vendredi 7 décembre 2012

IL ETAIT UNE FOIS GEORGES MELIES

« Un film lumineux de beauté et pétillant d’intelligence »

Il était une fois un magicien, un grand magicien, que le destin a presque brisé, et qui a failli tomber, définitivement, dans les oubliettes du temps.

 Il était une fois un homme parti de rien et qui, par un habile tour de passe-passe, est devenu l’un des pionniers du cinéma, en particulier l’inventeur des effets spéciaux au cinéma. 

Il était une fois Georges Méliès, à qui Martin Scorsese (1) a rendu, il y a tout juste un an, un vibrant hommage avec son film « Hugo », un film rempli de magie et de poésie, « sa plus flamboyante lettre d'amour au septième art. » (2)
« Martin Scorsese est quelqu’un qui aime VRAIMENT le cinéma ! ». Cette réflexion, je la laissai échapper il y a quelques semaines à la sortie du petit ciné-club qui venait de projeter, en deux dimensions « seulement », Hugo, le film du grand réalisateur américain, sorti le 23 novembre 2011 aux Etats Unis, le 2 décembre suivant au Royaume Uni et le 14 décembre en France. 

Méliès aurait eu cent cinquante et un an le 8 décembre 2012. Cent cinquante ans pour la sortie du film. Hugo, qui célèbre ce grand pionnier du cinéma, a tout juste un an. Je n’avais pas entendu parler de la sortie de ce film, et j’y suis allée sans savoir à quoi m’attendre, sachant toutefois que Martin Scorcese est l’un des plus grands réalisateurs mondiaux, et que le film se passait à Paris dans la première moitié du vingtième siècle.

Quitter une salle de cinéma conquise par un film donne envie d’en parler, même si ce film est sorti depuis longtemps déjà. Parce qu’Hugo est un film emblématique, un film exemplaire. Ressortir transportée d’une projection cinématographique donne également envie de voir ce que les critiques en ont dit. L’ont-ils tous aimé ? Un film peut-il faire l’unanimité ? On lit toujours les critiques pour choisir quel film aller voir, et rarement, peu, ou jamais pour faire, après la projection et à la lumière de sa propre opinion, un tour d’horizon des réactions que l’œuvre a provoquée auprès des professionnels du cinéma et des journalistes.

Quoi de plus extraordinaire, quand on aime vraiment le cinéma, et ce n’est pas François Truffaut qui m’aurait contredite, que ces petits ciné-clubs où se retrouvent chaque semaine ou presque les amoureux du septième Art, pas pour voir automatiquement des films rares ou anciens, ni des films forcément d’Art et d’Essai, mais tout simplement pour célébrer le cinéma, le cinéma de qualité, surtout celui qui parle de cinéma ? Quoi de plus fantastique que de faire revivre dans ces toutes petites salles la tradition des anciennes projections où l’on interrompait encore le film en plein milieu, juste au moment où l’on allait enfin savoir le si du pourquoi du comment, pour faire entrer dans la salle quelques personnes équipées du traditionnel panier en osier remplis de glaces, de bonbons et autres confiseries cinématographiques ? Et tout le monde se précipite dans la file d’attente, puis ramène triomphalement à sa place son cône ou sa barre au chocolat. Comme lorsqu’on était mômes. 

Oui, ces ciné-clubs existent encore, et l’on ne peut que s’en réjouir. Ils me rappellent l’époque révolue du cinéma de mon quartier de Paris, lorsque j’allais voir Fantômas avec Louis de Funès et Jean Marais. Evidemment, on essayait de se trouver des places en haut, au balcon, pour dominer la salle, pour nous sentir importants, ce qui ne nous empêchait pas de crever de trouille devant le visage masqué de bleu de Fantômas et ressortir ensuite traumatisés à vie. A l’entracte, on se jetait, avec un immense soulagement, non pas du haut du balcon mais sur les vendeuses dès qu’elles faisaient leur apparition dans la salle. Et puis il y avait les rires et les applaudissements de tous les gamins à la fin de la projection… Le vrai cinéma, c’était aussi cela.



C’est le vrai cinéma que les films comme « Hugo » célèbrent. Le cinéma oublié, le cinéma ressuscité. Film au charme indéfinissable, magnifique hommage à Georges Méliès, servi par une brochette d’acteurs –de tous âges- exceptionnels, depuis le jeune Asa Butterfield à la déjà longue carrière cinématographique, jusqu’au célèbre Ben Kingsley, dont on se rappelle la magnifique performance dans « Gandhi », Hugo est tiré d’un roman pour la jeunesse (3), et même s’il est souvent défini comme film « familial » par la critique, il ne vise à mon sens ni les enfants (4) ni les parents, ni même les grands enfants, et pas non plus les petits adultes.

« Hugo » s’adresse avant tout aux personnes sans âge, qui vivent un peu hors du temps, à celles et ceux qui ont un pied, voire les deux, dans un monde parallèle, mais cependant tellement accessible, où seuls la magie, le rêve et le merveilleux ont droit de cité, il s’adresse à ceux qui continuent d’aimer les histoires belles, belles et émouvantes, sans craindre l’implacable jugement dénonçant leur incurable naïveté ou leur lamentable niaiserie, mais avant tout, il s’adresse aux grands amoureux du cinéma, et à tous ceux qui, comme Georges Méliès en son temps et comme tant d’autres après lui, vibrent d’émotion lorsqu’ils entendent le bruit d’une pellicule s’enroulant sur son projecteur, et frémissent d’enthousiasme lorsque sont criés, hauts et forts, les mots « moteur ! » ou « coupez ! ». 

En règle générale, les films pour enfants semblent être considérés comme un sous genre en France, un genre mineur, raison pour laquelle beaucoup de critiques négatives ou mitigées d’Hugo ont qualifié le film de « film pour enfants ». Certaines critiques pourtant positives ajoutent même involontairement une légère pointe de condescendance envers les œuvres pour la jeunesse, presque imperceptible mais cependant présente, lorsqu’ils annoncent, comme un compliment, que « sous couvert d'un joli conte pour enfant, c'est un merveilleux hommage aux pionniers du Cinéma que Scorsese offre à son audience. » (Jeuxactu.com, avec une bande annonce incluant une courte interview de Scorsese)

On sait que le film se déroule gare Montparnasse, car c’est là que Méliès tenait sa petite boutique de jouets après qu’il fut ruiné et oublié de tous, mais aussi du fait de l’allusion au spectaculaire accident de train qui s’y produisit en 1895, mais comme le souligne l’article de Wikipédia sur le film, cette gare reconstituée inclut des éléments d’autres gares, comme la tour d’horloge de la gare de Lyon, et l’aspect extérieur de la gare du Nord. Loin de désorienter le spectateur, ce flou quant au lieu exact où se déroule l’histoire ajoute une dimension supplémentaire, un peu irréaliste, au film.

Le film est un pont entre le cinéma d’antan (cinéma muet de Méliès en particulier) et le cinéma d’aujourd’hui, avec ces allusions au cinéma muet qui le jalonnent, et cette utilisation, que tous les critiques s’accordèrent à qualifier de magistrale, de la 3D.

En effet, les critiques furent unanimes sur la qualité de la 3D. De nos jours, trop de films ne se font en 3D que parce que le filon est à la mode, que cela engendre plus d’entrées dans les cinémas, et donc plus d’argent dans les caisses. Or, de nombreux critiques ont noté l’utilisation intelligente qui a été faite de cette 3D dans le film de Scorsese. (5) « Hugo », on peut donc l’affirmer sans craindre de trop se tromper, a ouvert une nouvelle ère dans l’histoire de la 3D au cinéma.
Il est tout de même étonnant de lire, dans la critique du journal Le Monde, que le film n’aurait pas eu de sens en deux dimensions (6). Si les effets spéciaux du relief n’y sont en effet pas, le film en 2D n’a rien perdu de son atmosphère quasi envoûtante. N’oublions pas que la 3D est un procédé artificiel dans le sens où le spectateur est contraint de revêtir des lunettes spéciales pour voir le film, que son œil ne le ferait pas de manière naturelle, et qu’il est donc impossible d’affirmer que tourner tel ou tel film en 2D « seulement » n’a pas de sens. 

Certes, le film, dans le choix de ses plans, a été pensé dès sa conception pour être tourné en 3D, mais la 2D est tout aussi justifiée en ceci qu’elle permet au spectateur de voir le film de façon « naturelle ». D’un autre côté, Isabelle Regnier, l’auteur de l’article, fait très justement remarquer que lors des débuts du cinéma, les spectateurs oubliaient parfois qu’il s’agissait seulement d’un film et non de la réalité, et que la 3D d’aujourd’hui nous permet donc de revivre les émotions fortes, dues à cette confusion entre imaginaire et réalité, qu’ils devaient ressentir à leur époque. Ceci est très bien illustré dans « Hugo » avec l’extrait du film des frères Lumière « L'Arrivée d'un train en gare de La Cio­tat », lorsqu’est reproduite la scène montrant les spectateurs pris de panique, car persuadés que le train va sortir de l’écran et tous les écraser.

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Cependant, certains internautes commentateurs d’articles font remarquer dans une critique de Télérama que l’impression de lenteur au démarrage du film, qu’il ne se « passe rien », provient du fait qu’il a été conçu pour la 3D, et qu’il semble donc que le côté visuel du film ait été privilégié au détriment de son scénario.

A la lecture des diverses critiques et résumés, il semble difficile de dater l’action du film qui est tour à tour située dans les années vingt, dans les années trente, en passant par « au tournant des années trente », « vers 1920 »... Peu importe, se dit-on, cela n’a pas une importance capitale, car ce qui compte, c’est que l’histoire se passe après la première guerre mondiale. Cela explique le handicap du chef de gare qui, loin de rebuter la jeune vendeuse de fleurs, va au contraire l’émouvoir, par le parallèle qu’elle fait avec la perte de son frère, et finalement le rapprocher de lui. Cependant, si l’on veut être vraiment précis, il faut alors se reporter à la biographie de Méliès, et vérifier à quelle époque il a commencé à tenir ce petit stand de jouets et de confiseries grâce auquel le jeune Hugo du film fera, bien malgré lui, sa connaissance.

Georges Méliès a commencé à tenir la boutique en 1925 (ou pas loin), puisque c’est en réalité Jeanne d’Alcy, son ancienne actrice et future épouse, revue cette année là, qui avait ouvert le commerce. Puisque c’est en 1929 que ce génie du cinéma fut redécouvert, et que « Hugo » se termine tout à fait logiquement par cette redécouverte, il semble plus logique aussi que le film se déroule dans la seconde moitié, ou vers la fin des années vingt plutôt que dans les années trente, d’autant que Méliès a été placé en 1932 en maison de retraite, où il décèdera en 1938.
L’excellente critique des Inrocks, de par son approche totalement originale, est particulièrement intéressante en ceci qu’elle replace tout d’abord le film dans le contexte d’un éternel recommencement de la mort du cinéma. « Un conte malicieux sur la mort du cinéma », titre d’ailleurs l’article. Georges Méliès est, pour l’auteur, envisagé par Martin Scorsese comme « la première victime de cette catastrophe à répétition nommée la mort du cinéma ». L’idée que l’on se fait du cinéma se renouvelant sans cesse, cette idée emporte avec elle dans sa disparition ceux qui la servent. De plus, l’auteur analyse la rencontre entre l’enfant et le vieux cinéaste déchu comme étant celle de deux rapports au temps. On peut d’ailleurs penser que ces deux conceptions s’opposent tout d’abord, avant de devenir complémentaires.

Bref, « Un film lumineux de beauté et pétillant d’intelligence. » comme l’annonce l’Humanité .
Les critiques négatives sont intéressantes à lire dès l’instant où elles sont argumentées. Elles s’apparentent malheureusement parfois à un rejet pour des raisons purement personnelles, plus qu’à une analyse objective des faiblesses de l’œuvre, qu’elles soient de l’ordre du technique, ou relèvent d’un manquement du scénario. On trouve parfois dans les critiques négatives du film des réflexions telles que ce « fade petit héros » du site fichesducinema (qui complimente par ailleurs l’harmonie et la poésie du film dans son ensemble et propose ensuite à la lecture un commentaire très intéressant), voire même incompréhensibles de virulence, telle ces « deux galopins têtes à cla­ques à force d'être mignons. » d’un auteur de Télérama, magazine qui a l’immense mérite de présenter la plupart du temps deux critiques par film, l’une négative, l’autre positive.

Sans vouloir être méchante, certaines critiques sont vraiment à l’ouest, terme particulièrement justifié dans le cas présent, puisque « Gare de l’Ouest » était l’ancien nom de la gare Montparnasse. Ce résumé de l’Express, sur la fiche consacrée au film, en est l’exemple parfait : « Un jeune orphelin vit secrètement dans une station de métro parisien » ! C’est parfois à se demander si les auteurs de critiques ou de fiches ont le temps d’aller voir les films avant la date butoir où ils doivent rendre leur « papier ». Si l’erreur est due au manque de temps, et non à l’indifférence, c’est compréhensible et pardonnable évidemment, bien que décevant lorsqu’on aime le cinéma, le bon, le vrai, et les réalisateurs comme Scorsese qui lui ont consacré tellement plus que leur simple vie et méritent plus d’attention et de considération. Le reste du très court résumé ne rattrape malheureusement pas la bourde en ceci qu’il ne donne vraiment pas envie d’aller voir le film.

Un autre court article de l’Express, mieux inspiré, fait remarquer qu’il y a en réalité deux films dans le film : l’un raté, l’autre réussi. « Parce que ses dadas sont les gangsters, la violence et la morale, le réalisateur des Affranchis est aussi à l'aise qu'un poisson sur une bicyclette dans le conte pour enfants (le premier film). » ajoute l’auteur. Cette appréciation est exagérée, mais l’on peut en effet admettre que la réussite du film tient plus à l’évocation de l’enfance du cinéma qu’à son scénario lui-même.

Toujours dans l’Express, cet article qualifiant Hugo d’ « Hommage bancal aux pionniers du cinéma » : « le réalisateur, bloqué par des enjeux dramatiques un peu faibles du côté du jeune Hugo » fait remarquer le critique. Cela est vrai si l’on part du principe que le film raconte les aventures de cet orphelin. Il me semble pourtant que le véritable héros du film « Hugo » est Georges Méliès lui-même, le génial Mélies, même si sa véritable identité n’est révélée que dans la seconde partie du film. Le personnage d’Hugo n’est là que pour servir de prétexte au récit de la redécouverte de Méliès. 

Le magazine Le Point, quant à lui, n’hésite pas à affirmer dans sa critique du film qu’Hugo, c’est Scorcese lui-même, et cela est sans doute vrai, avant d’achever son article sur une petite note patriotique que l’on peut trouver quelque peu déplacée. En revanche, pour le magazine Elle, c’est la gare elle-même le véritable personnage du film. Il me semble que les arguments avancés pour défendre cette opinion ne sont pas très convaincants. De même, est-ce parce que « Elle » est un magazine féminin que l’article tient à mettre en avant la jeune actrice Chloé Moretz comme « la véritable star du film » ? Cette jeune fille est en effet une très bonne actrice, mais en quoi fait-elle « de l’ombre » au jeune acteur Asa Butterfield ? Le rapprochement que l’article fait avec Emma Watson (Hermione, dans les films d’Harry Potter) est certes intéressant, mais là encore le meilleur jeune acteur des films d’Harry Potter est, me semble-t-il, Rupert Grint, qui incarna avec un humour décapant et une finesse extraordinaire, et ce dès le tout premier épisode de la saga, le personnage de Ron Weasley.

Libération, quant à lui, donne immédiatement le ton : « Criard. « Hugo Cabret » est un gros machin 3D dégoulinant de bons sentiments et à l’arrière-goût de vieux. » On a presque envie de dire : « pourquoi tant de hargne ? » Il y a un public pour tout. Certains aiment le cinéma qui fait rêver, la féérie, le merveilleux. C’est aussi pour faire rêver que le cinéma a été inventé. L’auteur ne semble pas avoir été touché par la magie de l’ambiance, ni par la poésie des images. « Bizarre » est le terme employé pour clore sa critique. « Dommage », sera le mien.


NOTES.
  1. Qualifié par le journal La Croix, http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Cinema/Martin-Scorsese-celebre-la-magie-du-cinema-avec-Hugo-Cabret-_EP_-2011-12-13-746742 , d’ « encyclopédie vivante du 7e art » (tout comme l’a été François Truffaut de son temps).
  2. http://cinema.jeuxactu.com/critique-cinema-hugo-cabret-critique-16807.htm
  3. « L’Invention d’Hugo Cabret » par Brian Selznick.
  4. Cette critique http://lci.tf1.fr/cinema/films/l-invention-de-hugo-cabret-6580326.html ne dit-elle pas d’ailleurs qu’ « On a trop vite voulu percevoir Hugo Cabret comme le premier film pour enfants du cinéaste de Taxi Driver » ?
  5.  « La beauté du film tient à la manière, généreuse et naïve, dont le cinéaste new-yorkais s'empare de la 3D. Un peu timide, un peu gauche, même dans les plans de foule qu'il multiplie au début, il prend vite le dessus sur sa technologie et révèle le sens de ce projet qui n'en aurait pas eu en deux dimensions. Aux dessins de Méliès volant dans l'espace, fraîchement libérés du tiroir où ils dormaient depuis des années, la 3D donne une qualité infiniment précieuse, magique. »
  6.  « remarquable intelligence dans son utilisation de la 3D » Les Inrocks http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/hugo-cabret-un-conte-malicieux-sur-la-mort-du-cinema/
(agoravox.fr)
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