GRANDEUR ET DECADENCE DE LA LANGUE FRANCAISE
Le vent de l’Histoire souffle sur la langue française |
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De François 1er à François Hollande, grandeur et décadence de la langue française. Etude d’Arouet le Jeune. |
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Le 25 avril 2013, M. le Premier Ministre a signé la
circulaire n° 5652/SG. Cette circulaire de trois pages porte « sur
l’emploi de la langue française ». Deux grandes lois y sont citées qui
ancrent la circulaire dans l’histoire : l’ordonnance de
Villers-Cotterêts (1539) et l’article deuxième de la Constitution, révisée
en 1992, de la République, aux termes duquel, pour la première fois dans
l’histoire, est donnée au français une place dans un texte fondamental.
De cette circulaire, dont le premier ministre croit
qu’elle sera historique, il suffit de lire l’en-tête pour se convaincre que si empreinte
historique il y a, l’empreinte est imperceptible, car le premier ministre ne s’adresse
pas aux Français, ni aux associations politiques, ni aux fonctionnaires, mais
aux seuls ministres et ministres délégués. On dénombre soixante six millions de
Français, mais la circulaire n’est destinée qu’à trente-sept d’entre eux. Les
pédagos ont inventé la « centration sur l’enfant » ; le pédago
premier ministre la centration sur le ministre. De nombreux verbes ont pour
sujet ou complément « nous » : « l’histoire nous a
légué », « nous disposons », « il importe que nous fassions
un outil » (à mettre dans la boîte idoine ?), etc. La chose étant
nouvelle, il est dans l’ordre de cette chose que l’on dénombre dans ces trois
pages trente occurrences des possessifs « notre » ou « nos ».
Il n’y a quasiment pas de nom qui ne soit pas précédé de « notre » ou
de « nos ». Notre langue
est répété sept ou huit fois. Outre langue, ce sont pays, tissu social, démocratie, pacte social, expertise,
constitution, culture, savoir-faire, représentants, frontières, points de
vue, intérêts, administrateurs, interlocuteurs, etc.
Jadis, le Roi usait du
nous de majesté ; le ministre
Ayrault use du nous de communauté. Ces
trente-huit ministres, dont personne ne se souviendra dans dix ans, ne font ni
un peuple, même pas une avant-garde, encore moins l’Histoire. On dénombre quatre
occurrences de notre pays, ce qui est
beaucoup, surtout si on y ajoute des désignations telles notre démocratie, notre tissu social, notre pacte social, qui
désignent une partie de ce tout qu’est le pays.
Le pays n’est jamais explicitement nommé, sinon une fois, dans un emploi
secondaire de complément circonstanciel, à propos de « réunions et de
conférences organisées en France à l’initiative de l’Etat ou d’un de ses
établissements » (p 3).
C’est une manière assez inélégante d’exprimer le
mépris que l’on voue à la France que de ne pas la nommer ou bien une manière
élégante de laisser aux ministres la latitude de mettre sous le nom pays la patrie de leur cœur, quelle
qu’elle soit, Maroc, Guyane, Bretagne, Saint-Herblain, Tulle chef-lieu de département,
Algérie, Corée, Antilles, etc.
La circulaire porte sur « l’emploi de la
langue », mais elle révèle d’abord le mauvais emploi qui y est fait de la
langue. M. le Premier Ministre ne se satisfait pas des nos et notre de
communauté, il abuse aussi des ses et
sa ambigus. Quand il écrit « placer
la langue française au cœur de la politique de modernisation de l’Etat, en
développant et valorisant ses ressources »,
à quelles ressources réfère-t-il ? Celles de l’Etat ou celles de la
langue, d’autant plus que la suite ne lève pas l’ambiguïté : « en lui
donnant les meilleures chances de prospérer dans l’univers numérique » ?
Dans l’univers numérique prospère aussi bien la langue que l’Etat. Il en est de
même de cette assertion : « organiser la dimension linguistique de
l’action publique contribue à sa modernisation ». Quand on connaît la
propagande dont se gargarisent M. Hollande et ses ministres, il semble que la
modernisation soit celle de l’action publique. Mais rien n’empêche de penser
que sa renvoie à « dimension
linguistique ». Soit cette autre phrase : « mieux mettre en
évidence la dimension par nature interministérielle de la politique du français ».
La « nature », quelque sens que l’on donne à ce mot, n’a rien à
faire, ni à voir dans ces choses, qui sont toutes de culture. Ce n’est pas le
seul mot de la phrase qui soulève des difficultés. M. le Premier Ministre
rappelle sans cesse dans la circulaire qu’il incombe à chaque ministre
d’appliquer les lois et règlements qui régissent l’emploi du français en
France.
Cette politique ne résulte pas de concertations ni de tractations entre
les trente-huit ministres et leurs cabinets : elle n’est donc pas
« interministérielle ». Comme elle concerne tous les ministres, elle
est, hasardons un néologisme, pan-ministérielle. Au sujet de chacun, les lexicographes indiquent que
ce pronom désigne « des hommes ou des femmes » : c’est
« toute personne, qui que ce soit, tout le monde, on » (Littré,
1872). Il est inutile d’écrire « chacune ou chacun d’entre vous »,
sauf à soumettre la langue aux oukases de l’idéologie féministe. D’ailleurs, M.
le Premier Ministre semble hésiter sur ce point, comme sur bien d’autres,
puisqu’il écrit p 3, s’adressant à ses trente-sept ministres dont dix-neuf sont
des femmes, « chacun d’entre vous », préférant se plier aux règles de
la langue plutôt que de plier la langue à l’idéologie du jour.
Dans certaines phrases, aux impropriétés se mêlent des propositions
absurdes. Ainsi dans « en privilégiant systématiquement l’emploi de la
langue française dans les différents outils de communication dont elles
disposent (site internet, signalétique, nom de marque, campagnes
publicitaires…), vos administrations contribuent à l’épanouissement de la
relation de confiance entre la langue et le citoyen », est impropre l’emploi
du verbe privilégier. On ne
privilégie pas l’emploi de la langue française, on le favorise ou mieux, si
l’on est ministre, on rappelle les lois et règlements qui, depuis l’An II de la
République, rendent obligatoire l’usage exclusif de la langue française dans
les administrations et on exige que soient sanctionnés les auteurs des infractions
constatées. Pourtant, le pire est dans la fin de la phrase.
Une relation de
confiance est, par définition, réciproque quand elle s’établit
« entre » deux entités. Dire que le citoyen a confiance dans la
langue de son pays a un sens. Mais qu’est-ce que la confiance de la langue dans
le citoyen ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la confiance du citoyen que nourrit
l’emploi du français dans l’administration, mais la confiance des citoyens dans
les administrations.
Ceux qui écrivent l’anglais des media, des
administrations, des institutions de pouvoir, etc. préfèrent, est-il souvent
remarqué, les noms dérivés de verbes aux verbes eux-mêmes. L’essence du
français est d’utiliser les verbes pour exprimer des actes ou des processus. Le
rédacteur de cette circulaire, lui, préfère les noms aux verbes : épanouissement à épanouir ou faire épanouir,
valorisation à valoriser, organisation à
organiser, interprétation à interpréter,
traduction à traduire, application à appliquer, promotion à promouvoir, modernisation à moderniser, engagement à s’engager, etc., comme s’il
« essentialisait » les actes ou les processus.
Un Premier Ministre
rompu à l’emploi de la langue française n’aurait pas écrit « dans un
souci de valorisation de la diversité linguistique », souci étant impropre et le nom d’action valorisation inutile. Il aurait écrit « pour valoriser la
diversité linguistique ». De plus, « s’exprimer dans la langue
maternelle d’un interlocuteur » chez qui l’on est reçu n’a rien à voir
avec la « diversité linguistique », à valoriser ou non : c’est
une affaire de courtoisie ou de savoir-vivre ; et la France est réputée
pour être ou avoir été le pays de la courtoisie, ce que M. le Premier Ministre
semble ignorer.
Il est un emploi étrange, c’est celui d’interprétation : « dès lors
qu’une interprétation dans notre langue est disponible » (pour « dès
qu’un interprète est disponible »), « lorsque le statut de notre
langue le permet (comprendre : lorsque l’usage du français est prévu par
des conventions internationales), exiger cette interprétation, afin d’avoir
l’assurance d’être compris » (pour « exiger les services d’un
interprète »). Certes, ce mot a pour sens « traduction » depuis
le XIVe siècle, mais ce n’est qu’une signification secondaire, que les
lexicographes actuels tiennent pour « ancienne » ou désuète. Si toute
la circulaire avait été écrite dans une belle et haute langue, cet emploi
subtil ou littéraire d’interprétation
n’aurait pas déparé, mais il détonne dans un texte aussi mal écrit.
Venons-en aux questions de fond. L’emploi de la langue
française, à l’exclusion de toute autre langue, est obligatoire dans l’Etat et
dans les établissements qui dépendent de l’Etat, dans les administrations,
locales, départementales, régionales, dans les services publics. Des lois et
règlements régissent cela depuis 1794 : lois Bas-Lauriol, loi Toubon,
article 2 de la Constitution. Ces lois s’appliquent, comme un impératif
catégorique, aux ministres. Or en prenant connaissance du contenu de cette
circulaire (dont le but est « de favoriser l’usage » du français en
France même), les Français apprennent, ébahis, que les ministres contreviennent
à ces lois ou qu’ils ferment les yeux sur les innombrables infractions de leurs
administrations.
Les extraits suivants le disent éloquemment : « on
ne saurait défendre et promouvoir le français hors de nos frontières sans en
favoriser l’usage dans notre pays lui-même, à commencer par l’ensemble des
représentants de l’Etat » (comme si les représentants de l’Etat étaient
« hors de nos frontières » et inclinaient à employer en France même
une autre langue que le français) ; « veiller au respect des textes
qui encadrent l’emploi de notre langue dans la société » (il ne
s’agit pas de « respecter » ces textes, mais de les appliquer) ;
« privilégier systématiquement l’emploi (de la langue française) dans les
différents outils de communication dont disposent les administrations »
(ce qu’elle ne faisaient donc pas) ; « mise en place d’une interprétation
dans les réunions et conférences organisées en France à l’initiative de l’Etat
ou d’un de ses établissements » (ce qui signifie que la langue en usage
dans ces réunions et conférences n’est pas le français).
Il est humiliant que l’Etat soit incapable d’appliquer ou
de faire appliquer les lois. Pour convaincre les ministres « de favoriser
l’usage du français » en France, que reste-t-il au Premier Ministre, qui,
hélas, n’est pas le meilleur expert qui soit en matière d’emploi du français,
comme l’atteste la circulaire qu’il a signée ? L’idéologie, la propagande,
le rappel de quelques dogmes de la nouvelle religion ! On n’utilise plus la
langue pour dire les réalités, mais pour montrer que l’on pense comme il faut
penser. D’où un grand nombre de propositions absurdes, telle la référence à un nouveau
« droit à », le « droit au français », dont les citoyens ne
jouissent pas, mais dont ils « tirent parti dans leur vie
quotidienne » : ce droit « participe de notre démocratie »
(apparemment, pas de celle des ministres) ; « il garantit un égal
accès à l’information et au savoir », etc. La circulaire est toute tissue
de propositions bizarres, incongrues, maladroites ou encore plus évidentes que
les portes grandes ouvertes. Citons « notre pays s’est construit dans un
rapport étroit à la langue française » ; l’usage du français par
l’administration « contribue à la cohésion de notre pays autour d’une
langue partagée » ; faire du français « un outil de l’ouverture
au monde » (ce n’est pas une boîte qu’il faut à M. Hollande, mais un
conteneur, tant il a d’outils à sa disposition) ; « c’est notre tissu
social qui est fragilisé si ces textes (sur l’usage du français en France) ne
sont pas strictement observés » ; « l’interprétation et la
traduction favorisent la circulation des idées et des savoirs » ; ou
encore la confiance relative accordée à l’encontre de la « traduction
automatique » des textes.
A sept ou huit reprises, M. le Premier Ministre désigne la
langue française d’un autre nom que le sien. Notre langue, répète-t-il. Oui, effectivement, c’est leur langue – non pas la langue des Français,
mais la langue des ministres. Comme ce notre
langue est apparié à République ou à républicain (à deux reprises sont
invoqués de mystérieux principes
républicains pour justifier que le français soit employé en France), cette
langue est le républicain, et non le français.
C’est une langue que l’on pourrait
nommer le ministrin ou le ministrais, la langue des ministres ; ou comme,
au lu de cette circulaire, ces ministres ne sont pas grand-chose, le minustrin
ou minustrais.
© Arouet le Jeune pour LibertyVox
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