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Le malaise est dans l'homme
Publié le 01/10/2011
Préface de Thibault Isabel au Malaise est dans l’homme, http://www.avatareditions.com et http://www.librad.com
(extrait) :
« L’homme
est-il fait pour être heureux ? Sans doute aimerait-il l’être,
assurément. Mais le bonheur est un idéal abstrait, qu’il est bien
difficile de définir positivement, et qu’il est moins facile encore de
réaliser concrètement dans sa vie. Il y a tout lieu de penser que,
depuis la nuit des temps, chaque membre de notre espèce connaît
épisodiquement des moments de déprime ; le mal-être, le flou identitaire
et la douleur d’exister font jusqu’à un certain point partie intégrante
de notre condition.
Mais il y a tout lieu de penser aussi que certaines
époques sont plus que d’autres touchées par le malaise intérieur.
Depuis le tournant des années 1830 et l’entrée brutale dans la
révolution industrielle, l’Occident semble ainsi submergé par une vague
plus ou moins généralisée de « spleen », que les auteurs romantiques
qualifiaient avec optimisme de « mal du siècle », sans savoir que nous
l’éprouverions encore près de deux cents ans après eux… Notre art s’en
est largement fait l’écho, mais aussi nos magazines, nos reportages
télévisés et nos conversations.
La « dépression » est partout,
superficiellement soignée par les traitements pharmacologiques à la
mode, comme une rustine apposée sur un navire en voie de perdition.
Le
« mal du siècle » romantique n’était-il pas en somme plutôt un mal
naissant de la modernité ? C’est en un sens à cette question que tente
de répondre Pierre Le Vigan, lorsqu’il établit un tableau psychologique
et culturel remarquable de la souffrance psychique, telle qu’elle a pu
être conçue par le passé, depuis l’Antiquité, mais aussi telle qu’elle
se manifeste aujourd’hui, dans une mosaïque pléthorique de
manifestations.
La
souffrance est de tous les siècles, mais elle varie cependant d’une
période à l’autre, dans sa nature et ses modes d’expression autant que
dans son intensité. Certaines sociétés sont plus ou moins propices à
l’éclosion du malaise, et lui donnent des formes plus ou moins
spectaculaires et graves. Peut-être la dépression mineure mais banalisée
est-elle d’une certaine manière une maladie des pays riches, le prix à
payer existentiel pour un surcroît
de confort matériel. Hyppolite Taine et Paul Bourget, en France, s’en
faisaient déjà les témoins au XIXe siècle, tout comme Emile Durkheim, au
tournant du XXe.
Un peu plus tard, en 1935, Thierry Maulnier titrait un
de ses livres les plus célèbres « La crise est dans l’homme », pour
rappeler que les crises de l’économie ne sont pas en premier lieu
responsables des déséquilibres de l’humeur et des difficultés
relationnelles, dans nos nations « développées », parce que ces
phénomènes tiennent d’abord à une perversion des sociétés et, partant, à
une perversion de l’humain. Plus récemment, la thèse d’un mal-être
inhérent à l’homme moderne, ou du moins accentué par les conditions
modernes de vie, a été repris, en France, avec des sensibilités
diverses, par des auteurs tels que Marcel Gauchet, Gilles Lipovestky ou
Alain Ehrenberg, voire encore à l’étranger par Christopher Lasch ou
Daniel Bell. C’est dans cette tradition d’écriture que se situe Pierre
Le Vigan, avec les convictions, les orientations et les analyses qui lui
sont propres. »
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« C'est
un beau livre, érudit, formidablement documenté mais surtout sensible,
qui, sans bien entendu les épuiser, aborde, en les esquissant ou, au
contraire, en les creusant à fond, les thèmes que peut recouvrir un
sous-titre tel que ''Psychopathologie et souffrances psychiques de
l'homme moderne'' » (...) Michel Marmin, Eléments 141, 2011.
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Le malaise est vraiment dans l’homme par Georges FELTIN-TRACOL
On
connaissait Pierre Le Vigan philosophe, urbaniste et penseur préoccupé
par les questions sociales et écologiques. On le découvre aujourd’hui
fin analyste de l’âme humaine. Se plaçant dans le sillage de La crise
est dans l’homme, le premier ouvrage de Thierry Maulnier (1932), Le
malaise est dans l’homme est un essai passionnant d’exploration des
différentes psychopathologies et souffrances psychiques de l’homme
moderne. Il considère que « la souffrance psychique est au carrefour du
psychique et du social (p. 19) ». De là son intérêt pour ce sujet
pointu.
Il
examine en une vingtaine de chapitres la dépression, l’ennui, la
mélancolie, la paranoïa, les « états-limites », le bovarysme – cette
illusion d’être autre -, les phobies, le dandysme, etc. En historien, en
philosophe et presque même en « praticien » averti, Pierre Le Vigan
définit, scrute, observe les manifestations de ces troubles ou de ces
surmenages. Par exemple, « l’actuelle dépression est une maladie de la
responsabilité (p. 46) ». On peut regretter qu’il n’exploite pas assez
la polysémie du mot qui a aussi des significations topographique et
météorologique éclairantes si l’on croit à l’importance symbolique de la
métaphore…
Sur
la paranoïa, il remarque que c’« est une maladie très moderne. Elle
n’est en effet guère pensable sans l’individualisme et la croyance en un
“ moi ” autonome et donc susceptible de “ corruption ” par l’Autre, par
l’Extérieur (pp. 92 – 93) ». Concernant les addictions ou « dépendances
», il souligne fort justement que « c’est se passer du désir (p. 138) »
au profit d’une satisfaction immédiate et éphémère. Il s’agit d’« une
emprise irrésistible [qui] s’instaure (p. 139) ».
Pierre
Le Vigan soumet aussi le concept d’identité à ses interrogations. Pour
lui, « l’identité n’est pas l’authenticité. Celle-ci est le mythe d’une
non-dualité, d’une spontanéité totale, de relations humaines qui
n’obéiraient pas à des codes, à une éducation (paideia), et qui
n’auraient pas d’histoire (p. 174) ». La construction de soi se révèle
désormais plus ardue pendant que « s’accroît le nihilisme “ mou ” qu’est
la fatigue de vivre et d’engager des choses (p. 186) ». Éreintées par
un quotidien matériel trépidant, les âmes sont en déshérence. Pour
cacher ce naufrage psychique, « la société valorise la repentance plutôt
que l’orgueil, fut-il mal placé (p. 187) ». Dans le même temps, «
l’hyper-émotivité contemporaine et l’hypersensibilité nourrissent le
narcissisme qui demande lui-même en retour des réassurances
hyperprotectrices (cellules de soutien psychologique, etc.) (p. 187) ».
La
dévastation est si considérable – car elle s’amplifie de l’omnipotence
des médias et de leurs écrans tyranniques – que la fin des souffrances
psychiques paraît encore bien lointaine. Est-il possible de s’en sortir ?
Pour Le Vigan, « les seules réponses de long terme ne peuvent être que
le renforcement du lien social, du “ tenir-ensemble ” la société. Le
mythe de la mondialisation heureuse ne fera pas longtemps illusion,
c’est l’invention et l’appropriation de nouvelles pratiques sociales,
solidaires, c’est le tissage de nouveaux liens qui est nécessaire. La
modernité hypercapitaliste avance sur la base du couple société de masse
– repli individualiste, la massification jouant le rôle du répulsif
entraînant toujours plus d’individualisme et de privatisation de
l’individu (habitat des plus riches en résidences sécurisées,
déplacements en voiture, isolement dans sa bulle musicale avec les
diffuseurs individuels de musique numérique, etc.). Il faut rechercher
des contre-courants à cette privatisation des existences. Il faut
réapprendre le sens de la vie, le sens de la ville, et aussi le temps et
son bon usage, qui peut être la lenteur (pp. 22 – 23) ». Alors la
psyché humaine retrouvera peut-être une certaine quiétude à rebours du
délire actuel hyper-moderne."
Georges Feltin-Tracol, <Europe Maxima>, janvier 2012.
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