mercredi 28 août 2013

UNE SOLUTION AU PROBLEME DU MAL ?

Les origines et les fondements du catharisme

Le château de Foix, haut lieu cathare (Wikimedia CC).
Le château de Foix, haut lieu cathare (Wikimedia CC).

Le catharisme est un culte des plus mystérieux. Combien n’ont pas essayé d’y mettre des légendes de la même façon que pour les templiers. C’est là peut être le trait qu’on dresse aux hommes qui vouent leur vie au ciel plutôt qu’à la Terre, tous deux dans l’extrême, les premiers désirant la quitter, les seconds l’améliorer. Le catharisme nous paraît aujourd’hui une anecdote de l’Histoire, et pourtant ses origines remonte à Saint Paul ; il est né en Arménie, a traversé l’Europe, et périt sous le courroux de gens plus fanatiques que ceux même qui le défendaient. Nous allons voir aujourd’hui comment celui-ci est apparu, comment son existence dépasse l’évènement historique de la croisade, et enfin en quoi il constitue une réelle religion.

Origines et fondements

En y pensant, quoi de plus naturel, que d’y trouver un synonyme « d’hérétique », comme si le mot eu été inventé à cet égard. L’hérésie qualifie un courant déviant du dogme ; sous l’antiquité, la pluralité divine, l’absence de textes fondateurs offraient aux hommes un vivier d’interprétation des croyances suffisamment vaste que si on réprimait chaque profanateur, il n’y aurait guère plus que les illettrés pour vivre encore. L’hérésie était donc tolérée, pour ne pas dire courante. La preuve en est : « Le Banquet » de Platon ; de Phèdre à Alcibiade, en passant par Socrate, chacun nous expliquera qui peut bien être le dieu « Amour », et si Diotime nous dit qu’il est un démon, Phèdre nous assure qu’il est un dieu fondateur. L’un nous affirme qu’il aime la beauté du corps, et l’autre celle de l’âme. Si une seule de ces assertions était vérité, alors toutes les autres ne seraient que des hérésies.

La religion chrétienne, à travers ses évangiles, limitait bien plus l’imaginaire de ses pratiquants, aussi puissions-nous être contents qu’il n’y ait pas eu un seul apôtre. De plus, le culte est hiérarchisé, il est donc toujours une parole plus haute que l’autre, non placée par sa raison, mais par la légitimité de celui qui la profère. La liberté d’hérésie fut donc proportionnelle à la tolérance de l’élite catholique.

Les cathares, eux-mêmes ne s’étant jamais désignés ainsi, ne se désignaient même pas, hormis par « parfaits » pour les véritables pratiquants du culte. Le terme « cathare » viendrait le plus probablement de « ketter », qui en allemand de l’époque, semble désigner le chat, animal mal considéré en ces temps ; certains gnostiques s’appelaient aussi « katharïoï », qui signifiait « purs », cette hypothèse est aussi envisageable. 

Les origines du catharisme proviendraient d’un paysan champenois, Leutard qui d’après lui-même, vers le début du XIe siècle, aurait été touché d’une inspiration divine – il serait question d’un essaim d’abeilles rentré en lui d’une part, et sorti d’autre part. Il se serait alors rendu dans sa plus proche église et aurait brisé la croix qui y siégeait. Quel sens à cela ? Le bon sens. Porteriez-vous au-dessus de votre lit la corde avec laquelle on a pendu votre père ? Bien sûr que non, le culte cathare refuse la symbolique et les rituels. Cet acte, les villageois le prirent pour fou, mais ce paysan réussit à convaincre ses semblables que payer la dime ouvrait mieux les portes de l’église que celles du royaume de Dieu. Face à cet affront, l’évêque le plus proche le déclara hérétique, et le ramena de sitôt à la foi catholique. Leutard se suicida en se jetant dans un puits juste après.

Croix du Languedoc, symbole de ralliement cathare.
Croix du Languedoc, symbole de ralliement cathare.

Nous y voyons plus ici la folie que la raison, et surement à raison, mais la doctrine cathare ne vient pas de là, il s’agit seulement d’une anecdote, qui pourtant sanctifie le martyr qui préféra une mort salutaire, à une vie soumise. Les origines du catharisme sont profondes, le mouvement est directement hérité du paulicianisme arménien. Il est difficile de le dater, mais cela débute au XIIe siècle avec Paul l’arménien. Quoi qu’il en soit, la source commune de cette divergence, est le schisme d’Antioche, succédant à la décision du concile de Jérusalem, dans lequel, Saint Pierre et Saint Jean décidèrent de ne convertir que les juifs, alors que Saint Paul, lui, désirait christianiser toute la nation. Comme le nom du mouvement l’évoque, les Pauliciens suivent la doctrine de Saint Paul. On voit alors chez eux émerger un culte rejetant l’ensemble des rituels catholiques : la croix, le clergé, les saints, les sacrements, la richesse de l’église catholique, ou encore le mariage. Ils ne reconnaissent comme prière que le « Notre Père ». Toutes ces caractéristiques sont communes aux cathares.

Les pauliciens, ayant fondé un État en Asie mineure, ont été délogés par les byzantins, notamment par l’empereur Basile Ier. Il s’en est suivi une migration vers l’Europe, où la diaspora s’est installée aux environs de la Dalmatie, sur les terres de l’ancien royaume d’Épire et vers la Thrace. La doctrine s’est alors enrichie, le mouvement est devenu, avec le temps, le bogomilisme. D’après le pope bulgare Bogomil, les fondements sont inspirés des Pauliciens mais aussi des orphiques grecs. On pourrait qualifier ce culte de « christianisme hétérodoxe ».  La doctrine cathare est parfaitement calquée sur celle-ci. Plusieurs siècle ensuite, elle ne bougera quasiment plus. Nous utiliserons donc les deux termes indifféremment pour ce qui touche à la doctrine. Il y a une grande dualité dans la croyance cathare. C’est un courant dit manichéen, comme chez les pauliciens, mais pas de la même nature ; les pauliciens acceptent l’ancien testament (et donc la Genèse), et attribuent l’ambivalence à Dieu. Il serait mauvais à travers la Terre et bon à travers le Ciel. Les bogomiles et, par extension, les cathares, quant à eux, rejettent totalement l’ancien Testament. Pour eux, la Terre est la résidence du diable, et le Ciel celle de Dieu.

Dualité du paradis et de l’enfer

Nous avons posé les origines du catharisme, et sa doctrine. Contrairement aux pauliciens, les cathares ont vocation à tout faire pour s’échapper du monde de la Terre. En effet, chez les pauliciens : puisque Dieu est maitre sur la Terre et dans les cieux, s’il est mauvais en bas, et bon en haut, alors à la mort, il ne peut être que bon, et donc accueillir les âmes dans les cieux. Il n’est donc pas nécessaire de dépasser la croyance et le culte. Pour les cathares, la donne est toute autre. En effet dans l’évangile de Saint Jean, chapitre 8, verset 23, Jésus répond aux juifs : « Vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut : vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. » Cela résume bien le manichéisme que nous évoquions. Les cathares revendiquent une traduction erronée de l’évangile de Saint-Jean au chapitre 1, verset 3. Selon l’église catholique, il est : « Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. ». « Elle » signifie la parole de Dieu. Mais les cathares la traduisent autrement, et ce verset serait alors : « Sans lui a été fait le néant », ce qui signifie que Dieu n’a rien fait de la Terre. Cette réflexion implique nécessairement le manichéisme, puisque si rien n’est fait de Dieu, et que Jésus n’en est pas issu, alors ce bas monde devient nécessairement l’œuvre du diable.

La dualité cathare du paradis et de l’enfer découle aussi de cette affirmation : puisque le monde est la terre du diable, aller en enfer ne signifie pas mieux que d’y rester ! Dans la vision catholique, la mort ouvre les portes de l’enfer ou du paradis. L’enfer est vu comme la punition d’une mauvaise vie, viciée, et le paradis la récompense d’une meilleure, vertueuse. Mais la démarcation est bien peu claire. La vision cathare parait à cet égard, semble-t-il plus cohérente. En effet, nous naissons en enfer, et nous y demeurons tant que cette résidence nous est seyante, c’est-à-dire tant qu’on ne désire pas la quitter. Le monde, c’est le corps, la matière, l’existence, mais le divin c’est l’âme. Et de ce fait, tout n’est pas noir pour les hommes. S’ils veulent quitter l’enfer, ils doivent vouloir ne plus désirer le monde, ils doivent se retirer de la matière, vivre en patient spectateur de la débauche qui les entoure. Et on retrouve ici la doctrine de la sagesse du stoïcisme impérial, notamment sous Épictète qui ; dans « Manuel », résume tout cela en une citation: « Quand le plat, faisant le tour des convives, arrive devant toi, tends la main et sers toi comme il convient, s’il tarde ne louche pas dessus en salivant, mais prends patience. Fais de même pour tout ce que la Fortune t’offre, et tu seras digne de manger à la table des dieux. Mais si, les choses t’étant offertes, tu t’abstiens même d’y toucher, d’y jeter les yeux, tu seras digne non seulement de boire avec les dieux, mais de régner comme eux ».

C’est la logique selon laquelle, le paradis se gagne par la privation des jouissances et des désirs, et donc par le refus du monde visible au profit du monde éternel. Comme le rappelle Saint-Luc : «  Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au royaume de Dieu. » La doctrine des cathares n’est pas celle du stoïcisme, mais elle la rejoint dans les extrémités. Il faut y comprendre la maxime : c’est en refusant ce que t’offre le diable, que tu refuses sa demeure.

Situation et organisation

catharesMaintenant, après avoir expliqué les fondements théologiques de cette religion à part entière, nous allons parler plus concrètement de l’implantation de ces gens-là, et de leur façon de vivre. Les cathares se positionnent premièrement en Bourgogne. Ils iront ensuite plus au sud, et finiront par s’installer dans le Sud-Ouest, au milieu du XIIème siècle. La France comptera à ce moment-là plus de 800 églises cathares. La structure interne de l’église cathare est opposée à celle de l’église catholique romaine. Elle est certes agencée, mais pas hiérarchisée. La seule entité valable qui fut, était le « parfait », autrement appelé « bon homme ». On trouve aussi des diacres et des évêques, mais leur rôle ne semblait s’apparenter qu’à de la coordination. L’église cathare n’a aucune vocation politique, et sa hiérarchie interne ne prime en rien sur celle des gens ordinaires.

Le « parfait » est un personnage atypique, car il est à mi-chemin du prêtre et du pratiquant ; nous pourrions dire que c’est un pratiquant émancipé de la doctrine à travers la sagesse. Pour devenir parfait, il faut recevoir le seul rituel cathare, qui est le consolament. Mais il n’en est pas l’aboutissement, il n’est que le commencement d’une longue vie d’ascèse et de privation de tout ordre. Le but étant de vivre de la même façon qu’un apôtre, les contraintes sont : devenir végétalien, la chasteté, ne jamais mentir, jurer, tuer, et plus généralement de ne pas jouir de ce qui ne dépend pas de nous, pour reprendre une expression d’Épictète. Après plusieurs années d’une vie ainsi réglée, celui qui était un croyant cathare devient alors un parfait ou une parfaite. Il peut alors accéder à une fonction de prédicateur. Les femmes étant autant admises que les hommes à cette hauteur, il n’y a aucune conception diabolique de la femme chez les cathares.

Le parfait, pour contribuer à sa propre subsistance, était contraint au travail manuel. C’est certainement en cela que le catharisme est devenu populaire, car les parfaits étaient mêlés à la population dans les tâches laborieuses. À la fois, la communication était plus aisée, mais aussi, c’est l’honnêteté qui était mise en valeur. Les cathares sont crédibles : ils prônent la pauvreté, et ils sont pauvres, la chasteté, et ils sont chastes ; ils gagnent alors largement sur les églises catholiques qui se vident de leurs fidèles, et aussi des contributions qui en découlent.

Le végétalisme est une des pratiques les plus ancrées dans le culte cathare, et indirectement cette coutume va être un grand vecteur de propagation de la doctrine. Elle provient doublement du refus de la peine infligée à l’animal, et de la jouissance que la viande procure à la dégustation. Les parfaits, en travaillant dans les champs, vont essayer de sensibiliser les paysans à un meilleur traitement de leur bétail. Mais évidemment, ce seront les femmes qui entendront le mieux ces préceptes, de par leur sensibilité à cette cause. Et c’est d’ailleurs à travers les femmes que le catharisme fut le mieux répandu. En effet, les parfaits vont être progressivement accueillis dans les familles nobles ; les hommes les tolèrent, mais les femmes vont les écouter. La transmission de ce culte ne se fera pas sur les places publiques, par d’ardents débats, mais dans l’éducation et les discussions au coin du feu. Elles sensibiliseront les époux, et éduqueront les enfants à ces valeurs. Et ce travail portera si bien ses fruits, que les seigneurs, en rien autrement que par amour, lié à leur cause, se battront jusqu’à leur propre déchéance pour les défendre.

Pour conclure, le catharisme n’est pas une déviance du culte catholique, mais bien l’héritage d’un schisme entre Saint Paul et Saint Pierre, ce qui en fait une religion à part entière. 

Nous pouvons alors, sans complexe, le dissocier de l’hérésie. Même si le catharisme a surtout été introduit parmi la noblesse et la bourgeoisie, il s’est popularisé dans les campagnes. Prônant l’ascétisme, la non-violence, il n’a  pas su soutenir ses chevaliers face à la hardiesse des chevaliers croisés de Simon IV.

Roland Bonnet

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