SERVICES SECRETS...
Espionnage : l’immense naïveté des politiciens…
Trois auteurs – Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer – qui ont derrière eux une bonne cinquantaine d’ouvrages consacrés à la guerre de l’ombre, ont collaboré afin de narrer cette histoire politique des services secrets français. Ils nous livrent une somme de 664 pages à laquelle il faut ajouter annexe, index et notes.
Ils entreprennent de raconter l’histoire des agents qui œuvrent au sein de la caserne Mortier, située à côté de la piscine des Tourelles à Paris qui donnera son nom au service.
Au début coexistent à « la piscine » le service de renseignement (SR) et le contre-espionnage (CE) ; d’un côté le glaive, de l’autre le bouclier. Au fil des ans, cette dynamique coexistence va se transformer en un véritable panier de crabes. Le public entend parfois, à travers d’obscures affaires, parler du SDEC, de la DGSE, de la DST. Derrière ces sigles, autant de services qui ne tardent pas à se lancer dans une compétition qui dépasse de loin la concurrence. On appartient bien vite à une chapelle et non à une autre.
Dans ce récit, nos auteurs montrent qu’à l’origine, l’histoire, et les problèmes qui s’en suivent, plonge ses racines profondes au sein de la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale.
Dès l’après-guerre, le ver est dans le fruit. Deux visions antagonistes vont se heurter. À Londres, De Gaulle se sert du BCRA qui organise les réseaux de résistance en France. Le général a une vision politique du monde et se méfie des militaires, ces « traîneurs de sabres ». À Alger, le général Giraud a, lui, une conception très militariste.
L’antagonisme entre les deux hommes va perdurer et profondément marquer les divers services de renseignement. « Le pouvoir politique et son homologue militaire en reviennent toutefois vite à chacun pour soi, notent les auteurs. Laisser les civils, ces béotiens, se mêler des affaires de l’armée ? Pas question. Parler politique internationale avec les militaires, ces spécialistes bornés ? Encore moins. »
De Gaulle n’avait en fait qu’une très modeste considération pour les services de renseignement. Pompidou voyait en eux l’antre du Diable. Giscard les méprisait. Mitterrand s’en méfiait comme de la peste. Sarkozy, lui, rompait avec cette longue tradition de défiance. Avec lui, après l’écroulement du Mur de Berlin et de l’URSS, la stratégie se menait sur le terrain industriel et économique.
La lecture de cet ouvrage imposant, débordant d’informations inédites et parfois déconcertantes, s’avère souvent éprouvante. On est même quelquefois décontenancé. On apprend ainsi qu’à l’été 1937, le SR français pense être en mesure de tuer Adolph Hitler. Informé de ce projet d’attentat, Daladier, alors ministre de la Défense nationale, déclare : « On n’assassine pas le chef d’État d’un pays voisin ! »
Des dizaines d’années plus tard, sous la présidence de Giscard d’Estaing, des agents ont l’occasion de photographier des documents appartenant à Kissinger, alors en visite à Paris. Avec superbe, le Président déclare à Alexandre de Maranches, patron du service : « Je ne lirai aucun des papiers que vous m’avez communiqués. On ne fait pas cela à un ami. »
Le livre terminé, on porte un autre regard sur notre histoire. On est parfois abasourdi par l’immense naïveté des hommes politiques en charge de l’exercice du pouvoir. Cette lecture, qui rapporte tant de sacrifice et d’abnégation d’êtres qui ont choisi de demeurer dans l’ombre pour l’idée qu’ils se sont faite de la patrie et de la nation, s’avère bien déprimante.
Une histoire passionnante qui invite à la réflexion sur l’engagement et le dévouement.
le 8 janvier 2013
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