Nous publions ici la suite de l’entretien de Pierre Sidos (première partie ici).
« GÉRARD LONGUET, ALAIN MADELIN, XAVIER RAUFER,
HERVÉ NOVELLI, ALAIN ROBERT SONT VENUS ME VOIR
POUR CRÉER UN MOUVEMENT. ILS CHERCHAIENT UN NOM,
JE LEUR AI PROPOSÉ DE L’APPELER “OCCIDENT” »
Pourquoi en 1964, Alain Madelin, Gérard Longuet et d’autres viennent vous chercher pour fonder Occident ?
Il y avait
un grand trouble au sein de la FEN (Fédération des étudiants
nationalistes), la branche estudiantine de JN qui n’avait pas été
dissoute. Dominique Venner, ayant été libéré avant moi, avait mis la
main dessus et avait changé l’orientation du mouvement qui ne tenait
plus de position nationaliste. Il a défendu une ligne américaniste sous
prétexte d’anticommunisme et il avait des positions beaucoup plus
racialistes. Il y a eu une rupture dans le groupement de Venner et des
jeunes sont venus me trouver. Gérard Longuet, Alain Madelin, Hervé
Novelli, Alain Robert et Xavier Raufer, sont venus me voir pour créer un
mouvement. Ils cherchaient un nom, je leur ai proposé de l’appeler «
Occident ». Ils étaient dans la ligne de ce qu’avait été Jeune Nation. À
leurs yeux, je représentais une sorte de caution pour leur action. À
l’époque j’avais 40 ans et ils avaient beaucoup de respect pour moi,
j’étais une sorte de mentor politique.
Quels souvenirs gardez-vous de cette rencontre avec Gérard Longuet ?
Gérard
Longuet était venu me voir en février 74 dans mon local de la rue de
Richelieu. Il m’a demandé ma définition du nationalisme, je lui ai
répondu que c’était « une conviction politique réaffirmant la
prédominance du fait national consacré par l’histoire ; avec en plus la
ferme volonté exprimée de maintenir ou de revenir à la plénitude d’une
unité nationale indépendante composée d’un État constitué, d’un peuple
défini, d’un territoire reconnu ». La définition est un peu
académique mais c’est à peu près cela. Il était d’accord. Je me rappelle
que lors de mes discours, il applaudissait à s’en chauffer les mains.
Il était moins potache que les autres jeunes qui cherchaient à faire le
coup de poing au quartier latin. Contrairement à Alain Madelin qui était
très débraillé, Gérard Longuet avait de la tenue, son engagement était
réfléchi. Mais j’ai rapidement écourté l’aventure Occident. Les
dirigeants du mouvement ont pris leur distance avec moi car ils me
jugeaient trop pondéré et trop hostile à leur ligne américaniste. De
toute manière, cette activité purement estudiantine ne me passionnait
pas.
Quelle opinion les Madelin et Longuet ont-ils de vous aujourd’hui ?
J’ai une
opinion plus sévère vis-à-vis d’eux (Madelin, Longuet, etc.) qu’eux
vis-à-vis de moi. Je les ai parrainés au début de leur carrière
politique mais je ne cautionne pas l’acte de gangstérisme qui a eu lieu
en Libye, à savoir l’intervention française pour renverser Mouammar
Kadhafi. Je le sais par des échos qui me sont parvenus. Longuet a une
maison en Provence et il s’est exprimé auprès d’un ancien professeur
d’histoire, M. Jean-Pierre Papadacci qui est un ancien membre de Jeune
Nation et de l’Œuvre. Il a dit qu’il continuait à avoir une certaine
estime pour moi.
Pierre Sidos à la tribune d’une réunion du mouvement Occident.
A ses côtes se trouve Gérard Longuet.
Vous avez conservé des relations avec eux ?
J’ai eu la
tentation de revoir Gérard Longuet lorsqu’il était ministre de la
Défense pour lui dire qu’une affectation à Moscou intéresserait mon fils
mais je ne l’ai pas fait. Parce que sur le plan politique, c’est du
donnant donnant et je n’avais pas envie d’être redevable. Dans les
années 90, j’ai revu Madelin avant qu’il ne devienne ministre et il
m’avait dit : « On continue à poursuivre le combat mais autrement ». Je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à ses bavassages.
Dans
les années 80, la presse faisait état de bonnes relations entre vous et
Jacques Toubon, alors secrétaire général adjoint du RPR. Qu’en est-il ?
Oui nous
entretenions de bonnes relations car il était maire du XIIIe
arrondissement mais ça ne dépassait pas la relation qu’il pouvait avoir
avec l’un de ses administrés. Pour lui, j’étais un électeur influent, il
m’appréciait. Il avait d’ailleurs insisté pour marier mon fils. Lors de
la cérémonie, une personne de ma belle-famille avait été étonnée de
voir à quel point il se montrait urbain à mon égard.
Comment vous est venue l’idée de créer l’Œuvre française ?
Dans Le Monde,
il y avait un article qui s’intitulait «La France s’ennuie » au début
de l’année 68. Quand on a connu de par mon âge quatre régimes politiques
différents en France et sept pontificats, on acquiert tout de même une
certaine prescience des choses. Je savais que le milieu estudiantin
remuait et j’ai donc pensé qu’il fallait créer un mouvement. Je
cherchais un nom non réductible par des initiales et qui ne puisse pas
être confondu. En prenant un dictionnaire, je me suis rendu compte que
l’Œuvre c’était le résultat de la pensée et de l’action. D’abord adoptée
comme emblème du mouvement Jeune Nation, la croix celtique a
naturellement été choisie comme symbole de l’Œuvre française.
Aujourd’hui la croix celtique est indissociable de la devise et du but
ultime poursuivi par l’Œuvre : rendre la France aux Français. Elle
symbolise la souveraineté de la couronne et de la croix, l’idée
d’enracinement aussi. Elle représente la volonté d’un peuple et incarne
même le mythe du nationalisme.
.
« HUBERT LAMBERT M’A FAIT COMPRENDRE QUE PIERRETTE LE PEN
A EU DES FAMILIARITÉS PHYSIQUES AVEC LUI ET JE PENSE QUE ÇA A JOUÉ
DANS LA DÉCISION DE FAIRE DE JEAN-MARIE LE PEN SON HÉRITIER »
Où a eu lieu le lancement ?
Nous avons
lancé le mouvement le 6 février 68 en référence aux manifestations des
ligues d’extrême droite du 6 février 1934. Un mois plus tard, nous avons
organisé une réunion à l’aéroclub de France. Dans le public, il y avait
Mme Doriot, une nièce de Charles Maurras et Victor Barthélémy. Nous
nous placions dans la lignée du Maréchal Pétain, nous ne reniions rien.
Vous avez quasiment le même âge que Jean-Marie Le Pen. Pourquoi l’extrême droite a-t-elle choisi Le Pen et pas Sidos ?
On se
situait en opposition radicale au système tandis que Jean-Marie Le Pen
acceptait le cadre institutionnel. Nous, on ne s’accommode pas du
système en place, de ce point de vue-là, il y a une rupture totale. Nous
refusons cette pseudo démocratie. De plus, avec l’héritage d’Hubert
Lambert, Le Pen disposait d’une fortune que nous ne possédions pas.
Dans le système politique actuel, il faut avoir beaucoup d’argent pour
être indépendant.
On vous présentait comme un héritier potentiel d’Hubert Lambert, pourquoi a-t-il préféré Jean-Marie Le Pen à vous ?
Il était
un peu faible de caractère et il avait tendance à demander régulièrement
à ses amis de devenir ses héritiers. Il m’avait proposé plusieurs fois
un testament, j’avais refusé et il avait même été jusqu’à demander mon
livret de famille à mon épouse qui lui avait opposé une fin de
non-recevoir. Personnellement, je lui avais plutôt conseillé d’utiliser
son argent pour créer une fondation politique. Jean-Marie Le Pen n’a
pas eu la même retenue. Il lui a offert un titre ronflant au sein du
Front national et il a accepté l’héritage.
Vous pensez que Jean-Marie Le Pen a manipulé Hubert Lambert pour être légataire de sa fortune ?
Hubert
Lambert était un velléitaire fortuné. Il n’avait pas fait son service
militaire, il buvait énormément. Sa chère mère me disait souvent : « Pierre, je suis content lorsque vous venez, vous êtes le seul à ne pas le faire boire ». Il a largement subventionné plusieurs mouvements et organes de presse d’extrême droite à l’époque, comme La Nation française de Pierre Boutang par exemple. Un beau jour, il me dit : « Est-ce que vous connaissez Madame Le Pen ? ». Je lui réponds : « Non seulement je ne la connais pas mais en plus de cela, je suis réservé et je ne porte pas de jugements sur les dames ». Hubert sourit alors et me répond : « Ah vous êtes toujours le même Pierre. Moi je vais vous dire, c’est une cocotte ».
Il employait le terme utilisé sous le Second Empire pour qualifier les
filles entretenues. Elle allait au cinéma avec lui, Hubert Lambert
l’emmenait au restaurant et autre. Il m’a fait comprendre qu’elle a eu
des familiarités physiques avec lui et je pense que ça a joué dans la
décision de faire de Jean- Marie Le Pen son héritier.
Quelles étaient les relations entre Hubert Lambert et Jean-Marie Le Pen ?
Hubert
Lambert vivait seul avec sa mère et il ne sortait pas de chez lui. Le
fait d’être replié lui faisait perdre le sens des réalités. Il rêvait
d’être ministre de l’Intérieur et il le répétait régulièrement.
Lorsqu’on parlait, il me coupait en disant : « Si j’étais ministre de l’Intérieur, je ferais plutôt ça ».
Je pense que Le Pen a joué de ce désir de reconnaissance sociale auquel
il aspirait pour obtenir un financement de sa part. Surtout qu’à
l’époque, son entreprise d’édition phonographique battait de l’aile.
« GISCARD D’ESTAING ÉTAIT MEMBRE DU CONSEIL DES MINISTRES
SOUS DE GAULLE ET À CETTE ÉPOQUE, IL TRANSMETTAIT DES
INFORMATIONS À L’OAS. L’INTERMÉDIAIRE C’ÉTAIT PONIATOWSKI »
Contrairement à Jean-Marie Le Pen, avez-vous déjà été en position de soutenir un gouvernement ?
Non,
jamais. Alors qu’une partie de l’extrême droite a soutenu en son temps
Giscard d’Estaing en 1974, nous nous y sommes refusés. De toute manière,
dans nos principes on évite d’évoquer les personnes d’un système, on
préfère parler du système en général.
J’ai
pourtant appris au cours de mon enquête que vous avez fréquenté Michel
Poniatowski. Quel était l’objectif de ces rencontres ?
Oui j’ai
côtoyé Poniatowski au sein du club des amis du Second Empire. Mon
grand-père était corse et donc il y avait une tradition bonapartiste au
sein de ma famille. Quant à Poniatowski, il était le descendant du
maréchal napoléonien du même nom. Je me rappelle que j’avais demandé à
Poniatowski ce qu’il pensait du fait que Le Pen serre la main de Simone
Veil. Il m’avait répondu qu’il avait fait le nécessaire pour que cela ne
se reproduise plus. Mes relations avec Poniatowski se sont arrêtées à
ce club antigaulliste.
Quelle opinion Poniatowski avait-il de vous ?
Il était
reconnaissant vis-à-vis de moi parce que j’avais lutté pour l’Algérie
française. Grâce à lui, j’ai donc eu entre les mains des notes
dactylographiées de Giscard. C’est la raison pour laquelle beaucoup
d’anciens de l’OAS ont fait sa campagne présidentielle en 1974 et ont
assuré son service d’ordre. Je pense notamment à Pierre Sergent.
Est-ce qu’il y a eu une évolution idéologique de l’Œuvre française en cinquante ans ?
Non en ce
sens que la nationalité constitue toujours notre base idéologique
fondamentale et que les événements vont dans ce sens. Il faudrait être
complètement aveugle pour changer de discours aujourd’hui. J’ai été
assez frappé par les conséquences qu’a eues Vatican II au sein de
l’Église catholique, cette rupture l’a beaucoup pénalisée. Quand les
prêtres disaient tous la même chose, les églises étaient pleines. À
partir du moment où il y a des voix divergentes, c’est la débandade.
Quelle a été l’efficacité politique de l’Œuvre française ?
Je pense
qu’elle est très importante. L’Œuvre a maintenu vivante la doctrine du
nationalisme et a défendu, souvent dans la tempête, le terme même de
nationalisme, rejeté par tous à l’exception de quelques royalistes. Un
temps, le Front national fut philosémite et défendit la politique
d’Israël, ça n’a jamais été le cas de notre mouvement. Nous sommes
porteurs de l’héritage intellectuel de Maurice Bardèche, Charles
Maurras, Maurice Barrés ou bien Édouard Drumont. Je crois à la stabilité
sociale, je suis marié depuis cinquante-cinq ans et je ne m’en porte
pas plus mal. Quand des gens prêchent une chose et font le contraire,
ils cassent la baraque. À l’Œuvre ce n’est pas le cas, on écarte
discrètement ceux qui ne sont pas conformes socialement à l’idée qu’on
se fait d’un nationaliste. Nous ne sommes ni du système ni dans le
système. Nous sommes un corps d’élite politique tel le mouvement
monastique qui a sauvé l’Europe des invasions barbares. L’Œuvre
française doit être et continuer à être ce corps d’élite au sein du
mouvement national.
Pierre Sidos devant son bureau. Sur la photo au mur : au centre son père François,
assassiné en 1946 et ses deux frères, Jean (à gauche) et Henri (à droite) morts pour la France le 16 juin 1940 et le 14 mars 1957
Quel est votre projet politique ?
Nous
sommes partisans d’une deuxième révolution nationale fondée sur une
juste conception de la nationalité : spirituelle, historique et
philosophique. L’expression électorale c’est le FN, l’expression
doctrinale c’est l’Œuvre française. Le tout électoral est irréaliste.
C’est la partie d’un tout et non le tout d’une partie qui permet de
lutter contre le système. Nous considérons qu’il faut constamment
donner la priorité au national sur l’étranger, aux principes sur les
princes, aux idées sur les individus, à la sélection sur l’élection, à
la politique sur l’économique, au talent sur l’argent et à l’ordre sur
le désordre.
Quelles seraient vos premières mesures si vous arriviez au pouvoir ?
Si
j’arrivais au pouvoir, ma première mesure serait de faire en sorte de
détruire les lobbies. Je ne chercherais pas à dissoudre le CRIF mais à
informer les gens sur leurs activités. Après tout, tout État a besoin
d’une opposition. Ma seconde mesure serait ensuite de détacher notre
nation de toutes les servitudes sur le plan international.
Quel système de gouvernement prônez-vous ?
Le corps
social n’est qu’une imitation du corps humain et il faut une tête. Je ne
crois pas à la monarchie héréditaire. Je suis partisan d’une élite
émanant de la nation. Je crois qu’il faut évoluer vers un système
comparable à celui de la papauté. Un ensemble de dirigeants politiques
coopterait d’autres dirigeants. Un mouvement comme l’Œuvre française
constitue une élite politique qui serait à même de remplir ce rôle. S’il
y avait une transposition moderne à faire, ça serait les Frères
musulmans. C’est-à-dire des gens qui, existant quel que soit le
gouvernement, subsistant quelles qur soient les époques, profiteraient
des situations. Un homme qui fait de la politique ne doit pas considérer
sa propre vie. Le nationalisme est un substitut à la défaillance du
système monarchique et à la carence des systèmes démocratiques. Pour moi
l’avenir, c’est le nationalisme.
« POUR MOI, HITLER EST LE NAPOLÉON ALLEMAND
ET MUSSOLINI, LE DERNIER DES CÉSARS »
Existe-t-il des régimes politiques actuels qui obtiennent votre assentiment ?
La Russie
et la Chine constituent aujourd’hui les pays avec lesquels je
m’entendrais. Chavez, Poutine ou le ministre-président de Hongrie Viktor
Orbân constituent des références parce qu’ils résistent à
l’impérialisme anglo-saxon.
Y en a-t-il un dans l’histoire de l’humanité qui y correspond le mieux ?
Pour moi, Hitler est le Napoléon allemand et Mussolini, le dernier des Césars.
Mais la doctrine raciste exprimée dans Mein Kampf n’est
pas à la convenance d’un Français. Il exprimait des sentiments
anti-Français qui sont condamnables. Nous insistons sur l’histoire
passée car nous considérons qu’un accord sur le passé commande toute vue
sur l’avenir. Comment avoir ensemble de saines réactions devant des
événements surprenants si l’on ne possède pas en mémoire les mêmes
références ?
Quelle est votre position concernant la politique d’extermination des juifs ?
En Égypte,
Bonaparte a fusillé des prisonniers et lors de la retraite en Russie,
il a ordonné la destruction des villages. Ces hommes extraordinaires
dans l’histoire sont parfois amenés à commettre ce genre de choses mais
il n’y a rien de spécifique. N’oublions pas que les communautés juives
aux États-Unis avaient déclaré la guerre économique en 1938. Hitler a
sans doute eu une volonté d’élimination de l’influence juive mais il n’y
a pas eu d’extermination sinon ils ne seraient pas aussi nombreux et
influents partout.
En Allemagne, la théorie de la race élue s’est
heurtée à la théorie du peuple élu. Je dis qu’il y a eu ballottage. Le
premier round a été gagné par les Allemands vis-à-vis des juifs.
Aujourd’hui les juifs ont gagné le second.
Le mythe de la Shoah et le
tabou de l’Holocauste font qu’on ne peut plus parler d’Israël calmement.