OBSERVATOIRE DE L'ACTUALITE GEOPOLITIQUE
14/11/2012
Olivier Corel, le mentor de Mohammed Merah, et la "filière toulousaine"
Dans mon livre Pour Allah jusqu'à la mort, Enquête sur les convertis à l'islam radical,
paru en 2008, je consacrais plusieurs pages à la "filière toulousaine"
et notamment à Olivier Corel, que les médias français désignent
aujourd'hui comme le mentor de Mohammed Merah. Ce livre, passé
relativement inaperçu à l'époque décrit précisément le processus par
lequel des jeunes occidentaux (convertis ou musulmans) deviennent des
djihadistes et commettent des actes de "folie" comme celui de Toulouse.
Il reste hélas, est-il besoin de le souligner, toujours d'actualité...
P. LANDAU (paul_landau2004@yahoo.fr)
IV - La filière toulousaine
Lorenzo
Vidino, auteur d’un livre important sur Al-Qaida en Europe, faisait
observer récemment que l’islam radical, traditionnellement implanté dans
les grandes métropoles et les villes moyennes, s’étendait au cours des
dernières années aux zones rurales européennes [1].
Cette observation a été confirmée par le démantèlement récent en France
d’une filière de recrutement de djihadistes à destination de l’Irak,
implantée dans la région toulousaine et notamment dans les localités de
Colomiers et Capdenac-le-Haut, près de Figeac, dans le Lot. Cette
filière fonctionnait depuis plusieurs mois, selon l’enquête menée
conjointement par les renseignements généraux, la police judiciaire et
la sous-direction antiterroriste (SDAT). Son démantèlement a débuté en
février 2007 avec l’arrestation de deux djihadistes expulsés de Syrie,
interpellés à leur descente d’avion à l’aéroport d’Orly. L’un des deux
est un converti, Thomas Barnouin, albigeois de 26 ans devenu Abdelhakim
après sa conversion.
La maison des époux Corel
Artigat
est un village de 1200 habitants, dans l’Ariège. Jusqu’à récemment, il
était connu surtout pour avoir été le théâtre d’une histoire fameuse,
qui a inspiré de nombreux romanciers et cinéastes : celle de Martin
Guerre, paysan français du XVIe siècle. Mais depuis quelques
mois, Artigat est devenu célèbre pour une tout autre raison. Tout a
commencé au début des années 1990, quand les époux Corel ont attiré
autour d’eux plusieurs familles de musulmans et de convertis à l’islam.
Au début, c’était plutôt une espèce de « communauté » installée dans une
vieille ferme, puis dans des maisons construites au hameau des Lanes.
Mais les apparences sont trompeuses : la vie bucolique de ces familles
musulmanes dans la campagne ariégeoise cachait en fait une filière de
recrutement de djihadistes à destination de l’Irak…
Les époux Corel sont tous deux des
musulmans franco-syriens. Olivier Corel, la soixantaine, grand et
élancé, ressemble à une sorte d’émir égaré dans la campagne, avec sa
barbe blanche. Avec sa femme Nadia, née en Syrie comme lui, ils se sont
installés dans la région et petit à petit, Corel est devenu un imam
autoproclamé pour plusieurs jeunes maghrébins réislamisés et « Gaulois »
convertis des banlieues toulousaines. La communauté vit en
quasi-autarcie, vendant des poteries et des fripes sur les marchés
avoisinants. Mais derrière cette façade inoffensive, plusieurs signes
attestent d’une radicalisation. Des voisins se souviendront d’avoir
entendu les « cris de joie des mômes le 11 septembre 2001 ». Les femmes
de la communauté arborent le tchador et retirent leurs enfants de
l’école du village, trop laïque à leurs yeux. Les Renseignements
généraux surveillent de près les visiteurs, et multiplient les écoutes
téléphoniques et surveillances. « Il y a des kilomètres de littérature
sur chacun de ces gars-là », racontera un enquêteur aux journalistes
après le démantèlement du réseau.
Thomas-Abdelhakim, le djihadiste albigeois
L’itinéraire de Thomas
Barnouin est significatif de l’engouement que suscitent l’islam radical
et le djihad irakien, jusque dans des petites villes de la province
française que l’on croyait récemment encore à l’abri de ce phénomène.
Fils d’enseignants, Thomas a d’abord été témoin de Jéhovah, avant de se
convertir à l’islam en 1999. Les témoignages recueillis par le quotidien
local de Toulouse, La Dépêche, le décrivent comme un « garçon
calme et discret ». Après sa conversion , il fréquente la mosquée
d’Albi. En 2001, il s’inscrit à l’« Institut européen des Sciences
humaines » (IESH), à Saint-Léger-de-Fougeret, près de Château Chinon
dans la Nièvre. Derrière ce nom anodin se cache le premier centre de
formation des imams de France, créé en 1990 par l’Union des
Organisations islamiques de France (UOIF), organisation proche des
Frères musulmans qui entend ainsi asseoir son emprise sur l’islam dans
l’Hexagone [2]. Mais ses études islamiques à l’IESH ne durent pas
longtemps : inscrit pour l’année 2001-2002, il est convoqué en conseil
de discipline quelques jours après la rentrée. Le responsable de la
scolarité explique à un journaliste que Thomas Barnouin « n’a pas fini
sa scolarité et n’a pas passé d’examens ». L’institut refuse toutefois
de donner les raisons des sanctions prononcées contre son ancien élève.
Thomas Barnouin décide de
poursuivre ses études coraniques à l’étranger. Il se rend en Arabie
saoudite, d’abord à La Mecque, puis à Médine où il suit des cours à
l’université islamique de la ville sainte. C’est là qu’il rencontre des
gens qui « lui ouvrent les yeux sur ce qui se passe en Irak »,
expliquera-t-il aux policiers français après son arrestation. Fin 2006,
Thomas-Abdelhakim entre en contact avec un certain Abou Hassi,
« facilitateur » saoudien qui organise le passage vers l’Irak de
djihadistes saoudiens, en passant par la Jordanie. Dans le royaume
hachémite, il est acheminé par un autre passeur jusqu’à la zone des
« Trois Frontières » (Jordanie, Syrie, Irak), et pénètre en Syrie. Mais
il a été repéré par les services de sécurité saoudiens, qui ont
enregistré ses conversations avec deux autres membres du réseau
toulousain, auxquels il a donné rendez-vous en Syrie. Parvenu en Syrie,
il rejoint un groupe de djihadistes avec lesquels il s’entraîne au
maniement des armes, en attendant de gagner l’Irak. Mais Thomas
n’atteindra jamais le pays du djihad : le 12 décembre 2006, son groupe
est repéré par les services de sécurité syriens, qui ont été alertés par
leurs homologues saoudiens. Ceux-ci donnent l’assaut à la maison où se
trouvent Barnouin et ses camarades. Capturé, celui-ci est remis aux
services français à Damas et placé dans un vol Air France à destination
de Paris.
Lors de son interrogatoire par les polices de la SDAT (unité antiterroriste), Barnouin reconnaîtra avoir tenté de passer en Irak, « les armes à la main ». L’enquête menée conjointement en France et en Belgique établira des liens entre la filière toulousaine et la filière belge dont faisait partie la kamikaze Muriel Degauque. Après l’arrestation de Thomas Barnouin et de Sabri Essid à leur descente de l’avion en provenance de Damas, la police interpelle onze autres suspects dans la région toulousaine. A leurs domiciles, elle saisit des dossiers de « candidature » au djihad comprenant des lettres de motivation, des lettres de recommandation émanant de responsables religieux musulmans qui attestent de leur sincérité de « croyants », et même des « testaments » de djihadistes en vue de leur « martyre ». Plusieurs des suspects interpellés ont séjourné en Egypte, dans l’école coranique Aziz El-Bila, et en Syrie, officiellement pour y apprendre l’arabe littéraire et le Coran. Dans les mois qui suivent, l’enquête menée conjointement par les policiers français et leurs homologues belges aboutit à de nouvelles interpellations.
C’est après l’arrestation de
Thomas Barnouin – Abdelkrim que la police décide de passer à l’action
contre la communauté des Lanes. Au domicile des époux Corel, on ne
retrouvera ni armes, ni manuels de formation au djihad. Seulement des
livres religieux musulmans. Mais pour les policiers, le rôle d’Olivier
Corel a clairement été déterminant : « malgré son discours
fondamentaliste, c’est d’abord un intellectuel, un prédicateur et non un
cadre militaire du terrorisme », expliquent les policiers qui ont mené
l’enquête. « Il n’en est que plus redoutable, d’autant qu’il a un
ascendant certain sur ses ouailles âgées de 25 à 30 ans, dont le
parcours est quelquefois chaotique et qui n’en sont que plus
vulnérables ». Depuis le mois de février 2007, Olivier Corel est placé
sous contrôle judiciaire et mis en examen pour « association de
malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Les policiers
lui attribuent la direction de la filière de recrutement de djihadistes
démantelée dans les environs de Toulouse.
[1] Lorenzo Vidino, « Current Trends in Jihadi Networks in Europe », Terrorism Monitor, Volume 5, Issue 20, octobre 2007.
[2] Sur l’UOIF et son mentor, le cheikh Qaradawi, je renvoie à mon livre Le Sabre et le Coran, op. cit.,
p. 198 s. Le rôle du cheikh Qaradawi est abordé plus en détail dans le
chapitre 10, « Les convertis au cœur de la stratégie islamiste ».
Table des matières
TOUR DU MONDE DES CONVERTIS A L'ISLAM RADICAL
Muriel Degauque, la première femme kamikaze européenne
Lionel Dumont et le gang de Roubaix
Adam Gadahn l'américain d'Al Qaida
John Walker Lindh, le taliban américain
David Hicks, le Taliban australien
Les gaulois d'Al-Qaida : les convertis à l'islam radical de France
Les convertis à l'islam radical en Allemagne
TENTATIVE D'ELUCIDATION
L'introuvable profil des convertis à l'islam radical
Les convertis au cœur de la stratégie islamiste
Stratégies occidentales : réussites et défaillances
Etats des lieux des conversions en occident
La double conversion des convertis à l'islam radical
Muriel Degauque, la première femme kamikaze européenne
Lionel Dumont et le gang de Roubaix
Adam Gadahn l'américain d'Al Qaida
John Walker Lindh, le taliban américain
David Hicks, le Taliban australien
Les gaulois d'Al-Qaida : les convertis à l'islam radical de France
Les convertis à l'islam radical en Allemagne
TENTATIVE D'ELUCIDATION
L'introuvable profil des convertis à l'islam radical
Les convertis au cœur de la stratégie islamiste
Stratégies occidentales : réussites et défaillances
Etats des lieux des conversions en occident
La double conversion des convertis à l'islam radical
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