UNE SOLUTION AU PROBLEME DU MAL ?
Les origines et les fondements du catharisme
| 27 août 2013 |
Le catharisme est un culte des plus
mystérieux. Combien n’ont pas essayé d’y mettre des légendes de la même
façon que pour les templiers. C’est là peut être le trait qu’on dresse
aux hommes qui vouent leur vie au ciel plutôt qu’à la Terre, tous deux
dans l’extrême, les premiers désirant la quitter, les seconds
l’améliorer. Le catharisme nous paraît aujourd’hui une anecdote de
l’Histoire, et pourtant ses origines remonte à Saint Paul ; il est né en
Arménie, a traversé l’Europe, et périt sous le courroux de gens plus
fanatiques que ceux même qui le défendaient. Nous allons voir
aujourd’hui comment celui-ci est apparu, comment son existence dépasse
l’évènement historique de la croisade, et enfin en quoi il constitue une
réelle religion.
Origines et fondements
En y pensant, quoi de plus naturel, que
d’y trouver un synonyme « d’hérétique », comme si le mot eu été inventé à
cet égard. L’hérésie qualifie un courant déviant du dogme ; sous
l’antiquité, la pluralité divine, l’absence de textes fondateurs
offraient aux hommes un vivier d’interprétation des croyances
suffisamment vaste que si on réprimait chaque profanateur, il n’y aurait
guère plus que les illettrés pour vivre encore. L’hérésie était donc
tolérée, pour ne pas dire courante. La preuve en est : « Le Banquet » de
Platon ; de Phèdre à Alcibiade, en passant par Socrate, chacun nous
expliquera qui peut bien être le dieu « Amour », et si Diotime nous dit
qu’il est un démon, Phèdre nous assure qu’il est un dieu fondateur. L’un
nous affirme qu’il aime la beauté du corps, et l’autre celle de l’âme.
Si une seule de ces assertions était vérité, alors toutes les autres ne
seraient que des hérésies.
La religion chrétienne, à travers ses
évangiles, limitait bien plus l’imaginaire de ses pratiquants, aussi
puissions-nous être contents qu’il n’y ait pas eu un seul apôtre. De
plus, le culte est hiérarchisé, il est donc toujours une parole plus
haute que l’autre, non placée par sa raison, mais par la légitimité de
celui qui la profère. La liberté d’hérésie fut donc proportionnelle à la
tolérance de l’élite catholique.
Les cathares, eux-mêmes ne s’étant
jamais désignés ainsi, ne se désignaient même pas, hormis par
« parfaits » pour les véritables pratiquants du culte. Le terme
« cathare » viendrait le plus probablement de « ketter », qui en
allemand de l’époque, semble désigner le chat, animal mal considéré en
ces temps ; certains gnostiques s’appelaient aussi « katharïoï », qui
signifiait « purs », cette hypothèse est aussi envisageable.
Les
origines du catharisme proviendraient d’un paysan champenois, Leutard
qui d’après lui-même, vers le début du XIe siècle, aurait été touché
d’une inspiration divine – il serait question d’un essaim d’abeilles
rentré en lui d’une part, et sorti d’autre part. Il se serait alors
rendu dans sa plus proche église et aurait brisé la croix qui y
siégeait. Quel sens à cela ? Le bon sens. Porteriez-vous au-dessus de
votre lit la corde avec laquelle on a pendu votre père ? Bien sûr que
non, le culte cathare refuse la symbolique et les rituels. Cet acte, les
villageois le prirent pour fou, mais ce paysan réussit à convaincre ses
semblables que payer la dime ouvrait mieux les portes de l’église que
celles du royaume de Dieu. Face à cet affront, l’évêque le plus proche
le déclara hérétique, et le ramena de sitôt à la foi catholique. Leutard
se suicida en se jetant dans un puits juste après.
Nous y voyons plus ici la folie que la
raison, et surement à raison, mais la doctrine cathare ne vient pas de
là, il s’agit seulement d’une anecdote, qui pourtant sanctifie le martyr
qui préféra une mort salutaire, à une vie soumise. Les origines du
catharisme sont profondes, le mouvement est directement hérité du
paulicianisme arménien. Il est difficile de le dater, mais cela débute
au XIIe siècle avec Paul l’arménien. Quoi qu’il en soit, la source
commune de cette divergence, est le schisme d’Antioche, succédant à la
décision du concile de Jérusalem, dans lequel, Saint Pierre et Saint
Jean décidèrent de ne convertir que les juifs, alors que Saint Paul,
lui, désirait christianiser toute la nation. Comme le nom du mouvement
l’évoque, les Pauliciens suivent la doctrine de Saint Paul. On voit
alors chez eux émerger un culte rejetant l’ensemble des rituels
catholiques : la croix, le clergé, les saints, les sacrements, la
richesse de l’église catholique, ou encore le mariage. Ils ne
reconnaissent comme prière que le « Notre Père ». Toutes ces
caractéristiques sont communes aux cathares.
Les pauliciens, ayant fondé un État en
Asie mineure, ont été délogés par les byzantins, notamment par
l’empereur Basile Ier. Il s’en est suivi une migration vers l’Europe, où
la diaspora s’est installée aux environs de la Dalmatie, sur les terres
de l’ancien royaume d’Épire et vers la Thrace. La doctrine s’est alors
enrichie, le mouvement est devenu, avec le temps, le bogomilisme.
D’après le pope bulgare Bogomil, les fondements sont inspirés des
Pauliciens mais aussi des orphiques grecs. On pourrait qualifier ce
culte de « christianisme hétérodoxe ». La doctrine cathare est
parfaitement calquée sur celle-ci. Plusieurs siècle ensuite, elle ne
bougera quasiment plus. Nous utiliserons donc les deux termes
indifféremment pour ce qui touche à la doctrine. Il y a une grande
dualité dans la croyance cathare. C’est un courant dit manichéen, comme
chez les pauliciens, mais pas de la même nature ; les pauliciens
acceptent l’ancien testament (et donc la Genèse), et attribuent
l’ambivalence à Dieu. Il serait mauvais à travers la Terre et bon à
travers le Ciel. Les bogomiles et, par extension, les cathares, quant à
eux, rejettent totalement l’ancien Testament. Pour eux, la Terre est la
résidence du diable, et le Ciel celle de Dieu.
Dualité du paradis et de l’enfer
Nous avons posé les origines du
catharisme, et sa doctrine. Contrairement aux pauliciens, les cathares
ont vocation à tout faire pour s’échapper du monde de la Terre. En
effet, chez les pauliciens : puisque Dieu est maitre sur la Terre et
dans les cieux, s’il est mauvais en bas, et bon en haut, alors à la
mort, il ne peut être que bon, et donc accueillir les âmes dans les
cieux. Il n’est donc pas nécessaire de dépasser la croyance et le culte.
Pour les cathares, la donne est toute autre. En effet dans l’évangile
de Saint Jean, chapitre 8, verset 23, Jésus répond aux juifs : « Vous êtes d’en bas ; moi, je suis d’en haut : vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde. »
Cela résume bien le manichéisme que nous évoquions. Les cathares
revendiquent une traduction erronée de l’évangile de Saint-Jean au
chapitre 1, verset 3. Selon l’église catholique, il est : « Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. ». « Elle » signifie la parole de Dieu. Mais les cathares la traduisent autrement, et ce verset serait alors : « Sans lui a été fait le néant »,
ce qui signifie que Dieu n’a rien fait de la Terre. Cette réflexion
implique nécessairement le manichéisme, puisque si rien n’est fait de
Dieu, et que Jésus n’en est pas issu, alors ce bas monde devient
nécessairement l’œuvre du diable.
La dualité cathare du paradis et de
l’enfer découle aussi de cette affirmation : puisque le monde est la
terre du diable, aller en enfer ne signifie pas mieux que d’y rester !
Dans la vision catholique, la mort ouvre les portes de l’enfer ou du
paradis. L’enfer est vu comme la punition d’une mauvaise vie, viciée, et
le paradis la récompense d’une meilleure, vertueuse. Mais la
démarcation est bien peu claire. La vision cathare parait à cet égard,
semble-t-il plus cohérente. En effet, nous naissons en enfer, et nous y
demeurons tant que cette résidence nous est seyante, c’est-à-dire tant
qu’on ne désire pas la quitter. Le monde, c’est le corps, la matière,
l’existence, mais le divin c’est l’âme. Et de ce fait, tout n’est pas
noir pour les hommes. S’ils veulent quitter l’enfer, ils doivent vouloir
ne plus désirer le monde, ils doivent se retirer de la matière, vivre
en patient spectateur de la débauche qui les entoure. Et on retrouve ici
la doctrine de la sagesse du stoïcisme impérial, notamment sous
Épictète qui ; dans « Manuel », résume tout cela en une citation: « Quand
le plat, faisant le tour des convives, arrive devant toi, tends la main
et sers toi comme il convient, s’il tarde ne louche pas dessus en
salivant, mais prends patience. Fais de même pour tout ce que la Fortune
t’offre, et tu seras digne de manger à la table des dieux. Mais si, les
choses t’étant offertes, tu t’abstiens même d’y toucher, d’y jeter les
yeux, tu seras digne non seulement de boire avec les dieux, mais de
régner comme eux ».
C’est la logique selon laquelle, le
paradis se gagne par la privation des jouissances et des désirs, et donc
par le refus du monde visible au profit du monde éternel. Comme le
rappelle Saint-Luc : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au royaume de Dieu. »
La doctrine des cathares n’est pas celle du stoïcisme, mais elle la
rejoint dans les extrémités. Il faut y comprendre la maxime : c’est en
refusant ce que t’offre le diable, que tu refuses sa demeure.
Situation et organisation
Maintenant,
après avoir expliqué les fondements théologiques de cette religion à
part entière, nous allons parler plus concrètement de l’implantation de
ces gens-là, et de leur façon de vivre. Les cathares se positionnent
premièrement en Bourgogne. Ils iront ensuite plus au sud, et finiront
par s’installer dans le Sud-Ouest, au milieu du XIIème siècle. La France
comptera à ce moment-là plus de 800 églises cathares. La structure
interne de l’église cathare est opposée à celle de l’église catholique
romaine. Elle est certes agencée, mais pas hiérarchisée. La seule entité
valable qui fut, était le « parfait », autrement appelé « bon homme ».
On trouve aussi des diacres et des évêques, mais leur rôle ne semblait
s’apparenter qu’à de la coordination. L’église cathare n’a aucune
vocation politique, et sa hiérarchie interne ne prime en rien sur celle
des gens ordinaires.
Le « parfait » est un personnage
atypique, car il est à mi-chemin du prêtre et du pratiquant ; nous
pourrions dire que c’est un pratiquant émancipé de la doctrine à travers
la sagesse. Pour devenir parfait, il faut recevoir le seul rituel
cathare, qui est le consolament. Mais il n’en est pas l’aboutissement,
il n’est que le commencement d’une longue vie d’ascèse et de privation
de tout ordre. Le but étant de vivre de la même façon qu’un apôtre, les
contraintes sont : devenir végétalien, la chasteté, ne jamais mentir,
jurer, tuer, et plus généralement de ne pas jouir de ce qui ne dépend
pas de nous, pour reprendre une expression d’Épictète. Après plusieurs
années d’une vie ainsi réglée, celui qui était un croyant cathare
devient alors un parfait ou une parfaite. Il peut alors accéder à une
fonction de prédicateur. Les femmes étant autant admises que les hommes à
cette hauteur, il n’y a aucune conception diabolique de la femme chez
les cathares.
Le parfait, pour contribuer à sa propre
subsistance, était contraint au travail manuel. C’est certainement en
cela que le catharisme est devenu populaire, car les parfaits étaient
mêlés à la population dans les tâches laborieuses. À la fois, la
communication était plus aisée, mais aussi, c’est l’honnêteté qui était
mise en valeur. Les cathares sont crédibles : ils prônent la pauvreté,
et ils sont pauvres, la chasteté, et ils sont chastes ; ils gagnent
alors largement sur les églises catholiques qui se vident de leurs
fidèles, et aussi des contributions qui en découlent.
Le végétalisme est une des pratiques les
plus ancrées dans le culte cathare, et indirectement cette coutume va
être un grand vecteur de propagation de la doctrine. Elle provient
doublement du refus de la peine infligée à l’animal, et de la jouissance
que la viande procure à la dégustation. Les parfaits, en travaillant
dans les champs, vont essayer de sensibiliser les paysans à un meilleur
traitement de leur bétail. Mais évidemment, ce seront les femmes qui
entendront le mieux ces préceptes, de par leur sensibilité à cette
cause. Et c’est d’ailleurs à travers les femmes que le catharisme fut le
mieux répandu. En effet, les parfaits vont être progressivement
accueillis dans les familles nobles ; les hommes les tolèrent, mais les
femmes vont les écouter. La transmission de ce culte ne se fera pas sur
les places publiques, par d’ardents débats, mais dans l’éducation et les
discussions au coin du feu. Elles sensibiliseront les époux, et
éduqueront les enfants à ces valeurs. Et ce travail portera si bien ses
fruits, que les seigneurs, en rien autrement que par amour, lié à leur
cause, se battront jusqu’à leur propre déchéance pour les défendre.
Pour conclure, le catharisme n’est pas
une déviance du culte catholique, mais bien l’héritage d’un schisme
entre Saint Paul et Saint Pierre, ce qui en fait une religion à part
entière.
Nous pouvons alors, sans complexe, le dissocier de l’hérésie.
Même si le catharisme a surtout été introduit parmi la noblesse et la
bourgeoisie, il s’est popularisé dans les campagnes. Prônant
l’ascétisme, la non-violence, il n’a pas su soutenir ses chevaliers
face à la hardiesse des chevaliers croisés de Simon IV.
Roland Bonnet
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