme était profondément
dépressif. Dépression apparemment accentuée par le contexte
international ³.
Une destinée assurément plus captivante que celle de la
modeste Aimée Paymal !
Marc LAUDELOUT
• Vincent Jolit, Clichy, Éditions de la Martinière, 2013, 144 pages (14,90 €)
1. Cf. (entre autres) Alexandre Roubakine et Georges [sic] Ichok, « L’accroissement naturel de la population en URSS », La Revue d’Hygiène et de Médecine préventive, n° 10, décembre 1937.
2. Ainsi, en février 1933, une journaliste se rend au dispensaire pour y rencontrer l’auteur de La Protection de l’enfance dans une commune de banlieue (Éd. G. Doin, 1933). Cf. Hélène Bory, « Dans un dispensaire avec L.-F. Céline et le Dr Ichok », Paris-Midi, 22 février 1933.
3. « Il
est vraisemblable que les événements qui ont marqué la fin de l’année
1939 n’ont pas été sans amener sa disparition prématurée ainsi que le
donnait à entendre M. Barrier, ancien président de l’Académie de
Médecine, au cours de l’incinération au colombarium du Père-Lachaise, le
17 janvier 1940 » in Dr R[ené] Hazemann, « Nécrologie. Grégoire Ichok », Journal de la société statistique de Paris,
tome 81 (1940), pp. 105-106. L’auteur de cette nécrologie était chef du
cabinet technique de la Santé publique et de l’Éducation physique sous
le Front populaire.
Notons à ce propos que Grégoire Ichok était le
conseiller de Jean Zay, ministre de la Santé publique dudit Front
populaire.
© Extrait du Bulletin célinien, octobre 2013.
Abonnement : 55 €.
Le Bulletin célinien, c/o M. Laudelout, Bureau Saint-Lambert, B.P. 77, 1200 Bruxelles.
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