lundi 28 janvier 2013

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[Conte] Le loup des Carpates

27 janvier 2013

[Conte] Le loup des Carpates
En ce matin d’été, le berger ne s’attarde pas à contempler les aimables courbes de la vallée d’Ossau. Il fait le tour de l’enclos. A l’estive, il manque encore deux brebis. Le loup des Carpates a de nouveau frappé…

Ah! Quelles drôles de bonnes âmes à vouloir sauver le dernier spécimen d’une race barbare qui allait s’éteindre. Une bête plus monstrueuse que celle du Gevaudan! En effet, toutes les ligues vertes et vertueuses de citadins en mal de campagne s’étaient mobilisées, pour sauver le dernier loup des Carpates .On avait affrété à grands frais un avion spécial. Et l’animal deux à trois plus gros qu’un loup ordinaire, s’était acclimaté facilement aux brebis béarnaises.

Pour notre berger c’était décidé. Le soir, recouvert de son grand manteau en peau de mouton, le fusil à portée de main, il s’allongeait au milieu du troupeau. Après une journée éreintante à passer de l’ubac à l’adret et de l’adret à l’ubac, il eût envie de recompter ses moutons. Idée fatale qui le fit évidemment s’endormir sans tarder.
Le loup ne rata pas le rendez vous. Alors que tous les autres moutons se réfugiaient au bout de l’enclos, il fût surpris de constater qu’il en restait un grand, long et plat, couché dans l’herbe qui ne bougeait pas. Il en fit donc sa pitance. Malgré sa mâchoire énorme, il eût certes du mal à tout contenir dans sa gueule, mais il se passa une chose surprenante révélant sa grande capacité d’adaptation. Au fur et à mesure qu’il engloutissait notre berger, il grossissait d’autant et n’eût pas besoin de le déchirer en morceaux. Bref, il n’en fit qu’une bouchée. A la fin il était aussi gros qu’un ours de Sibérie.

Il y eût plus étonnant encore. Le berger eût la chance d’éviter l’intestin irrigué par le foie, échappa aux mortels sucs gastriques et réveillé par ce transfert dans un grand boyau humide se retrouva dans la salle d’attente du ruminant. Car notre loup ruminait comme un bœuf. Le berger s’installa donc dans un espace assez exigu pour un homme mais somme toute habitable où il put se caler tranquillement et respirer après un transit fatiguant. Il fût interrompu dans son installation par une voix qui lui demandait de ne pas trop remuer, sinon il allait le faire revenir dans sa gueule. Une conversation s’engagea. Entre deux amateurs de brebis, de montagne et de nature, il y eut assez d’affinités pour qu’ils deviennent deux amis inséparables.
Le loup sur les conseils de son ami, jura de ne plus dévorer de brebis. En compensation, le berger le conduisit à Paris. Il avait son idée qui n’avait rien à voir avec les Folies Bergères. Dans la capitale, l’étonnement fût énorme, surtout quand on s’aperçut que l’animal s’exprimait dans un français courant, avec néanmoins un fort accent béarnais.

Le Parti vert applaudit des deux mains quand il s’installa devant leur siège. Ils avaient eu raison de sauver ce loup des Carpates. La France lui réussissait puisqu’il avait bien grossi. Signe de grande intelligence, il savait reconnaître ses bienfaiteurs en venant à leurs côtés. Ce n’est pas parce qu’il dévorait des brebis qu’il était condamnable, la nature étant intrinsèquement bonne. Ce n’était dû qu’à des conditions de vie difficiles, il suffisait de lui donner les moyens de vivre autrement. Ils firent donc voter dans l’allégresse une subvention qui permit de livrer sur le trottoir une tente pour l’abriter, et une montagne de grandes boites de pâté pour chien. Ce qui fût fait le soir même, par la Présidente elle-même, sous l’œil attentionné des caméras de télévision.
Le lendemain matin, aucune boite de pâté n’avait été entamée. La présidente avait disparu. Le vice président se chargea à son tour de veiller au dîner de son protégé. On ne le retrouva plus. Tout le comité de direction des protecteurs des loups fût ainsi englouti en une semaine. Les militants verts tournèrent au verdâtre. Il y eût une vague de démissions, plus personne ne voulait finir dans la gueule du loup.
Nos deux inséparables quittèrent la capitale. Il était temps, les derniers amis des animaux réclamaient une battue impitoyable pour éliminer cet ennemi de la société. Le loup des Carpates avait mal à l’estomac, les partisans étant aussi indigestes qu’imbuvables. Mieux valait retourner chez Dracula, maigrir et s’éteindre tranquillement chez soi.
Le parti vert avait disparu dans l’engloutissement.
La nature avait repris ses droits. Brebis et bergers allaient pouvoir vivre en paix.
[L’histoire s’arrête là, mais Yann, un ami breton, n’était évidemment pas satisfait. Ces suites lui sont donc dédiées ainsi qu’à cet autre compagnon randonneur du Tro-Breizh et d’ailleurs, à qui nous devons la lumineuse idée des Folies Bergères. Au lecteur de choisir celle qu’il lui plaira. Il n’est d’ailleurs pas interdit d’en rajouter d’autres…]
Mais qu’est devenu le berger ?

Le loup et le berger ont convenu, mission accomplie, de retrouver chacun leur autonomie. Le loup a donc régurgité le berger dans sa gueule pour le rendre à la vie normale.
1. Suite triste et invraisemblable : un réflexe inopportun l’a fait mastiquer au mauvais moment. Le berger a été déchiqueté comme un vulgaire écologiste.
2. Suite classique et vraisemblable : Le loup s’en est retourné dans les Carpates, le berger a retrouvé les Pyrénées et ils s’écrivent de longues lettres.
3. Suite touristique : Le loup a invité le berger à visiter son pays et l’a transporté gracieusement jusqu’en Roumanie où le berger a pu randonner avec son ami dans les Carpates, sans carte ni boussole mais  sans jamais se perdre hors des chemins balisés.
4. Suite parisienne : Le loup s’en est retourné dans son pays. Le berger a voulu découvrir les bergères de la capitale. C’était pure Folies, il est allé de surprise en surprise. Les bergères de la capitale ne s’embarrassent pas de peaux de moutons, elles ne craignent pas de vivre quasiment nues, jusque tard dans la nuit. Elles veillent jusqu’au petit matin ; non pas sur des moutons mais sur des troupeaux de cochons qui n’ont rien à voir avec ceux du Léon ou du Trégor. La transhumance de ces troupeaux est quotidienne et ils sont tondus à chaque soirée. 

Les funiculaires de Paris sont enfouis dans la terre au milieu de longs tunnels. La faune que l’on rencontre dans ces grands couloirs l’effraya plus que les loups. Il décida alors de rentrer en Béarn.

Fanch


Ce conte a été publié initialement sur Novopress Breizh.
Crédit photo : Gary Kramer, via Wikimedia, domaine public.
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