mardi 16 octobre 2012

LES SOI-DISANT ENROLES DE FORCE -OU "MALGRE-NOUS" ..

Le 10 juin 1944, un bataillon SS de l’armée allemande encercle le bourg d’Oradour-sur-Glane situé à une trentaine de kilomètres de Limoges et se livre à un massacre massif de ses habitants. 
Les hommes sont fusillés, les femmes et les enfants enfermés et brulés vifs dans l’église. 
Le village est pillé et incendié par les soldats. Cette tuerie fait 642 victimes. Parmi les rares rescapés il ne reste aujourd’hui que deux survivants témoins de ce crime de guerre qui a anéanti leurfamille et bouleversé leur vie : Jean-Marcel Darthout et Robert Hébras qui perdit ce jour là sa mère et ses deux sœurs.
Récemment et contre toute attente, la cour d’appel de Colmar dans son arrêt du 14 septembre 2012 a dénié à Robert Hébras la qualité de témoin pour ne pasavoir, à l’époque, « distingué les Allemands nazis des Alsaciens portant le même uniforme » et « avoir douté de l’incorporation de force érigée en vérité historique et judiciaire bien établie ».
 La cour a cru devoir ajouter « dans un souci d’apaisement de cet ancien litige entre deux régions françaises, le Limousin et l’Alsace, il apparaît également inopportun, plus de 60 ans après les faits, d’ordonner la publication du présent arrêt »
Pour comprendre ce qui à première vue confine à l’absurde il faut relaterbrièvement les faits qui ont amené la justice française à condamner l’un des rares hommes échappés de l’enfer d’Oradour.
En 1992, Robert Hébras publie son témoignage dans un livre Oradour-sur-Glane le drame heure par heure. A propos des acteurs de ce crime de guerre il écrit :« Parmi les hommes de main il y avait quelques Alsaciens enrôlés soi-disant de force. » 
Les associations de « malgré-nous » alsaciens s’insurgent contre ce « soi-disant » qui induit une réserve sur la nature de leur engagement. 
Dans un esprit d’apaisement Robert Hébras corrige cette expression considérée comme maladresse et dans les éditions suivantes, on peut lire : « Parmi les hommes, il y avait quelques Alsaciens enrôlés de force dans les unités SS » (page 33 dans l’édition 2001).
En 2008-2009, le livre de Robert Hebras est réédité. Par erreur et à l’insu de l’auteur, l’éditeur reprend la première formulation où figure le « soi- disant » contesté. Une nouvelle plainte est déposée par les Associations des évadés et incorporés de force (ADEIF) du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. En 2010, le tribunal de grande instance de Strasbourg les déboute. Elles décident de faire appel. 
L’affaire est donc rejugée par la cour de Colmar qui condamne cette fois Robert Hébras à un euro symbolique de dommages et intérêts aux associations plaignantes et « à leurverser globalement une indemnité de frais de justice, de dix mille euros » (Arrêt du 14 septembre 2012).
Quel peut-être l’état d’esprit de ceux qui ont réussi à faire condamner un rescapé d’Oradour ?
Robert Hébras est aujourd’hui anéanti par ce jugement qu’il ressent comme un déni de sa personne en tant que témoin de la tuerie du 10 juin 1944 où il a été fusillé par des soldats portant tous le même uniforme, où ont été massacrées sa mère et ses deux sœurs.
En réaction à l’arrêt des magistrats de la cour d’appel de Colmar, des professeurs d’histoire limousins ont lancé une pétition et constitué un comité de soutien à Robert Hébras. A ce jour, des centaines de personnes de tous horizons géographiques et socio- professionnels ont rejoint ce comité.
Au poids de la survie porté par les rares rescapés d’Oradour s’est ajouté celui d’une décision de justice. Comble du paradoxe : en reconnaissance de son action menée depuis de nombreuses années au service de la mémoire et de l’entente entre jeunes Allemands et Français Robert Hebras a reçu le 20 septembre des mains du consul général d’Allemagne à Bordeaux la médaille de l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne. 
Le consul insista sur l’importance de cette distinction « rarement remise à une personnalité étrangère » et qui « salue le travail accompli pour que nos peuples soient animés par l’amitié tout en connaissant leur histoire ».
Ainsi va cette histoire et ses lancinants rebondissements. Le procès de Bordeaux de 1953 condamna les Alsaciens présents à Oradour le 10 juin 1944. L’Assemblée nationale les amnistia (vote du 20 février 1953). Il ne s’agit nullement de ranimer un douloureux débat mais tout simplement de rappeler les mots de Vladimir Jankélévitch :
 « Quelque chose nous incombe [...] les déportés, les massacrés n’ont plus que nous pour penser à eux. Si nous cessions d’y penser, nous achèverions de les exterminer, et ils seraient anéantis définitivement. » L’Imprescriptible (édition du Seuil 1986 p.59-60).
Pour toutes ces raisons, humaines, historiques, il nous paraît important de porter à la connaissance du plus grand nombre de nos concitoyens la situation difficilement qualifiable que vit une victime, témoin survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane.
 Notre soutien à Robert Hébras est total et nous l’accompagnerons dans le choix et la poursuite de ses démarches futures.
Le Comité de soutien de Robert Hébras

Lire également

Robert Hébras, survivant d’Oradour et inlassable témoin de l’horreur nazie

(lechevalierfrancois.over-blog.com)
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25 août 1942 : les Malgré-Nous


Les incorporés de force

En 1648, par le Traité de Westphalie, l'Alsace devenait française. Quelques années plus tard, en 1674, les Impériaux tentent de reprendre cette province. Le Maréchal de France, Turenne, les en chasse. Jusqu'en 1870, l'Alsace suit l'évolution intellectuelle et politique du reste de la France. En 1871, par le Traité de Francfort, les provinces d'Alsace et de la Lorraine devenaient allemandes. Alors que la France se débat dans une crise très grave, l'Allemagne prend un essor considérable ; mais les Alsaciens-Lorrains ont fait leur choix : ils ont les regards tournés vers la France, qu'ils devaient retrouver en 1918.

En 1939, tous les Français rejoignent leur poste de combat, néanmoins quelques mois plus tard, l'Alsace, pour la deuxième fois, était séparée de la Mère-Patrie. Par deux fois également, surgit le douloureux problème de l'incorporation de force de ses fils dans les armées allemandes. Par décret du 25 août 1942, le Gauleiter d'Alsace décrète l'incorporation contre leur gré de certaines classes d'Alsaciens et Lorrains dans la Wehrmacht, bien que ce décret constituât une flagrante violation aux articles 44 à 47 de la Convention de La Haye. 130.000 jeunes gens originaires des départements du Rhin et de la Moselle furent durement touchés par ces mesures et disséminés ensuite au hasard d'une lutte sans merci aux quatre coins de l'Europe, voire de l'Afrique. [...]

Source : Préface de Robert Bailliard, Recueil photographique des disparus du Bas-Rhin, victimes de la conscription allemande de 1942 à 1945, Fascicule 1, ADEIF du Bas-Rhin, Avril 1948 (collection Gérard Knaus)

Dès la libération de l'Alsace par les Alliés et surtout après la défaite de l'Allemagne, débutèrent les difficiles opérations de rapatriement. Néanmoins, à la date du 1er janvier 1948, environ 10.000 jeunes gens du Département du Bas-Rhin étaient encore portés disparus.

 Dans le fascicule 1, comportant 3446 notices et photos classées alphabétiquement de AB à MA, figurent deux natifs de Wintzenheim et de Logelbach. Il s'agit de Jean-Pierre Clad (notice 754) et de Ernest Hugel (notice 2302), mais le premier est né à Colmar-Logelbach, et le deuxième à Wintzenheim-Kochersberg...

Le drame des incorporés de force

Depuis le décret du 25 août 1942, les Alsaciens sont contraints d'effectuer leur service militaire dans l'armée allemande. Ce décret du Gauleiter Wagner est une violation flagrante de la convention d'armistice de juin 1940 et des conventions de la Haye qui interdisent à la puissance occupante de mobiliser la population d'un territoire occupé.

 Pour le Gauleiter, qui est le principal responsable de l'incorporation de force, le service militaire constitue l'ultime étape du processus d'intégration de l'Alsace dans le IIIe Reich. La Wehrmacht doit être à côté du parti, l'école de la nation où les jeunes Alsaciens doivent terminer leur assimilation idéologique et culturelle...

Le "Kolmarer Kurier" du mercredi 26 août 1942 qui publie l'ordonnance du Gauleiter Robert Wagner
(collection Antoine Abt)

Une nécessité militaire
L'incorporation dans la Wehrmacht, considérée au départ comme un moyen de germanisation et de nazification, devient rapidement une nécessité pour la Wehrmacht qui manque de plus en plus d'hommes après la défaite de Stalingrad...

L'ordonnance du Gauleiter Robert Wagner du 25 août 1942, publiée dans le "Kolmarer Kurier" du lendemain
(collection Antoine Abt)

L'incorporation dans la Waffen SS
C'est également au Gauleiter Wagner que l'on doit l'incorporation des Alsaciens dans la Waffen SS.
A la suite d'un accord avec Himmler fin 1943, la moitié de la classe 1926 est incorporée d'office dans les SS en février 1944. 
La proportion sera encore plus importante pour les classes 1908 à 1910 incorporées en avril-mai et 1927 en novembre... 

Le 25 janvier 1945, René Schaffar de Wintzenheim, né le 23 septembre 1911, reçoit son ordre d'incorporation. Une semaine plus tard, Wintzenheim était libéré... (collection Lucien Brenner)
Des familles prises en otage

La répression extrêmement brutale qui a frappé tous ceux qui se sont opposés à l'incorporation de force et les mesures de transplantation prises à l'égard des familles des réfractaires vont inciter la plupart des malgré-nous à répondre à l'ordre d'appel. Mais beaucoup d'entre eux partent avec le secret espoir de passer dans les lignes alliées à la première occasion possible...
Source : Eugène Riedweg, DNA du mercredi 14 juillet 2004

Nota : l'article complet de M. Eugène Riedweg a été repris (avec l'aimable autorisation des DNA) dans le livre WINTZENHEIM 1939-1945, paru en 2004

Robert Wagner, Gauleiter und Reichsstatthalter, der Chef der Zivilverwaltung im Elsass. Source : Dein Volk ruft Dich ! Appell an das Elsass ! Gaupropagandaleitung der NSDAP, Strassburg (collection Paul Hirlemann)
Le Gauleiter Wagner :
Hitler nomme dès le 20 juin 1940 le Gauleiter de Bade, Robert Wagner comme chef de l’administration civile en Alsace. Réglementairement, le chef de l’administration civile doit être placé sous le commandement de l’armée occupant la région, mais dès le 2 août 1940, un décret de Hitler confie l’ensemble de l’administration civile au Gauleiter, la Wehrmacht n’exerçant plus que l’autorité militaire. Un second décret du 18 octobre 1940 renforce encore l’autorité du Gauleiter puisqu’il confie le Reichsgau Oberrhein (Alsace et Pays de Bade) à Wagner. Il va ainsi disposer de pouvoirs véritablement discrétionnaires puisqu’il ne relève que du Führer en personne et n’admet aucune intrusion de la part des autres autorités. Dégagé de toute entrave vis-à-vis des autorités du Reich, Wagner va s’efforcer d’y rattacher l’Alsace et de transformer les Alsaciens en bons Allemands et en nationaux-socialistes convaincus. 

Source texte : d’après Eugène Riedweg, Les " Malgré Nous ", éd. du Rhin, 1995

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