COLLABORATION ENTRE NAZIS ET PALESTINIENS (1933-1946)
Les arabes de Palestine sous la bannière nazie.
La collaboration entre nazis et nationalistes palestiniens
1933-1946
Une enquête de Sacha Bergheim
«
La condition précise de notre collaboration avec l’Allemagne était
l’entière liberté pour éliminer les Juifs, jusqu’au dernier, de la
Palestine et du monde arabe. J’ai demandé à Hitler son accord explicite
pour nous autoriser à résoudre le problème juif d’une façon bénéfique à
nos aspirations raciales et nationales et conforme aux méthodes
scientifiques que l’Allemagne a inventées pour s’occuper de ses Juifs.
La réponse que je reçus fut : les Juifs sont à vous. »
Amin al Husseini, Mémoires. Rencontre avec Hitler du 28 novembre 1941.
«
Nous admirions les Nazis. Nous étions immergés dans la littérature et
les livres nazis. Nous fûmes les premiers à envisager de traduire Mein
Kampf [en arabe]. Quiconque a vécu à Damas à cette époque était témoin
de l’engouement arabe pour le nazisme. »
Sami al Jundi, fondateur du Parti Ba’ath syrien.
Une réalité historique négligée par la critique
Évoquer
la participation arabo-musulmane au national-socialisme, ainsi que la
permanence entre « résistance antisioniste » et mouvements nazis et
néonazis, c’est mettre au jour un facteur essentiel, bien que
généralement occulté (l’accès à des archives dispersées rend la
recherche complexe et fastidieuse), de la perpétuation des conflits du
Proche-Orient.
Le
lien de parenté idéologique et de continuité logistique entre le
national-socialisme et l’islam militant remontre aux années 1930 et se
poursuit jusqu’à nos jours. Si le nationalisme arabe ne se réduit pas à
sa composante fascisante, cette dernière représentent cependant un
élément fondamental pour comprendre la guerre interne à l’islam, qui
s’incarne tant dans la guerre de l’islamisme contre l’occident, que dans
la diffusion à grande échelle des thèses antisémites dans le sillage
des méthodes de propagande nazies.
Quelles
ont été les conditions d’introduction, de diffusion et d’amplification
des thèses fascistes et nazies dans le monde arabo-musulman ? Par quel
biais l’antijudaïsme traditionnel dans l’islam – coextensif de la
dhimmitude – a-t-il adopté les théories conspirationnistes de
l’antisémitisme européen ?
Il
ne s’agit pas d’un phénomène marginal, confiné à quelques mouvements
radicaux isolés. Dès 1933, le parti Jeune-Egypte avait fondé sur le
modèle du NSDAP une unité de combat réunie sous le solgan « un peuple,
un parti, un guide ». Parmi ces derniers, on comptait Gamal Abdel
Nasser, ainsi que son frère qui traduisit en arabe Mein Kampf…
Et lors de l’accession au pouvoir des « officiers libres », Nasser
recruta un nombre conséquent de fugitifs nazis, anciens officiers SS,
qui furent en charge de la mise en place de la police politique, du
système pénitentiaire, et surtout de la propagande « antisioniste ».
La
perception d’une « trahison » des puissances libérales d’Europe de
l’Ouest, incarnée tant par le Traité de Versailles et le Traité de
Sèvres, que par la « nakba » de 1920 et la fin du rêve d’un
retour à un grand royaume arabe, a permis au discours et aux méthodes du
Troisième Reich de se greffer sur les thématiques de la « restauration »
de « l’unité » et de la « fierté » collective arabes.
De
même, la contestation de la liberté individuelle et de la modernité par
le totalitarisme allemand, au profit de mouvements de masse (le Volk et l’umma),
ou encore l’accomplissement collectif dans le combat eschatologique
contre un judaïsme fantasmé (suprématie de la race ou de la religion, et
avènement de la fin des temps par le génocide juif) ont servi de
catalyseur à une symbiose idéologique et une collaboration qui ne s’est
pas démentie depuis les années 1930.
L’exemple
palestinien montre que l’apport multiple du national-socialisme n’est
pas seulement anecdotique ou symbolique, mais, au contraire, primordial
dans la fondation des mouvements de masse nationalistes arabes. Si les
ferments en ont été posés par des élites arabes urbaines sur le modèle
occidental-libéral jusqu’aux années 1920, les principales factions
arabes qui vont prendre la relève – et incarner jusqu’à aujourd’hui la
revendication anti-israélienne et judéophobe – sont issues des
mouvements idéologiquement parents du nazisme.
Ce
sont ces mouvements violents qui ont obtenu une reconnaissance
internationale, les partis légalistes étant systématiquement éliminés,
et le recours au terrorisme assurant par le chantage la reconnaissance
politique.
Ainsi, le Hamas
s’inscrit plus particulièrement dans la continuité de la « Société des
frères musulmans », fondée par un fervent partisan de l’Allemagne nazie,
Hassan al Banna, tandis que le Fatah de Muhammad Abd al Rahman
ar Rauf al Qudwah al Husseini – connu sous le nom de Yassir Arafat –
revendique toujours sa filiation avec Amin al Husseini, allié zélé du
Führer dans sa lutte contre les Alliés et dans l’élimination du peuple
juif et président, à partir du 1er octobre 1948, du « Gouvernement de
Toute la Palestine ». L’ensemble du discours historiographique «
palestinien » est lui-même issu du courant antisémite initié par le
libano-égyptien Georges Antonius, dévoué au clan Husseini, et dont le
mécène n’était autre que l’homme d’affaire américain Charles R. Crane,
antisémite notoire, dans le double objectif de légitimer, selon les
canons académiques occidentaux, le nationalisme panarabe et de gommer
toute présence des minorités dans l’histoire orientale, au premier rang
desquelles, les communautés juives.
Si
l »antisémitisme scelle les rapprochements, il assure également la
visibilité idéologique et un soutien mutuel de ces mouvements entre eux :
l’encadrement d’anciens officiers SS des camps d’entrainement du FPLP
en Egypte dans les années 1960 en témoigne. Des exemples similaires
pourraient être fait avec la Syrie ou l’Iraq : ils mettent au jour
l’existence d’une constellation de réseaux regroupés autour d’une
idéologie commune.
L’imaginaire
judéophobe n’apparaît donc pas, historiquement, comme une composante
externe – qui aurait été importée d’Europe lors de la collaboration des
nationalistes arabes initialement animés par la seule décolonisation –
mais comme sa pierre angulaire.
Anciens
opprimés, citoyens de seconde zone, les Juifs, qui vivaient en Orient
(la situation est similaire au Maghreb) bien avant la conquête
islamique, et qui ont eu accès à l’émancipation à la faveur de l’arrivée
des puissances européennes, ne sont pas seulement vue comme les
bénéficiaires de l’impérialisme, comme comme les instigateurs de la
décadence politique, culturelle et sociale arabe, de sa défaite face à
la modernité occidentale.
Et
dans ce jeu du bouc émissaire, Israel incarne et concentre l’esprit de
revanche dans ce qu’il a de plus violent et radical. À cet égard, le
parallèle avec le national-socialisme et le déchaînement de judéophobie
dans l’Allemagne après le Traité de Versailles ne relève pas d’un hasard
de l’histoire.
Retour sur la collaboration entre le Troisième Reich et les élites nationalistes arabes de Palestine.
* * * * * * * *
Les colonies allemandes en Palestine et le nazisme
Il y avait une colonisation allemande en « Palestine » (Jaffa, Sarona, Haifa, Jerusalem,…), issue en grande partie de la Tempelgesellschaft
(Société des Templiers, dissidence piétiste de l’Eglise du Wurtemberg),
dont l’embrigadement en faveur du NSDAP relevait d’une forme de
patriotisme et d’un véritable attachement idéologique. Plus d’un tiers
des Allemands résidents en Palestine mandataire avaient alors leur carte
au parti nazi. On était passé de 42 membres en novembre 1933 à 330 en
janvier 1938, représentant la part la plus importante de population
politisée en faveur du parti nazi parmi les Allemands de l’étranger.
Lorsque
l’officier SS Ernst Wilhelm Bohle (SS-Obergruppenführer) prend en
charge en 1933 le l’organisation pour l’étranger du NSDAP (die NSDAP-AO – Auslandsorganisation),
il s’agit pour lui de partir du patriotisme des minorités allemandes
expatriées, pour ensuite étendre l’influence nazie dans ces régions hors
des cercles germanophones.
Par
ailleurs, les sections locales du parti avaient trois missions :
appuyer le renseignement allemand, exercer un contrôle sur les
populations allemandes, et soutenir les mouvements subversifs contre les
ennemis de l’Allemagne.
Nommé
Secrétaire d’Etat au ministère des Affaires étrangères nazi de 1937 à
1945, Bohle sera qualifié par Goebbels « d’un de nos hommes les plus
compétents ». C’est sous sa direction que s’organisent les contacts des
nazis avec les autorités arabes en Palestine.
C’est
à la suite de l’accession au pouvoir d’Hitler en 1933 que les sections
du NSDAP s’ouvrent en « Palestine » et forment le réseau appelé « Groupe
local du NSDAP en Palestine ».
La plupart de ses membres appartenait à la Tempelgesellschaft, dont le but était « l’établissement du royaume de Dieu sur terre ». Cette Société avait fondé dès 1868 une première colonie dans le sandjak
ottoman de Jérusalem. Au début des années 1930, la communauté
regroupait environ 2500 individus qui vivaient reclus, et qui
méprisaient tant les Arabes qui mangeaient « le pain de la paresse » (das Brot der Faulheit) que les Juifs dont les succès agricoles et sociaux menaçaient le projet tacite de dominer à terme la région.
Le
sionisme leur apparaissait en majorité comme le produit d’un « judaïsme
mondiale » tirant son « pouvoir » de « l’or juif » : en somme
l’antijudaïsme religieux cédait le pas devant le racisme biologique
nazi, si bien qu’en 1935, la « Garde du Temple », organe central de la
société, déclara qu’elle s’inscrivait pleinement dans « la question raciale du point de vue national-socialiste », concevant « le sang, le sol et la race comme des réalités données par Dieu. ».
Le chef local du NSDAP, Cornelius Schwarz écrivait dès mars 1933 :
« Il y a déjà une bonne petite communauté hitlérienne ici, qui vient régulièrement aux discours. [...] De plus en plus de jeunes y participent, avec enthousiasme. »
Des sections des Hitlerjugend
sont notamment créées à Sarona ou Haifa. L’embrigadement prend parfois
les formes de la suspiscion, de la délation et des menaces, mais
globalement, le parti nazi ne se dotera pas d’une section répressive
spécifique, le consulat seul servant de relais à la Gestapo de Berlin.
On parle à propos de la communauté allemande de Palestine
d’autonazification (Selbstnazifizierung).
C’est à l’arrivée de l’Afrikakorps de
Rommel que les Allemands furent en grande partie envoyés par bateau
vers l’Australie dans des camps d’internement, où ils continuèrent à
célébrer chaque année jusqu’en 1945 l’anniversaire d’Hitler.
Lorsque
les Allemands prirent contact avec les Britanniques pour obtenir
l’échange des Templiers allemands détenus en Australie contre des Juifs,
Husseini s’opposa vigoureusement à un tel accord d’échange.
Et à la fin de la guerre, les Templiers retournèrent en Allemagne et furent dédommagés par l’Etat d’Israel.
Le soutien nazi au nationalisme arabe de Palestine
Si
la participation au national-socialisme du Mufti Amin al Husseini n’est
plus à démontrer, son allégeance effective et sans cesse réaffirmée,
ainsi que les soutiens de Rome et Berlin dont ont disposé les forces
arabes en Palestine, sont généralement passés sous silence.
Lors
de l’insurrection arabe contre les Britanniques, à partir de 1936, les
véhicules allemands arborant, à la demande des milices arabes, un fanion
avec la croix gammée, se voyaient autorisés à traverser les zones
contrôlées par les milices arabes. Les véhicules britanniques ou juifs
étaient en revanche systématiquement mitraillés.
La
section locale du NSDAP recommanda ainsi à tous les Allemands, même les
non-affiliés au nazisme, d’arborer la svastika qui était perçue avec
sympathie par les Arabes.
Ainsi,
la route entre Jérusalem et Jaffa, surplombée par des villages et
hameaux arabes hébergeant les milices, fut durant une période
impratiquable, sauf pour les Allemands.
Sympathie née de l’hostilité aux Britanniques ou véritable convergence ?
Les services du renseignement extérieur nazi (Affaires étrangères, Gestapo, Abwehr) partirent de deux principes :
-
Le Mufti avait démontré sa profonde judéophobie à plusieurs reprises depuis le pogrome de Jérusalem en 1920, ce qui laissait espérer un terrain d’entente aisé à obtenir ;
-
Il avait réussi à se rendre indispensable aux Britanniques puisqu’il affirmait être le seul à pouvoir apaiser l’insurrection qu’il avait contribué à déclencher.
L’Allemagne
nazie trouvait donc dans la personne du mufti, et plus largement parmi
ses réseaux, un appui solide et d’autant plus précieux qu’il était
membre du Comité Supérieur Arabe censé représenter les Arabes auprès des
autorit britanniques.
L’insurrection arabe : révélateur de l’alliance avec les nazis
L’insurrection
commence à l’appel du Mufti Al Husseini, peu après la mort dans des
combats avec les forces britanniques de Izz-ed-Din al Qassam,
prédicateur xénophobe affilié au clan Husseini.
Le 19 avril 1936, trois Juifs furent assassinés à Jaffa, des maisons juives furent pillées et incendiées.
Le
5 mai 1936, soit près de deux semaines après les violences antijuives,
les Britanniques avertissent le mufti qu’ils désapprouvent les violences
contre les Juifs, sans émettre aucune menace à l’encontre du mufti.
Pour lui, le message était limpide et signifiait que l’impunité et toute
l’amplitude d’action lui était donnée.
Les
attaques reprirent immédiatement. En octobre, quelques mois plus tard,
les violences antijuives se soldèrent par plus de 300 victimes et plus
de 1100 blessés.
Le
soutien britannique au mufti était réel : dès juin 1936, plus de 9
internés sur 10 du camp d’internement du Sinaï étaient membres du Parti
de la défense, fondé en 1934 par le clan rival des Nashashibi, alors que
les proches du clan Husseini étaient systématiquement relâchés.
Le mufti occupe d’emblée une place déterminante dans l’évolution politique du mouvement arabe.
C’est
aussi pour cela qu’en 1929, le Parti Communiste de Palestine (PCP) –
obéissant à l’URSS et associant Arabes et Juifs – considérait qu’« était
impossible le mouvement révolutionnaire sans émeutes [antijuives, car
les émeutes étaient uniquement le fait des Arabes, et les pogroms de
1929 venaient de se traduire par la mort de 68 Juifs] ». Durant
l’insurrection entamée en 1936, Nimr Uda, membre du PCP, devient le chef
du renseignement des unités paramilitaires du mufti al Husseini. Fouad
Nasir, issu du même parti, rejoint Abdul Qadir al Husseini, qui
commandait les troupes arabes en Judée.
Si
les autres factions arabes n’ont pas toutes adhéré à la politique
d’intransigeance et de confrontation armée du mufti, elles ont été
progressivement mise au pas, avec certes l’appui maladroit des
Britanniques, mais surtout en raison de l’appui de l’Allemagne nazie.
Les méthodes du mufti rejoignaient celles des nazis en ce qui concerne
l’établissement d’une dictature répressive dans les zones contrôlées par
ses forces. Abraham Ashkénazi estimait :
« Le mufti a expulsé avec la plus grande violence ses adversaires au sein du camp palestinien. [...] Du côté palestinien, il y a plus de mort, de règlement de compte, d’assassinat que contre les Juifs et les Britanniques. »
La
shariya est imposée avec rigueur, les comportements non-islamiques
punis, tandis que les Frères musulmans en Egypte appelent au jihad en
faveur du mufti…et à l’élimination du camp adverse des Nashashibi et de
ses soutiens… Les luttes intestines pour la prise de pouvoir entre Fatah
et Hamas trouvent là leur première expression.
La convergence arabe-nazie
Le
Parti Arabe de Palestine des al Husseini était dirigé par Jamal al
Husseini. Il était doté d’une groupe paramilitaire de jeunesse qui fut à
ses débuts appelé les « scouts nazis » par référence explicite à la Hitlerjugend.
Un
an après le début de l’insurrection, un rapport des services
consulaires allemands de Jérusalem soulignait qu’une « Palestine dominée
par les Arabes serait l’un des seuls pays à témoigner d’une forte
sympathie pour la nouvelle Allemagne. »
Le
Consul allemand précise dans une note envoyée à Berlin en 1937 que le
soutien pour l’Allemagne est « idéologique », en particulier lié à la «
sympathie pour le Führer ». Pour preuve, il rappelle qu’il « a eu l’occasion de voir jusqu’où les sympathies allaient. Confronté [hors de Jérusalem] au comportement menaçant des Arabes, il avait obtenu entière liberté dès lors qu’il avait affirmé être allemand. »
Début Juillet 1938, Adam Volhardt arrive en Palestine. Agent de l’Abwehr,
le contre-renseignement allemand, il rencontre les principaux
dirigeants arabes, affirme que l’Allemagne soutient la totalité des
exigences arabes, envisage de participer à la propagande antijuive, et
les encourage à l’intransigeance, sur le modèle de ce qui se produisait
en Europe à propos du dépeçage de la Tchécoslovaquie qui a lieu lors de
la conférence de Munich.
Cette
propagande commune est entamée par Franz Reichhardt, directeur de
l’Agence télégraphique allemande – qui espionnait les correspondances
privées et assurait la liaison entre Berlin et Jerusalem –. Ce dernier
travaille activement à la coordination des propagandes arabes et
allemandes autour de la « question de Palestine. »
En 1939, une note du Foreign Office
britannique révélait l’existence d’une cargaison d’armes allemandes
destinées aux forces arabes en Palestine après transit via la Turquie et
l’Arabie Saoudite, et indiquait qu’il ne s’agit pas de la première
fourniture d’armes.
Outre
la volonté de contrer les Britanniques dans une région proche du Canal
de Suez, les Nazis, comme l’écrit le consul de Jérusalem en 1938, voient
dans l’hostilité arabe envers les Juifs le principal moteur de
l’alliance :
« La formation d’un Etat juif n’est pas dans l’intérêt de l’Allemagne, car un Etat palestinien [à l'époque, cela voulait dire « juif »] signifierait
la création d’une base nationale de soutien pour la juiverie
internationale sur le modèle de l’Etat du Vatican pour le catholicisme
politique [incarné par exemple par le Zentrum allemand] ou Moscou pour les communistes [éliminés par les nazis après l'incendie du Reichstag].
Il est pas conséquent dans l’intérêt de l’Allemagne à renforcer les
Arabes comme un contre-pouvoir opposé à tout renforcement possible des
Juifs. »
Prenant conscience de la réalité de cette alliance avérée, les Britanniques, sur recommandation du British Criminal Investigation Division
(qui interrogeait les agents allemands ou arabes capturés), modifient
leur politique à l’égard des minorités juives dès 1938 et renoncent par
exemple à leur projet de sauver 20 000 Juifs allemands dont la moitié
des enfants vers la Palestine.
Cela
s’illustrera également lors de la publication du Livre Blanc de 1939
qui imposait l’accord arabe avant toute immigration juive alors même que
le sort des Juifs en Allemagne ne faisait plus aucun doute, et que le
Mandat impliquait le soutien à la restauration d’un Etat refuge juif.
Lord
Chatfield soulignait ainsi que « si la guerre éclatait, les troubles
que les Juifs, en Palestine ou ailleurs, pourraient éventuellement
occasionner, ne pèseraient pas face à l’importance de gagner l’opinion
musulmane du côté britannique. »
La participation d’Amin al Husseini comme principal dirigeant palestinien
La
proximité était réelle et ancienne : les troupes impériales du Reich
avaient combattu aux côtés des Turcs durant la Première Guerre mondiale
dans la région de Palestine, et les sympathies réciproques subsistaient.
Mais, comme le montre la note du consul allemand de Jérusalem, en aucun
cas il ne s’agit d’une instrumentalisation par les nazis du
nationalisme. Il s’agit d’une véritable convergence idéologique que les
allemands cherchaient à fructifier dans leur projet belliqueux contre la
Grande-Bretagne.
Car,
dès mars 1933, le Mufti avait offert ses services au nouveau Chancelier
allemand récemment élu, Adolf Hitler, dans une lettre au consul
allemand de Jérusalem, dans laquelle il félicitait le nouveau chancelier
de son élection.
Après
les premières opérations nazies durant la Guerre d’Espagne, et en
l’absence de véritables réactions française ou britannique à la suite du
bombardement de Gernica, l’Abwehr, sous l’impulsion de von
Oppenheim, se décide à encourager de façon méthodique les mouvements
opposés aux Alliés à des fins subversives. L’appui financier allemands
au mufti, que les historiens ont fait remonté à 1936, s’inscrit dans
cette politique. Et sans ce soutien, combiné à l’aide logistique et
militaire entamé à partir de 1927, l’« insurrection » n’aurait jamais pu
avoir lieu, ni les forces arabes dominer des régions entières, comme
l’a précisé un rapport du haut Commandement de la Wehrmacht.
De
surcroît, le soutien au mouvement arabe trouvait une résonance dans le
cadre de l’antisémitisme d’Etat allemand. L’idéologue du régime nazi,
Alfred Rosenberg, écrivait en 1938 :
« Plus
le brasier se maintient en Palestine, plus se renforce l’opposition à
un Etat juif dans tous les Etats arabes et même au-delà dans les autres
pays musulmans. »
La
collaboration s’intensifie au plus haut niveau de la direction
nationaliste arabe. Comme l’a démontré Joseph Schechtmann, Adolf
Eichmann et Herbert Hagen ont été envoyé en 1937 en Palestine dans le
but d’établir et d’organiser un réseau autour du mufti. Officiellement,
pour les Britanniques, il s’agissait d’une visite des réalisations des
pionniers juifs en Palestine. Ce voyage a permis l’organisation d’une
rencontre officielle entre le mufti Amin al Husseini et le consul de
Jérusalem Döhle le 21 juillet 1937, où le mufti demande notamment un
soutien formel de l’Allemagne contre le projet de partition de la
commission Peel.
Un
an plus tard, avant de rejoindre l’Iraq où il va servir de conseiller à
Abdul Qadir Husseini à la formation d’un régime pro-nazi, al Husseini
rencontre en personne à Beyrouth l’amiral Wilhelm Canaris qui était à la
tête de l’Abwehr. Les principales lignes de collaboration sont alors
définitivement fixées.
En
Iraq, le mufti participe à l’intensification des campagnes judéophobes,
visant une des communautés les plus anciennes du monde, les Juifs
babyloniens, qui culminera dans le farhud, littéralement le
pogrome, de juin 1941. Et lorsque l’émir régent Abdul Illah fait appel
dans son gouvernement à Rashid Ali al Qilani, par ailleurs pro-nazi et
antisémite, Amin al Husseini , appuyé par Wimmer-Lambert, officier de
l’Abwehr établi à Baghdad, fait parti du comité d’organisation du putsch
pro-nazi de Baghdad. À la suite de la reconquête britannique, notamment
avec l’appui de la Légion arabe de Transjordanie, le mufti se réfugie
en Allemagne après être passé par l’Iran et la Turquie.
La
rencontre avec von Ribbentrop du 20 novembre 1941, précédant celle avec
Hitler du 28 novembre 1941, atteste d’une reconnaissance officielle,
que les larges subsides fournis par les nazis confirment. À la tête du Arabische Büro,
doté d’une gratification de 75 000 Reichsmarks, le mufti dispose d’un
véritable quartier générale destiné à mener la politique arabe du
Troisième Reich. L’histoire de sa collaboration depuis le Reich
est généralement plus connue : intermédiaire entre les Musulmans des
régions occupées par la Wehrmacht (Balkans, Caucase), organisateur de
trois divisions musulmanes de Waffen SS (dont les Hanjar SS connus pour
leurs atrocités contre les Serbes, les Juifs, les Tsiganes, et dont
certains membres firent parti des Einsatzgruppen), directeur du Islamischer Institut
de Dresde destiné à former les Imams des régions occupées par la
Wehrmacht, propagandiste en faveur du troisième Reich dans les émissions
en arabe de Radio Berlin ou de Radio Bari, projet de lever une armée
arabe en Afrique du Nord occupée par les Nazis, et avocat de
l’anéantissement des minorités juives (il visitera ainsi le camp
d’Auschwitz, et appellera le 1er mars 1944 les Arabes au massacre des
Juifs). Le mufti n’était pas seul, mais accompagné par de nombreux
membres des familles palestiniennes liées aux clans Husseini, Khalidi,…
ainsi que des représentants de l’élite iraqienne et syrienne, liés à
l’Institut Islamique de Dresde, et dont une partie furent entrainés par
les SS, visitèrent le camp de Sachsenhausen, alors que l’Afrikakorps semblait
annoncer une rapide conquête du monde arabe par l’Allemagne. C’est dans
la perspective d’établir à son profit une élite arabe dans les régions
occupées (ou, dans la version nazie, libérée).
Hitler dans mein Kampf,
considérait que « les Juifs n’envisagent en aucun cas d’établir un Etat
juif en Palestine, mais souhaitent uniquement se servir d’une centrale
de commandement de leur domination mondiale. » La lutte contre les Juifs
en Palestine rejoignait ainsi par le biais de la théorie
conspirationniste que l’antisémitisme musulman reprend à son compte,
encore aujourd’hui.
L’idéologie
du mufti s’apparente à une reprise de l’antisémitisme musulman sous
l’égide d’un discours antisioniste dont les origines remontent au
conspirationnisme nazi. Dans un discours à la division SS Hanjar, le
mufti déclarait :
« Cette
division de Musulmans bosniaques, établie avec l’aide d’une Grande
Allemagne, est un modèle pour les Musulmans de tous les pays. Le monde
islamique et la Grande Allemagne partagent de nombreux intérêts communs.
L’Allemagne nationale-socialiste lutte contre la juiverie mondiale. Le
Qur’an dit : « Vous verrez que les Juifs sont vos pires ennemis. » Il y a
des similitudes considérables entre les principes islamiques et ceux du
national-socialisme. Je suis heureux de voir dans cette division SS
l’expression visible et pratique de ces deux idéologies. »
La
déclassification d’archives britanniques du MI5 (archives KV 2/400-402)
a récemment révélé le soutien du mufti à une opération nazie en
Palestine fin 1944 alors même que la défaites allemandes devenait une
certitude et que le régime nazi voulait accélérer l’anéantissement des
populations juives.
L’opération
appelée « Opération Atlas » regroupait des agents allemands et arabes
dans le but d’organiser un empoisonnement massif des populations juives
de Palestine puis de recruter des troupes favorables au mufti.
L’opération eut lieu début octobre 1944 sous la direction de Kurt
Wieland et incluant Abdul Latif et Hassan Salameh, membres des forces
arabes terroristes durant l’insurrection des années 1930 et père de Ali
Hassan Salameh, instigateur de l’assassinat des athlètes israéliens de
Munich. Le commando fut parachuté au sud de Jéricho mais fut rapidement
signalé par des bédouins aux Britanniques qui étaient au courant des
projets du mufti suite à une défection d’un officier de l’Abwehr.
Après s’être caché chez des fellahin,
le commando tente de se cacher dans un monastère, mais fut fait
prisonnier. Lors de leur arrestation, les Britanniques ont découvert des
armes, des munitions, des pièces en or, un dictionnaire arabe-allemand,
ainsi que dix boites contenant de l’arsenic, chacune pouvant infecter
l’eau et toucher 25 000 personnes.
Exfiltré
par la France en 1946, on retrouvera Amin al Husseini à la tête du «
Gouvernement de toute la Palestine » [c'est-à-dire sans Juifs] établi à
Gaza sous patronage égyptien, après l’éviction soutenue par la Ligue
arabe des autres formations du jeu politique palestinien.
Et
un certain al Husseini, connu plus tard sous le nom de Yasir Arafat,
deviendrait le leader du Fatah… assurant la succession du mufti.
La lutte contre le nazisme est-elle toujours en cours ?
La
création d’un Etat souverain du peuple juif sur une terre perçue comme
relevant du droit de conquête islamique, a amplifié et reconfiguré cette
culture traditionnelle et théologique du mépris, fondée sur une
représentation de l’infériorité ontologique de l’être juif, et ce vécu
juif du sursis (face aux constants pogromes et conversions forcées à
l’islam) pour prendre la forme d’une guerre totale d’annihilation du
fait culturel juif dans son ensemble. Depuis la Seconde Guerre Mondiale,
les communautés juives orientales ont trouvé refuge soit en Israel,
soit dans les pays occidentaux. Quelques minorités subsistent ici ou là,
mais à titre précaire, et sans commune mesure avec la présence juive
plurimillénaire dans ces régions. Près d’un million de refugiés qui
témoignent de la radicalité de la judéophobie dans monde arabe.
Les
pogromes musulmans contre les Juifs sont antérieurs au sionisme et
invalident tant le stéréotype d’une « symbiose judéo-musulmane »
ancienne – qui en réalité révèle le déni radical de l’affirmation
politique autonome des minorités juives, perçues exclusivement comme
minorités religieuses soumises –, que la dissociation arbitraire de
l’antisionisme et de l’antisémitisme. L’alliance des nationalistes
arabes avec le Troisième Reich démontre clairement la porosité du
concept d’antisionisme. Car l’opposition au sionisme passe non seulement
par une négation du droit du peuple juif à l’autodétermination en tant
que collectivité liée par une histoire, des traditions, et une religion
partagée, mais aussi par l’adoption d’un discours de propagande calqué
sur cette négation, par une version expurgée et réécrite de l’histoire
ou encore par le recours à des poncifs judéophobes.
Pour
autant, l’apport national-socialiste n’est-il pas exagéré ? Le soutien
varié et conséquent de nombreux Palestiniens à la population juive
durant la guerre d’indépendance de 1947-1949 montre que si l’ensemble de
la population arabe n’était sans doute pas initialement favorable au
national-socialisme, l’élite politique d’où ont émergé les principales
factions actuelles ont été en revanche marquées et formées par le
discours et les méthodes issues de la collaboration avec le Troisième
Reich.
C’est
aussi l’intensité de cette convergence qui a rendu incontournable, du
point de vue britannique, le soutien aux revendications musulmans, tant
en Palestine (via le soutien à la Transjordanie) qu’en Inde (via le
soutien à Jinnah dans la conquête du Kashmir).
Inversément,
la « lutte » contre Israel, et plus généralement contre l’occident,
est-elle vraiment une « lutte » contre l’impérialisme ? Ou plutôt
l’expression d’un nouvel impérialisme ?
Les
chancelleries occidentales ignorent volontairement la coloration
intensément antisémite des revendications théologico-nationalistes du
monde arabe, par crainte de s’aliéner les régimes radicaux arabes, mais
apportent de ce fait un soutien et une légitimité à ces élites
répressives, dictatoriales et corrompues. Et depuis l’expulsion des
populations juives, ce sont les populations minoritaires (Coptes en
Egypte, Chaldéens en Iraq et en Turquie, Kurdes) qui en subissent les
effets.
Ironie dramatique de l’histoire.
La
réécriture de l’histoire et du temps présent, l’usage récurrent de
glissements sémantiques, l’émergence d’une novlangue judéophobe (par
exemple sous la forme de l’invocation à un « génocide des palestiniens
», comme instrument de disqualification morale), la représentation
manichéenne du conflit, ou encore les inexactitudes historiques et
manquements déontologiques, sont dans le sillage des instructions du Reichsministerium für Volksaufklärung und Propaganda dirigé par Goebbels.
L’émancipation
des Juifs eu Europe, qui consiste dans l’abandon progressif sur près
d’un siècle des législations discriminantes (interdictions diverses
(logement, métiers, déplacement, activités, pratiques cultuelles) et
taxations multiples) visait à mettre fin à près des siècles de
persécutions chrétiennes fondées sur la théologie de la substitution.
De
façon similaire, la représentation théologique du rapport entre
Musulman et Juif (mais aussi Chrétien) implique dès l’origine la
rétrogradation immédiate et sanctionnée du Juif au statut de dhimmi, dont les Juifs ont voulu définitivement se libérer via le sionisme.
Une émancipation du peuple juif qui n’est toujours pas entièrement achevée, ni véritablement acceptée.
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