vendredi 14 septembre 2012

UNE CURIOSITE

« Mes messagers racontent qu'ils ont trouvé après une marche de douze milles, un village qui pouvait bien avoir un millier d'habitants. Les indigènes les ont fort bien reçus, on les a fait entrer dans les plus belles maisons et portés en triomphe, on leur a baisé les mains et les pieds, bref, on a essayé par tous les moyens de leur montrer que l'on savait les hommes blancs venus des dieux. Environ cinquante hommes et femmes les ont suppliés de leur permettre de retourner avec eux dans ce ciel des dieux éternels. » Christophe COLOMB, 6 novembre 1492.

« Ils savaient pour ainsi dire tout; rien ne semblait leur être difficile, ni de tailler la néphrite, ni de fondre l'or, et tout cela, arts et sciences, procédait de Quetzalcóatl. »

Frère BERNARDINO de Sahagun.



 

Dans les temps obscurs de la préhistoire, des hommes blancs et barbus ont débarqué sur le littoral du Nouveau Monde. Ils sont venus aux Indiens, leur apportant les sciences, les techniques, de sages lois et tous les éléments d'une civilisation fort avancée.
 
C'est ce que racontent les antiques légendes des indigènes. D'après elles, les nouveaux arrivés, surgis de la mer, sont devenus les dieux blancs de l'empire indien.
 
Parmi tous les peuples civilisés du Nouveau Monde, la tradition d'un dieu blanc est restée vivante jusqu'à nos jours. Les Inca l'appelaient Kon Tiki Illac Viracocha, les Maya Kukulkan, les Toltèques et les Aztèques Quetzalcóatl. Chez les Chibcha, Bochica était « le manteau blanc de la lumière ».


Selon les vieilles légendes, un homme blanc était venu autrefois apporter aux Maya les lois, l'écriture, et tout le peuple le vénérait comme un dieu. Selon les mythes, les dieux blancs avaient surgi de Test dans les temps lointains de la préhistoire, des étrangers sur des bateaux énormes aux ailes de cygne, aux flancs si éblouissants que l'on eût dit des serpents géants qui glissaient sur la mer.
 
Quand les bâtiments eurent abordé, il en descendit des étrangers blonds, à la peau blanche et aux yeux bleus, qui portaient un vêtement d'étoffe noire grossière, taillé en rond autour du cou et ouvert devant, avec de petites manches courtes et larges. Sur le front, ils avaient un ornement en forme de serpent.
 
Blanc et d'une effrayante laideur — parce qu'il portait une longue barbe — tel était le grand dieu du Mexique, Quetzalcóatl, selon les anciennes chroniques, mais aussi les statues et les bas-reliefs conservés, alors que les Indiens sont en général imberbes.
En fait, ce nom de Quetzalcóatl était le titre du grand-prêtre des Toltèques et il ne fut pas seul à le porter : tous ceux qui se sont succédé dans sa charge ont été désignés de la même façon, mais c'est sous cette dénomination qu'il est devenu le dieu des Indiens. Ce-acatl ou Nactil de son véritable nom, il était fils du dieu du ciel Mixcoatl (Serpent des nuages), et la déesse de la Terre Chipalman (Bouclier couché) l'avait, selon la légende, conçu sans tache.
 
Quetzalcóatl était devenu roi du peuple de Tollan en 977 de notre ère. C'est alors qu'avait commencé l'âge d'or pour les Toltèques. Venu d'un des pays du soleil levant, il portait un long vêtement et vivait caché dans son palais, comme il sied à un souverain. Ses richesses dépassaient l'imagination, ses demeures regorgeaient d'or, de pierreries, de joyaux et de plumes précieuses.
 
Il ne s'agit nullement là d'un personnage légendaire, mais du cinquième roi des Toltèques qui vécut de 947 à 999 après Jésus-Christ. Il apprit aux hommes toutes les sciences et les usages, leur donna de sages lois et leur enseigna l'agriculture ; dans son royaume, le maïs poussait à hauteur d'homme et le coton piquetait les champs de ses taches colorées.
Interdisant les sacrifices humains et prêchant la paix, il allait même plus loin : ses sujets ne devaient pas tuer d'animaux pour se nourrir, mais se contenter des fruits de la terre.
 
C'était bien l'âge d'or, mais il dura peu, car un démon induisit le souverain en tentation, lui fit commettre des péchés d'orgueil, d'intempérance, de luxure et l'amena même à négliger ses devoirs religieux.
Plein de honte et de contrition, il abandonna le pays avec ses serviteurs, après avoir caché ses trésors, rendu la liberté aux oiseaux de ses volières et changé les arbres en buissons épineux. Il se rendit alors sur le littoral sud du golfe.
 
D'après une autre légende, il serait resté vingt ans à Cholula, où les hommes auraient construit la grande pyramide en son honneur. Puis, au bout de ce temps, il aurait parlé encore une fois à son peuple et se serait rendu au bord de la mer pour monter de son plein gré sur un bûcher et s'y consumer. Son cœur serait devenu l'étoile du matin que les Aztèques appellent précisément Ce-acatl.
 
D'autres traditions rapportent qu'il se serait embarqué sur un navire qui l'aurait remmené dans le pays dont il était venu, mais il aurait promis aux siens de revenir.
Cieza de Léon, le vieux chroniqueur du Pérou, assure qu'un homme blanc et barbu était apparu à une époque fort ancienne aux Inca sur les bords du lac Titicaca. Personnalité puissante et créateur de toutes choses, il avait apporté aux habitants tous les éléments de la civilisation, ordonnant aux hommes de vivre en bonne intelligence et sans violences. C'était Tiki-Viracocha, encore appelé Tuapaca, ou Arunau.
Ce dieu qui était barbu et « blanc comme nous », écrit le chroniqueur, construisit une grande ville dont les temples abritaient de nombreuses statues à son effigie, comme d'ailleurs tous ceux du pays.
Mais par la suite, il quitta son peuple, non sans l'exhorter avant son départ à suivre ses enseignements. Surgi des eaux du lac Titicaca, il serait, selon Juan de Betanzos, parti de là avec son escorte vers Tiahuanaco. Il créa le soleil et les étoiles, car les ténèbres régnaient sur la Terre, puis, de grosses pierres, il fit les hommes, les animaux, et donna un roi aux humains.
 
D'après Ondegarde et Sarmiento, eux aussi anciens chroniqueurs du Pérou, des hommes blancs barbus sont apparus sur les rives du lac Titicaca, y ont construit une grande ville et ont amené les habitants à un haut degré de civilisation. Cette ville était si énorme que, selon les indigènes, des géants blancs seraient venus qui l'auraient édifiée — mille ans avant l'époque des Inca. Tout au moins, c'est ce que rapportent les chroniqueurs.
Par la suite, le dieu blanc serait entré en guerre contre le chef Cari de Coquimba qui l'aurait vaincu et massacré tous ses hommes. Sa ville fut détruite ; seuls les femmes et les enfants restèrent en vie. Mais Viracocha réussit à s'échapper avec quelques-uns de ses fidèles, atteignit la mer et s'éloigna sur les vagues, porté par un manteau magique après avoir promis de revenir.
 
Viracocha est pour les Andes, le Pérou, tout le continent sud, ce que Quetzalcóatl est pour le Mexique : le héros divinisé, venu de la mer ou surgi des eaux pour créer toutes choses. Les Aymara appelaient leur dieu blanc Hyustus et racontent aujourd'hui encore qu'il était blond aux yeux bleus.

Traduit textuellement, Viracocha signifie « écume de mer ». La science répugne à employer ce nom qui, selon elle, n'a pas de sens, mais il représente cependant une réalité, car pour les Colla de la Bolivie actuelle, il désigne le dieu du vent et quand un ouragan fouette les vagues du lac Titicaca en écume mousseuse, les anciens déclarent : « Voilà Viracocha qui vient. »
D'abord appelé Kon Tiki Viracocha, il devint ensuite Kon Tiki Illac Viracocha.
Kon (qui signifie soleil) était le dieu des Chimu. Tiki a le même sens dans la langue des Aymara et de plus il désigne une divinité polynésienne. Illac est l'éclair. « Il est le soleil du soleil, il est le créateur du monde », dit une prière inca. Partout dans les royaumes indiens du Nouveau Monde ces légendes d'un « dieu blanc » sont connues et partout elles se terminent de la même façon : il a quitté son peuple, mais en lui promettant formellement de revenir.
Partout, aujourd'hui encore, chez les Maya, au Mexique comme au Pérou et en Bolivie, cette tradition est demeurée vivante.
 

Mais les spécialistes modernes savent que ce mythe a été une des causes principales de la rapide décadence des royaumes indiens. Les indigènes avaient encore une image si nette de leur dieu blanc que — sans hésiter une seconde —-ils accueillirent les conquérants espagnols comme s'ils représentaient celui qu’ils attendaient depuis tant de générations.
Les prêtres des Aztèques avaient calculé que, parti une année Ce-acatl (Un-Roseau) il reparaîtrait aussi une année Ce-acatl. Or, elle revient tous les cinquante-deux ans dans leur calendrier. Chaque fois, après un examen attentif des astres et autres signes, les augures annonçaient que le dieu serait là à la prochaine fête de la nouvelle année.

Par un des caprices du sort les plus extraordinaires que l’on ait connus, c'est peu avant le début d'une telle année que se répandit la nouvelle de l'arrivée en vue des côtes de « maisons d'eau avec des ailes de cygne » et au moment même où elle commençait, l'Espagnol Cortez posait le pied sur la terre mexicaine ! Même la date coïncidait exactement avec celle que les prêtres avaient calculée pour le retour du dieu d'après d'anciennes sources : le jour du « neuf-vent ».
 
Le jour du « neuf-vent » de l'année « un-roseau » tombait le 22 avril 1519, un jeudi saint d'après notre calendrier. Et c'est ce jour-là que Cortez débarqua !
Le dieu blanc venu autrefois, bien, bien longtemps auparavant, portait une barrette noire et un vêtement noir — tout comme Cortez lorsqu'il descendit à terre et cela presque à l'endroit où le personnage divin avait quitté son peuple avec la promesse de revenir. Les indigènes pouvaient-ils encore douter que le nouvel arrivé fût celui-là même qu'ils attendaient depuis tant de siècles ?
Mais ces dieux-là arrivaient avec le feu et le glaive. Ils étaient certes blancs et barbus, mais ce n'était que des mercenaires et des aventuriers avides d'or qui faisaient bon marché de la vie humaine.
Les Indiens se ruèrent à leur perte les yeux fermés. Leurs civilisations florissantes furent anéanties dans le sang et la fumée. Mais ce que les Espagnols leur faisaient subir, ils le prenaient pour le châtiment du dieu blanc revenu afin de rétablir son ancien empire. Toutefois ce n’est pas tant cette croyance fanatique qui donna à une poignée d'aventuriers la possibilité de détruire jusque dans ses racines la culture d'un continent, que la guerre civile qui minait l’empire incas et le désir de revanche qui couvait dans les tribus soumises aux aztèques et aux incas.
Lorsque les indigènes s'éveillèrent enfin de leur rêve, il était trop tard. Il ne restait plus rien de leurs anciennes civilisations.
 
Seules, les langues ont survécu aux désastres et aux siècles. Plus de deux millions d'Indiens parlent aujourd'hui encore le maya, plus d'un demi-million, l'aztèque, près d'un million, l'otomi, le zapotèque, le mixtèque et le tarasque, quelques millions l'aymara, le quechua et le mochica. Lorsqu'un recensement fut effectué au Pérou en 1940, il s'avéra que 40 % des écoliers parlaient le quechua, la plus ancienne langue des Inca ou l'aymara, et que plus d'un tiers ne comprenaient pas l'espagnol.
Quand on étudie les populations, sur les hautes terres du Pérou, c'est comme si les antiques statues et les coupes céphalomorphes ressuscitaient, car on retrouve exactement leurs traits chez les hommes qui vivent aujourd'hui dans les montagnes.
Et une autre chose encore a été préservée tout au long des siècles : la salutation des Indiens à l'adresse de l'étranger quand il a leur confiance. C'est aujourd'hui comme il y a des millénaires : « Viracocha » (Dieu blanc).
 
Que l'on pénètre dans la hutte d'un Indien au milieu de la jungle du Yucatan, que l'on s'asseye avec un ancien auprès du feu sur les hauts plateaux glacés de la Bolivie, ou que l'on rencontre des indigènes dans l'enfer vert de l'Amazonie, partout on raconte aujourd'hui encore la légende des hommes blancs, barbus, surgis dans les temps lointains de la préhistoire pour devenir les dieux du Nouveau Monde.
 
Le Dieu blanc des Indiens est immortel.
 
 
:::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::: 

Aucun commentaire: